Pacte vert : Bruxelles enclenche la marche arrière

Entretien avec l'eurodéputée Aurore Lalucq sur les initiatives du jour de la Commission □ Bruxelles débarque à New Delhi □ Nouvelle route maritime entre la Colombie et la Chine □ L'effet des sanctions russes de l'UE □ Trump renforce les restrictions sur les investissements chinois

BLOCS
10 min ⋅ 26/02/2025

BLOCS#51 Bonjour, nous sommes le mercredi 26 février et voici le cinquante-et-unième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous sur LinkedIn.

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La Commission européenne doit dévoiler ce mercredi des amendements visant la « simplification » de plusieurs textes emblématiques du Pacte vert, au nom de la compétitivité. Une initiative peu goûtée à gauche, comme l’illustre l’entretien exclusif que vous propose BLOCS cette semaine, avec Aurore Lalucq, eurodéputée Place Publique (groupe social-démocrate) et présidente de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. © European Union, 2021.

BLOCS : Après avoir organisé pendant cinq ans le verdissement de l’économie européenne via le Pacte vert, la Commission semble en passe de faire marche arrière, en engageant ce mercredi une « simplification » de certains de ses textes emblématiques. Sont notamment concernés les directives sur le devoir de vigilance des entreprises et le reporting extra-financier, la taxonomie verte de l’UE, mais aussi, selon toute vraisemblance, le mécanisme d’ajustement carbone (BLOCS#1). Comment en est-on arrivé là ?

AURORE LALUCQ : La Commission européenne a malheureusement tendance à rester dans sa zone de confort. À chaque communication, elle cite les rapports Draghi et Letta à l’appui, mais on peut se demander dans quelle mesure ils ont vraiment été lus et intégrés à sa réflexion.

Ces deux rapports établissent le décrochage économique de l’UE par rapport aux États-Unis à cause du manque d’innovation et d’investissement en Europe. La simplification est certes présente dans ces rapports, mais c’est loin d’être leur sujet principal.

Quand on parle avec les représentants des entreprises européennes, ils se plaignent avant tout des prix de l’énergie et de la menace du marché chinois.

On ne peut pas se contenter de leur répondre par un processus de simplification qui ressemble beaucoup à de la dérégulation (ÀBLOCS#2). Le tout en restant dans des débats très bruxellois, sous la pression des lobbies.

On oublie les investisseurs, qui comptaient sur la transparence apportée par ces textes, et les entreprises qui ont déjà investi pour se mettre en conformité avec les règles.

Une récente étude du Fonds monétaire international (FMI) (BLOCS#50) révèle pourtant que les barrières internes au sein de l'UE, liées, notamment, à ses réglementations, sont équivalentes à des droits de douane de 45 % pour l'industrie manufacturière, et de 110 % pour les services. Ne vous paraît-il pas nécessaire de réduire ces barrières ?

Si, mais pour moi, la meilleure des simplifications, c’est de passer par des règlements européens, qui sont d’application directe dans les Etats membres, plutôt que par des directives, qui doivent être transposées par les Vingt-Sept en droit national, ce qui crée des divergences.

Là, sous couvert de simplification, on s’attaque au devoir de vigilance des multinationales, au reporting extra-financier, et même, sans doute, à la taxonomie verte européenne, qu’on a mis tellement de temps à mettre en place.

À un moment où la démocratie est remise en question aux États-Unis, on s’en prend à ces textes qui expriment nos valeurs fondamentales, et qu’on a négociés pendant des années, dans le respect des règles démocratiques européennes.

Au passage, on oublie les investisseurs, qui comptaient sur la transparence apportée par ces textes, et les entreprises qui ont déjà investi pour se mettre en conformité avec les règles. C’est inquiétant pour l’avenir du Pacte vert européen et, encore une fois, ce n’est pas cela qui va faire augmenter notre compétitivité à court terme.

Je serai toutefois attentive au pacte pour une industrie propre, que doit aussi présenter la Commission ce mercredi, et qui pourrait contenir d’autres éléments de réponse. J’espère que ce sera le début d’une vraie stratégie industrielle pour soutenir, notamment, les secteurs de la chimie, des renouvelables et du transport électrique.

Le PPE va jouer un rôle-clé, et il est pour l’heure difficile d’anticiper comment il va se comporter.

Ne faut-il pas lire ce retour de bâton comme une conséquence directe des élections européennes de juin dernier, au cours desquelles la droite et l’extrême-droite ont progressé, alors que les Verts, puissants en 2019, ont beaucoup perdu de terrain ?

Si, effectivement, il y a une forme de logique démocratique. Malheureusement, c’est aussi une logique anti-scientifique, dans un moment très complotiste, où les fake news se multiplient. On peut avoir une interprétation politique de la situation, mais il y a aussi des faits.

De ce point de vue, entendre certaines personnes, à droite, dire que la Commission européenne prône la décroissance, c’est vraiment fort de café.

Nous sommes dans un moment grave et il est logique que notre priorité soit le développement de notre défense, mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il faille relâcher nos efforts sur la transition écologique.

Ces propositions d’amendements de simplification feront, ces prochains mois, l’objet de négociations à la table des Vingt-Sept et au Parlement européen, où vous siégez. Etes-vous prête au compromis avec le PPE (droite), le premier groupe du Parlement, qui est en faveur d’un rabotage encore plus radical ? Ou vous attendez-vous plutôt à une entente droite-extrême droite ?

En tant que présidente de commission, je regarde cela de la manière la plus neutre possible. La négociation autour de ces amendements, qui représentent les premiers éléments législatifs majeurs du nouveau cycle institutionnel, constituera en tout cas un test très important pour la suite de la législature.

Il est clair que le PPE va jouer un rôle-clé, et qu’il est pour l’heure difficile d’anticiper comment il va se comporter. On peut espérer que les élections allemandes et la probable alliance gouvernementale entre les conservateurs et les socio-démocrates qui en résultera, aura une influence sur l’attitude du PPE.

L’Europe doit s’opposer à Trump de manière intelligente

Sur le plan commercial, comment faut-il répondre aux menaces de Donald Trump ?

Il y a tellement de déclarations et de nouveaux développement chaque jour avec M. Trump…

Il y a quelques semaines, on était dans la guerre commerciale, et là, on est dans la guerre tout court, depuis le tournant du discours du vice-président JD Vance lors de la Conférence de Munich sur la sécurité. Avant, on parlait de droits de douane, et maintenant, on se concentre sur le financement de notre défense. La priorité a changé.

Pour rester sur les droits de douane, ce qui est sûr, c’est que M. Trump ne comprend que le rapport de force. Penser qu’en étant gentil, on passera entre les gouttes, c’est se bercer d’illusions. L’Europe doit plutôt, à mon sens, s’opposer à lui, mais de manière intelligente ; parfois en étant véhémente, parfois en étant presque cynique, et parfois en étant plus discrète, en restant focalisée sur ses intérêts, et sans avoir peur de son ombre.

On l’a vu : quand un pays comme le Canada lui résiste, les marchés dévissent immédiatement et il plie (BLOCS#48). Il faut s’en inspirer.

On peut enfin noter que Trump II met l’extrême-droite face à ses contradictions. Encenser cette administration qui s’en prend ouvertement à l’économie européenne, à ses entreprises et à ses agriculteurs, ce n’est quand même pas banal, quand on se dit patriote.


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Par Mathieu Solal

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