BLOCS#45 □ Bonjour, nous sommes le mercredi 15 janvier et voici le quarante-cinquième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous sur LinkedIn.
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Super-bloc
À la veille de l’investiture de Donald Trump, la Chine affiche un excédent commercial record. Mais il ne faut pas s’y tromper, les autorités chinoises sont fébriles, et ces chiffres sont avant tout le résultat d’un effet d’anticipation des risques de guerre commerciale à venir. Néanmoins Pékin se prépare : entre ripostes ciblées, stratégie de diversification et rapprochements internationaux, voici comment l’Empire du Milieu prévoit de naviguer dans un contexte mondial bouleversé par les politiques protectionnistes de Washington.
© Wikimedia commons
HAUSSE TROMPEUSE □ À quelques jours de l’investiture de Donald Trump, prévue le 20 janvier, l’Administration générale des douanes chinoises a annoncé lundi un bond de 7,1 % des exportations du pays en 2024 par rapport à l’année précédente, atteignant 3 580 milliards de dollars. Les importations, quant à elles, n’ont progressé que de 2,3 %, pour un total de 2 590 milliards de dollars.
Résultat : l’excédent commercial chinois a atteint un niveau record de 992,1 milliards de dollars. Cette hausse impressionnante s’explique en partie par l’effet d’anticipation vis-à-vis des mesures protectionnistes promises par le président élu.
Tout au long de sa campagne, Donald Trump a indiqué qu’il fixerait à 60 % les droits de douane sur les produits chinois, alimentant une frénésie d’achats et de stockage par les entreprises américaines.
En décembre, les exportations chinoises vers les États-Unis ont ainsi bondi de 16 %. Les producteurs chinois, de leur côté, ont intensifié leurs expéditions pour pallier la faiblesse de la demande intérieure, les ménages souffrant encore des répercussions d’une crise immobilière prolongée.
L’arrivée de Donald Trump pourrait cependant porter un coup sévère au commerce extérieur, pilier de la croissance chinoise. Si les exportations devraient se maintenir à court terme, elles « s’affaibliront plus tard cette année si Donald Trump met à exécution sa menace (...) », pronostique Zichun Huang, économiste chez Capital Economics.
FÉBRILITÉ CHINOISE □ « Il existe une fébrilité chez les autorités chinoises, explique Marc Julienne, directeur du Centre Asie de l’Ifri. Sur les deux moteurs de la croissance, l’un est à l’arrêt et ne devrait pas repartir de sitôt, l’immobilier.
L’autre, les exportations, tirent à elles seules l’économie chinoise et avec difficulté. Les autorités aimeraient créer un nouveau relai de croissance : la consommation intérieure, mais c’est un objectif de 20 ans qui peine toujours à se réaliser », développe ce chercheur auprès de BLOCS.
Pékin a certes lancé depuis septembre plusieurs initiatives destinées à stimuler l’économie, telles qu’une réduction des taux d’intérêt et une hausse du plafond d’endettement des gouvernements locaux.
Cependant, selon Marc Julienne, ces initiatives sont jugées encore trop floues, et ne sont en tout cas « pas de nature à créer un choc de consommation dans un moment où la confiance des ménages et des entreprises (chinoises et étrangères) est au plus bas ».
« Dans ce contexte, on comprend que les menaces de Trump de relancer la guerre commerciale en imposant des droits de douanes élevés soient d’autant plus inquiétantes pour Pékin (...) », poursuit Marc Julienne.
STRATÉGIE EN TROIS AXES □ Dans l’attente du choc Trump, la Chine a toutefois préparé une stratégie reposant sur trois axes : représailles, adaptation et diversification, explique le chercheur américain Evan Medeiros dans une tribune publiée par le Financial Times.
« Pékin a mis en place des outils pour répondre de manière ciblée aux pressions américaines, notamment des contrôles à l’exportation, des restrictions à l’investissement et des enquêtes réglementaires », indique ce spécialiste de la politique chinoise.
Et dans l’affrontement technologico-commercial qui l’oppose déjà aux Etats-Unis, l’Empire du Milieu a prouvé sa capacité à frapper fort. Ainsi, rien que sur la fin 2024, Pékin a interdit l’exportation de minerais critiques pour la fabrication de puces électroniques (BLOCS#42), perturbé la chaîne d’approvisionnement des drones fabriqués aux États-Unis, et lancé une enquête antitrust contre le géant américain des semi-conducteurs Nvidia.
« Ces actions donnent un aperçu des capacités de Pékin et créent des leviers pour d’éventuelles négociations avec Trump », estime Evan Medeiros.
En parallèle, la Chine renforce ses alliances avec les pays en développement, notamment en Afrique et en Amérique latine, et rétablit ses relations avec les partenaires asiatiques de Washington.
OPÉRATION DE CHARME □ Selon une analyse du centre de recherche MERICS, Pékin pourrait construire une coalition mondiale pour contrer les pressions américaines. « La Russie sera un allié clé, mais la Chine approchera aussi l’Europe, où elle espère tirer parti des tensions transatlantiques exacerbées par Trump ».
Elle pourrait ainsi tenter de se rapprocher des États membres de l’UE et des entreprises les plus touchés par la politique de Washington. « Pour les autres pays européens, Pékin continuera à utiliser les investissements, l'accès au marché chinois et la menace de représailles économiques pour façonner leur comportement et perturber le programme de réduction des risques (de-risking) de l'Europe », estime le centre de recherche allemand.
La Chine est d’ailleurs déjà à la manoeuvre sur le plan diplomatique. Le nouveau chef de la mission chinoise auprès de l'UE, Cai Run, a appelé à la mi-décembre à l'amitié entre l’UE et la Chine.
« Les amis européens sont très attentifs aux perspectives économiques de la Chine et à l'avenir de la coopération entre la Chine et l'UE. Nous espérons que les deux parties pourront gérer correctement les frictions économiques et commerciales par le dialogue et la consultation afin d'éviter une guerre commerciale, a-t-il écrit dans une tribune publiée par Euronews. C'est dans l'intérêt des deux parties et du monde ».
Signe de cette volonté de rapprochement : le président chinois Xi Jinping s’est entretenu au téléphone mardi avec le président du Conseil européen, Antonio Costa, et a plaidé pour « une solution mutuellement bénéfique au conflit sur les voitures électriques » qui oppose les deux parties depuis plus d’un an (BLOCS#34).
Le récent rapprochement avec le Royaume-Uni (voir notre section « Blocs-notes » ) ressemble également à un succès de poids de l’opération de charme déployée par la Chine sur le Vieux continent.
La Commission européenne de l’atlantiste Ursula von der Leyen s’évertue, pour sa part, surtout à commencer du bon pied avec l’Amérique de Trump (voir notre section «Mini-blocs»).
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Blocs-notes
BEIJING CALLING □ Un tel voyage n’avait pas eu lieu depuis 2017, et cela n’a rien d’anecdotique. La ministre des Finances britannique, Rachel Reeves, s’est rendue ce week-end en Chine, où elle a travaillé à approfondir le lien commercial, ce qui est « absolument dans l’intérêt du Royaume-Uni », a-t-elle proclamé.
Alors que Londres - déjà bien refroidie par les outrances d’Elon Musk - doute fort de pouvoir tirer profit de sa « relation spéciale » avec les Etats-Unis sous Trump (voir notre Hors-série), l’idée semble être de se tourner vers l’Empire du Milieu.
Au terme de ses visites à Pékin, puis à Shanghai, la chancelière de l’Echiquier a ainsi annoncé la signature d’une série d'accords afin de mieux coopérer en matière de commerce, de services financiers, d’investissement et de climat.
Le déplacement - relégué au second plan dans les médias par les nouvelles tensions sur les taux d’endettement britanniques - confirme une tendance au réchauffement entre son quatrième partenaire commercial et le Royaume-Uni.
Ce dernier est d’ailleurs le seul des grands marchés automobiles à ne pas avoir décidé de surtaxes sur les véhicules électriques chinois, ce qui assombrit d’ailleurs les perspectives de l’industrie des voitures outre-Manche.
Londres souffre certes d’un déficit commercial massif avec la Chine en matière de biens, mais elle bénéficie d’un avantage comparatif dans le domaine des services, a fortiori financiers.
L’intention semble dès lors être « de restaurer les liens dans la finance. Cela va aider les banques, - dont HSBC et Standard Chartered - qui se focalisent en premier lieu sur l’Asie. Mais en échange, la Chine va certainement chercher un meilleur accès pour ses producteurs […] de l’acier aux produits chimiques en passant par les voitures électriques », analyse Ed Conway, journaliste chez Sky News, dans un post sur le réseau X.
Un certain rapprochement entre les deux économies a déjà été constaté ces dernières années. Trois ans après le retour des barrières douanières entre l’UE et le Royaume-Uni, Londres a quelque peu réorienté ses échanges vers des pays extérieurs à l’UE, à commencer par la Chine.
L’Empire du Milieu est « le pays dont le poids dans le commerce extérieur du Royaume-Uni s’accroît le plus » sur ces trois années, relève une étude du service statistique ministériel de la douane française publiée le 27 décembre.
SUPER BRICS □ L’adhésion avait été annoncée en 2023, elle est maintenant effective : l’Indonésie a rejoint les BRICS. Ce groupe de désormais dix grandes économies émergentes comprenant le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, s’était déjà élargi à l’Afrique du Sud en 2010, puis à l’Iran, l’Égypte, l’Éthiopie et les Émirats arabes unis début 2024.
D’autres nations comme la Turquie, le Nigeria, l’Algérie ou l’Arabie saoudite toquent à la porte de cet ensemble destiné à faire contrepoids à l’Occident, via entre autres le projet de dédollarisation des échanges mondiaux.
Les BRICS « pèsent désormais pour 30 % du PIB mondial - notamment grâce à la Chine qui en représente 17,9 % - et regroupent près de la moitié de la population du globe (48,5 %) », détaille Les Echos.
Pour l'Indonésie et ses 277 millions d’habitants, c’est l’occasion d’asseoir une position de leader économique régional face à des concurrents comme la Malaisie et le Vietnam. L’archipel dont le PIB par habitant a été multiplié par six entre 2000 et 2022 lorgne ainsi de nouveaux débouchés commerciaux et d'importants investissements étrangers.
L’adhésion devrait en particulier favoriser les investissements de Pékin, déjà premier partenaire commercial. Quand Jakarta avait jusqu’à récemment réussi à ne pas prendre partie dans la guerre froide sino-américaine (BLOCS#12) son nouveau président Prabowo Subianto, farouche opposant de Washington, semble avoir choisi son camp.
De quoi faire de cette économie en développement, dont l’essor repose en premier lieu sur ses ressources abondantes en charbon, en huile de palme, et plus encore en nickel, un vassal de Pékin ?
PROMESSES LATINES □ « L’Amérique latine a la possibilité de mener la réforme du système économique mondial vers une économie plus juste et plus inclusive », affirme la secrétaire générale de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), Rebeca Grynspan, dans une récente tribune publiée dans la presse latino-américaine.
« Entre 2007 et 2023, les échanges entre pays en développement (commerce Sud-Sud) ont plus que doublé,[…]. Au cours des cinq prochaines années, ils devraient représenter près de 70 % de la croissance économique mondiale », argumente cette économiste, ancienne Vice-présidente du Costa-Rica.
Tout en notant que l’Amérique latine ne pèse pour l’heure que 5 à 6% du commerce mondial, elle estime que la région « peut renforcer sa position dans les chaînes de valeur mondiales grâce à des politiques commerciales inclusives ».
« L’Amérique latine détient 50 à 60 % des réserves mondiales de lithium, ainsi que des ressources essentielles comme le cuivre et le nickel, qui sont indispensables aux technologies propres et à la révolution numérique », explique-t-elle encore.
Commerce des services, transition énergétique, essor des échanges entre pays du sud : la région ne manque pas d’opportunités à saisir, selon la secrétaire générale de la CNUCED.
Intéressante et chiffrée, sa tribune fait néanmoins l’impasse sur les obstacles qui se dressent sur la route de l’Amérique Latine, à commencer par l’instabilité commerciale globale, encore renforcée par l’élection de Donald Trump.
Autre difficulté apparente : la multiplication des épisodes populistes au sein des trois poumons économiques de la région, le Mexique, avec la présidence du proche de Jean-Luc Mélenchon, Andrés Manuel López Obrador, auquel a récemment succédé sa disciple Claudia Sheinbaum, le Brésil avec Javier Bolsonaro de 2019 à 2023, et l'Argentine avec Javier Milei.
Mini-blocs
□ L’Europe retient son souffle dans l’attente de l’investiture de Donald Trump lundi prochain, 20 janvier. Les spéculations vont bon train sur la manière dont le milliardaire mettra en œuvre - ou non - ses projets protectionnistes. Dans la soirée de ce lundi 13 janvier, Bloomberg a ainsi rapporté que les équipes du président élu envisageaient un durcissement progressif des tarifs douaniers. Une hausse de 2% à 5% chaque mois serait notamment discutée, précise L’Agefi. Cette proposition n’avait pas encore été présentée à Donald Trump que déjà, la nouvelle conduisait les bourses européennes à ouvrir en hausse mardi matin, relève encore le média financier. La Commission européenne s’évertue pour sa part à démarrer du bon pied avec Washington. En témoigne son attitude prudente face aux ingérences d’Elon Musk dans les élections législatives allemandes - et devant les menaces de Trump à l’encontre du Canada et du territoire danois du Groenland - alors que de nombreuses voix appelaient Bruxelles à hausser le ton. Notre newsletter partenaire What's up EU raconte la séquence politique en détail dans son dernier numéro.
□ 640 milliards de dollars. Ce serait l’ampleur du surcoût pour l’économie américaine en cas de mise en place des droits de douanes de Donald Trump tels que promis pendant sa campagne, d’après une étude du Boston Consulting Group parue ce lundi. Selon cette modélisation, la valeur des importations chinoises passerait de 427 milliards de dollars à 628 milliards. L’électronique grand public, les machines électriques et les vêtements seraient les plus affectés par les droits de douane imposés sur les articles en provenance de Chine. Pour le Mexique et le Canada, les droits de douane gonfleraient le coût de 120 milliards de dollars pour le premier pays et de 105 milliards pour le second. Enfin, le surcoût serait autour de 100 milliards de dollars pour les biens importés des vingt-sept pays de l'UE. De manière générale, l’impact le plus important concernerait les pièces automobiles et les véhicules, principalement issus du commerce avec le Mexique, l’UE et le Japon.
□ Les États-Unis ont annoncé ce lundi de nouvelles mesures visant à limiter l'exportation des puces dédiées à l’IA. Au menu, des autorisations additionnelles requises pour les exportations et les transferts de puces informatiques sophistiquées dans une liste de pays élargie. « Environ 18 pays, dont la France, le Japon, la Grande-Bretagne, la Corée du Sud et les Pays-Bas, seront exemptés. Quelque 120 autres pays, dont Singapour, Israël, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, seront soumis à des plafonds », indique La Tribune. Les exportations seront en revanche bloquées aux pays soumis à un embargo sur les armes, tels que la Russie, la Chine et l'Iran. Ce règlement, qui entrera en vigueur après un délai de quatre mois, renforcera en outre les contrôles sur la diffusion des paramètres des modèles d'IA générative les plus perfectionnés. Les Etats-Unis s’efforcent ainsi de conforter leur statut de leader mondial dans le domaine de l’IA. L’entreprise californienne Nvidia a néanmoins critiqué ces mesures dans un communiqué, jugeant leur étendue « trop large ». L’UE, dont 17 pays membres ne sont pas exemptés, a aussi exprimé son inquiétude.
□ Conséquence indirecte de l’essor IA : le prix de l’uranium atteint des sommets historiques. L’Unité de Travail de Séparation (UTS, une mesure standard ) du combustible pour centrale nucléaire s’est élevée à 190 dollars le week-end dernier, contre 56 dollars il y a trois ans, selon le fournisseur de données UxC. L’une des causes de l’appétit retrouvé pour le « yellow cake », comme est surnommé le concentré d’uranium, se trouve en effet dans les besoins massifs en énergie des data centers. Les acteurs de la Big tech, comme Microsoft et Amazon, lorgnent ainsi l’uranium pour faire fonctionner ces infrastructures qu’elles construisent en série dans la course à l’IA générative, note le FT. Or ce marché était déjà en tension depuis l’invasion russe de l’Ukraine. La Russie est un acteur clé de la conversion et l’enrichissement de l’uranium. Des sanctions américaines sur le secteur et des mesures russes d’interdiction des exportations avaient déjà contribué à faire grimper les prix. En dehors de la Russie, les principaux pays occidentaux qui disposent d’installations opérationnelles de conversion d’uranium sont la France, les États-Unis et le Canada.
Cette édition a été préparée par Clément Solal, Antonia Przybyslawski, Mathieu Solal et Sophie Hus.
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