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Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal
3 avr. · 6 mn à lire
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L'affaiblissement chinois rebat les cartes du commerce international

Cap sur Pékin, mais aussi sur le fret aérien, le retour du bateau à voile et les produits agricoles ukrainiens

BLOCS#18 Bonjour, nous sommes le mercredi 3 avril et voici le dix-huitième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur LinkedIn.


Super-bloc

Englué dans une crise économique aux multiples facettes, l’Empire du Milieu voit fuir les investisseurs étrangers et s’intensifier un mouvement de « friend-shoring » qui se fait à son détriment. Face à cette conjoncture difficile, Xi Jinping semble déterminé à tenter de relancer la machine en tablant sur un soutien public toujours plus fort au secteur manufacturier. Au risque de s’aliéner pour de bon ses partenaires commerciaux qui multiplient déjà les enquêtes anti-dumping.

Le président chinois Xi Jinping, au centre, lors de sa rencontre avec 17 chefs d'entreprise américains, le 27 mars 2024. © Hua Chunying/XLe président chinois Xi Jinping, au centre, lors de sa rencontre avec 17 chefs d'entreprise américains, le 27 mars 2024. © Hua Chunying/X

CHUTE HISTORIQUE □ Le sourire figé de Xi Jinping en dit long. Le président chinois, pourtant plus connu pour sa main de fer que pour son goût des mondanités, s’est plié non sans effort à une séance photo avec 17 chefs d’entreprise américains, avant de s’entretenir avec eux pendant deux bonnes heures, mercredi dernier à Pékin.

Si le puissant leader donne de sa personne, c’est que l’heure est grave pour l’attractivité de l’Empire du Milieu.

Les capitaux étrangers investis dans le pays ont en effet connu une chute historique de 82% en 2023 par rapport à l’année précédente, décrochant à un niveau jamais vu depuis… 1993.

Cette défiance inédite des investisseurs étrangers s’explique principalement par la crise multiple et profonde de l’économie chinoise (BLOCS#9).

Entre le poids de moins en moins soutenable de sa dette, l’éclatement douloureux de sa bulle immobilière, les conséquences encore bien palpables de sa politique zéro covid menée jusqu’à fin 2022, mais aussi son effondrement démographique, la Chine n’en finit plus d’inquiéter.

« Les classes moyennes chinoises représentaient une forme d’Eldorado pour les multinationales étrangères. Cette attractivité est en train de s’effondrer, estime le journaliste spécialiste de la politique chinoise Pierre-Antoine Donnet, dans un récent entretien publié par Asialyst. Si l’on ajoute le repli sur soi politique du pays, on constate une forme de désamour qui pèse sur les choix d’investissement ».

DOUCEUR RARE □ Pour rétablir la confiance des 17 PDG américains présents à Pékin mercredi, Xi Jinping ne s’est pas contenté d’expliquer le plan d’action en 24 points, visant à ouvrir davantage le marché chinois, adopté par son gouvernement la semaine précédente (BLOCS#17).

Devant la presse, le président chinois a aussi fait passer des messages politiques d’une douceur rarement vue à l’égard de l’Oncle Sam.

« Les succès respectifs de la Chine et des États-Unis créent des opportunités réciproques », a-t-il affirmé, allant même jusqu’à déclarer : « tant que les deux parties se considéreront comme des partenaires, se respecteront, coexisteront pacifiquement et s'uniront pour obtenir des résultats gagnant-gagnant, les relations entre la Chine et les États-Unis s'amélioreront ».

Une prophétie qui semble tout sauf auto-réalisatrice. Car si un certain réchauffement des rapports sino-américains s’est concrétisé lors d’une rencontre Joe Biden-Xi Jinping en novembre dernier à San Francisco, les tensions paraissent bien loin de disparaître, au vu du nombre de dossiers qui continuent de miner la relation bilatérale.

Entre l’explosion des relations commerciales russo-chinoises, les menaces persistantes de Pékin sur Taïwan ou la stratégie de la tension mise en place par Xi Jinping en mer de Chine méridionale, où transite plus d’un quart du trafic commercial maritime mondial, Washington voit bien peu de raisons de nouer une relation amicale avec son rival.

Au contraire, Joe Biden s’apprête à recevoir ses homologues japonais et philippin pour continuer de construire sa ligne de défense face à Pékin.

FRÉNÉSIE □ Spectateurs impuissants de cet affrontement, les autres États se retrouvent parfois dans des positions délicates, à l’instar des Pays-Bas et de leur entreprise phare dans le domaine des semi-conducteurs, ASML, prise en sandwich entre les pressions américaines et chinoises.

D’autres, notamment en Afrique, sont confrontés à une réduction drastique des financements alloués par Pékin, qui ont atteint leur pic en 2016 sur le continent, et se retrouvent parfois pris dans la spirale de la dette.

Globalement, la planète s’inquiète de la frénésie du soutien public chinois à son secteur manufacturier. Celui-ci s’élèverait déjà à environ 1,7% de son PIB, contre 0,4% aux États-Unis. Une tendance qui devrait encore s’accentuer, dans la mesure où Xi Jinping parie sur les industries de pointe pour relancer son économie.

Comme le résume The Economist, « la Chine produit des voitures, tandis que ses dirigeants injectent de l'argent dans l'industrie de pointe. […] En conséquence, les dirigeants européens craignent un afflux de produits chinois avancés et bon marché »

Lesdits Européens ont déjà commencé à réagir en lançant une enquête anti-subventions déloyales sur les voitures électriques chinoises (BLOCS#15). Et ils sont loin d’être les seuls : le Royaume-Uni leur a emboîté le pas, et même les capitales traditionnellement proches de Pékin s’y mettent.

« Au cours des six derniers mois, le Brésil a ouvert six enquêtes sur le dumping présumé de produits industriels chinois tels que les tôles, l'acier prélaqué, les produits chimiques et les pneus, explique ainsi le Financial Times. Le Vietnam […] enquête pour sa part sur des exportations présumées déloyales d'éoliennes fabriquées en Chine ».

Ces débuts de mesures coercitives s’accompagnent, en outre, d’un mouvement de friend-shoring (BLOCS#8) dont la Chine est la première victime.

L’affaiblissement chinois est donc bien en train de remodeler le paysage de l’économie et du commerce mondial. Un phénomène qui semble irréversible, à moins d’une réorientation stratégique chinoise de Pékin… ou d’une victoire en novembre prochain du Donald Trump.

L’octroi d’un nouveau mandat présidentiel au « tariff man » (BLOCS#8) new-yorkais envenimerait en effet les relations commerciales globales à un niveau inédit, offrant du même coup à Pékin l’opportunité de s’affirmer comme un partenaire fiable, en comparaison avec Washington.


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Blocs-notes

FRET À LA FÊTE □ Le transport aérien de marchandises a débuté l’année sous les meilleurs auspices. En janvier, le secteur a affiché une croissance de presque 20 % en glissement annuel, soit un score à deux chiffres pour le deuxième mois consécutif, relève le Moci.

Le phénomène s’explique en partie par les attaques de navires par des rebelles houthis en mer Rouge, qui paralysent une route-clé du commerce maritime international reliant l’Asie à l’Europe (BLOCS#10). Pour les marchandises sensibles au temps de transit, les transporteurs préfèrent ainsi le fret aérien au contournement via le cap de Bonne-Espérance.

Selon les données de Xeneta, le volume transporté par les airs du Vietnam vers l'Europe a augmenté de 62 % sur un an début janvier. « Cela indique que l’industrie textile, qui produit en grande partie dans ce pays, passe du bateau à l’avion », expliquait début mars Niall van de Wouw, responsable du département fret aérien de Xeneta, au site Actu Transport Logistique. Idem du côté de l’industrie chimique ou de celle de l’automobile.

Les troubles en mer Rouge ne constituent pas la seule cause de l’envolée du fret aérien. Selon l’International Air Transport Association (IATA), la croissance « peut être partiellement attribuée à un effet de base » ainsi qu’à une poussée de la demande portée par l’e-commerce. 

Pour autant, malgré ces fortes hausses, le transport de marchandises par avion reste de 2,8 % inférieur à son niveau pré-pandémie. Et difficile de dire à ce stade si le regain observé annonce une reprise durable, selon la plateforme de gestion du transport de fret Upply. À plus long terme, « les signaux sont contradictoires », résume Le Moci.


VENT EN POUPE □ Pour verdir le transport maritime, la France parie sur… le bateau à voile ! Le secrétaire d'État à la Mer et à la Biodiversité, Hervé Berville, et son homologue en charge de l'Industrie, Roland Lescure ont signé, jeudi 28 mars, un « pacte vélique » avec le secteur maritime.

Objectif: construire des navires mixtes, propulsés soit par le vent, soit par un moteur alimenté par du gaz naturel liquéfié (GNL), en fonction des conditions de navigation, dans le but de décarboner ce secteur qui pèse 3% des émissions mondiales.

L’État met ainsi 500 millions d’euros sur la table pour soutenir cette filière émergente qui vise à la fois le transport de passagers et de marchandises. Avec l’espoir que le secteur privé participe à hauteur d’1 milliard d’euros. Selon les informations du journal Les Échos, Rodolphe Saadé, PDG de l’armateur CMA CGM, contribuera à hauteur de 200 millions d'euros.

Paris compte ainsi comptabiliser sur l’expérience probante du Pyxis Ocean, un navire financé par plusieurs acteurs internationaux dont l’UE, et équipé du système WindWings, qui a réussi à économiser 3 tonnes de carburant par jour, au cours de 6 mois de test.

De son côté, la France veut marquer les esprits avec la construction d’un navire roulier de 136 mètres actuellement en construction chez RMK Marine en Turquie. Conçu par l’armateur français Neoline et équipé de deux mâts en carbone, ce navire utilisera dès 2025 les voiles pour se propulser lorsque les conditions météorologiques le permettront, avec l’objectif de transporter jusqu'à 265 grands conteneurs entre la France et les États-Unis.


Mini-blocs

Les Vingt-Sept se sont accordés, mercredi 27 mars, pour renforcer le plafonnement des importations de certains produits agricoles ukrainiens échappant aux droits de douanes de l’UE depuis 2022. Aux termes de l’accord, l’exemption de droits de douane accordée à l’Ukraine est bien reconduite d’un an, à partir de juin, mais les importations de volailles, oeufs, sucre, maïs, miel et avoine en feront de nouveau l’objet si elles dépassent le niveau moyen observé entre le 1er juillet 2021 et la fin 2023. « L’accord précédent limitait la période de référence aux seules années 2022 et 2023, ce qui était plus favorable aux exportateurs ukrainiens », note Les Echos. En revanche, le compromis ne restreint pas les volumes de blé tendre et d'orge, comme le réclamaient la France et la Pologne (BLOCS#17).

Le Pakistan veut étudier « sérieusement » une reprise de ses relations commerciales avec l'Inde, a fait savoir son ministre des Affaires étrangères de passage à Londres. Suite à la révocation de l'autonomie du Cachemire par l’Inde en 2019, le commerce direct a cessé entre les deux pays à l’initiative du Pakistan, mais les importations de marchandises indiennes - qui représentaient près de 2 milliards de dollars avant 2019 - ont continué via Dubaï et Singapour, les rendant plus onéreuses. New Delhi, en position de force, n’a pas répondu aux appels d’Islamabad. Plus largement, le Pakistan, dans une situation économique désastreuse, semble décidé à renouer avec ses principaux voisins que sont l'Inde, l'Afghanistan, l'Iran et la Chine.

Le Conseil de l’UE a adopté le 26 mars un nouveau règlement sur les indications géographiques, qui garantissent l'origine et la qualité des produits agricoles, vins et spiritueux produits en Europe. Les « groupes de producteurs reconnus » seront habilités à gérer les indications géographiques et à représenter leurs membres dans les réseaux chargés du contrôle de l'application des droits de la propriété intellectuelle. La protection des indications géographiques sera également renforcée en ce qui concerne les noms de domaine et les produits alimentaires transformés.

Une étude publiée le 15 mars par l’OCDE propose une cartographie détaillée des vulnérabilités au sein des chaînes de valeurs mondiales. Les produits qui, à la fois, ont peu de fournisseurs et sont difficilement substituables sont estimés vulnérables. Ce serait le cas d’environ 8% des biens intermédiaires issus de l’étranger au sein des pays de l’OCDE, dont une cinquantaine sont jugés « hautement vulnérables », en particulier dans les secteurs pharmaceutique, minier et manufacturier.

L’extraterritorialité est un « angle mort » de la stratégie européenne en matière de sécurité économique, soutient l’Institut Montaigne dans une récente note. Alors que les entreprises sont « les premières victimes » de cette tendance à imposer l’application de normes nationales à l’international, reprochée en premier lieu à la Chine et aux États-Unis, mais observées chez de nombreux autres pays, la réponse de l’UE serait encore bien trop timide.

L’American Enterprise Institute (AEI) a publié ce mardi 2 avril une étude consacrée à « l’impact des sanctions sur les semi-conducteurs à l’encontre de la Russie ». Si, selon ce groupe de réflexion libéral basé à Washington, « l’industrie russe des puces, bien que petite et peu développée, continue de fonctionner » au service de l’effort de guerre « sa dépendance persistante à l’égard de pièces et de matériaux occidentaux constitue un point de faiblesse sur lequel l’Occident devrait se focaliser ».



Cette édition a été préparée par Antonia Przybyslawski, Clément Solal, Mathieu Solal et Sophie Hus.

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