BLOCS

Chaque semaine, votre condensé d’actualité utile sur le commerce international.

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Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal
7 févr. · 6 mn à lire
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L'Europe, victime collatérale de l'escalade en mer Rouge

L'Europe, victime collatérale de l'escalade en mer Rouge □ Mais aussi - Devoir de vigilance, Contrôles britanniques, Agriculture ukrainienne

BLOCS#10 Bonjour, nous sommes le mercredi 7 février et voici le dixième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur LinkedIn.


Super-bloc

La tension entre les rebelles houthis et les forces aériennes anglo-américaines n’en finit plus de monter, laissant craindre une paralysie longue du canal de Suez. De ses ports méditerranéens à son secteur de l’automobile en passant par celui du textile, l’Europe subit déjà les conséquences de ce conflit et a de quoi s’inquiéter pour le moyen-terme.

Terminal à conteneurs à Hambourg. ©️ Dominik Lückmann sur UnsplashTerminal à conteneurs à Hambourg. ©️ Dominik Lückmann sur Unsplash

PORTS EN BALANCE □ Oeil pour oeil. Les rebelles houthis ont juré, dimanche, de riposter après les frappes des États-Unis et du Royaume-Uni menées la veille contre 36 cibles au Yémen. Une escalade sur fond de conflit israélo-palestinien (BLOCS#4) qui laisse craindre une perturbation prolongée du commerce international.

La route de la mer Rouge joue en effet un rôle crucial dans le commerce maritime mondial, voyant passer près de 15 % du volume total des échanges de marchandises. Son importance pour l'Europe est indéniable, avec environ 40 % du commerce entre le Vieux Continent et l'Asie transitant d’ordinaire par le canal de Suez.

Plus en mesure d’assurer la sécurité de leurs équipages, les principaux acteurs mondiaux du transport maritime, tels que le danois Maersk, l'allemand Hapag-Lloyd, l'italo-suisse MSC, et plus récemment le français CMA CGM, ont décidé de contourner le détroit de Bab el-Mandeb qui donne accès à la mer Rouge.

Ils optent désormais pour le Cap de Bonne-Espérance au large de l'Afrique du Sud, un détour rallongeant les trajets de près de 13 000 kilomètres et une dizaine de jours.

En seulement deux mois, le volume de marchandises transitant par le canal a ainsi chuté de 42 %, d’après les données de l’ONU. Le coût du fret a en outre été multiplié par deux.

Première victime de cette chute, les ports méditerranéens. Celui du Pirée, en Grèce, racheté par l’entreprise chinoise Cosco en 2016, et dont l’activité pèse pour une part significative dans le PIB de la République hellénique, a ainsi vu ces derniers mois son activité diminuer de 30%.

De son côté, l’Italie, qui exporte à 54 % par la mer, enregistre des pertes considérables, estimées à 8,8 milliards d'euros depuis novembre 2023, touchant tant les exportations que l'approvisionnement en produits manufacturés. 

Les dégâts sont aussi importants au grand port de Marseille-Fos, où pilotes et dockers ont dû faire face à une importante baisse d’activité en janvier. Pour ne rien arranger, la CGT a appelé à un arrêt total des activités du port pour trois jours à compter de ce mercredi, dans le but, notamment, de protester contre la réforme des retraites.

REBOND DE L’INFLATION □ Les perspectives à moyen-terme sont encore plus alarmantes pour les ports méditerranéens, en cas de persistance des troubles en mer Rouge.

Avec la circumnavigation de l’Afrique, les armateurs n’auraient en effet plus intérêt à entrer en Méditerranée par le détroit de Gibraltar et pourraient durablement rediriger leurs navires vers les ports de la façade atlantique du Maroc et le nord de l’Europe.

Plus largement, l’économie européenne risque de pâtir de la situation. Selon une étude d'Allianz Trade publiée le 12 janvier, une prolongation du blocage du canal de Suez jusqu’à l’été pourrait ainsi entraîner une augmentation globale de 0,5 point de l'inflation et une baisse de 0,4 point du PIB, avec une diminution de 1,1 % des échanges commerciaux mondiaux.

L’Europe serait particulièrement touchée selon Allianz Trade, qui prévoit un rebond de l'inflation de 0,7 point et une possible contraction du PIB de 0,9 point.

Certains secteurs particulièrement dépendants du fret maritime, comme celui de l’automobile, ont d’ores et déjà été éclaboussés. Les usines de Tesla en Allemagne, Volvo Cars en Belgique et Suzuki en Hongrie ont ainsi été contraints d’interrompre au mois de janvier des lignes de production.

Eux aussi vulnérables, les détaillants du secteur textile en viennent à envisager d'expédier les produits par voie maritime à Dubaï puis de les transporter par avion, comme l’explique Reuters. Une option toutefois significativement plus onéreuse, le fret aérien étant de 10 à 12 fois plus cher que le fret maritime.

HYDROCARBURES □ Le secteur des hydrocarbures pourrait lui aussi être affecté. En temps normal, environ 10% du trafic pétrolier mondial passe en effet par le canal de Suez. Au moins 100 tankers ont été détournés de la mer Rouge depuis les premières attaques des rebelles yéménites, ce qui représente 56 millions de barils de brut et autres produits pétroliers, selon une évaluation de l'agence Bloomberg. Le marché reste néanmoins stable, et la réunion de l’OPEP+ qui s’est tenue la semaine dernière a d’ailleurs misé sur le statu quo.

Pas d’inquiétude non plus pour le moment concernant le gaz naturel liquéfié (GNL), dont 7% transite habituellement par la zone. Les réserves de gaz pleines à près de 80% dans l’UE et l’hiver doux que connaît le Vieux continent permettant de voir venir.

« L’infrastructure européenne est résiliente, confirme à BLOCS Thierry Bros, professeur à Sciences Po et spécialiste de la géopolitique de l’énergie.  Même si les tensions en mer Rouge vont retarder et désorganiser la chaîne d’approvisionnement des méthaniers, l’Europe ne devrait pas connaître de problèmes d’approvisionnement »

Plus généralement, cet expert affiche un certain optimisme, en s’appuyant sur la faible différence de coût entre celui du détour par le cap de Bonne-Espérance et celui, très élevé, du péage du canal de Suez. « Le marché est capable d’absorber cette disruption, affirme-t-il. Pour l’Egypte, dont une part significative des revenus dépend de ce péage, la situation est en revanche très inquiétante »

Le Caire a en effet tiré 9,3 milliards d’euros de l’exploitation du canal en 2023. Déjà confrontée à l’inflation et la pénurie de devises, l’économie locale est menacée d’ « anémie », selon l’expression du journal Le Monde.


Blocs-notes

« CS3D » EN DANGER □ L’UE réussira-t-elle à se doter d’un cadre législatif commun en matière de devoir de vigilance ? Vendredi, les Vingt-Sept sont censés valider la version finale de la « Corporate Sustainability Due Diligence Directive » ou « CS3D », un texte ambitieux visant à rendre les grandes entreprises responsables des atteintes aux droits humains et à l’environnement sur l’ensemble de leurs chaînes d’activités (BLOCS#4).

Mais l’issue de ce vote est très incertaine depuis que le FDP, le parti libéral allemand, a juré de s’y opposer, en fin de semaine dernière, jugeant excessive la charge générée pour les entreprises. Sans feu vert du troisième parti de sa coalition gouvernementale, Berlin va selon toute vraisemblance s’abstenir à Bruxelles, ce qui, en pratique, serait l'équivalent d’un vote contre.

Certes le pays ne dispose pas d’un droit de veto, mais plusieurs États membres pourraient lui emboîter le pas, et, éventuellement, former une minorité de blocage. Si la France devrait voter en faveur du texte, c’est la voix de l’Italie, dont les intentions restent floues, qui pourrait faire pencher la balance. Le vote s’annonce ainsi serré.

Un échec vendredi pourrait sonner le glas du projet. Car les différents sondages en vue des élections européennes de juin annoncent une poussée des droites nationalistes et populistes, dont la CS3D ne sera a priori pas la priorité.

Outre-Rhin, le coup politique du FDP traduit le rejet massif de la directive au sein d’une industrie allemande en proie à de profonds doutes sur sa compétitivité. Du côté de l’Hexagone, le MEDEF est aussi vent debout contre le devoir de vigilance européen.


BREXITATION □ Le Royaume-Uni a commencé à mettre en oeuvre, mercredi dernier, les contrôles post-Brexit sur les produits agroalimentaires et les plantes qu’il importe depuis l’Union européenne.

Ces contrôles devaient initialement être mis en place il y a trois ans, mais ont été repoussés cinq fois d’affilée par Londres, sur fond de manque de préparation administrative et de crainte que ces contrôles provoquent une augmentation des prix pour les consommateurs. De fait, les contrôles mis en place côté européen depuis 2021 ont occasionné un coût économique important pour les exportateurs britanniques (BLOCS#5)

Le Royaume-Uni importe par ailleurs 30% de son alimentation depuis l’UE. De surcroît, environ 90% du boeuf, des oeufs, du porc et des produits laitiers importés par la Perfide Albion viennent du Vieux Continent. Des produits dont les prix ont déjà fortement augmenté outre-Manche, où l’inflation moyenne s’élevait encore à 8% au mois de décembre dernier.

Les obligations des exportateurs européens ne doivent entrer en vigueur que progressivement. Pour l’heure, seuls les certificats sanitaires sont requis, les contrôles physiques des marchandises ne devant débuter qu’en avril.

Une perspective qui suscite une certaine angoisse au Royaume-Uni, mais aussi dans le secteur agroalimentaire européen.

L’entrée en application de ces nouvelles règles devrait en effet créer un surcoût estimé par le gouvernement britannique à 330 millions de livres, ce qui accentuerait l'inflation de 0,2 point sur trois ans.

Certaines règles, comme celle obligeant les exportateurs à notifier leur cargaison 24 heure à l’avance, pourraient être difficiles à appliquer et créer des retards.

Les plus grands perdants de cette nouvelle donne post-Brexit devraient ainsi être les ménages britanniques mais aussi les PME européennes, qui devraient avoir plus de mal à se conformer aux règles que les géants de l’agro-alimentaire.


Mini-blocs

La Commission européenne a proposé mercredi dernier la prolongation d’une année, jusqu’en juin 2025, de l’exemption de droits de douane accordée à l’Ukraine en 2022, mais également des mesures de « sauvegarde renforcée » pour les 3 produits sensibles que sont les volailles, les œufs et le sucre. Concrètement, Bruxelles propose un rétablissement des droits de douane si les importations de ces produits en 2024 dépassaient la moyenne des importations en 2022 et 2023, même si cela ne concernait qu’un ou plusieurs États. Les importations massives de ces produits, qui ne respectent pas certaines normes européennes, ont en effet fortement perturbé les marchés locaux et cette proposition est une réponse à la colère des agriculteurs qui s’est exprimée à travers l’Europe depuis plusieurs mois. Les États membres et les eurodéputés doivent à présent se pencher sur la proposition de la Commission, qui devrait être adoptée assez rapidement.

Après un millésime 2022 de tous les records sur fond de pénurie de semi-conducteurs, puis des chiffres moins flamboyant en 2023, le spécialiste des puces STMicroelectronics s’attend à une année 2024 morose. Le groupe franco-italien prévoit un chiffre d'affaires en recul de 15 % au premier trimestre. La première cause se trouverait dans les stocks constitués par précaution par les divers clients industriels, dans la robotique usine, le médical, ou encore les renouvelables, note les Echos. Si l’automobile devrait a contrario pousser les ventes, la demande n’est pas non plus au rendez-vous dans l'électronique personnelle, c'est-à-dire les smartphones et les PC. Enfin, STMicroelectronics, qui dispose d’usines en France, en Italie, au Maroc, à Singapour ainsi qu'en Chine, ne cache pas son inquiétude quant aux conséquences de la guerre commerciale sino-américaine sur ses activités.

Le Conseil de l’UE et le Parlement européen ont conclu mardi un accord provisoire sur le règlement établissant un cadre de mesures pour renforcer la compétitivité industrielle européenne dans le domaine des technologies propres, également désigné sous le nom de « Net-Zero Industry Act » (NZIA). Proposé en mars 2023 par la Commission européenne en réponse à l’Inflation Reduction Act américain (IRA), qui bénéficie de 369 milliards de dollars de subventions, ce règlement vise à accroître la souveraineté de l'UE en favorisant la production locale des technologies essentielles à la décarbonation, telles que les batteries, les électrolyseurs, les éoliennes et les panneaux solaires, actuellement largement importées de Chine. Contrairement à l'IRA, ce texte n'implique pas de déploiement massif de fonds pour ces technologies vertes, qui pourront néanmoins être financées via la Plateforme pour les technologies stratégiques européennes (STEP), dotée de 1,5 milliard d'euros.


Nos lectures de la semaine

Dans son 17ème bilan de la compétitivité française, publié le 31 janvier, l’institut d'études économiques privé français Rexecode constate que le déficit commercial de la France s’est réduit l’année dernière par rapport à 2022, notamment grâce à la baisse du coût de l'énergie. Les économistes estiment toutefois que l’Hexagone n’a pas retrouvé les parts de marché à l’exportation de 2019, aussi bien dans l’industrie que dans les services. L’attractivité de la France comme site de production semble ainsi avoir plafonné en 2023, après une bonne année 2022.

Le magazine trimestriel allemand spécialisé dans les affaires étrangères Internationale Politik Quarterly a publié le 24 janvier un article mettant en avant le rôle central que doit jouer l'Allemagne dans la stratégie européenne visant à atténuer les risques liés à la Chine. En tant que première économie du bloc européen, l'Allemagne exerce une influence majeure dans le modèle de croissance de l'UE, notamment en étant fortement dépendante des exportations et en jouant un rôle clé dans des secteurs industriels cruciaux tels que l'automobile. Les chercheurs appellent en outre à la mise en place de mesures européennes robustes et coordonnées en matière de contrôle des exportations et des investissements étrangers.


Cette édition a été préparée par Clément Solal, Antonia Przybyslawski, Mathieu Solal et Sophie Hus.

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