Le projet de budget 2025 menace les atouts commerciaux français

Focus sur le PLF 2025, mais aussi... □ La relance progressive des échanges internationaux □ Nouvelle enquête antidumping européenne contre le contreplaqué chinois □ Le projet de vente du Doliprane à un fonds américain

BLOCS
7 min ⋅ 16/10/2024

BLOCS#35 Bonjour, nous sommes le mercredi 16 octobre et voici le trente-cinquième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur LinkedIn.


Super-bloc

Le projet de loi de finances 2025 dévoilé jeudi par le gouvernement de Michel Barnier et qui prévoit 20 milliards d’euros d’économies pour limiter le déficit public à 5% en 2025, pourrait affecter lourdement le commerce extérieur français. Les chambres de commerce et d’industrie, les régions, qui jouent un rôle-clé dans le soutien à l’export, mais aussi l’armateur CMA-CGM, sont notamment dans le viseur de Bercy.

Le Premier ministre, Michel Barnier. © Flickr

MAUVAISES SURPRISES □  « Nous prendrons notre part à l’effort budgétaire, mais nous essaierons que ce soit le plus raisonnable possible », déclarait mercredi dernier la nouvelle ministre déléguée chargée du commerce extérieur, Sophie Primas (BLOCS#32), dans un entretien accordé au Moci.

Le projet de loi de finances (PLF), présenté le lendemain par Bercy, a néanmoins réservé de mauvaises surprises à la Team France export.

Cette structure, qui a pour but de soutenir les entreprises tricolores dans leur développement à l’international, est composée des services régionaux et étatiques dédiés au commerce extérieur, de l’agence Business France, de la banque publique d’investissement (Bpi) et des Chambres de commerce et d’industrie (CCI).

Aux termes du PLF, les ressources financières de ces dernières devraient ainsi être réduites de pas moins de 40 millions d’euros en 2025. Une coupe budgétaire qui pourrait aboutir à « plus de 500 suppressions de postes » dans le réseau des 122 CCI, s'inquiètent-elles dans un communiqué.

La pilule est d’autant plus difficile à avaler que le réseau des CCI s'était engagé l'an dernier « à contribuer à l'effort économique national via un prélèvement sur ses fonds de roulement de 100 millions d'euros sur la période 2024-2027 », comme le rappelle le président de CCI France, Alain Di Crescenzo, dans le même communiqué.

En l’échange, le précédent gouvernement avait alors promis « la stabilité totale des ressources publiques » des Chambres, « déjà fortement diminuées de 66% en 10 ans », insiste le dirigeant.

TRISTE FUSION □ Le nouveau gouvernement semble bien en passe de revenir sur cette promesse, et compte également réaliser des économies en fusionnant l’agence Atout France, chargée du tourisme, avec Business France, concentrée sur l’attractivité et le soutien à l’export. Un projet de fusion très mal vécu du côté d’Atout France, et qui pourrait avoir des conséquences palpables sur le secteur du tourisme, qui pèse 8% du PIB.

Business France semble pour sa part avoir été épargné par les coupes, peut-être en partie parce que le nouveau ministre du Budget, Laurent Saint-Martin, n’est autre que l’ancien directeur de l’agence.

Les moyens de la Team France Export devraient enfin souffrir des 5 milliards d’euros d’économies demandés par l’Etat aux collectivités locales, dont 1 milliard d’euros pour les seules régions, qui jouent un rôle-clé dans le dispositif de soutien au développement international, mais aussi dans la politique industrielle française.

De quoi susciter la colère de Carole Delga, la Présidente de Régions de France et de la Région Occitanie : « La situation budgétaire de la France n’est clairement pas le fait des collectivités, estime-t-elle dans un communiqué. Les Régions portent aujourd’hui 12 % de l’investissement public sur tous les territoires du pays pour seulement 1 % de la dette nationale ».

FAIRE MIEUX AVEC MOINS □ La ministre déléguée au Commerce extérieur Sophie Primas, qui s’est fixé comme priorité « le développement à l’export des PME et des ETI », devra donc faire avec des moyens réduits et une conjoncture difficile. Le nombre total d’exportateurs s’établissait ainsi à 141 700 au premier semestre 2024, loin de l’objectif de 200 000 fixé pour 2030 par l’exécutif (BLOCS#31).

Reste à connaître le résultat des négociations budgétaires qui débutent ce mercredi au Parlement, et notamment le sort du plan « Osez l’export », qui prévoyait un financement de 125 millions d’euros sur la période 2023-2026.

À ce sujet, la ministre déléguée souhaite « faire en sorte que les dispositifs les plus efficients soient véritablement financés à 100 % et que nous trouvions peut-être un autre calendrier sur deux ou trois dispositifs ».

DOUBLE TAXE POUR CMA-CGM □ Autre point fort du commerce français visé par le PLF : l’armateur marseillais CMA-CGM. Son article 14 prévoit en effet « la création d’une contribution exceptionnelle sur le résultat d’exploitation des grandes entreprises de transport maritime ».

Cette taxe s’élèvera à 9% au titre de 2024, puis à 5,5% l’année suivante et elle s’appliquera au résultat d’exploitation. Le gouvernement espère en retirer 500 millions d’euros en 2025, puis 300 millions d’euros en 2026, une facture qui sera essentiellement - voire totalement - réglée par CMA CGM compte tenu de son poids dans le secteur en France.

Rodolphe Saadé, qui avait indiqué en amont que son groupe « prendrait sa part » à l’effort budgétaire, peut malgré tout souffler : l’exemption d’impôt sur les sociétés accordée aux armateurs (BLOCS#29), remplacé par une taxe calculée en fonction du tonnage des marchandises transportées, est pour l’heure préservée.

CMA-CGM devrait néanmoins figurer parmi les plus gros contributeurs aux 8,5 milliards d’euros que le gouvernement compte récupérer sur 400 entreprises.

Plus généralement, ce PLF marque un coup d’arrêt pour la politique pro-business menée par Emmanuel Macron depuis son accession au pouvoir en 2017, estime le Financial Times. « Les hausses d'impôts, l'augmentation du coût de la main-d'œuvre et l'incertitude politique effraient les investisseurs potentiels et menacent d’annuler les effets de la politique mise en place par le Président », analyse le journal britannique. Un revirement dont le commerce et l’attractivité économique devraient forcément pâtir.

Ces difficultés de court et moyen termes pourraient toutefois être compensées à plus long terme, si le gouvernement parvenait à opérer le redressement budgétaire qu’il ambitionne et qui paraît crucial, au vu de l’ampleur du déficit français, qui devrait s’établir autour de 6% pour 2024.


Blocs-notes


BONNE MINE □ Le commerce mondial des marchandises retrouve peu à peu son dynamisme. Après une année 2023 marquée par une inflation élevée et des hausses successives des taux d’intérêt qui avaient fait chuter de 1,1% les échanges internationaux, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) indique, dans sa dernière mise à jour des " Perspectives et statistiques du commerce mondial ", que les échanges ont progressé de 2,3 % en glissement annuel au cours des six derniers mois. Cette tendance devrait se poursuivre avec une expansion modérée jusqu'à la fin de l'année, pour atteindre une croissance de 3 % d'ici 2025.

« Nous attendons une reprise progressive du commerce mondial pour 2024, mais nous restons vigilants en ce qui concerne les revers potentiels, en particulier la possible escalade des conflits régionaux comme ceux au Moyen-Orient. L'incidence pourrait être la plus grave pour les pays directement concernés, mais ces conflits pourraient aussi affecter indirectement les coûts de l'énergie et les routes maritimes au niveau mondial » a averti la Directrice générale de l’organisation, Ngozi Okonjo-Iweala.

Cette reprise du commerce international est en grande partie stimulée par les performances enregistrées en Asie, notamment dans des économies manufacturières majeures telles que la Chine, Singapour et la Corée du Sud. Selon l'OMC, les exportations de la région devraient croître plus rapidement que partout ailleurs, avec une augmentation prévue de 7,4 % en 2024. « La Chine, en particulier, a fortement exporté des produits électroniques, des circuits intégrés, des panneaux solaires, ainsi que des véhicules automobiles, principalement à destination de l'Europe », souligne le journal Les Echos. Les importations asiatiques devraient, quant à elles, augmenter de 4,3 %.

Une dynamique qui contraste avec celle de l'Europe, où les volumes d'exportations devraient diminuer de 1,4 % cette année, tandis que les importations reculeraient de 2,3 %. Les difficultés de l'économie allemande, couplées à la faiblesse du secteur manufacturier, où les indicateurs sont à leur plus bas niveau depuis un an, pèsent lourdement sur le dynamisme commercial européen. Les exportations automobiles et des produits chimiques, en particulier, peinent à rebondir.

CONTRE-OFFENSIVE SUR CONTREPLAQUÉ □ La Commission européenne a ouvert un front de plus dans le conflit commercial qui oppose l’UE à la Chine. Vendredi, l’institution a lancé une enquête antidumping sur les importations de certains produits contreplaqués chinois vendus à bas coûts en Europe, en réponse aux plaintes des producteurs européens.

Ces derniers dénoncent une forte augmentation des ventes de bois - de contreplaqué dit « de feuillus » plus précisément - issus de l’empire du Milieu, dont une grande partie proviendrait en réalité de Russie. Or, l’importation de bois russe est interdite dans l’UE depuis l’invasion de l'Ukraine par la Russie.

Les enjeux sont loin d’être négligeables. Prisés pour leur caractère durable et leur légèreté, les panneaux de contreplaqué de feuillus (issu d’arbres tels que le hêtre, le bouleau et le peuplier) sont utilisés dans les toitures, les murs, les meubles, les voitures ou encore les navires.

Les principaux producteurs de l’UE se trouvent en Pologne, en Finlande, en France et dans les États baltes ; la filière revendique 10 000 emplois en Europe.

Les exportations chinoises, déjà sanctionnées par la Turquie, le Maroc, la Corée du Sud et les États-Unis, représentent 30 % du marché européen et la moitié des importations de l’UE. L’Union pourrait décider d’imposer des droits de douane à l’issue de cette enquête, dont les conclusions sont attendues dans un délai d’un an.

L’annonce s’inscrit dans le contexte des fortes tensions Bruxelles-Pékin dans le dossier des voitures électriques produites en Chine. Alors que les Vingt-Sept ont approuvé le 4 octobre des droits de douane massifs sur ces biens (BLOCS#34), les deux parties continuent de chercher une solution à l’amiable.

Lundi, une source de la Commission européenne indiquait à BLOCS travailler « intensément » à un tel accord, qui pourrait d’ailleurs intervenir « y compris après le 31 octobre », date à laquelle les droits de douane européens sont censés entrer en vigueur pour une durée cinq ans.


Mini-blocs

Le groupe Sanofi a annoncé vendredi dernier être en négociations pour la vente de sa filiale Opella, qui fabrique notamment le Doliprane ainsi que d’autres médicaments de santé grand public, à un fonds d'investissement américain, Clayton, Dubilier & Rice (CD&R). Quelques heures après l’annonce, des responsables politiques de tous bords ont exprimé leurs préoccupations. Ils craignent notamment que cette possible cession entraîne des suppressions d'emplois en France et aille à l'encontre des efforts engagés par l'Europe pour sécuriser ses chaînes d'approvisionnement en produits de santé critiques. « Nous exigerons des garanties extrêmement solides pour rassurer, à moyen terme, tant les salariés que les Français », a déclaré Antoine Armand, ministre de l’Économie, lors d’une interview sur BFMTV dimanche. Il a également évoqué la possibilité de bloquer la vente si ces assurances ne sont pas obtenues, en s’appuyant sur le mécanisme de contrôle des investissements étrangers, qui permet de protéger les secteurs stratégiques. Le gouvernement a en outre demandé un « bilan exhaustif » des aides versées à Sanofi et ouvre la porte une participation de l'État au capital d'Opella.

La Cour d’appel de Rennes a examiné mercredi une demande d’indemnisation formulée par la fleuriste Laure Marivain et son mari, à la suite de la mort de leur fille Emmy, décédée à 11 ans d'une leucémie le 12 mars 2022. Le couple Marivain allègue l’existence d’un lien de causalité entre la maladie et la mort de sa fille et son exposition pré-natale à des résidus de pesticides présents sur les fleurs que vendait sa mère. Ce lien a déjà été reconnu par les chercheurs et les médecins de la commission du Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP), créé en 2020 par la loi de financement de la sécurité sociale. Le Fonds a proposé une indemnisation considérée comme insuffisante par le couple, qui la conteste. La décision de la Cour d’appel de Rennes, attendue le 4 décembre, pourrait constituer une première reconnaissance judiciaire de la possibilité d’un lien entre exposition de la mère aux pesticides et maladie de l’enfant. L’affaire met également en lumière la contradiction entre le contrôle strict des pesticides utilisés dans l’UE et l’absence de normes relatives à la présence de pesticides sur les fleurs importées. Le règlement européen de 2005, qui fixe une limite aux résidus de pesticides, ne s’applique en effet qu’aux denrées alimentaires. En 2019, une étude menée par des chercheurs de l’université de Liège (Belgique), publiée dans la revue scientifique Human and Ecological Risk Assessment, avait pourtant révélé la contamination des fleurs par un grand nombre de pesticides, et identifié plusieurs risques sanitaires associés.

Bientôt une grande réforme européenne des douanes ? En mai 2023, la Commission européenne a présenté la révision du code des douanes de l’UE « la plus ambitieuse et la plus complète depuis la création de notre union douanière en 1968 », selon le commissaire à l’Economie, Paolo Gentiloni. Ce projet, voué notamment à adapter les services de douanes à l'essor du commerce électronique, pourrait aboutir en 2025. Selon le média spécialisé MLex, un accord est attendu en début d’année entre les Vingt-Sept, qui devront ensuite négocier avec le Parlement européen. La mesure phare consiste à mettre en place un portail en ligne unique des données douanières, alimenté par les entreprises importatrices de produits dans l'UE. Ce data hub permettrait d'avoir une vue d'ensemble des chaînes d'approvisionnement et des marchandises entrant sur le Vieux Continent. Mais aussi de simplifier les longues et parfois fastidieuses procédures douanières, relève Les Echos. Les commerçants les plus fiables pourront même faire circuler les marchandises dans l'UE « sans aucune intervention douanière active », promettait la Commission en mai 2023.

Les Vingt-Sept ne désespèrent pas de trouver enfin un accord pour moderniser les relations bilatérales entre l’UE et la Suisse. Ce mardi à Bruxelles, les ministres des affaires européennes des Etats membres faisaient un point d’étape sur ces âpres négociations, - ayant repris au printemps dernier après avoir achoppé en 2021 - qu’ils aimeraient voir conclues d’ici la fin de l’année. Plus de 100 sessions de pourparlers ont eu lieu en 2024, sur des sujets tels que le niveau d’alignement de Berne sur les normes du marché intérieur, sur ses règles en matière d’aides d’Etat, ou encore sur la contribution suisse à la politique de cohésion en contrepartie de sa participation au marché intérieur.


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Cette édition a été préparée par Clément Solal, Antonia Przybyslawski, Mathieu Solal et Sophie Hus.

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Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal

BLOCS a été conçu à l’automne 2023 par une équipe de trois journalistes français forts d'une expérience de plusieurs années de correspondance à Bruxelles pour les plus grands titres de la presse écrite - l’Opinion, Le Parisien, Le Figaro ou encore l’Agefi.

Spécialistes de la politique européenne, experts des sujets commerce et de leur dimension géopolitique, Clément Solal, Antonia Przybyslawski et Mathieu Solal sont aussi les rédacteurs de ce qui constitue leur premier projet éditorial autonome. Ils disposent tous trois d’un appétit pour les informations croustillantes, les faits et la nuance.

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