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Super-bloc
Le Vieux Continent n’en est pas seulement réduit à prier pour que le sulfureux milliardaire ne donne pas suite à ses dangereux projets douaniers une fois de retour dans le Bureau ovale. En attendant l’investiture de Donald Trump, voici ce que l’Europe peut faire pour se préparer au choc protectionniste annoncé.
De gauche à droite, Ursula von der Leyen, Emmanuel Macron et Olaf Scholz à Budapest, le 8 octobre 2024. © European Union
REDOUTABLE COCKTAIL □ Dix semaines. C’est le délai qui sépare la planète de la date fatidique du 20 janvier 2025, celle de l'investiture officielle de Donald Trump à la Maison Blanche. C’est également la courte période dont disposent les Européens pour se préparer au choc protectionniste sans précédent que la deuxième présidence du républicain est susceptible de provoquer.
En campagne, l’homme qui s’est auto-surnommé le « Tariff Man », a en effet promis de faire ingurgiter au monde un redoutable cocktail de droits de douane, composé notamment d’une surtaxe de 10 voire 20% sur la quasi-totalité des biens importés et une barrière spécifique de 60% réservée aux marchandises en provenance de Chine. Les différentes estimations des coûts paraissent colossales, que ce soit en matière de croissance, d’emploi, d’inflation… Les Etats-Unis et la Chine en seraient les principales victimes, mais l’UE a aussi de quoi s’inquiéter (BLOCS#37).
Cependant, le magnat républicain passera-t-il réellement des paroles aux actes ? En fin de semaine à Budapest, au cours d’un sommet européen où l’imprévisible Trump était sur toutes les lèvres, les différents responsables de l’Union n’ont pas voulu céder à la panique. Éludant en public les multiples questions sur les intentions commerciales de M.Trump, les chefs de la Commission et du Conseil européens ont chacun martelé qu’il faudra avant toute chose « nouer le contact » avec le président élu.
« Il est difficile de se préparer quand même aux Etats-Unis, on ne sait pas à quoi s’attendre », expliquait à BLOCS Aurore Lalucq, la présidente de la commission des Affaires économiques au Parlement européen, à la veille du scrutin.
De retour d’un voyage à Washington, où elle avait fait le tour des grands décideurs économiques américains, l’eurodéputée Place Publique expliquait : « Là-bas on nous présente deux scénarios. Celui d’un Trump virulent dans ses expressions, mais plus classique et mesuré dans ses politiques, sur lequel misent plutôt les marchés financiers. Ou bien un Trump II plus violent et imprévisible que jamais, menant son pays et avec lui le monde vers l’abîme ».
« RÉPLIQUER DUREMENT » □ Côté commerce, deux éléments laissent penser que M.Trump tentera bien d’ériger les digues douanières annoncées, comme le pronostiquent certains experts : premièrement, le fait que ces mesures aient figuré tout en haut de la liste de ses promesses de campagne ; deuxièmement, l’absence de personnalité républicaine modérée à même de freiner ses ardeurs protectionniste au sein de la future administration qui se dessine.
Signe que derrière la sérénité de façade, ces menaces sont prises très au sérieux de ce côté-ci de l’Atlantique : la Commission européenne se prépare depuis des semaines à dégainer une contre-offensive via des mesures douanières équivalentes.
Selon Politico, l’exécutif de l’UE a en effet mis en place un groupe de travail dédié (une « task force Trump »), avec un plan : « répliquer rapidement, et répliquer durement » sur des secteurs d’exportations américaines emblématiques. Et ainsi forcer M.Trump aussi vite que possible à s’asseoir à la table de négociation.
Pour se préparer au choc, l’UE pourrait, en parallèle, entreprendre de diversifier les marchés dont elle dépend pour écouler ses exportations, comme le suggère Alberto Rizzi, du European Council on Foreign Relations : « En 2023, toutes combinées, les exportations européennes vers la Corée du Sud, le Mexique, le Canada, le Brésil et l’Inde équivalaient grosso modo à la moitié de celles dirigées vers les Etats-Unis », pointe cet expert dans une récente note. Sa principale préconisation : hâter la conclusion des accords de libre-échange en cours de négociation, dont celui avec le Mercosur (voir notre section « Blocs-Notes »), mais aussi avec l’Inde et la Corée du Sud.
Reste que la meilleure protection contre les mesures trumpiennes seraient qu’elles n’entrent jamais en vigueur, ou pour pas trop longtemps. On peut ainsi espèrer que lorsque l’inflation qu’elles génèreront inéluctablement frappera les consommateurs américains, les droits de douanes américains finiront par être reconsidérées, comme le suggère l’ex-sénateur américain anti-Trump Pat Toomey. A Bruxelles, on imagine que M.Trump, le « deal maker », se contentera au bout du compte d’un accord qui - même sans grande substance - lui permettra de garder la face, et « de se prévaloir de concessions majeurs », estime Zach Meyers, chercheur du Center for European Reform.
UNITÉ OBLIGATOIRE □ Ceci dit, dans le cas où le futur occupant du Bureau ovale s’entêterait, la capacité des Vingt-Sept à tenir le bras de fer avec Washington dépendra avant tout de leur unité. Là dessus, on peut se rassurer en notant que l’Allemagne, pays traditionnellement réticent à ce que l’UE manie le bâton douanier, aurait ce coup-ci bien trop à perdre d’un manque de réaction de l’Union, au vu de son volume d’exportation vers les Etats-Unis.
La France devrait, elle, comme à son habitude, être d’avis de serrer les rangs et de contre-attaquer. L’Hexagone qui certes « vend plus à ses voisins européens, et davantage de services que de biens manufacturiers », n’en a pas moins aussi d’importantes plumes à perdre, explique Zach Meyers.
L'Italie, dont la présidente du Conseil, Giorgia Meloni, a une relation privilégiée avec Donald Trump, pourrait jouer un rôle clé dans de futures tractations, d’autant que ses entreprises aussi exportent énormément de l’autre côté de l’Atlantique. Néanmoins, « il y a un risque que l’unité des Européens finisse par se fissurer, car il y aura probablement différentes appréciations à la table quant aux risques d’escalade, ainsi que sur la nécessité de conserver une bonne relation avec Washington, pronostique Zach Meyers. A fortiori compte tenu de la garantie de sécurité que les Etats-Unis fournissent en Europe » relève cet expert de la régulation de l’économie.
En effet, certains États membres de l’UE, à commencer par ceux du flanc Est, dont la défense dépend le plus de l’alliance militaire avec les États-Unis via l’OTAN, pourraient redouter de se mettre M. Trump à dos.
QUELQUES OPTIMISTES □ On peut enfin compter sur Washington pour tenter de titiller les divisions du Vieux continent, avec l’option de droits de douanes différenciés selon les types de marchandises, et donc en fonction des pays. Côté français, les secteurs tricolores de l'automobile, de l'aéronautique, du luxe, et des vins et spiritueux qui ont déjà de quoi trembler face à la surtaxe de 10% , ressembleraient alors à des cibles toutes désignées pour faire plier Paris. Les acteurs français du cognac, du rhum et de la vodka conservent un douloureux souvenir des taxes Trump de 25 % d'octobre 2019 à juin 2021 appliquées aux exportations françaises aux Etats-Unis, en rétorsion au conflit entre Boeing et Airbus.
Il y a enfin certaines voix optimistes pour trouver dans le retour de M. Trump une opportunité pour l’Europe. « Cette élection américaine pourrait être un moment cathartique, menant les pays européens à se rassembler et à faire bloc », a lancé le Premier ministre belge Alexander De Croo, à Budapest. La tonalité est similaire du côté d’Emmanuel Macron .
Concrètement, le retour de Trump offre au moins deux opportunités, aux yeux de Zach Meyers. « Premièrement, si l’UE obtient d’être exemptée des droits de douanes prévus, alors les entreprises européennes auront gagné un avantage compétitif sur celles dont les exportations sont toujours pénalisées par ces mesures », imagine ce chercheur britannique. Deuxièmement, «cette élection pourrait susciter une prise de conscience conduisant les Européens à dépasser les blocages actuels sur certaines réformes économiques essentielles pour renforcer la croissance et la sécurité économiques ».
Blocs-notes
LATI-NO □ À quelques jours d’un sommet du G20 à Rio de Janeiro et à quelques semaines d’une réunion des cinq pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay, Bolivie), que certains dirigeants voient comme des occasions de parvenir à un accord, le projet de traité de libre-échange UE-Mercosur suscite une levée de boucliers généralisée en France. Opposant historique à l’accord, l’Hexagone est de plus en plus isolé sur le sujet à la table des Vingt-Sept, et fait donc feu de tout bois pour marteler ses arguments.
Dernier élément en date : une lettre ouverte à Ursula von der Leyen publiée par Le Monde et signée par pas moins de 622 parlementaires tricolores, dont l’ancien Premier ministre Gabriel Attal, issus de tous les grands groupes politiques sauf ceux du Rassemblement national et de La France insoumise.
Rappelant « l’opposition très large et transpartisane que [leurs] assemblées ont formellement exprimée vis-à-vis de cet accord », les signataires estiment que « les conditions démocratiques, économiques, environnementales et sociales ne sont pas réunies pour la conclusion et l’adoption d’un accord avec le Mercosur ».
« Nous ne concevons pas que la Commission et le Conseil s’assoient sur l’opposition de la France, grand pays fondateur de l’Union. Une telle situation générerait sans aucun doute une déflagration démocratique dans notre pays qui se trouve déjà sous la menace politique d’un populisme anti-européen » concluent les parlementaires, vent debout contre le texte.
À cette opposition politique unanime s’ajoute la menace de plus en plus vive d’un nouveau mouvement de colère agricole. L’alliance majoritaire en France FNSEA-JA a ainsi appelé à des actions nationales « à partir de la mi-novembre », soit plus que probablement pour le lancement du G20 à Rio, le 18. Les deux autres forces syndicales principales lui emboîtent le pas.
Clou du spectacle : la récente révélation d’un rapport d’audit de la Commission européenne constatant les défaillances du système de traçabilité brésilien de viande bovine, notamment concernant la présence ou non d’hormones interdites dans l’UE. Chargé de mettre en place des mesures empêchant l’exportation de cette viande vers l’UE, le Brésil aurait failli depuis des années, laissant les viandes illicites arriver dans les assiettes du Vieux Continent.
Ces révélations embarrassantes pour la Commission européenne sont désormais exploitées par les syndicats agricoles de l’UE, dont la puissante Copa-Cogeca, qui ont saisi l’occasion pour appeler les décideurs politiques à reconsidérer l'accord commercial UE/Mercosur.
De son côté, la Commission européenne continue de clamer « qu'un accord commercial entre l'Union européenne et les États du Mercosur est de la plus haute importance, tant sur le plan politique qu'économique » et s’engage « à conclure les négociations le plus rapidement possible », selon un communiqué de presse en date du 8 novembre.
SHANGHAI CHECK □ Pendant que les Américains choisissaient Donald Trump et son programme protectionniste visant principalement la Chine, environ 3 500 entreprises internationales, dont 130 françaises, participaient à l'Exposition internationale d'importation de la Chine (CIIE), à Shanghai.
La méga-foire, qui a battu son plein du 5 au 10 novembre, a été lancée par le président chinois Xi Jinping en 2018. L’objectif : projeter l'image d'une Chine ouverte aux produits et aux investissements étrangers. Avec succès : cette année, le salon a enregistré des accords de principe d'une valeur de 80 milliards de dollars, soit une augmentation de 2 % par rapport à l'année précédente, selon les données communiquées par l’organisateur.
« L'unilatéralisme et le protectionnisme sont clairement en hausse », a déclaré le Premier ministre chinois Li Qiang lors de l’inauguration du CIIE.« Dans ce contexte, il est d’autant plus crucial pour nous de maintenir, d'élargir et de renforcer l'ouverture de nos échanges », a-t-il ajouté, promettant que la Chine faciliterait davantage l’accès des investisseurs étrangers à des secteurs comme les télécommunications et les soins de santé.
Une annonce qui intervient dans un contexte difficile pour les décideurs chinois. Les investissements étrangers en Chine ont en effet chuté ces dernières années, en raison des inquiétudes sur le ralentissement économique du pays et la crise prolongée du secteur immobilier. À ces défis intérieurs s’ajoutent les tensions commerciales avec les États-Unis et l’UE.
L'UE a notamment imposé des droits de douane supplémentaires sur les véhicules électriques chinois (BLOCS#34). Une mesure contestée auprès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) par Pékin, qui a aussi lancé des enquêtes antidumping ciblant en particulier les produits laitiers européens et le brandy.
En raison des mesures de rétorsion chinoises, les géants du secteur des spiritueux européen, tels que Pernod Ricard et Hennessy, ont dû augmenter le prix du cognac de 30 à 39 % sur le marché chinois. Ces entreprises ont néanmoins pris part à la CIIE avec le double objectif de « défendre leur image de marque et leur marché », précise Les Echos. De même, les grands groupes français du luxe, telles que LVMH et Kering, également affectés par le ralentissement économique chinois, ont profité de l'événement pour « réaffirmer leur présence dans le pays ».
Mini-blocs
□ Des représentants des gouvernements suédois, danois, estonien, finlandais, irlandais, letton, lituanien et polonais ont écrit à la Commission pour demander l'augmentation des droits de douane sur les imports de biens en provenance de Russie, relatent nos amis de La Matinale Européenne, dans leur édition datée de lundi. L’objectif : affaiblir encore plus son économie dans le contexte de la guerre d'agression contre l'Ukraine. Si depuis le début de l’invasion russe de l'Ukraine en 2022, les importations en provenance de Russie ont considérablement diminué, elles s’élevaient encore à 42 milliards d’euros en 2023, soulignent les ministres, qui rappellent que, depuis l'invasion, l'aide de l’UE à l’Ukraine s'est élevée à 81 milliards d’euros. « Nous devons en faire plus pour soutenir l'Ukraine et exercer une pression économique sur la Russie. L'espoir est qu'ensemble, nous pouvons freiner les exportations russes vers l'UE et affaiblir l'économie russe », a déclaré le ministre suédois de la coopération et du commerce extérieur, Benjamin Dousa. Les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont déjà imposé des droits de douane plus élevés sur les importations de biens russes.
□ L’armateur français CMA CGM a fait état vendredi d'une forte hausse de son bénéfice net au troisième trimestre 2024. L’entreprise marseillaise a été portée par une demande soutenue dans le transport maritime, par le dynamisme des échanges, ainsi que par « un phénomène de stockage plus fort que prévu, sans doute en raison des incertitudes géopolitiques et en anticipation d’une hausse de certains droits de douane, de la grève dans les ports américains et des élections aux Etats-Unis», a précisé le directeur financier du groupe, cité par L’Agefi. Au cours de ce trimestre, le numéro trois mondial du transport maritime a ainsi enregistré un profit net de 2,73 milliards de dollars, soit sept fois plus que l'année précédente. En termes de perspectives, CMA CGM a indiqué s’attendre à de nouveaux défis géopolitiques, macroéconomiques et réglementaires. Le groupe a également averti que le secteur pourrait se retrouver en situation de surcapacité en 2025, en particulier si le trafic maritime en mer Rouge devait reprendre son rythme normal. En France, le groupe s'attend à devoir faire face à une taxe exceptionnelle d'environ 800 millions d'euros sur son bénéfice de fret dans le cadre du nouveau budget du gouvernement (BLOCS#35).
□ Le Vietnam a lancé lundi un ultimatum aux détaillants en ligne à prix cassés chinois Shein et Temu. Ceux-ci devront se soumettre à un « enregistrement » de leurs activités auprès du ministère du commerce avant fin novembre, sous peine de voir leur accès bloqué dans le pays. Si le détail de la procédure d’enregistrement n’est pas connue, le mouvement apparaît comme un tir de barrage visant les deux entreprises, accusées de saper la concurrence de manière déloyale. Cette décision s'inscrit dans une série de restrictions croissantes contre Temu en Asie du Sud-Est. En octobre, l'Indonésie a demandé à Apple et Google de retirer la plateforme de e-commerce de leurs boutiques d’applications pour protéger les petits commerçants, et la Thaïlande a supprimé l’exemption de TVA de 7 % sur les produits de faible valeur pour freiner les importations à bas prix. En Europe, la Commission européenne a ouvert, le 31 octobre, une enquête à l’encontre de Temu, soupçonnée d'agir insuffisamment contre la vente de produits illégaux et de mettre en place des fonctionnalités trop addictives sur son application.
□ Les inondations tragiques dans la région de Valence en Espagne ont coûté la vie à plus de 200 personnes et fait des dizaines de disparus. Les infrastructures locales ont également été touchées. Le trafic de poids lourds a notamment dû être limité jusqu’à vendredi dernier, ce qui a sérieusement ralenti le fret. Le secteur le plus affecté sera néanmoins le fret ferroviaire, l’axe très emprunté Valence-Madrid ayant été sévèrement touché. Ce dernier ne sera pas complètement remis en état avant deux mois, selon les autorités espagnoles. Le 5 novembre, le gouvernement ibérique a approuvé un paquet d’aides financières à destination des lieux sinistrés, totalisant un montant de 10,6 Md€, qui comprend notamment une enveloppe de prêts garantis à hauteur de 5 Md€, comme pendant la période du Covid.
□ La douzième édition du salon du Made in France de Paris s’est achevée ce lundi, et l’objectif qui était d’attirer 100 000 visiteurs a été « largement dépassé » , selon les premières estimations que les organisateurs ont communiqué à BLOCS. Cette année, le salon avait convié des acheteurs étrangers, afin de d’aider les 1000 entreprises exposées à s'exporter à l’international. Selon un sondage d’Opinionway mené auprès de 1000 personnes en Allemagne, en Chine, aux États-Unis et en Italie, et publié le 8 novembre, les produits fabriqués en France sont perçus comme des produits de luxe (65,3%), de qualité (63,5%)... mais aussi des produits coûteux (53,8%). Dans l’Hexagone, « l’idée de consommer moins mais mieux a fait son chemin », note pour sa part Le Monde. La part des produits manufacturés tricolores dans la consommation finale des ménages n’est pas moins tombée de 82 % à 38 % entre 1965 et 2019, selon une étude de l’Insee publiée en 2023.
Cette édition a été préparée par Clément Solal, Antonia Przybyslawski, Mathieu Solal et Sophie Hus.
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