Face à Shein, l’apathie de la Commission européenne

Focus sur l'épineux dossier des petits colis.

BLOCS
4 min ⋅ 05/11/2025

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Malgré les scandales à répétition, le choc subi par le secteur textile européen et les risques avérés pour les consommateurs, l’exécutif de l’UE peine à réagir. Analyse.

© Alex Borland

DÉCALAGE □ Le commissaire européen chargé de la protection des consommateurs, Michael McGrath, est arrivé lundi en Chine, pour une visite de cinq jours consacrée aux dérives des plateformes locales de commerce en ligne.

L’Irlandais doit s'entretenir avec des responsables chinois et des représentants d'entreprise pour leur exposer « les détails des normes de l'UE en matière de sécurité des produits et de protection des consommateurs ».

Ce voyage diplomatique apparaît un brin en décalage avec les scandales à répétition qui touchent les grands noms du e-commerce chinois sur le Vieux Continent.

DÉSÉQUILIBRE □ Ces derniers jours, c’est la plateforme d’ultra-fast fashion Shein, qui s’est retrouvée dans l’oeil du cyclone médiatique français.

Mardi, le porte-parole de Shein France, Quentin Ruffat, a ainsi affirmé l’intention de l’entreprise de « collaborer à 100% avec la justice », après le lancement, la veille, d’une enquête portant sur des suspicions de « diffusion de message violent, pornographique, ou contraire à la dignité accessible à un mineur » et de « représentation d’un mineur présentant un caractère pornographique ».

En cause, des poupées sexuelles d’apparence enfantine, ainsi que des poupées sexuelles sans mesures de filtrage de l’âge proposées sur le site de Shein, selon une alerte lancée par la Répression des fraudes ce week-end. Trois autres enquêtes ont été lancées du même coup contre les plateformes AliExpress, Temu et Wish.

STRATÉGIE EFFICACE □ L’affaire percute Shein, déjà frappé par une amende de 40 millions d’euros en France au mois de juillet pour pratiques commerciales trompeuses, et qui s’apprête à inaugurer, ce mercredi, sa première boutique parisienne, au sein du BHV, avec l’objectif affiché de « revitaliser les centres-villes partout en France ».

L’opération de communication semble ainsi bien partie pour tourner au fiasco pour l’entreprise fondée en 2008 en Chine, et basée à Singapour depuis 2024, qui déstabilise le secteur textile mondial depuis le tournant des années 2020.

Réputée pour sa stratégie efficace - produire de petites quantités de vêtements, à bas prix, puis augmenter rapidement la production si ils ont du succès - le géant asiatique a réussi à surfer sur l’essor du commerce en ligne pendant la pandémie, et affiche depuis un chiffre d’affaires exponentiel.

En 2024, l’entreprise a dégagé 2 milliards d’euros de bénéfices, selon les chiffres du Financial Times. Une rentabilité qui semble facilitée par de graves atteintes aux droits des travailleurs dans les ateliers de Shein, selon plusieurs enquêtes d’ONG et de médias publiées depuis 2021.

CONCURRENCE DÉLOYALE □ Pratiques commerciales agressives, impact environnemental explosif, non-respect répété des normes européennes… La liste des accusations visant le géant de l’ultra fast-fashion est nombreuse, et les alertes du secteur textile européen se multiplient face à cette concurrence considérée comme déloyale.

Mi-septembre, les principaux syndicats patronaux et groupes d’intérêts du secteur textile ont ainsi tiré la sonnette d’alarme face à l’ascension de l’ultra-fast-fashion.

« Ce modèle, porté par les grandes plateformes de commerce électronique non européennes, représentait déjà 4,5 milliards de colis importés dans l’Union européenne en 2024, soit 5 % des ventes de vêtements (dont 20 % des ventes en ligne), et continue de croître à un rythme effréné », écrivent-ils.

Face à cette situation qui ne fait qu’empirer, la Commission européenne paraît loin du compte. L’exécutif européen, qui a décidé que le problème devrait être traité dans le cadre de l’imposante réforme du code douanier européen (BLOCS#42) dont la mise en oeuvre n’est pas attendue avant - au moins - la fin 2026, a ainsi fait la sourde oreilles aux demandes françaises de mise en place d’une « mesure transitoire ».

REMÈDE À PRÉCISER □ La réponse européenne attendra… et la forme qu’elle prendra n’est pas encore définie.

Il y a encore quelques mois, le remède paraissait simple : supprimer l’exemption de droits de douane accordée aux « petits colis » dont la valeur est inférieure à 150 euros. La mesure avait le mérite de cibler les produits pertinents, 91% des colis bénéficiant de ces exemptions en 2024 étant en provenance de Chine, dont une bonne partie commercialisés par Shein, Temu ou Ali Express.

Supprimer cette exemption dite « de minimis » pourrait toutefois avoir pour effet d’ajouter encore une charge de travail supplémentaires aux services de douane européen, déjà submergés par l’afflux de marchandises, comme n’ont pas tardé à s’en rendre compte les responsables européens.

Les représentants du Parlement et du Conseil, qui négocient actuellement la mouture finale de la réforme douanière, semblent désormais plutôt opter pour une taxe. Au cours de leur dernière réunion, mi-octobre, ils ont toutefois constaté que la forme juridique que devrait prendre cette taxe n’était pas encore claire dans l’esprit des responsables de la Commission. En question, notamment, l’utilisation qui devrait être faite des montants ponctionnés.

ORDRE DISPERSÉ □ Dans cette période de flottement qui s’éternise, les États membres sont de plus en plus tentés de mettre en place des taxations nationales en ordre dispersé.

La Roumanie a initié le mouvement en instaurant mi-aout une taxation de cinq euros par colis dont la valeur est inférieure à 150 €. La Pologne et les Pays-Bas y travaillent également.

De son côté, le gouvernement Lecornu a proposé mardi une taxe présentée comme « temporaire » sur les « petits colis », à raison de 2 euros par article. La France devra toutefois revoir sa copie si elle veut convaincre la Commission, qui a émis de lourde réserves juridiques sur le projet de loi en discussion au Parlement (BLOCS#77).

Autre possibilité pour la Commission : mettre au pas les plateformes chinoises en utilisant le règlement sur les services numériques (DSA). Shein a déjà fait l’objet d’une demande d’information à ce titre. La procédure est plus avancée en ce qui concerne Temu, qui pourrait prochainement écoper d’une sanction.


Cette édition a été préparée par Mathieu Solal, Alexandre Gilles-Chomel et Sophie Hus-Solal.

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Par Mathieu Solal

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