Comment faire face à la déferlante de produits chinois

□ Les chiffres de l'afflux et la réaction de l'UE □ L'efficacité réelle des préférences tarifaires pour les pays en développement □ Le découplage du commerce entre les blocs américain et chinois □ L'effet du réchauffement climatique sur les ports

BLOCS
5 min ⋅ 17/12/2025

BLOCS#87 Bonjour, nous sommes le mercredi 17 décembre et voici le quatre-vingt-septième épisode de votre éclairage sur l’actualité du commerce international. Suivez-nous sur LinkedIn.

PAUSE FESTIVE □ Ce numéro est le dernier de cette année 2025 bien remplie. Nous serons de retour dans vos boîtes aux lettres à compter du mercredi 7 janvier. D’ici là, BLOCS souhaite une joyeuse période des fêtes à tous ses fidèles lecteurs.


Super-bloc


L’Europe est-elle inondée de produits chinois ? Subit-elle un détournement des exportations causé par la fermeture du marché américain ? Comment l’Union européenne réagit-elle à cette nouvelle donne ? Réponses en chiffres à ces questions brûlantes, dans ce dernier numéro de l’année.

Un quai de chargement du port de Nantong. © Peter Griffin

DÉFICIT INSOUTENABLE □ « Le déficit du reste du monde vis-à-vis de la Chine est en train de devenir insoutenable », a mis en garde Emmanuel Macron, en visite officielle à Pékin, le jeudi 4 décembre.

Pour le président de la République, les déséquilibres créés par la puissance exportatrice chinoise « font courir des risques de crise financière » mondiale, et la guerre commerciale lancée par Donald Trump est « la pire manière de gérer » ce problème.

De fait, la croissance chinoise s’appuie toujours plus sur les exportations. « En 2024, l'excédent commercial chinois a atteint un niveau record d'environ 992 milliards de dollars américains, soit 5,3 % du PIB chinois, selon les données des douanes chinoises. (...) Une contribution exceptionnellement forte des exportations, surtout pour une économie de cette taille », relatent ainsi les économistes Sébastien Jean, Isabelle Méjean et Moritz Schularick, dans une note publiée en avril par le Conseil des experts économiques franco-allemand.

Des résultats liés à la fois à la concurrence interne très forte sur le marché chinois, à l’ampleur des économies d’échelle et à une politique industrielle sans équivalent, tant dans son organisation que dans les montants dépensés. 

Autre facteur explicatif, souligné par une récente étude de l’économiste Célia Colin pour l’institut Rexecode : les prix. « Depuis fin 2019, les prix à la production en Chine ont crû de seulement 2% contre +26% en zone euro. Ces écarts permettent à la Chine de proposer des prix défiant toute concurrence sur le marché européen », explique-t-elle.

L’excédent commercial chinois toujours plus fort repose aussi sur l’atonie de la demande intérieure.

« En résumé, après le premier choc chinois des années 2000, on a pensé, au tournant des années 2010, que le modèle de croissance chinois allait se normaliser, rembobine Isabelle Méjean, co-autrice de la première étude citée et et enseignante à Sciences Po. Mais la crise immobilière de 2018 a changé la donne, en affaiblissant énormément la demande intérieure chinoise. Un phénomène qui s’est accompagné d’une sous-évaluation toujours plus forte du yuan, qui a conduit à encore plus de compétitivité pour les exportations de la Chine et à une baisse de ses importations ».

LE FACTEUR TRUMP Sur ces tendances lourdes est venu se greffer, depuis quelques mois, un nouveau facteur de déséquilibre : la guerre commerciale mondiale lancée par Donald Trump.

La Chine, qui a été la seule à y répondre œil pour œil, dent pour dent, a subi, ces derniers mois, des droits de douane qui éliminent de fait la plupart de ses produits du marché américain. Ce facteur supplémentaire a déjà des effets palpables : pour la première fois depuis la crise de 2008, la Chine a dégagé un excédent plus important vis-à-vis de l’UE que des États-Unis sur un an, entre octobre 2024 et octobre 2025. 

Du côté de Bruxelles, les risques liés à cette tendance ont été anticipés dès le mois d’avril, avec la création d’un groupe de travail dédié à la surveillance des importations.

Depuis, cette « task force » produit des rapports mensuels, qui témoignent de l’augmentation de la pression des exportations chinoises sur l’économie européenne. 

UN DÉTOURNEMENT DES EXPORTATIONS ? Selon le dernier en date, 128 produits différents - sur 9525 produits examinés - subissent un « choc » lié à un détournement des importations.

Pour reconnaître l’existence d’un « choc », le groupe de travail de la Commission se fonde sur cinq critères pour le moins restrictifs, auxquels répondent néanmoins un nombre croissant de produits, relevant de secteurs divers. 

Les équipements électriques, les équipements de transport, les machines, les produits textiles et ceux liés à l'informatique sont les catégories les plus importantes lorsqu'on les classe en fonction de leur valeur. Faut-il en conclure que les flux de marchandises destinés aux États-Unis ont été redirigés vers le Vieux Continent ? 

En appliquant leurs propres critères, trois économistes du CEPII, Charlotte Emlinger, Kevin Lefebvre et Vincent Vicard dévoilent des résultats encore plus inquiétants dans un article tiré d’une étude, publié fin octobre par The Conversation. Selon eux, pas moins de 176 produits sont concernés par une redirection du commerce chinois vers l’UE. 

« En nombre, on les retrouve concentrés dans les secteurs des machines et appareils (42 produits), de la chimie (31) et des métaux (22). En valeur cependant, les secteurs les plus concernés sont de très loin les petits colis (qui représentent 5,4 % du commerce bilatéral en juin-août 2025) et, dans une moindre mesure, les équipements de transport, les huiles et machines et appareils ».

Face à cet afflux de petits colis, l’UE a prévu d’instaurer une taxe de 3 euros minimum par envoi à compter du 1ᵉʳ juillet 2026, selon une décision prise vendredi 12 décembre par les vingt-sept ministres de l'Économie.

UNE AUTRE VOIE La Commission a également réagi fortement dans le secteur de l’acier, avec des mesures de sauvegarde radicales (BLOCS#77). Pour le reste, l’UE peine à réagir de manière cohérente. 

Si certains, à l’instar de la France, rêvent à haute voix de réaliser un tournant protectionniste en multipliant les droits anti-dumping, les mesures de sauvegarde et celles en faveur de la préférence européenne, d’autres se satisfont des importations chinoises à bas prix et veulent surtout garder le marché européen ouvert. 

Outre le recours au protectionnisme, l’expert résident de l’Institut Montaigne François Godement discerne, dans un article paru au mois de mars, une autre voie pour l’UE, laquelle « pourrait offrir aux entreprises chinoises un accès à ses marchés, en échange de contreparties fortes : création de co-entreprises (joint-ventures), implantation locale, obligation de localiser une part importante de la production ou des fournisseurs en Europe, transfert de technologies, respect des standards européens (environnement, normes sociales, propriété intellectuelle) ».

Des idées qui, si elles sont bien présentes à Bruxelles, restent pour l’heure balbutiantes. La présentation du texte censé conditionner certains investissements chinois, prévue pour la semaine dernière, a par ailleurs été reportée à la fin du mois de janvier (BLOCSPRO#9).

Un temps tentée de montrer les crocs, la Commission européenne a été échaudée par la coercition opérée par la Chine autour des terres rares, matériaux sur lesquels elle dispose d’un quasi-monopole et contrôle les exportations, ainsi que sur les semi-conducteurs, avec la récente affaire Nexperia (BLOCSPRO#6).


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Les recommandations de BLOCS


Dans leur article « Changing tariff treatment and the exports of developing countries », publié le 14 décembre pour le CEPR, les chercheurs Fabien Forge, Jason Garred et Kyae Lim Kwon s’interrogent sur l’efficacité des préférences tarifaires accordées par les grandes puissances commerciales aux pays les moins avancés. Les dispositifs unilatéraux de type African Growth and Opportunity Act (AGOA), Système généralisé de préférences (GSP) ou la mise à zéro de certains droits chinois sur des produits africains (BLOCS#66) créent-ils de nouveaux débouchés ? Peu, répondent-ils : ces régimes ne stimulent les exportations des pays bénéficiaires que lorsqu’ils disposent déjà d’une « expérience voisine », c’est-à-dire lorsqu’ils produisent un bien proche ou exportent déjà vers un marché comparable via un autre partenaire. Conclusion : les préférences gagnent à être ciblées là où une capacité d’exportation est déjà plausible, plutôt que pensées comme un levier universel.

Dans un article publié le 12 décembre par le FMI, les économistes Barthélémy Bonadio, Zhen Huo, Elliot Kang, Andrei Levchenko, Nitya Pandalai-Nayar, Hiroshi Toma et Petia Topalova proposent une évaluation du « découplage » entre les blocs américain et chinois sur la période 2015-2023. En classant les pays selon l’évolution de leurs coûts commerciaux vis-à-vis des États-Unis et de la Chine, ils montrent que, malgré les discours alarmistes sur la fragmentation, les coûts moyens du commerce ont légèrement baissé et que la plupart des pays ont gagné entre 0,4 % et 0,6 % de revenu réel.

Les ports pourraient être l’un des maillons faibles du commerce mondial face au changement climatique, soutient l’économiste Maximilian Huppertz dans son article « Climate change increases bilateral trade costs », publié début décembre par la Banque d’Angleterre. Peu nombreux à l’échelle de chaque pays et exposés à une large gamme d’aléas (tempêtes, congestion, pertes d’efficacité), les ports rendent le commerce maritime moins « substituable » que le fret terrestre — et donc plus vulnérable à la montée des risques climatiques. L’auteur mobilise 190 ans de données de commerce bilatéral et de météo pour montrer que la hausse des températures renchérit les coûts commerciaux bilatéraux, côté exportateur comme côté importateur, avec une adaptation lente. Il conclut que la richesse mondiale dans les années 2010 serait d’environ 1,6 % plus élevée si l’on annulait l’effet cumulé du climat sur les coûts commerciaux (notamment portuaires) au cours du siècle précédent.


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Cette édition a été préparée par Alexandre Gilles-Chomel, Clément Solal, Mathieu Solal et Sophie Hus-Solal.

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Par Mathieu Solal

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