Le Pacte vert européen, nouvelle monnaie d'échange commerciale

□ Peur sur la politique environnementale de l'UE □ Bruxelles propose un plan protectionniste pour l'acier □ Les angles morts du projet de loi "anti-fast fashion" français □ Les enjeux des négociations Bruxelles-New Delhi □ Une rustine sur l'accord UE-Maroc □ Šefčovič défend le deal avec Washington

BLOCS
11 min ⋅ 08/10/2025

BLOCS#77 Bonjour, nous sommes le mercredi 8 octobre et voici le soixante-dix-septième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous sur LinkedIn.

UN DERNIER POUR LA ROUTE Ce numéro 77 est le dernier de BLOCS sous la forme que vous avez connue depuis le lancement de notre newsletter, il y a presque deux ans. Dès la semaine prochaine, nous réduirons en effet notre édition du mercredi à son article principal (‘Super-bloc’) et à des recommandations de lecture. Les sections ‘Blocs-notes’ et ‘Mini-blocs’ ne disparaîtront pas pour autant. Elles seront reprises dans notre nouvelle formule, BLOCS-PRO, dont la première édition vous sera envoyée vendredi de la semaine prochaine.


Super-bloc


À quelques encablures de la COP 30 de Belém (Brésil), BLOCS vous propose cette semaine un entretien fleuve avec Pierre Leturcq, consultant bruxellois indépendant, spécialiste de la dimension environnementale du commerce international, en partance pour le pré-sommet qui doit se tenir à Brasilia la semaine prochaine.

L’occasion de faire le point sur l’état des textes à vocation extraterritoriale du Pacte vert européen, de vous permettre de faire connaissance avec ce chercheur, enseignant à Sciences Po, et de vous annoncer qu’il publiera une chronique bimensuelle dans notre nouvelle formule, BLOCS-PRO.

Ce partenariat avec Pierre Leturcq débutera par un premier article le vendredi 24 octobre. L’objectif : vous projeter dans les coulisses des prises de décisions bruxelloises, pour bien saisir les tendances environnementales de la politique commerciale de l’UE, et mieux anticiper leurs impacts.

Pierre Leturcq, consultant bruxellois indépendant et nouvelle plume de BLOCS-PRO.

BLOCS □ Dix mois après la prise de fonction de la Commission ‘von der Leyen II’, est-il exagéré de dire que la dimension internationale du Pacte vert a été vidée de sa substance ?

PIERRE LETURCQ : Ce qui se confirme, en tout cas, c’est qu’il n’est plus du tout tabou de remettre en question les textes adoptés lors de la dernière législature, dans le cadre des négociations internationales.

En d’autres termes, le Pacte vert est devenu une monnaie d’échange commerciale.

C’est ce que montre, notamment, la déclaration commune UE-États-Unis de cet été (BLOCS#76), laquelle, même si elle n’est pas juridiquement contraignante (BLOCS#72), crée un précédent assez inquiétant.

“Les partenaires commerciaux de l’UE multiplient les demandes de flexibilités dans l’application des législations environnementales”

Concrètement, qu’est-ce qui vous inquiète dans cette déclaration commune ?

Je fais ici référence au paragraphe 10 de la déclaration, qui observe que les États-Unis posent « un risque négligeable » en matière de déforestation. Cette mention ne peut que faire penser à la catégorie de pays « sans risque », que le groupe conservateur du PPE au Parlement européen tente d’ajouter dans le règlement anti-déforestation importée.

Or, un tel amendement remettrait en question la compatibilité du texte avec les règles de l’OMC, et créerait un fort risque de contournement de cette législation - en faisant transiter les marchandises issues de la déforestation par des pays considérés « sans risque ».

Surtout, ce paragraphe montre que les inquiétudes d’un partenaire de l’UE par rapport aux textes environnementaux peuvent être incluses dans les négociations commerciales.

Et, même pas trois mois après la signature de cette déclaration commune, on voit que les autres partenaires commerciaux de l’UE ont reçu le message cinq sur cinq…

C’est à dire ?

On sait par exemple que l’Inde, avec laquelle l’UE espère conclure les négociations autour d’un accord de libre-échange d’ici à la fin de l’année, a demandé des flexibilités sur l’application de plusieurs textes, dont le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (BLOCS#69).

L’Afrique du Sud a fait de même, et il n’y a aucune raison que les autres s’en privent.

“En ce moment, les relations diplomatiques paraissent liquides. Les blocs monolithiques n’existent plus, et les alliances se font ou se défont, en fonction des intérêts des uns et des autres”

Faut-il aussi voir un lien entre la mention du règlement anti-déforestation importée dans la déclaration UE-États-Unis et l’annonce par la commissaire à l’Environnement, Jessika Roswall, du report d’un an, à fin 2026, du début de sa mise en oeuvre ?

Disons qu’il est difficile de ne pas faire de lien entre les deux. La Commission invoque des problèmes techniques liés à son système informatique, mais c’est très difficile à croire, alors même qu’elle a eu trois ans pour se préparer.

Notons aussi que cette annonce a eu lieu le même jour que celle de la signature de l’accord de libre-échange avec l’Indonésie (BLOCS#75), qui n’est autre que le troisième plus gros exportateur d’huile de palme vers l’UE, et fait partie des pays qui ont le plus à craindre de ce règlement anti-déforestation…

La semaine dernière, la vice-présidente de la Commission européenne chargée de la transition propre, Teresa Ribera, a laissé entendre que ce report pourrait être évité ou, au moins, réduit. Cela vous a-t-il donné un peu d’espoir ?

Au contraire : cette sortie (BLOCS#76) n’a fait que rajouter du flou et étayer l’hypothèse d’un report basé sur une explication fallacieuse.

On a eu des années de préparation et de négociations autour de ce texte, pour se retrouver maintenant avec un report de dernière minute, qui ne s’appuie sur rien… Ce n’est pas sérieux.

Cet épisode illustre bien le moment de fluidité que nous vivons. Les relations diplomatiques paraissent liquides, les blocs monolithiques n’existent plus, et les alliances se font et se défont, au gré des intérêts.

Et la Commission, qui avait déjà commencé, au nom de la simplification, à démanteler certains textes emblématiques comme la directive sur le devoir de vigilance des entreprises, ou celle sur la transparence en matière de durabilité (CSRD), semble ne plus avoir de boussole.

“Sur l’ajustement carbone aux frontières, le gros du travail a été fait”

Un texte semble toutefois bien parti pour être mis en oeuvre début 2026 : la taxe carbone aux frontières (ou ajustement carbone, en bon bruxellois), qui doit permettre de taxer le fer, l’acier, le ciment, l’engrais, l’aluminium, l’électricité et l’hydrogène importés en fonction de leur empreinte carbone…

Effectivement. En tout cas, on entend que le calendrier devrait être tenu, ce qui est une bonne nouvelle, et on entend aussi de moins en moins de plaintes au niveau international, sans doute en bonne partie parce que le champ d’application du texte a été réduit, et que l’essentiel des PME en sont désormais exclues.

Il reste encore quelques détails à régler, notamment en ce qui concerne le traitement des exportateurs européens, mais le gros du travail a été fait. Et on voit déjà que beaucoup de pays à travers le monde, comme par exemple le Japon, le Canada ou l’Australie, qui mettent en place des marchés carbone nationaux, veulent aussi mettre en place des taxes carbones aux frontières (BLOCS#69).

Quand on compare avec la situation du règlement anti-déforestation importée, on ne peut que remarquer l’importance pour la Commission d’avoir une majorité stable qui la soutient pour qu’un projet aboutisse, et aussi celle de réaliser des études d’impact abouties et d’engager un travail technique qui soit au niveau de l’ambition du texte qu’elle porte.

“Le succès d’une COP tient avant tout à sa bonne préparation et à la qualité de sa présidence”

Comment définiriez-vous la position de l’UE, à l’approche de la COP 30, qui débute le 10 novembre à Belém (Brésil) ?

La crédibilité de l’UE, qui n’a pas réussi à adopter un objectif de décarbonation à l’horizon 2040, est clairement affaiblie, dans un contexte où l’ensemble des parties ne font de toute façon pas ou peu de progrès.

Toutefois, le succès d’une COP tient, avant tout, à sa bonne préparation et à la qualité de sa présidence.

En l’occurence, le Brésil me semble jouer sa partie assez finement, en multipliant les plans d’action, et en appuyant sur des enjeux importants, comme le maintien de l’objectif de sortie des énergies fossiles, ou la méthode de calcul des prix des crédits carbone internationaux.

D’un point de vue commercial, que faut-il attendre de ce grand rendez-vous international ?

Le Brésil veut créer une forme de dialogue structuré entre experts gouvernementaux autour des liens entre commerce et environnement.

Ce nouveau format peut être très utile pour créer un climat neutre et positif propice à trouver des solutions techniques, notamment pour ce qui concerne le grand chantier de l’interopérabilité entre les marchés carbone des différents pays, dans un contexte de multiplication des projets de taxation carbone aux frontières.

Les Brésiliens ont présenté le projet de manière habile à l’OMC le mois dernier, et pourraient bien parvenir à leurs fins. L’UE, échaudée par les critiques qui ont visé son ajustement carbone ces dernières années, reste néanmoins prudente pour l’heure, et ne s’engagera pas dans ce nouveau format sans garantie.


Blocs-notes


BRUXELLES AU SECOURS DE L’ACIER □ Pour sauver son industrie sidérurgique en plein tourment, l’UE se résout au protectionnisme « à la Trump ».

La Commission européenne a ainsi proposé mardi une fermeture drastique du marché intérieur aux importations d’acier venues de tous les pays tiers.

L’Union appliquait déjà, depuis 2018, des mesures de sauvegarde, vouées notamment à combattre la concurrence chinoise - un dispositif temporaire qui allait expirer en juin 2026.

L’exécutif de l’UE prévoit aujourd’hui de le remplacer par un mécanisme pérenne, qui doublerait de 25 % à 50 % les droits de douane sur les importations d’acier, et réduirait de moitié les quotas d’aciers étrangers échappant à ces tarifs.

« Seul un peu plus de 10 % du marché de l’UE restera ouvert à la concurrence internationale », résume le français Stéphane Séjourné, vice-président exécutif de la Commission, chargé de la Stratégie industrielle. Dit autrement, « le marché européen de l’acier devient un marché domestique ».

L’initiative en gestation depuis plusieurs mois (BLOCS#73) doit donner une bouffée d’oxygène à un secteur dans la tempête, où se multiplient les plans sociaux (BLOCS#71). 

18 000 emplois ont ainsi été supprimés en 2024, et plus de 90 000 l’avaient déjà été depuis 2008. Les géants, comme ArcelorMittal France et ThyssenKrupp Steel (le conglomérat allemand bientôt revendu), qui ont annoncé d’autres réductions d’effectifs ces derniers mois, étaient en attente d’un tel signal de la part de l’UE pour évaluer leurs futurs investissements sur le Vieux Continent.

Si Bruxelles sort le grand jeu, et rompt ainsi avec sa tradition libre-échangiste, c’est que la sidérurgie revêt une importance stratégique : l’acier est utilisé, entre autres, dans la construction, les infrastructures, les chemins de fer, l’automobile, les navires, les éoliennes, et a un rôle central dans la défense.

Le virage protectionniste programmé vise en premier lieu à frapper les « surcapacités » déversées en Europe par la Chine, qui a compté à elle seule l’an dernier, pour plus de la moitié de la production mondiale d’acier.

Reste que les tarifs européens ne ciblent pas que la Chine, mais tous les autres gros pays exportateurs du métal, comme l’Inde, la Turquie, le Japon, les États-Unis, le Royaume-Uni, ou encore l’Ukraine. La Commission indique néanmoins que des traitements particuliers – typiquement des quotas plus généreux – pourraient être négociés à l’avenir, au cas par cas, avec les différents partenaires, sous l’égide de l’OMC.

Bruxelles entend d’ailleurs travailler sur une bien meilleure identification de l’origine réelle des importations d’acier. L’objectif : parer à la stratégie de la Chine, qui réexporte une large partie de ses volumes via d’autres pays, comme le Vietnam ou la Turquie, afin de contourner les quotas actuels.

Face aux États-Unis de Trump, qui taxent à 50 % les importations d’acier européen, sans quotas, la mesure européenne doit par ailleurs servir de levier de négociation.

Avant d’entrer en vigueur, le règlement proposé aura à recevoir l’approbation du Parlement européen, et d’une majorité qualifiée d’États membres (15 États représentant au moins 65 % de la population de l'UE). 

Or, si une série de pays, dont la France, l’Italie, l’Espagne, ou encore la Pologne y sont favorables, d’autres, à commencer par l’Allemagne, s’inquiètent de l’impact sur la compétitivité des filières « en aval ».

Déjà en souffrance, l’industrie automobile aurait notamment à subir l’inflation des prix de l’acier en Europe. Le surcoût sera d’« environ 50 euros par voiture, 1 euro sur une machine à laver. En moyenne, 3 % de hausse. C’est le prix de la souveraineté », estime Stéphane Séjourné.

ULTRA-FAST RETOQUAGE □ Très consensuel, le texte, visant à lutter contre l’expansion de la « fast fashion », faisait ces derniers mois exception au milieu du chaos politique français.

Le 10 juin, la proposition de loi (PPL) sur « l’impact environnemental de l’industrie textile » avait ainsi été votée à la quasi unanimité par le Sénat, un mois après son adoption non moins massive à l’Assemblée nationale. La copie prévoit de mettre en place un arsenal d’outils face aux dérives de la mode « ultra-éphémère », incarnée par les géants chinois Shein et Temu, dont les vêtements à bas coût sont expédiés par centaines de millions chaque année depuis la Chine.

Taxe tricolore sur les petits colis, interdiction de la publicité, pénalités contre les influenceurs, bonus-malus en fonction de l’impact environnemental…

Suite au feu vert des deux chambres, la PPL n’avait plus, en cette rentrée, qu’à faire l’objet d’un compromis entre députés et sénateurs en commission mixte paritaire (CMP). Mais cette dernière étape devra finalement attendre décembre, au plus tôt… si toutefois elle advient un jour.

Car la Commission européenne, à qui avait été notifié le projet en juin, a pointé une série d’incompatibilités avec le droit européen, dans deux avis circonstanciés envoyés à Paris le 29 septembre dernier.

Du côté de la taxe sur les petits colis, que le législateur français souhaite fixer entre 2 et 4 euros pour ces produits, dès lors qu’ils sont à destination des particuliers et en provenance de plateformes en ligne établies hors de l’UE, c’est le principe même du dispositif qui est ainsi remis en cause.

Une telle mesure « pourrait compromettre l’uniformité du système douanier commun », estime l’exécutif de l’UE, rappelant que «dans le domaine de la politique commerciale (...), l’Union dispose d’une compétence exclusive ».

L’alternative, déjà suggérée les autorités françaises à Bruxelles, et consistant à instaurer « des frais de gestion » à l’encontre de ces petits colis — au titre de l’article 52 du code des douanes de l’Union — paraît plus crédible aux yeux de la Commission.

L’institution, qui étudiait déjà la mise en place d’un pareil dispositif à l’échelle de l’UE au plus tard en 2028, prévient néanmoins que ce modèle serait « fondamentalement différent d’une taxe ».

Pour être compatible avec le droit de l’Union, ces frais devraient ainsi : « être fondés sur une méthodologie transparente d’allocation des coûts démontrant les coûts supplémentaires de la surveillance douanière des envois liés au commerce électronique ; inclure un mécanisme de révision et d’ajustement réguliers des frais (...) ; s’appliquer (…) non seulement aux colis extra-UE mais à tout envoi soumis à des contrôles similaires ; éviter d’imposer une charge financière inutile aux opérateurs (…) », énumère la Commission.

De la même manière, la France aura à revoir à la baisse l’ambition de son dispositif de bonus-malus pour inciter à la « réparabilité » des produits. Le processus tel qu’adopté par le Sénat prévoyait que les enseignes comme Shein aient à payer une pénalité de 5 euros par produit, reversé à un éco-organisme, dès lors que leur prix est si bas qu’il incite à racheter neuf plutôt qu’à réparer.

Des pénalités auxquelles n’auraient pas échappé certaines enseignes européennes, mais dont « le niveau semble disproportionné par rapport à l’objectif de fournir des services de gestion des déchets de manière efficiente », tacle la Commission. Là aussi, l’exécutif de l’UE a proposé en parallèle son propre dispositif.

L’avis envoyé par Bruxelles provoque une période de statu quo de trois mois, pendant laquelle la France ne pourra pas adopter sa loi. Un temps que les parlementaires pourraient mettre à profit pour retravailler le texte, si toutefois l’Assemblée nationale n’est pas dissoute entre-temps.


Mini-blocs


Cette semaine se tient à Bruxelles le 14ᵉ tour de négociations entre l’UE et l’Inde, qui espèrent trouver un accord de libre échange avant la fin l’année. Dans ces discussions, l’UE cherche avant tout à obtenir une réduction des droits de douane sur les voitures — actuellement jusqu’à 100 % — et sur les dispositifs médicaux, un meilleur accès pour ses vins, spiritueux et produits agricoles, ainsi qu’un renforcement de la protection de la propriété intellectuelle et des indications géographiques. L’Inde, de son côté, critique les normes techniques et régulations « irrationnelles » de l’UE qu’elle considère comme des barrières dissimulées ou un prétexte pour protéger des industries européennes. Dans son viseur, en particulier, la taxe carbone aux frontières de l’UE, qui doit être mise en oeuvre à partir du début de l’année prochaine. La plus grande démocratie du monde redoute que ce mécanisme pèse lourdement sur ses exportations d’acier, d’aluminium, ciment et d’engrais. Les négociations, qui ont repris en juin 2022, après huit ans de pause, doivent permettre de lever plusieurs désaccords entre les deux puissances et de s’accorder sur pas moins de 23 secteurs. Le contexte géopolitique actuel a favorisé l’accélération des discussions. Depuis son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump a en effet durci sa politique commerciale envers le pays dirigé par Narendra Modi en imposant, à partir de l’été 2025, une surtaxe moyenne de 25 % sur de nombreux produits, portant ainsi les droits de douane totaux jusqu’à près de 50 % dans certains secteurs stratégiques comme l’acier, l’aluminium ou la chimie. D’où la volonté d’Ursula von der Leyen, réaffirmée à plusieurs reprises, de s’engouffrer dans cette brèche et de signer un accord d’ici fin 2025, au nom de la nécessité pour l’UE de « diversifier ses partenariats et réduire sa dépendance aux États-Unis ».

La Commission européenne et le Maroc ont révisé leurs accords commerciaux couvrant la pêche et l’agriculture, en fin de semaine dernière. Modifié via la « procédure d'échange de lettres », le texte prévoit désormais que les produits agricoles et de la pêche provenant du Sahara occidental soient labellisés comme tels, mais que les certificats d’origine continuent à être délivrés par les autorités marocaines, leur permettant de profiter du même régime douanier préférentiel que les produits du royaume chérifien. Cette révision a été rendue nécessaire par une décision de la Cour européenne de justice rendue en 2024, qui estimait que la mention « made in Morocco » des produits issus de cette région disputée, contrevenait au droit à l’autodétermination du peuple sahraoui. La formule retenue vise ainsi à préserver la souveraineté revendiquée par Rabat, tout en répondant aux exigences formelles de la CJUE. Selon plusieurs observateurs cités par Euractiv, il s’agirait toutefois d’un compromis fragile destiné avant tout à gagner du temps, car la solution trouvée pourrait ne pas résister à un nouveau contrôle de la Cour. Le Sahara occidental représente une part très marginale du commerce européen — environ 0,02 % des importations de l’UE en 2022. Toutefois, la zone est dépendante de l’UE, vers laquelle elle exporte : 82 % des tomates et melons, ainsi que 60 % de ses produits issus de la pêche.

Maroš Šefčovič, Commissaire européen au commerce et à la sécurité économique, a défendu le deal du mois juillet entre l’UE et les États-Unis à l’occasion du Transatlantic Forum on GeoEconomics, la conférence annuelle des leaders du monde économique et financier d’Europe et des États-Unis, qui s’est tenue mardi 30 septembre à Bruxelles. Estimant avoir conclu le « meilleur accord possible », il a notamment vanté le caractère rétroactif de celui-ci, qui permettra à l’industrie automobile européenne de se voir restituer 1,2 milliards d’euros de droits perçus durant l’été. L’homme aux cinq mandats de commissaire a également présenté le deal à 15 % de droits de douane généraux sur les produits européens comme un bouclier contre la vague de tarifs supplémentaires que le secteur pharmaceutique européen devrait voir imposer par Donald Trump au reste du monde (BLOCS#76). Le responsable slovaque a par ailleurs insisté sur de l'absence de tensions entre les deux marchés de l’acier, et a insisté sur la nécessaire collaboration des deux blocs sur l'enjeu stratégique des micropuces. « Les États-Unis ont les meilleurs concepteurs de puces et nous [Les Européens] avons la meilleure machine au monde pour fabriquer ces puces, et je pense que nous sommes vraiment des partenaires naturels », a-t-il estimé. M. Šefčovič a enfin jugé nécessaire de « réformer en profondeur l’OMC pour qu’elle reflète bien mieux les problèmes accumulés ces vingts dernières années ».

L’institut Jacques Delors a publié le 30 septembre une infographie préparée par Elvire Fabry, chercheuse en géopolitique du commerce, qui détaille le contenu de l’accord commercial UE-Mercosur. Le document revient sur la construction longue de 25 années d’un accord voué à permettre à l’UE d’accéder au marché sud-américain de 270 millions de consommateurs et de profiter de « nombreux avantages comparatifs ». Dans son infographie, la chercheuse met l’accent sur les matières critiques auxquelles le Vieux continent pourra ainsi plus facilement accéder comme le nickel, le cuivre, lithium, le manganèse ou encore le graphite. Le document insiste par ailleurs sur l’encadrement des exportations sud-américaines vers les pays de l’UE, notamment pour les produits sensibles comme le bœuf, la volaille ou le sucre (avec l’instauration de quotas et droits de douanes très dissuasifs). Le document revient également sur les différents mécanismes prévus par le texte pour atténuer les effets néfastes d’une telle ouverture, à l’instar des clauses de sauvegardes renforcées (BLOCS#73), du fonds d’urgence pour les agriculteurs et de l’instauration de contrôles renforcés. Le think tank européen estime par ailleurs que l’accord ne constitue « ni un miracle économique […] ni une menace d’importations massive ou de gel réglementaire ». En effet, le traité devrait permettre une croissance modeste de 0,1 à 0,3% du PIB de l’UE à l’horizon 2032 (BLOCS#39). Elvire Fabry écarte enfin la possibilité de clauses miroirs sur le modèle souhaité par la France(BLOCS#65), faute d’une libéralisation assez grande entre les deux marchés.

Dans son dernier billet pour le European Centre for International Political Economy (ECIPE), un think tank indépendant spécialisé sur les questions commerciales, Lucian Cernat, chef d’unité au sein de la Commission européenne, décortique les complexités auxquelles font face les TPE et PME pour naviguer dans l’environnement tarifaire trumpien et promeut la plateforme européenne « Access2Markets » pour s’en prémunir. Le fonctionnaire rappelle par ailleurs qu’au niveau international, les droits de douanes sont classifiés par produits sous un système harmonisé auquel se surajoutent les classifications nationales. Ces classifications déterminent le droit de douane applicable à chaque produit. L’auteur relève qu’avec l’arrivée du président américain, le nombre de codes tarifaires pour l’ensemble des pays et produits entrant aux États-Unis a été porté à plus de trois millions, conduisant à « l’émergence d’une véritable industrie d’experts en classification douanière, aidant les exportateurs et les importateurs à se frayer un chemin dans le labyrinthe des codes tarifaires ». La plateforme Access2Markets constitue donc un atout pour les exportateurs européens en agissant comme un guichet unique interactif qui, grâce à une interface claire et à des algorithmes simplifiant les règles commerciales, « permet aux entreprises européennes d’identifier en quelques clics les tarifs, règles d’origine, formalités douanières et exigences non tarifaires applicables à leurs produits », facilitant ainsi la préparation et l’anticipation de leurs exportations vers le marché américain.


Cette édition a été préparée par Mathieu Solal, Alexandre Gilles-Chomel, Clément Solal et Sophie Hus-Solal.

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Par Mathieu Solal

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La rédaction de BLOCS est dirigée par Mathieu Solal, ancien correspondant à Bruxelles du journal l’Opinion.

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