Mais aussi - Atermoiements argentins, Accord UE/Nouvelle-Zélande, Trouble-jeu turco-russe, Suspens translatlantique
BLOCS#1 □ Bonjour, nous sommes le mercredi 29 novembre et voici le tout premier épisode de votre condensé d’actualité utile hebdomadaire sur le commerce international. Suivez nous également sur Twitter et LinkedIn.
Haro sur la taxe carbone aux frontières de l’UE ! Adoptée il y a six mois et même pas encore totalement mise en oeuvre, le nouvelle arme pour lutter contre le changement climatique est déjà contestée à l’intérieur, mais surtout à l’extérieur du bloc européen, notamment par la Chine et l’Inde. Ces dernières remettent en question sa légalité et menacent Bruxelles de mesures de rétorsion. À la veille de la COP 28 de Dubaï, focus sur ce sujet inflammable.
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CONTEXTE □ Exporter l’ambition climatique européenne, garantir la compétitivité des entreprises du Vieux Continent soumise à la tarification du carbone, et mettre la main sur de nouvelles recettes. Tel est le triple-objectif du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), définitivement adopté en mai par les institutions européennes. Le principe est simple: taxer les marchandises produites à l’étranger et exportées vers l’UE, en fonction de leur empreinte carbone.
Défendu depuis des décennies par la France, ce mécanisme en passe de devenir réalité est ainsi voué à éviter les délocalisations en harmonisant les conditions de concurrence entre entreprises européennes et étrangères vendant leurs marchandises dans l’UE. En clair, appliquer aux imports le prix du carbone payé par les entreprises européennes. Ce dernier est d’environ 80 euros la tonne pour l’heure, et devrait augmenter progressivement ces prochaines années.
Autre bénéfice entrevu: inciter les Etats tiers à adopter eux-mêmes un prix du carbone. Les Etats mettant en place des systèmes équivalents à la tarification carbone européenne se verront en effet exemptées de MACF — et pourront eux-mêmes mettre la main les recettes générées. Sur le papier, le système paraît donc attrayant, tant du point de vue climatique qu’économique ou financier.
Force est d’ailleurs de constater qu’il fait des émules: le Royaume-Uni, où existe déjà un marché du carbone, prévoit de répliquer le MACF à l’horizon 2026. Idem pour l’Australie. La Turquie, ou encore le Vietnam, réfléchissent de leur côté à instaurer une tarification du carbone domestique afin d’échapper au MACF. En cette veille de COP28, des nuages inquiétants viennent néanmoins ternir l’horizon du MACF.
LEGALITÉ CONTESTÉE □ On connaissait déjà la complexité technique du MACF. Réussir à connaître et à pénaliser de manière proportionnée les impacts carbones de marchandises produites n’est pas chose aisée. Au point que Européens ont convenu de le limiter, dans un premier temps, à un nombre réduit d’industries parmi les plus polluantes : acier, fer, aluminium, ciment, engrais, hydrogène et électricité. Et d’y aller très doucement. Rien ne sera prélevé avant le 1er janvier 2026, et l’alignement entre le prix du carbone européen et celui du MACF se fera ensuite progressivement.
Le défi technique se double d’un défi diplomatique. Avant-même d’avoir ponctionné le moindre euro, l’UE voit son projet chahuté par certains de ses partenaires commerciaux, dont la Chine, l’Inde, ou le Brésil. Et pour cause, « même avec son champ initialement limité, l’impact du MACF pourrait être sévère » sur les industries de ces « économies émergentes », note un rapport du Boston Consulting Group, paru mi-novembre.
Ainsi, le mécanisme « pourrait s’appliquer à près de 10% de la valeur des exportations vers l’UE de la Chine et du Brésil, à plus de 25% de la valeur de celles de l’Inde, (…) plus de 40% pour (...) l’Egypte et de la Turquie, toutes deux productrices majeures d’acier, de fer et d’engrais ».
L'Inde, dont les exportations d’acier, de fer et d’aluminium seront particulièrement touchées, entend répliquer. Deux options seraient à l’étude : des mesures de rétorsions qui frapperaient, de manière équivalente, les produits européens, ou bien un “rapatriement” des recettes du MACF, en appliquant une forme de taxe carbone sur le territoire indien.
En parallèle, New Delhi et, plus encore, Pékin sont parties pour saisir l’organe de règlement des différends de l’OMC afin de contester la légalité du mécanisme. Aux yeux de ces pays, le MACF relève d’un « protectionnisme vert », contraire aux règles du commerce international.
Quelle sera l’issue de cette procédure ? Les experts sont partagés. L’UE invoque l’article 20 du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) qui prévoit des exceptions aux principes du libre-échange pour permettre des mesures destinées à la protection de l’environnement.
CAUCHEMAR MOZAMBICAIN □ A contrario, ses détracteurs considèrent que le MACF est une violation du principe du droit international de l’environnement dit « des responsabilités communes mais différenciées », selon lequel les pays développés doivent assumer un rôle plus important que les autres dans la lutte contre le changement climatique.
Celui-ci justifierait, a minima, d’accorder un traitement plus clément aux pays les moins développés. A fortiori ceux dont l’économie est cruellement dépendante d’exportations, vers l’UE, de marchandises à haute intensité carbone. L’exemple le plus parlant est ici le Mozambique, dont le premier produit exporté est l’aluminium, et ce en majorité vers l’UE. Sauf à réussir une rapide décarbonation de cette industrie, le pays d’Afrique de l’Est risque une perte de 1,6% de son PIB, sous l’effet du MACF.
Pour favoriser l’acceptabilité du mécanisme, l’UE pourrait décider de réallouer une partie de ses recettes, estimées à 10 milliards d’euros par an en 2030, dans la décarbonation des industries des pays les plus pauvres. Le sujet pourrait se lier à celui du volume de l’aide financière promise par les pays les plus riches, au menu de la COP28.
Alors que les pays du Nord viennent enfin de remplir leur engagement, pris en 2009, de mobiliser 100 milliards de dollars par an pour aider le Sud face au réchauffement climatique, un nouveau fonds « pertes et dommages », destiné à indemniser les pays vulnérables pour les catastrophes naturelles, sera à l’agenda à Dubaï.
Par ailleurs, le sommet annuel sur le climat comprendra un « Trade Day » : le 4 décembre, les pourparlers se focaliseront sur « le rôle du commerce international dans la lutte contre le réchauffement climatique ». Ce qui devrait donner l’occasion aux adversaires du MACF de se faire entendre.
Plus généralement, les Européens craignent que la colère suscitée par le MACF nuise à sa capacité de négociation face à Pékin et New Delhi, qui entendent pour l’heure atteindre la neutralité carbone respectivement à l’horizon 2060 et 2070 — loin de l’UE qui table sur 2050 . « L’un des enjeux majeurs [de cette COP28], c’est que les deux géants que sont la Chine et l’Inde infléchissent rapidement leur trajectoire. L’avenir du monde se joue largement en Asie », considérait lundi Rémy Rioux Directeur général de l’Agence française de développement (AFD), dans un entretien accordé à La Croix.
LE MEDEF À BLOCS □ Le MACF fait aussi l’objet de vives critiques à l’intérieur de l’UE. D’abord, pour les industries européennes, le projet perd son intérêt s’il aboutit sur des contre-mesures commerciales ciblant les produits européens. Deuxièmement, son fonctionnement encore obscur ne plaide pas en faveur du MACF.
« On craint que ce dispositif génère beaucoup de complexité administrative dans un environnement où la charge règlementaire pèse déjà énormément sur les entreprises européennes », explique le Mouvement des entreprises de France (Medef), dans une réponse écrite adressée à BLOCS.
Enfin, la critique du MACF en Europe tient à son caractère inachevé : il ne s’applique pas à ce stade aux produits finis. Par exemple, l’acier importé sera soumis au mécanisme, mais pas l’acier contenu dans une voiture importée.
Par conséquent, « les entreprises européennes utilisant les produits concernés comme consommation intermédiaire paieront le prix du carbone importé et ce surcoût se répercutera cascade, tandis que les produits transformés à partir des mêmes produits hors d'Europe ne supporteront pas cette taxe carbone », résumait une note de l’institut d'études économiques Rexecode, en juin dernier.
Le Medef se plaint ainsi de l’augmentation des prix que devrait susciter le MACF. Les surcoûts pour les importations de fer, d’acier et d’aluminium pourraient être particulièrement fortes, estiment en effet la banque ING, ou encore le cabinet de conseil sur l'énergie et les métaux Wood Mackenzie. L’organisation patronale précise néanmoins « ne pas demander l’abrogation » du mécanisme européen.
Javier Milei, le nouveau Président argentin. ©️ Ilan Berkenwald, Flickr
MALOS AIRES □ L’élection de l’ultra-libéral d’extrême-droite, Javier Milei, à la tête de l’Argentine, dimanche 19 novembre, a semé l’incertitude sur le futur des relations commerciales de la troisième puissance économique de l’Amérique latine. Une incertitude qui s'étend particulièrement au Mercosur, l'union douanière regroupant le Brésil, l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay, formant ainsi le cinquième bloc économique mondial, que Javier Milei a qualifié de « défectueux ».
Le « Trump de la Pampa » n’a pas hésité, lors de sa campagne, à menacer de quitter le Mercosur, en pleine intensification des négociations avec l'UE visant la ratification de l’accord de libre-échange entre les deux blocs attendu depuis plus de 20 ans. Un accord de principe avait été conclu en 2019, avant que l'UE exige des engagements environnementaux supplémentaires de l'Amérique du Sud. Les quatre pays membres ont rejeté cette demande, la considérant comme protectionniste.
Malgré la lenteur des discussions UE-Mercosur, les déclarations de Milei ont incité le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, dont le pays assure actuellement la présidence tournante du Mercosur, à exprimer le souhait de conclure les négociations avec l'UE avant le 7 décembre. Une date qui marque non seulement le dernier jour de la présidence brésilienne de l’union douanière, mais qui intervient aussi trois jours avant le changement de gouvernement en Argentine.
Les déclarations de Lula mêlées au marasme économique dans lequel est empêtrée l’Argentine ont sans doute convaincu Milei de mettre de l’eau dans son vin. Le 26 novembre, la ministre des Affaires étrangères désignée, Diana Mondino, s'est ainsi rendue au Brésil pour apaiser les tensions avec son homologue Mauro Viera. Au cours de cette réunion, l'Argentine a écarté l'idée de quitter le Mercosur, plaidant plutôt en faveur de changements « ciblés ».
Par ailleurs, elle a déclaré que le futur gouvernement soutiendra l'accord commercial Mercosur-UE. « Nous sommes ensemble avec le Brésil et nous avons parlé de l'importance de signer l'accord Mercosur-Union européenne, ainsi que d’autres accords avec des pays tels que Singapour », a précisé Diana Mondino. Reste à savoir si les Vingt-Sept, dont les réticences à s’engager avec le Mercosur n’étaient pas sans lien avec l’attitude de l’ancien président brésilien Jair Bolsonaro, consentiront à être plus cléments avec Milei.
Lors de la réunion, la future ministre des affaires étrangères a toutefois confirmé la volonté de Javier Milei de refuser d’intégrer les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), malgré l’engagement pris par le président sortant, Alberto Fernandez. Cette décision découle de la conviction que l'adhésion à cette organisation n'apporterait pas de « bénéfices majeurs » à l'Argentine et contredirait les plans du nouveau gouvernement de renforcer ses liens avec les États-Unis.
Un choix déploré par la Chine, qui estime que ce serait une « grave erreur » de ne pas rejoindre les BRICS. « Le mécanisme de coopération des BRICS est une plateforme importante pour les marchés émergents et les pays en développement afin de renforcer la solidarité et la coopération et de défendre les intérêts communs », a déclaré, mardi dernier, le ministère chinois des Affaires étrangères.
OUI AUX KIWIS □ Le Parlement européen (PE) a largement soutenu l’accord de libre-échange (ALE) UE-Nouvelle Zélande, mercredi 22 novembre — 524 votes pour, 84 contre et 21 abstentions. Une onction démocratique indiscutable pour un accord pourtant très contesté par les fédérations agricoles, notamment françaises, qui craignent une concurrence déloyale au vu des différences de standards sanitaires et phytosanitaires entre les deux blocs.
De leur côté, la gauche française et certaines ONG pointent l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre que provoquera l’intensification des échanges entre les deux blocs aux antipodes.
Les défenseurs de l’accord objectent que ce dernier contient des engagements sociaux et environnementaux d’un niveau inédit pour un ALE. Est notamment prévue la possibilité de sanctions en cas de violation grave des principes fondamentaux du droit du travail ou de l’Accord de Paris sur le changement climatique.
D’un point de vue économique, l’accord, voué à éliminer 98,5% des droits de douane bilatéraux, paraît assez prometteur. Les exportations bilatérales de l’Union devraient en effet progresser de 31,7% en 2030, selon l’étude d’impact de la Commission européenne. Les exportations en provenance des Kiwis devraient quant à elles augmenter de 23,4% et le PIB de la Nouvelle-Zélande de 0,5%.
Le traité approuvé par le PE semble surtout avoir valeur géopolitique. Il permet en effet à l’UE de se rapprocher diplomatiquement d’un pays de la zone stratégique de l’Indopacifique qui cherche qui plus est à sortir de sa dépendance à la Chine. La Nouvelle-Zélande est par ailleurs membre du Commonwealth, ce qui compte dans le contexte post-Brexit. L’ALE, approuvé aussi par les ministres du commerce des Vingt-Sept lundi, doit encore être ratifié par le Parlement de Wellington avant d’entrer en vigueur.
Sa mise en oeuvre devrait débuter mi-2024, soit quatre ans après le dernier ALE ratifié par l’UE, avec le Vietnam. Le prochain pays sur la liste pourrait bien être le Chili. L’accord de modernisation de l’ALE en vigueur depuis plus de 20 ans, conclu par Bruxelles avec Santiago il y a un an, devrait en effet atterrir le mois prochain sur la table du Conseil européen.
ANKARA IRRITE □ Recep Tayyip Erdogan jouerait-il avec les nerfs de ses alliés de l’OTAN ? Comme le signale le Financial Times, les exportations en provenance de Turquie de marchandises vitales à la machine de guerre russe ont explosé ces derniers mois.
Au cours des neuf premiers mois de l’année 2023, Ankara a ainsi reporté 158 millions de dollars d’exportation, à destination de la Russie et de cinq ex-républiques soviétiques proches du Kremlin, de 45 biens à double-usage, civil et militaire, listés comme « hautement prioritaires » par les Etats-Unis. Soit trois fois plus que l’année dernière à la même période.
Parmi ces biens, des semi-conducteurs, des équipements de communication, ou encore des lunettes de visée, qui font tous l’objet d’interdiction d’exportation vers la Russie quand ils sont produits aux Etats-Unis, dans l’UE ou encore au Japon. De quoi suggérer que la Turquie, dont les importations de bien « hautement prioritaires » en provenance de pays du G7 ont augmenté de 60% cette année, est en train de s’imposer comme un pays pivot dans le contournement des sanctions visant Moscou.
Excédé par cette situation, Washington tente de remettre les points sur les i. Le Sous-secrétaire au Trésor américain chargé du terrorisme et du renseignement financier Brian Nelson doit ainsi se rendre cette semaine à Istanbul et à Ankara. Il tentera d’obtenir des engagements du gouvernement turc, qui associe pour l’heure l’augmentation de ces exportations douteuses à des actes isolés d’entités « qui ignorent les sanctions ou y sont indifférentes ».
L’ACCORD QUI ROUILLE □ Plus ça va, moins ça va. À un mois de la date-butoir qu’ils se sont fixé, Européens et Américains ne sont toujours pas parvenus à s’accorder sur un règlement définitif de leur différend sur l’acier et l’aluminium. Le conflit, initié en 2018 par Donald Trump, alors Président des Etats-Unis, a été temporairement et partiellement réglé par une trêve conclue en 2021 entre les deux blocs. Les Européens avaient alors accepté de mettre fin à une partie de leurs mesures de rétorsion et les Américains consenti à lever les droits de douanes sur une partie des importations en provenance du Vieux Continent. Le conflit menace néanmoins de resurgir, à l’approche de l’expiration de ce cessez-le-feu commercial, prévue pour le 1er janvier 2024.
Si aucune solution n’est trouvée d’ici-là, Washington pourrait reconduire ses droits de douanes punitifs (25 % sur l'acier et 10 % sur l'aluminium) et l’UE réintroduire ses contre-mesures sur une série de produits américains. Un jeu perdant-perdant qui paraîtrait d’autant plus absurde que les deux alliés partagent la volonté de lutter contre la surproduction venue d’Asie, tout en se divisant sur les moyens de mener cette lutte.
La perspective d’un déterrement de la hache de guerre paraît d’autant plus probable que les relations entre les responsables des affaires commerciales des deux côtés de l’Atlantique paraissent pour le moins tendues. La réunion du Conseil transatlantique du commerce et des technologies, qui devait avoir lieu en décembre a ainsi été reporté à l’année prochaine, comme l’a appris Bloomberg.
Lundi, le conflit sur l’acier et l’aluminium a été jusqu’à provoquer l’agacement du vice-président de la Commission européenne, Valdis Dombrovskis, d’ordinaire placide. « C'est une situation asymétrique, rigide, et qui peut être améliorée » a estimé le Letton en conférence de presse, suite à un conseil des ministres des Affaires étrangères des Vingt-Sept. À défaut de solution pérenne, Bruxelles et Washington pourraient aussi choisir de prolonger l’accord actuel, ce qui sonnerait comme un aveu d’échec.
□ L'Institut Jacques Delors a récemment publié un rapport qui analyse divers scénarios potentiels pour le futur politique, économique et les relations mondiales de la Chine jusqu'en 2035, en se focalisant sur sa relation avec l’UE.
□ Suite à la ratification de l’accord commercial UE-Nouvelle Zélande, Iana Dreyer livre une analyse assez sombre sur la politique commerciale de l’UE, à quelques mois des élections européennes de juin 2024.
□ De nouvelles données de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) mettent en évidence les limites du produit intérieur brut (PIB) en tant que mesure globale du progrès, soulignant qu'une production économique plus élevée n'équivaut pas à une croissance plus inclusive et durable.