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Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal
13 nov. · 3 mn à lire
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Protectionnisme : l’arsenal de Trump menace aussi l’Afrique

Focus sur les répercussions pour les économies africaines des mesures protectionnistes promises par le candidat républicain.

ÀBLOCS#1 Bonjour, nous sommes le lundi 4 novembre, et voici un numéro spécial, à la veille du scrutin présidentiel américain. Vous pouvez nous suivre sur LinkedIn et nous soutenir sur la plateforme de financement participatif Tipeee.

L’expert à Blocs

A quelques heures de l’élection la plus scrutée de la planète, BLOCS vous propose un entretien consacré aux potentielles répercussions sur l’Afrique des mesures protectionnistes promises par Donald Trump. Auteur d’une toute récente étude sur le sujet, Julien Marcilly est le chef économiste de Global Sovereign Advisory, un cabinet de conseil auprès de gouvernements et d’institutions publiques.

Chiffres à l’appui, ce docteur en économie de l'université Paris-Dauphine nous explique pourquoi les pays africains sont, eux aussi, sévèrement menacés.

Bola Ahmed Tinubu, président du Nigéria, aux côtés de la directrice générale de l’OMC Ngozi Okonjo-Iweala et de ministres nigérians, le 17 janvier 2024 © World Economic Forum

BLOCS: Seulement 6% des exportations des pays africains sont destinées aux Etats-Unis, et pourtant votre étude conclut que l’arsenal protectionniste programmé par M.Trump aurait une incidence majeure sur les économies de ce continent. Expliquez-nous.

JULIEN MARCILLY: En effet, si elles étaient mises en place, les barrières commerciales prévues par Donald Trump, comme l’augmentation des tarifs douaniers de 10 % sur toutes les importations, auraient de lourdes conséquences pour les économies africaines.

D’abord, pour certains pays, la part des exportations vers les Etats-Unis rapportée au PIB est loin d’être négligeable ; nous calculons ainsi que la seule augmentation de 10% des droits de douane pourrait substantiellement amputer les PIB de l’Afrique du Sud et de la Lybie, de 0,3 points de pourcentage, mais aussi celui du Ghana (0,4), de Madagascar (0,6) et plus encore du Lesotho (1,6), en raison de ventes réduites vers les Etats-Unis.

Sans surprise, les produits les plus touchés par cette mesure seraient les matières premières (pétrole et minerais), avec quelques exceptions - les véhicules en provenance d’Afrique du Sud et les pantalons en coton exportés depuis le Lesotho, ou la Tunisie.

Et encore, il ne s’agit là que de l’impact négatif direct du programme de Trump : le gros du préjudice pour les économies africaines proviendrait plutôt d’effets négatifs indirects…

« Effets négatifs indirects » … c’est-à-dire ?

Le continent pâtirait premièrement du ralentissement de la croissance chinoise que causerait inévitablement la politique commerciale proposée par M.Trump. Le candidat républicain prévoit en particulier un tarif de 60 % s'appliquant à toutes les importations en provenance de Chine [mesure susceptible d’amputer le PIB de l’Empire du Milieu de 1,3%].

« Une diminution du PIB chinois de 1 % entraîne un repli de celui de l'Afrique subsaharienne de 0,25 % sur un an »

Or, les économies africaines sont devenues assez dépendantes de la croissance chinoise : au cours des vingt dernières années, la Chine s'est imposée comme le principal partenaire commercial de l'Afrique subsaharienne.

Environ un cinquième des exportations de la région sont désormais destinées à la Chine. Les économistes estiment qu’une diminution du PIB chinois de 1 % entraîne un repli de celui de l'Afrique subsaharienne de 0,25 % en un an. Pour les pays exportateurs de pétrole, la baisse de la croissance dépasse même en moyenne 0,5 %.

Quels pays sont ici en première ligne ?

Généralement, ceux dont le ratio des exportations vers la Chine est le plus élevé en pourcentage du PIB, comme le Congo (49,2 %), la RDC (33,7 %), la Guinée (28,7 %), l’Angola (25,6 %) et le Gabon (22,0 %). Mais aussi, ceux dont l'économie est moins diversifiée, tels que la Sierra Leone et l’Érythrée.

En revanche, les économies non exportatrices de matières premières, notamment en Afrique de l'Est, comme le Rwanda, l'Éthiopie et le Kenya, et qui ont été contraintes de diversifier leurs exportations, seront probablement moins affectées.

Le découplage Etats-Unis-Chine ne pourrait-il pas cependant créer des opportunités pour les économies africaines, comme celle d’exporter davantage sur le marché américain ?

Si, c’est l’effet de substitution : si la Chine exporte moins vers les Etats-Unis, d’autres pays pourraient prendre des parts de marché à sa place. Mais, pour l’Afrique, nous estimons que ce phénomène serait une exception et non la règle.

Après comparaison des exportations chinoises et africaines actuellement orientées vers les Etats-Unis, nous n’avons identifié que quatre produits où cet effet serait réellement susceptible de jouer : les véhicules et les filtres à gaz (en faveur de l’Afrique du Sud), les pantalons (au profit du Lesotho), et, dans une moindre mesure, le pétrole raffiné.

« Les surplus de marchandises chinoises qui ne seraient plus exportées vers les Etats-Unis entreraient en concurrence avec des biens produits localement »

En cas de victoire de Trump, on craint en Europe une arrivée démultipliée de produits chinois ne pouvant plus entrer aux Etats-Unis : le même phénomène menace-t-il l’Afrique ?

Oui, les surplus de marchandises chinoises qui ne seraient plus exportées vers les Etats-Unis pourraient être acheminées vers d'autres marchés, en partie en Afrique. Elles entreraient alors en concurrence avec des biens produits localement, ce qui constituerait un autre effet négatif indirect.

Ce phénomène est d’ailleurs déjà à l'œuvre dans les domaines liés à la transition énergétique ; et il pourrait être accentué y compris en cas de victoire de Kamala Harris, si cette dernière renforce le protectionnisme américain en la matière.

Le risque est de pénaliser des filières naissantes : la production de véhicules électriques en Egypte, et les panneaux solaires produits au Nigeria, en Afrique du Sud ou au Maroc, sont notamment menacés.

« Il ne faut pas sous-estimer la probabilité que Trump passe des paroles aux actes »

Il paraît acquis que M.Trump élu durcirait fortement le protectionnisme vis-à-vis de la Chine. Mais certains observateurs doutent qu'il mette réellement en place d’autres mesures, comme les droits de douanes supplémentaires de 10%. Quel est votre avis ?

A première vue, on pourrait en effet se dire que c’est improbable. Différents chiffrages montrent l’ampleur des effets inflationnistes, et des coûts en matière de croissance et d’emplois associés à de telles mesures (BLOCS#37). Mais lorsque l’on se place dans la logique de Donald Trump, c’est une autre histoire.

Il estime que les droits de douane imposés lors de son précédent mandat, essentiellement contre la Chine, ont été très positifs. Mais il regrette que ces barrières aient été contournées, via des pays de transit tels que le Mexique et le Vietnam. Dès lors, selon son raisonnement, il convient d’appliquer des droits de douane au monde entier afin d’éviter les contournements.

Certains jugent qu’il ne s'agit là que de discours de campagne, qui ne seront pas suivis d’effets. Je dis pour ma part qu’il ne faut pas sous-estimer la probabilité qu’il passe des paroles aux actes.


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