Accord UE-Mercosur : rodéo en perspective

□ L'UE finira-t-elle par signer cet accord maudit ? □ Plus de miracle commercial pour les pays en développement □ De l'efficacité de la réponse monétaire à une crise tarifaire □ Réflexions sur doctrine de sécurité économique européenne

BLOCS
5 min ⋅ 10/12/2025

BLOCS#86 Bonjour, nous sommes le mercredi 10 décembre et voici le quatre-vingt-sixième épisode de votre éclairage sur l’actualité du commerce international. Suivez-nous sur LinkedIn.

LA FORTERESSE AU PETIT PIED □ La semaine dernière a laissé en tête une image assez désagréable : celle d’une UE forte avec les faibles et faible avec les forts. Poussée par un vent venu de la droite et de l’extrême-droite, la machine européenne a certes bien fonctionné, avec encore beaucoup d’accords conclus et d’initiative lancées. A-t-elle pour autant avancé dans le bon sens ?

Éléments de réponse à cette question dans BLOCSPRO#8, le dernier numéro de notre condensé d’infos stratégiques sur le commerce international, paru vendredi. Une édition dans laquelle nous détaillons l’accord trouvé sur le système de préférences généralisées, lequel offre un accès privilégié au marché européen aux pays les plus pauvres. Basculement notable : cette facilité sera désormais conditionnée à l’acceptation par ces pays du retour de leurs ressortissants résidant de manière irrégulière sur le territoire européen. Aussi au programme : l’avancée vers la suppression des droits de douane sur les produits industriels américains, le nouveau report de l’application du règlement anti-déforestation importée, ou encore le décevant « Partenariat pour des échanges et des investissements propres » récemment adopté par l’UE et l’Afrique du Sud.

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Du Parlement européen au Conseil en passant par la Commission, l’agitation est à son comble. En cause : le fameux accord de libre-échange UE-Mercosur, discuté depuis plus de deux décennies, et que la Commission européenne entend signer d’ici 10 jours. Tours de passe-passe parlementaires, hésitations des États membres, questions toujours en suspens : BLOCS vous explique tout de cette course contre-la-montre déjà bien lancée.

La présidente de la Commission et ceux du Mercosur, lors de la conclusion des négociations autour de l’accord UE-Mercosur, le 6 décembre 2024. © European Union 2024

CALENDRIER SERRÉ □ L'échéance approche et les discussions se tendent. Après plus de vingt ans de pourparlers, la Commission européenne espère sceller l'accord commercial entre l'UE et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay) lors d'un sommet avec les pays sud-américains au Brésil, le 20 décembre.

Mais le calendrier est extrêmement serré, car elle doit d'abord obtenir l'aval des États membres. Le vote des Vingt-Sept sur la proposition de conclusion et de signature est attendu entre le 16 et le 19 décembre, d'après l'agence Belga.

Pour convaincre les capitales réticentes, l'exécutif européen mise sur l'adoption, d’ici là, de mesures de sauvegarde destinées à protéger le secteur agricole (BLOCS#73). 

ŒIL INQUIET □ Proposées par la Commission européenne début octobre, ces mesures doivent permettre une surveillance renforcée des importations de produits agricoles sensibles (tels que la volaille ou le bœuf) et une réaction rapide de la Commission en cas de déstabilisation du marché.

Les partisans de l’accord observent d'un œil inquiet le processus en cours sur ce texte au Parlement européen. 

Lundi, la commission parlementaire du commerce international (INTA) a adopté une position ambitieuse sur ce dispositif, introduisant d'importants amendements au texte. 

Les eurodéputés entendent notamment obtenir un abaissement du seuil d'activation des mesures de sauvegarde, une réduction du temps d'enquête pour les produits sensibles et la possibilité d'étendre la surveillance renforcée à de nouveaux produits.

La commission parlementaire a également adopté un amendement qui permet des mesures de sauvegarde sous forme d'une obligation de réciprocité pour les pays du Mercosur, qui se verraient contraints d'appliquer les normes de production de l'UE.

Un durcissement du texte qui, s’il se confirmait à l’issue du processus législatif, pourrait bien faire figure de casus belli pour les pays du Mercosur.

HÉSITATIONS FRANÇAISES □ Reste à savoir si le Parlement confirmera la position adoptée en commission, au cours d’un vote en plénière prévu mardi prochain. S’ensuivront des négociations express avec la présidence danoise du Conseil - qui, de son côté, n’a pas amendé le texte initial de la Commission - pour trouver un compromis définitif avant la fin de la semaine prochaine.

Même si ce compromis sur les mesures de sauvegarde, que plusieurs capitales exigent pour pouvoir se prononcer sur l’accord de libre-échange, était trouvé dans les temps, la possibilité d’un rejet au Conseil continuerait d’exister.

Les opposants à l’accord semblent en effet vouloir obtenir toujours plus de concessions, à l’image de la France, dont les tergiversations ne manquent pas d’agacer certains de ses partenaires (BLOCSPRO#3). 

Lors de la conférence du "Grand réveil alimentaire", lundi, à Rungis, la ministre de l'Agriculture, Annie Genevard, et le ministre délégué chargé de l'Europe, Benjamin Haddad, ont rappelé que la France restait fermement opposée à la signature du texte « en l'état », rapporte L'Opinion.

Pourtant, début novembre, Emmanuel Macron s'était montré favorable à une conclusion de l'accord de libre-échange, à condition que les pays du Mercosur acceptent les clauses de sauvegarde agricoles proposées par Bruxelles. Puis avait laissé planer le doute sur la position qu'adopterait la France au cours du processus.

MINORITÉ DE BLOCAGE □ La France n’est pas la seule à hésiter. Ces dernières semaines, l'Autriche, l'Irlande, les Pays-Bas, l'Italie, ou encore la Pologne ont émis des réserves. Dans leur viseur, notamment, le décrié mécanisme de rééquilibrage, inclus dans l’accord à la demande des pays du Mercosur.

Pour espérer bloquer le texte, les opposants doivent constituer « minorité de blocage » réunissant au moins quatre États membres représentant au moins 35 % de la population de l'UE. 

La probabilité que ce seuil soit atteint lors du vote s'accroît, alors que la Belgique a annoncé mardi son intention de s'abstenir.  Le Premier ministre polonais, Donald Tusk, confronté lui aussi à la colère du monde agricole, a réitéré le 26 novembre son opposition au traité, jugeant le volet agricole du texte « inacceptable ».

Pour tenter de convaincre les derniers indécis, la Commission a mis sur la table mardi de nouvelles mesures visant à renforcer les contrôles sur les importations alimentaires.

S’il est signé, l’accord commercial devra encore être soumis au Parlement européen, pour ratification. Une dernière étape qui pourrait aussi être haute en couleur.

D’une part car ce vote demeure incertain, et d’autre part car un groupe d’eurodéputés se tient en embuscade pour contester l’accord devant la Cour de justice de l’UE.


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Les recommandations de BLOCS


Dans le billet « The narrowing path: Trade and development in a new era » publié lundi, Pinelopi Goldberg, professeure d’économie à l’université de Yale, et Michele Ruta, chef de division au FMI, soutiennent que, même si le commerce restera un levier de croissance, les pays en développement auront bien plus de mal à reproduire les trajectoires spectaculaires du passé « établies sur un modèle d’exportations ». Les chercheurs considèrent que les conditions qui ont rendu les « miracles » chinois ou sud-coréen possibles se dégradent : l’accès aux grands marchés se rétrécit sous l’effet du protectionnisme et des politiques industrielles, tandis que les transferts de technologie et les apprentissages via les chaînes de valeur se heurtent à des logiques de sécurité nationale et de fragmentation géopolitique. À cela s’ajoutent l’automatisation, qui menace l’avantage comparatif en main-d’œuvre peu qualifiée, et les risques climatiques, qui peuvent détourner les investissements. L’environnement devenant plus contraint, les stratégies futures doivent mettre davantage l’accent sur les réformes internes, l’intégration régionale et l’investissement dans les compétences, concluent les auteurs.

Alessandro Franconi, économiste à la Banque de France, et Lukas Hack, chercheur en économie à l’université de Mannheim, ont mesuré les effets macroéconomiques des politiques monétaires face à des chocs tarifaires, dans une étude parue lundi. À l’aide de la méthode des « counterfactuals », qui étudie les réactions possibles des banques centrales, ils constatent qu’en pratique, l'action de la banque centrale atténue partiellement de tels chocs lorsqu’elle assouplit la politique monétaire, ce qui aide à amortir la baisse d’activité mais crée des pressions inflationnistes.

« Ne pas répondre à la coercition affaiblirait fondamentalement l’UE en tant qu’acteur géopolitique », préviennent Ignacio García Bercero et Niclas Poitiers, chercheurs pour le think tank Bruegel, dans une note de politique publique parue le 2 décembre. Les chercheurs appellent l’UE à faire évoluer sa stratégie de « sécurité économique » (BLOCSPRO#7)vers une doctrine plus opérationnelle, considérant que l’Union doit urgemment réduire ses dépendances, tant vis-à-vis de la Chine que des États-Unis et se préparer à répondre rapidement aux manœuvres coercition. Les auteurs plaident pour passer des diagnostics à de vraies stratégies de réduction des risques : mieux cartographier les goulets d’étranglement, lancer de nouvelles évaluations sur les dépendances numériques et financières, et rendre crédibles les outils de riposte comme l’instrument anti-coercition. Ils recommandent aussi de mieux coordonner les contrôles à l’export et le filtrage des investissements, de cibler davantage l’appui public (R&D, aides d’État) sans tomber dans des politiques de préférence européenne incompatibles avec les engagements internationaux. Les économistes appellent enfin à renforcer les partenariats externes (accords commerciaux, CTIP) ainsi que la gouvernance interne (groupe de travail au Conseil, rendez-vous ministériel annuel) et internationale (OMC, coalition de pays proches, dialogue CPTPP).

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Cette édition a été préparée par Juliette Verdes, Alexandre Gilles-Chomel, Mathieu Solal et Sophie Hus-Solal.

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Par Mathieu Solal

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