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PAUSE HIVERNALE □ Pour vous accompagner en cette période creuse de l’entre-deux fêtes, BLOCS vous propose ce hors-série pas piqué des hannetons, avant de retrouver son rythme habituel à compter du mercredi 8 janvier.
Super-bloc
Pour le quatrième anniversaire de la sortie du Royaume-Uni du marché européen, huit ans et demi après le choc du référendum de 2016, BLOCS vous propose un dossier spécial consacré à la relation post-Brexit. Embarquez pour une série d’analyses en profondeur en compagnie de Georg Riekeles, conseiller diplomatique de Michel Barnier au cours de la négociation du Brexit, Zach Meyers, chercheur britannique du Center for European Reform, et Iain Begg spécialiste de l’UE à la London School of Economics (LSE).
Keir Starmer et Ursula von der Leyen, lors d’une conférence de presse commune, en octobre.
© European Union, 2024
FACTEURS CONVERGENTS □ En juin 2016, les Britanniques suscitaient la stupeur en décidant de sortir de l’UE. Quatre ans et demi de pénibles pourparlers plus tard, Londres concluait avec Bruxelles l’« accord de Commerce et de coopération », un traité de 1300 pages fixant les modalités des futures relations (commerciales, en matière d’investissement, de concurrence, d’énergie, de pêche , etc.).
Un « Christmas Eve deal » scellé le 24 décembre 2020, sur le gong : au 1er janvier 2021, le Royaume-Uni quittait officiellement le marché unique ainsi que l’union douanière.
À l’heure du quatrième anniversaire de cet accord de Noël, les deux blocs semblent en passe de se rapprocher à nouveau, attirés par une conjonction de facteurs, internes comme externes.
Le plus évident d’abord : le travailliste Keir Starmer, aux affaires depuis juillet dernier, y est favorable (BLOCS#30). En tout cas bien davantage que ses prédécesseurs post-Brexit - tous trois des conservateurs. Désireux de fluidifer les échanges commerciaux, le Premier ministre milite depuis son arrivée pour un « reset » - une réinitialisation de la relation avec l’UE.
Ainsi, quand la Commission européenne a annoncé ce 16 décembre saisir la justice européenne contre le Royaume-Uni - en raison, notamment, du maintien jugé indu d’accords d’investissements bilatéraux avec plusieurs pays de l’UE - la sobre réaction de Londres a bien résumé le chemin parcouru : « nous restons concentrés sur la réinitialisation de nos relations avec l'UE ».
Déjà, le court passage de Rishi Sunak au 10 Downing Street (25 octobre 2022 – 5 juillet 2024) avait contribué à panser les plaies des deux côtés de la Manche (BLOCS#5).
En février 2023, Londres et Bruxelles signaient l’« accord de Windsor », voué à régler la question du fonctionnement de la frontière nord-irlandaise, l’un des des principaux points de friction. Puis, en septembre de la même année, les deux parties s’entendaient sur le retour du Royaume-Uni au sein du programme commun de recherche de l’UE « Horizon ».
Désormais, outre l’effet Starmer, c’est l’état du monde, marqué par le retour de Donald Trump à la Maison Blanche le 20 janvier prochain, (BLOCS#38) qui incite les deux blocs européens à se rapprocher davantage.
« ALIGNEMENT MALÉFIQUE DES PLANÈTES » □ Le sulfureux milliardaire pourrait en effet abandonner l’Ukraine et délaisser la défense du Vieux continent, dont la partie orientale tremble devant la menace russe. Prise de court, l’UE a, au moins en matière de défense, tout intérêt à resserrer les liens avec le Royaume-Uni, seule démocratie européenne dotée de l’arme nucléaire avec la France.
« Il y a une espèce d’alignement maléfique des planètes qui devrait pousser l’UE et le Royaume-Uni à un rapprochement dans de nombreux domaines et en priorité en matière de sécurité et de défense, pose Georg Riekeles, conseiller diplomatique de Michel Barnier pendant la négociation du Brexit.
« L’Europe fait face aujourd’hui à ce qui est sans doute la situation la plus difficile depuis la fin de la seconde guerre mondiale et Londres est un partenaire essentiel de l’équation », poursuit celui qui est aujourd’hui directeur associé au European Policy Centre.
Ce rapprochement aux allures d’impératif géopolitique n’est pas sans implications commerciales : en août, Berlin et Londres avaient annoncé lancer les négociations sur un traité visant à relancer les collaborations économiques, notamment dans les secteurs de l’énergie, l'environnement et la défense.
Ces négociations ont produit un premier résultat le 23 octobre, avec la signature par les deux gouvernement de l’« Accord de Trinity House », un texte décrit comme « historique », prévoyant le renforcement de la coopération sur le flanc oriental de l’OTAN ainsi qu'« une coopération industrielle plus approfondie ».
Le secteur britannique de la défense lorgne en outre un accord avec Bruxelles pour pouvoir exporter son matériel militaire vers l’UE.
Le locataire du 10 Downing Street tentera sans doute de vendre cette idée aux leaders des Vingt-Sept le 3 février prochain, à l’occasion d’une réunion informelle consacrée à la politique de défense.
Les opinions publiques, elles aussi, penchent pour un resserrement des liens, et ce des deux côtés de la Manche, comme le montre un vaste sondage publié le 12 décembre par le European Council on Foreign Relations (ECFR).
LIGNES ROUGES □ Une volonté populaire qui tombe à pic, alors qu’une révision de l’accord de décembre 2020 pourra être demandée par l’une des deux parties à compter du 1er janvier 2025.
Difficile, toutefois, de savoir à quoi s’attendre à ce stade. Car si M. Starmer travaille au reset de la relation UE-Royaume-Uni, il a aussi été élu en fixant trois lignes rouges : ne rejoindre ni le marché unique, ni l’union douanière de l’UE, et ne pas rétablir la libre circulation des personnes.
Pourrait-il se dédire ? « Je ne le crois pas : rejoindre le marché unique me semble exclu car ce serait une trop grande provocation pour les Conservateurs et le parti Reform UK [anciennement « Brexit Party »], et cela irait contre l’issue du référendum de 2016 », pense Iain Begg de la London School of Economics (LSE)..
Et si les sondages indiquent que les Britanniques ont largement changé d’avis, il faut prendre garde à ne pas les surinterpréter. « En réalité, le sujet de la relation à l’UE n’est plus du tout au centre du débat public ici : il arrive loin derrière ceux du coût de la vie, ou de la santé ».
Ainsi, ces lignes rouges « rendent à ce stade impossible un bon nombre de grandes victoires en matière économique », regrette Zach Meyers, du Center for European Reform, tout en discernant « des options plus réalistes pour améliorer la relation ».
DUR D’ENTRER DANS LE DUR □ M. Starmer espère notamment obtenir un accord vétérinaire avec l'UE qui réduirait les contrôles aux frontières sur les produits animaux, lesquels représentent pour l’heure un obstacle pour les agriculteurs et les importateurs britanniques.
« Les Européens ne sont pas contre, mais alors le gouvernement britannique devra accepter un alignement dynamique avec les normes européennes. Dit autrement, se résoudre à ce que le droit de l’UE prime en la matière, soit ce que ses prédécesseurs ont toujours refusé », pointe Georg Riekeles.
L’ancien de la Team Brexit de Michel Barnier, ne cache pas son scepticisme : « Londres affirme vouloir fluidifier les échanges commerciaux, mais au-delà des mots, les choses se corsent dès lors qu’on entre dans le dur, analyse-t-il. Les Européens refusent les avancées à la carte, sur les seuls sujets qui intéressent le Royaume-Uni ».
« Typiquement, l’UE ne souhaitera pas faire de concessions sans que la question de l’accès des pêcheurs aux eaux britanniques - où les dispositions actuelles doivent expirer en juin 2026 - ne soit réglée », estime M. Riekeles.
« De la même manière, l’accord de Windsor avait certes établi un nouveau protocole en Irlande du nord, mais à ce jour, les Britanniques n’ont pas correctement mis en œuvre leurs engagements, détaille ce chercheur norvégien. Le Royaume-Uni n’a pas réglé le précédent repas que déjà il redemande le menu pour commander … ».
AVANCÉES MODESTES □ Aucun de nos trois interlocuteurs n’imagine en tout cas de sitôt une révision en profondeur de l’accord de Noël.
« Il y a des sujets sensibles des deux côtés, tels que la pêche, la migration ou les services financiers, et l’équilibre a mis trop de temps à être trouvé - sans compter la nécessité d’accorder les Vingt-Sept, pour qu’on réouvre de si larges négociations aujourd’hui », estime Iain Begg.
Des avancées plus modestes sont toutefois envisagées. À commencer par une reconnaissance mutuelle de certaines qualifications professionnelles, comme pour les architectes ; des simplifications pour les voyages d’affaires de courte durée entre les deux blocs ; ou, enfin, des dispositions permettant aux jeunes de l’UE et du Royaume-Uni (18-30 ans) de s’installer plus facilement de l’autre côté de la Manche pour étudier et travailler.
Blocs-notes
UNE TENTATION TRUMPIENNE ? □ Le retour de Donald Trump pourrait faire office d’accélérateur de particules. Le cocktail protectionniste que le président élu promet à la planète constitue a priori une autre raison de serrer les rangs pour Londres et Bruxelles. À moins que le Royaume-Uni ne cherche à capitaliser sur sa « relation spéciale » avec les Etats-Unis pour tirer son épingle du jeu ?
C’est l’idée poussée par certains membres du cabinet Starmer. « La récente nomination de Peter Mandelson, un ancien commissaire européen et ancien membre du gouvernement Blair, en tant qu’ambassadeur aux Etats-Unis signale une volonté de construire une relation très positive avec Trump », relève Iain Begg de LSE.
« Trump va probablement regarder Londres de façon plus favorable que beaucoup d’autres capitales européennes, en raison de son affection personnelle pour le pays, de l’importance de celui-ci en tant que partenaire dans la défense, et du fait que les Etats-Unis affichent un surplus commercial avec le Royaume-Uni », estime pour sa part Zach Meyers.
Le président élu est en effet obnubilé par l’équilibre entre l’importation et l’exportation de biens ; or l’économie britannique est avant tout fondée sur les services. De quoi enfin laisser augurer la conclusion d’un accord de libre-échange entre Londres et Washington ?
Peu probable : « il existe toujours d’importants obstacles à des liens économiques plus forts entre ces deux blocs : les Etats-Unis souhaitent avant tout davantage d’accès au marché pour leurs produits agroalimentaires. Mais il n’y pas de consensus au Royaume-Uni pour baisser les standards agricoles », tranche Zach Meyers du Center for European Reform.
En somme, conclut ce chercheur basé à Londres, « le Royaume-Uni a bien plus d’opportunités de booster sa croissance en approfondissant le lien avec l’UE qu’avec les Etats-Unis ».
Un dernier facteur pousse dans ce sens : l’agressivité toujours plus prononcée de la superpuissance chinoise. Certes, Bruxelles comme Londres ont durci le ton face aux pratiques commerciales de Pékin, à ses atteintes aux droits humains, ou vis-à-vis de son rôle sur l’Ukraine.
Néanmoins, ni l’UE ni - peut-être encore moins - le Royaume-Uni de Starmer n’estiment avoir intérêt au « découplage » technologico-commercial que M.Trump cherchera à leur imposer. « Londres et l’UE voudront travailler ensemble pour résister aux tentatives américaines de forcer le continent à se découpler de la Chine », pronostique Zach Meyers.
« Comme l’UE, le Royaume-Uni risque d’être pris en tenaille entre la Chine et les Etats-Unis. Mais les britanniques sont dans une posture encore plus délicate que les pays membres de l’UE », juge Georg Riekeles.
Et l’ancien conseiller diplomatique de Michel Barnier à Bruxelles de conclure : « Londres ne bénéficie plus de l’aile protectrice d’un grand bloc. Se retrouver seul dans la tempête, à la dérive dans l’Atlantique, au beau milieu de la guerre que se livrent les grandes puissances commerciales, est autrement plus coûteux ».
LE POIDS DU BREXIT □ Les dégâts commerciaux du Brexit se précisent. La semaine dernière, le Center for Economic Performance, un institut de recherche rattaché à la London School of Economics (LSE) a dévoilé une étude analysant les données douanières sur l’année 2022, la première où l’accord de libre-échange post-Brexit a été appliquée.
Principal enseignement : sur cette seule année, les exportations totales de marchandises du Royaume-Uni se sont réduites de 27 milliards de livres sterling. Une baisse de 6,4 % par rapport à 2020 entièrement due à la baisse des exportations vers l'UE, dont la valeur a chuté de 13,2 %.
La sortie du Royaume-Uni de l’union douanière et du marché unique européen en janvier 2021 a en effet entraîné « une baisse immédiate et brutale » des exportations comme des importations avec l'Union pour la majorité des entreprises. Près de 14 % d'entre elles, soit 16 400 sociétés, ont même « entièrement cessé de commercer avec l'UE », détaille l’étude.
Et la secousse a été encore plus violente pour les petites entreprises. Celles de six salariés ou moins ont vu la valeur de leurs exportations vers l'UE chuter de 30 %, tandis que celles de 17 à 40 employés ont enregistré une baisse de 15 %. Un reflux des exportateurs qui pourrait peser à long terme sur l’économie britannique.
Les entreprises de taille supérieure à 107 salariés ont certes réussi à s’adapter et n’ont pas été directement affectées par la sortie britannique de l’union douanière.
Cette adaptation a néanmoins eu un coût qui pourrait se répercuter sur la compétitivité de ces grandes entreprises du Royaume-Uni, estiment les auteurs.
Le Brexit a aussi conduit à réduire les importations en provenance de l'UE. Cette baisse a été partiellement compensée par une hausse des importations en provenance de pays extérieurs à l'UE.
Les chercheurs estiment ainsi que les importations totales - en provenance de tous les pays - ont été réduites de 3,1 % en 2022, ce qui équivaut à une baisse de 20 milliards de livres sterling.
Cette édition a été préparée par Clément Solal, Antonia Przybyslawski, Mathieu Solal et Sophie Hus.
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