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Super-bloc
En mai 2024, l’Union européenne se dotait d’une législation prometteuse, visant à faire progresser la mondialisation vers davantage de durabilité, tant sur le plan environnemental que social : la directive sur le devoir de vigilance des entreprises. Alors que Bruxelles s’apprête à raboter les normes, notamment environnementales, pesant sur les entreprises, ce texte est cependant mis en péril avant même d’être entré en vigueur. Décryptage.
Le Vice-président exécutif de la Commission européenne, Stéphane Séjourné, en déplacement à Stuttgart, vendredi. © European Union, 2025
TEXTE EMBLÉMATIQUE □ Fin mai 2024, l’UE adoptait sa directive sur le devoir de vigilance. Un texte destiné à contraindre les grandes entreprises à combattre les atteintes aux droits humains (esclavage, travail des enfants...) et à l’environnement (érosion de la biodiversité, pollution...) sur l’ensemble de leurs chaînes de valeur internationales.
Aujourd’hui, cette loi emblématique du fameux Green Deal est remise en cause avant même son entrée en vigueur, censée débuter en 2027.
À Bruxelles, les législations vertes n’ont en effet plus le vent en poupe, et la priorité de la nouvelle Commission européenne est désormais d’alléger drastiquement les normes pesant sur les entreprises, au nom de la compétitivité.
Le 26 février prochain, le Vice-président exécutif de la Commission européenne chargé de la souveraineté et de la stratégie industrielle, Stéphane Séjourné, présentera ainsi une législation unique, dite «omnibus», visant à raboter plusieurs textes européens.
On sait déjà que la directive sur le devoir de vigilance, qui est dans le collimateur des organisations patronales, comme le Medef en France, la Confindustria en Italie et le puissant BDI en Allemagne, fera partie de la liste.
De fait, la directive doit imposer un ensemble de procédures assez lourdes aux plus de 5.500 entreprises qu’elle ciblerait à terme - soit celles comportant plus de 1 000 salariés et avec un chiffre d'affaires supérieur à 450 millions d’euros par an, dont certaines sociétés étrangères actives dans l’UE.
CONCRÈTEMENT □ Exemples : l’obligation pour ces groupes d’identifier les abus et les éventuels risques via une cartographie de leurs sous-traitants - y compris de plus petites tailles - à travers monde ; ou encore celles d’imposer à ces partenaires des codes de conduites, de négocier avec eux des garanties contractuelles, de les aider financièrement à respecter les règles, ou encore de prévoir des audits sur leurs sites de production …
Sans parler de l’éventualité, introduite par le texte, que ces multinationales soient tenues juridiquement responsables en cas de dommages qui n’auraient pas été évités faute d’avoir observé lesdites « mesures de vigilances ».
Concrètement, un géant du textile pourrait se retrouver devant les tribunaux si ses vêtements ont été confectionnés via un recours au travail des enfants au Bangladesh ; ou bien, un producteur de batteries pourrait être poursuivi si une mine de lithium où il s’approvisionne au Chili a causé des pollutions des eaux ou des sols, etc.
Que va-t-il rester de cette ambitieuse législation ? Difficile de le dire à ce stade.
Plusieurs sources évoquent a minima une réduction du nombre d’entreprises concernées par la directive. D’autres espèrent que Stéphane Séjourné, passé par le Parti socialiste avant de rejoindre En Marche, réussira à limiter la casse pour le devoir de vigilance. Le règlement « omnibus » constituera en effet le premier texte majeur de M. Séjourné, qui voudra sans doute éviter d’être perçu d’entrée comme le fossoyeur du Green Deal.
Il devrait en tout cas tenter de se tenir au mot d’ordre martelé par Ursula von der Leyen : simplifier sans remettre en cause le fond. L’exécutif de l’UE n’aura toutefois pas le dernier mot avec sa copie du 26 février.
Le projet passera ensuite entre les mains des co-législateurs de l’Union, le Conseil de l’UE, réunissant les États membres, et le Parlement européen (PE), lesquels sont susceptibles de s’orienter vers un rabotage plus radical.
RUDE COMBAT POLITIQUE □ Au PE, les groupes politiques de droite et d’extrême droite, qui critiquent âprement ce type de textes (à l’instar des Patriotes de Jordan Bardella), sont arithmétiquement majoritaires et pourraient s’allier pour en venir à bout.
Le week-end dernier, le groupe Parti populaire européen (PPE, droite), le premier ensemble parlementaire de l’Assemblée de l’UE, s’est ainsi positionné en faveur d’un report « d’au moins deux ans » de la directive. Mais aussi de la taxe carbone aux frontières de l’Union, censée monter en puissance à partir du 1er janvier 2026 (BLOCS#1).
À la table des Vingt-Sept, l’Allemagne devrait mener le camp des anti-devoir de vigilance. « Là où des projets nuisent à la compétitivité, il faut les reporter, voire les supprimer », avait jugé début janvier le chancelier Olaf Scholz dans une lettre adressée à la Commission européenne. La ligne de Berlin a très peu de chances de s’assouplir après les législatives allemandes de fin février, surtout si ce sont les chrétiens-démocrates de la CDU-CSU qui reviennent aux affaires.
À Bruxelles, les ONG environnementales et autres forces de gauche se morfondent, mais le sort du texte est loin d’être scellé. La France, avec Eric Lombard, son nouveau ministre de l’Economie, issu de la gauche, pourrait-elle imposer une approche plus modérée ? Le combat politique s’annonce en tout cas des plus rudes.
ENTREPRISES DIVISÉES □ La bataille du lobbying a, quant à elle, déjà commencé. Et si, comme on pouvait s’y attendre, les syndicats patronaux lâchent leurs coups contre la directive, certaines entreprises les prennent à contrepied.
Ainsi, plusieurs grands groupes, dont Ferrero, Primark, Unilever, Nestlé, ou encore DP World (DPW) - troisième opérateur portuaire mondial, détenu par Dubaï - se sont dits « particulièrement inquiets de la potentielle réouverture » du texte, dans une lettre commune envoyée vendredi dernier à la Commission européenne.
« Des entreprises ont déjà investi des ressources importantes pour se préparer à remplir ces nouvelles exigences. L’investissement et la compétitivité se fondent sur la certitude politique et la sécurité juridique. L’annonce que la Commission européenne va proposer une initiative ‘omnibus’ […] risque d’ébranler les deux », lit-on.
Ces entreprises « bonnes élèves », qui ont déjà accompli leur travail de mise en conformité à la directive, ne veulent pas laisser filer ce qu’elles considèrent comme un avantage compétitif sur leurs concurrents moins assidus. Reste à savoir si les bons élèves sauront faire porter leurs voix au cours des prochains mois.
Dernier facteur à prendre en compte : le dossier a le potentiel d’attiser les tensions commerciales avec la nouvelle administration Trump. Le devoir de vigilance, voué à s’appliquer à des filiales d’entreprises étrangères actives en Europe, dont en premier lieu à des groupes américains, a été vertement critiquée par des membres du Congrès et par la Chambre de Commerce des États-Unis.
PÂLES LOIS NATIONALES □ Si le devoir de vigilance européen finissait par mourir dans l'œuf, des législations nationales en la matière continueront néanmoins d’exister dans une poignée d’États membres, dont l’Allemagne et la France. Reste que ces lois nationales sont autrement moins ambitieuses que la directive européenne.
La loi française de 2017, qui a déjà valu à une série d’entreprises, dont TotalEnergies, le groupe Casino ou Lactalis et Danone, d’être assignées en justice, a certes initialement inspiré le texte européen, mais son champ d’application est bien moins étendu. Elle concerne 150 entreprises entreprises, contre près de 500 pour la directive (5500 au niveau européen).
Et ce n’est pas tout : le régime de responsabilité civile que doit introduire la directive de l’UE est bien plus robuste, jugent les experts. Un tel dispositif fait d’ailleurs totalement défaut outre-Rhin.
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Blocs-notes
LA MENACE SE PRÉCISE □ La crainte de voir Donald Trump se lancer à bras raccourcis dans la guerre commerciale en imposant des mesures agressives dès le jour de son investiture ne s’est pas réalisée. Le nouveau président américain a même presque oublié de parler de commerce, au cours du discours lunaire qu’il a tenu lundi, à Washington.
Il s’est néanmoins rattrapé peu après, devant la presse.
Réitérant sa menace de frapper le Mexique et le Canada de droits de douane de 25% pour les punir pour leur inefficacité supposée dans la lutte contre l’immigration illégale et le trafic de fentanyl, il a précisé vouloir infliger cette sanction dès le 1er février. Le dollar canadien et le peso mexicain ont immédiatement plongé.
Le 47e président des États-Unis, fraîchement élu, a également menacé d’appliquer des taxes sur les importations chinoises pouvant atteindre 100 % si Pékin ne parvient pas à conclure un accord pour vendre au moins 50 % de l’application TikTok à une entreprise américaine.
Les Européens n’ont pas été épargnés. Ils subiront des droits de douane sur les produits à moins qu’ils n’achètent davantage de pétrole américain, a promis M. Trump, qui avait auparavant évoqué le gaz naturel liquéfié (GNL).
Les responsables de l’UE n’ont pas moins réagi avec calme à ces nouvelles menaces, à l’instar de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui s’est contentée de rappeler que les Etats-Unis fournissaient déjà plus de 50% du GNL européen, et que l’UE et les États-Unis sont les économies « les plus imbriquées au monde ».
« Notre priorité absolue consistera donc à engager le dialogue sans attendre, à examiner quels sont nos intérêts communs et à nous préparer à la négociation » a-t-elle lancé depuis Davos, où elle participait au Forum économique mondial.
Même son de cloche du côté de Pékin (BLOCS#45). La Chine est « prête à renforcer le dialogue et la communication avec les États-Unis (et) à gérer correctement les différences » entre eux, a ainsi déclaré le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Guo Jiakun. «Nous espérons que les États-Unis travailleront avec la Chine pour promouvoir conjointement le développement stable (...) des relations économiques et commerciales sino-américaines», a-t-il ajouté.
Tout en admettant l'existence de «différences et de frictions» entre les deux pays, Guo Jiakun a observé que « les intérêts communs et l'espace de coopération entre les deux pays sont immenses ».
Plus tard, lundi, le président américain a publié un memorandum sur sa politique commerciale « America First », qui semble notamment s’orienter vers le doublement des taxes touchant les entreprises et les personnes physiques étrangères présentes sur le territoire américain, comme l’explique le Financial Times.
MODERNISME MEXICAIN □ L’UE et le Mexique ont scellé vendredi un pacte visant à moderniser et à étendre l'accord commercial qu'ils ont conclu en 2000. Ce nouveau partenariat vise à stimuler les échanges entre les deux parties, qui ont atteint 82 milliards d'euros en 2023.
Fruit de près de huit années de négociations, l’accord a été finalisé dans un contexte politique délicat, trois jours avant le retour au pouvoir de Donald Trump. Ce dernier a menacé d'imposer des droits de douane de jusqu'à 25 % sur toutes les importations mexicaines et entre 10 % et 20 % sur les produits européens exportés vers les États-Unis.
Comme le soulignent nos amis de La Matinale Européenne dans leur édition de lundi, la temporalité n’est pas un hasard et le contexte politique semble avoir incité les deux parties à conclure leur accord une fois pour toutes, à l’image de celui avec les pays du Mercosur en novembre (BLOCS#39).
« L’accord modernisé offre une plateforme renouvelée pour la coordination sur les défis futurs - d'autant plus important que l'UE et le Mexique sont tous deux sous le feu croisé des menaces tarifaires de Trump », a déclaré l’eurodéputé allemand Bernd Lange, président de la commission commerce du Parlement européen.
Le partenariat modernisé, qui doit encore être ratifié, inclut désormais les services, les investissements, les produits agricoles et les marchés publics, allant bien au-delà de l'accord de 2000 qui ne couvrait que les produits industriels.
« Les exportations de l'UE pourraient augmenter de 75 % et les entreprises pourraient économiser jusqu'à 100 millions d'euros par an en droits de douane », estime Bernd Lange.
Le Mexique, deuxième partenaire commercial de l’UE en Amérique latine, s’engage notamment à supprimer les droits de douane de jusqu'à 100 % sur des produits d'exportation clés de l'UE, comme le fromage, la volaille, le porc, les pâtes, les pommes, les confitures et gelées, ainsi que le chocolat et le vin.
En contrepartie, le Mexique bénéficiera d’un accès privilégié au marché commun pour l’exportation de véhicules électriques, sous réserve qu’ils contiennent au moins 60 % de composants d’origine mexicaine ou européenne. Une disposition qui vise à réduire la dépendance du Mexique vis-à-vis des composants chinois.
L’accord comprend en outre un chapitre sur le commerce et le développement durable, qui définit des engagements contraignants en matière de droits du travail, de protection de l’environnement, de changement climatique et de produits commerciaux responsables. Il prévoit enfin un mécanisme de règlement des différends.
Mini-blocs
□ L’heure n’est pas à la fête pour le marché du champagne. Les expéditions de cette boisson festive ont enregistré une chute significative en 2024, selon un communiqué publié samedi par le Comité Champagne. Au total, les livraisons ont reculé de 9,2 % l’année dernière. Parmi les causes principales de cette chute, Maxime Toubart, président du Syndicat Général des Vignerons et co-président du Comité Champagne, évoque l’inflation persistante, les conflits géopolitiques, les incertitudes économiques, ainsi qu’un attentisme politique dans certains des plus grands marchés du champagne, comme la France et les États-Unis. Le marché français, qui représente 43,5 % des expéditions, a vu ses ventes diminuer de 7,2 % par rapport à l'année précédente. Cependant, la situation est encore plus alarmante à l’international : les marchés étrangers, qui comptent pour 56,5 % des volumes totaux, ont vu leurs expéditions chuter de 10,8 %, pour atteindre 153,2 millions de bouteilles.
□ La Commission européenne envisagerait d’abandonner une plainte déposée en 2022 auprès de l’OMC contre la Chine. Comme le rappellent nos amis de What’s up EU dans leur dernière édition, cette procédure concerne les restrictions commerciales que Pékin aurait imposées à la Lituanie en 2021, après que l’État balte a autorisé l’ouverture d’une représentation officielle de Taïwan dans sa capitale, Vilnius, en novembre de la même année. Selon les informations de Bloomberg, le dossier semble compromis en raison d’un manque de preuves solides démontrant une coercition économique de la part de la Chine, ce qui pourrait réduire considérablement les chances de succès du litige. En janvier 2024, la Commission avait déjà décidé de suspendre temporairement la procédure. Cependant, si aucune action n’est entreprise d’ici la fin de la semaine prochaine, la plainte deviendra caduque.Toujours selon Bloomberg, Washington presse Bruxelles de relancer le processus, estimant qu’un abandon enverrait un signal de faiblesse dans la confrontation avec Pékin.
□ Le président russe Vladimir Poutine et son homologue iranien Massoud Pezeshkian ont signé vendredi dernier un traité approfondissant la relation entre les deux pays hostiles à l'Occident. Si ce texte porte en premier lieu sur la coopération en matière de défense, il prévoit aussi la construction d’un corridor logistique nord-sud, « reliant Saint-Pétersbourg à Bombay par route, voie ferrée et bateau, en passant par l'Iran » et l’Azerbaïdjan , relève Les Echos. Cette vieille idée russe relancée en 2014 permettrait d’exporter ses marchandises en Inde et en Chine, sans avoir à faire un grand détour par la Baltique et le canal de Suez. Moscou espère que la signature de ce traité permettra à ce projet pharaonique d’enfin voir le jour. Reste que « l’avancement de ce corridor est en partie freiné par la méfiance historique entre l’Iran et l’Azerbaïdjan », note toutefois Le Monde.
□ La Fabrique de l’exportation, un think tank français centré sur le commerce fondé en 2012, organise ce mercredi à 18h un débat en ligne consacré à la stratégie Global Britain, avec comme invité Olivier Morel, avocat d’affaires et président du comité Royaume-Uni des conseillers du commerce international. Par ici pour s’inscrire gratuitement à cet évènement qui s’annonce intéressant.
Cette édition a été préparée par Clément Solal, Antonia Przybyslawski, Mathieu Solal et Sophie Hus.
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