Focus sur la délicate situation hexagonale, mais aussi sur la visite de Narendra Modi en Russie, la nouvelle usine de voitures électriques chinoises en Turquie et les craintes de l’industrie sidérurgique au Brésil face à la concurrence chinoise.
BLOCS#31 □ Bonjour, nous sommes le mercredi 10 juillet et voici le trente-et-unième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur LinkedIn.
FIN DE SAISON □ Cet épisode conclut la première saison de BLOCS, votre newsletter du commerce international. Merci pour l’attention que vous avez porté à notre jeune projet depuis sa naissance, au mois de novembre dernier. Votre fidélité est très encourageante. Nous serons de retour en septembre pour de nouvelles aventures. D’ici là, la petite équipe de BLOCS vous souhaite un bel été.
Les élections législatives anticipées, qui ont accouché d’une Assemblée divisée en trois blocs pour l’heure hermétiques, n’ont pas permis de lever l’incertitude politique qui paralyse le secteur économique français depuis un mois. Une situation bien partie pour durer, qui se mêle à une conjoncture déjà délicate, notamment sur le plan budgétaire, et qui devrait rapidement diminuer la force d’attraction de l’Hexagone pour les investissements étrangers, ainsi que sa participation au commerce international.
L’Assemblée nationale, Paris, Juin 2020. © Bernard Jaubert / Flickr
INCERTITUDE □ Le pire est écarté. Dimanche, les Français se sont nettement exprimés contre le Rassemblement national (RN), pour le second tour des élections législatives anticipées convoquées par Emmanuel Macron.
Le bloc mené par Jordan Bardella, qui se voyait déjà entrer à Matignon après sa victoire du premier tour, ne sera finalement que le troisième à l’Assemblée nationale. Le repli sur soi prôné par le RN, aux conséquences économiques, budgétaires et européennes potentiellement désastreuses, n’a pas convaincu les électeurs.
Le pire est écartée, mais pas l’incertitude politique qui paralyse depuis déjà un mois l’économie française.
De quoi doucher l’optimisme qui s’était manifesté début mai parmi les dirigeants d’entreprise, selon le baromètre OpinionWay, après l’annonce d’une croissance meilleure que prévue au premier trimestre et une légère embellie sur le front de l’emploi. La réaction paniquée du Medef, qui s’est inquiété après le deuxième tour d’un « chaos institutionnel durable », donne une bonne idée de l’effondrement de la confiance du secteur économique.
MÉFORME □ Autre tendance qui, elle, devrait s’amplifier : la méforme du commerce extérieur, marquée par un recul du nombre d’exportateurs, lequel touche tous les secteurs et catégories d’entreprises, et particulièrement les TPE et PME.
Le nombre total d’exportateurs s’établit ainsi à 141 700 au premier semestre 2024, loin de l’objectif de 200 000 fixé pour 2030 par l’exécutif. Le tout dans un contexte de prolongement du conflit en Mer Rouge (BLOCS#10) qui fait flamber les prix du fret maritime pour les trajets Europe-Asie.
Pour l’heure conservé pour la gestion des affaires courantes, le gouvernement ne dispose plus des leviers pour inverser la tendance, pas plus que pour répondre à l’explosion des défaillances d’entreprises.
Sur les six premiers mois de l'année, le nombre global de défauts a en effet bondi de 18 % par rapport à la même période de 2023, selon les données publiées mercredi dernier par les administrateurs et les mandataires judiciaires. Près de 102 500 emplois se retrouvent menacés dans l'Hexagone, rapporte Les Echos.
Cet environnement économique dégradé et cette impuissance politique font peser un risque immédiat sur l’attractivité française, et notamment sur les 15 milliards d’euros d’investissements étrangers promis en mai (BLOCS#23). « Si les investisseurs n’ont pas renoncé aux ambitieux projets annoncés lors des derniers sommets Choose France, ils vont se montrer plus prudents, voire attentistes », pronostique le chroniqueur du Monde Jean-Michel Bezat. De quoi menacer sérieusement le titre de champion d’Europe des investissements étrangers que détient l’Hexagone depuis cinq ans.
COALITION □ Les perspectives ne sont pas plus rassurantes à moyen terme. Sous le coup d’une procédure pour déficit excessif lancée par la Commission européenne il y a un mois, la France, qui emprunte à des conditions déjà difficiles sur les marchés, devra en principe réduire la voilure pour l’exercice budgétaire 2025. Sans majorité claire à l’Assemblée, la discussion s’annonce explosive.
La formation d’un gouvernement de coalition semble être la seule solution qui permettrait d’éviter ce bourbier. Arrivé premier, mais à plus de 100 sièges de la majorité absolue, le Nouveau Front populaire (NFP) ne semble toutefois pas vouloir s’engager dans cette voie pour le moment.
« L’apparition de Jean-Luc Mélenchon en majesté, revendiquant juste après 20 heures l’application de “tout” le programme du Nouveau Front Populaire a jeté un immense froid » dans les milieux économiques, expliquait en outre Dominique Seux sur France Inter ce lundi.
Fin juin, une enquête de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) auprès de ses adhérents avait montré que si le programme du NFP était appliqué, 6 petits et moyens patrons sur 10 reporteraient leurs embauches et leurs investissements. En cas de Smic à 1 600 euros, 3 sur 10 licencieraient et 14% mettraient la clé sous la porte.
SUS AU CETA □ En ces temps incertains, une conclusion définitive semble tout de même pouvoir être tirée : l’opposition de la France au commerce international devrait encore plus s’amplifier dans les prochaines années.
Le bloc macroniste, seul timide soutien du libre-échange dans l’hémicycle, a en effet perdu sa majorité relative et aura bien du mal à peser face aux deux autres, qui rejettent en bloc la signature de nouveaux accords de libre-échange, quand ils ne souhaitent pas dénoncer ceux déjà adoptés.
Rejeté au Sénat, l’accord de libre-échange avec le Canada (CETA), pourrait bien en faire les frais.
MODI-POUTINE □ Le Premier ministre indien, Narendra Modi, a achevé mardi une visite d’Etat de deux jours à Moscou - la première en Russie depuis l’attaque de l’Ukraine en février 2022. Il ne fallait pas compter sur M. Modi, réélu en juin à la tête du pays, pour sermonner son partenaire Vladimir Poutine. Fidèle à sa stratégie du « multi-alignement », le dirigeant indien était avant tout là pour approfondir une relation économique en plein essor.
L'interdépendance commerciale russo-indienne a en effet explosé depuis le déclenchement de la guerre : l’Inde a profité des sanctions occidentales visant le pétrole russe pour récupérer à prix cassé des millions de barils qui étaient jusqu'ici exportés vers l'Europe. La Russie est ainsi devenue le principal fournisseur d'or noir à l'Inde, alors que les importations représentaient moins de 1% avant le début de la guerre. Moscou est aussi le premier pourvoyeur d'armement de l'Inde.
Plus globalement, lors de l'année fiscale 2023-2024, le commerce entre les deux pays se chiffrait à 65,7 milliards de dollars contre seulement 13 milliards en 2021-2022. Alors que l’ambition est de renforcer les échanges « grâce à un traité bilatéral d’investissement et un accord de libre-échange avec l’Union économique eurasienne dirigée par Moscou », comme le relève l’Opinion, les deux parties se sont penchées sur le problème de paiement que rencontre la Russie pour ses achats depuis son exclusion du système bancaire Swift, principal canal pour les transactions bancaires transfrontalières.
Les deux dirigeants ont par ailleurs évoqué plusieurs sujets de frictions, à commencer par le caractère désormais très déséquilibré du lien commercial, l’Inde exportant vers la Russie quatorze fois moins que ce qu’elle importe. De plus, le rapprochement entre Moscou et Pékin - tant sur le plan géopolitique que commercial - inquiète Delhi, en raison des nombreux conflits frontaliers qui l'opposent à son voisin chinois.
Mais pas de quoi faire dérailler le partenariat russo-indien : mardi, les deux dirigeants se sont réengagés à avancer sur la création future d'un corridor maritime Chennai-Vladivostok, un projet de route commerciale qui permettrait de multiplier les échanges bilatéraux.
PARTENARIAT SINO-TURC □ Le groupe chinois BYD, premier constructeur mondial de véhicules électriques (VE), s'apprête à ouvrir une usine en Turquie, a annoncé ce lundi une source officielle turque, citée par l’AFP. Selon les médias turcs, l'accord prévoit un investissement d'un milliard de dollars pour un site capable de produire 150 000 voitures par an, afin de desservir le marché local, européen, ainsi que des pays du Proche-Orient, comme Israël. L'inauguration est prévue pour fin 2026.
Outre sa volonté de se rapprocher géographiquement du marché unique européen, la nouvelle usine permettrait à BYD de contourner les taxes imposées début juillet par Bruxelles sur les VE en provenance de Chine (voir ci-dessous).
En effet, l’union douanière conclue par la Turquie avec l'UE fin 1995 avait ouvert le marché européen aux voitures « made in Turkey », facilitant l'exportation de 70 % de la production locale vers l'Europe de l'Ouest. En outre, Ankara a décidé au mois de juin d'exonérer les investissements chinois sur son territoire et de ne pas taxer les importations de voitures d'origine chinoise, afin d'encourager l'investissement.
Toujours dans l’optique de produire plus près de l’Union européenne, où les VE chinois représentent désormais 22 % du marché - contre seulement 3 % il y a trois ans - BYD avait déjà annoncé fin décembre son intention de s'installer à Szeged, dans le sud-est de la Hongrie. L’ouverture de ce site est lui aussi prévu pour fin 2026.
Au-delà de l’Europe, BYD est en pleine phase d’expansion mondiale. Le constructeur de VE bon marché a notamment ouvert jeudi sa première usine en Asie du Sud-Est en Thaïlande. Le géant chinois du secteur a également repris une ancienne usine de Ford Motor Co. au Brésil et cherche des sites pour une usine au Mexique.
□ Au Brésil, les importations d’acier chinois ont bondi de 50% entre 2022 et 2023. Après la chute de la demande en Chine - à cause d’une forte crise immobilière - et la hausse des droits de douane aux Etats-Unis et en Europe, le Brésil est apparu comme un débouché idéal pour les surplus chinois, en raison de sa forte demande dans l’automobile et le bâtiment. La production brésilienne d’acier a chuté de 6% en 2023, entraînant fermetures d’usines et licenciements dans un secteur employant 120.000 personnes. En mars, la Compagnie sidérurgique nationale (CSN) a demandé une enquête pour « dumping » contre plusieurs produits chinois auprès du ministère du développement, de l’industrie, du commerce extérieur et des services brésilien. Le ministre a, pour l’heure, annoncé doubler, pendant un an, les droits de douane (de 10,8 % à 25 %) sur 11 des 273 produits d’acier - une taxe limitée aux volumes dépassant de 30 % la moyenne de ces importations entre 2020 et 2022. Une mesure jugée « prudente » par le ministre brésilien qui craint des représailles dans un contexte de forte interdépendance entre les deux économies.
□ La Commission européenne a imposé vendredi des droits compensateurs provisoires sur les véhicules électriques à batterie en provenance de la Chine, dans le cadre de l'enquête lancée par Bruxelles sur les subventions accordées par Pékin à ses constructeurs, ouverte fin 2023. Selon la Commission, ces subventions « menacent de causer un préjudice économique aux producteurs de voitures électriques à batterie de l'UE ». Les nouveaux tarifs, allant de 17 % à 37 %, s’ajoutent aux taxes de 10 % déjà en place dans l’UE et seront applicables pour une durée maximale de quatre mois. Pendant cette période, les négociations entre la Chine et l’exécutif européen se poursuivront pour trouver une « solution mutuellement acceptable ». La décision finale concernant la pérennisation de ces droits de douane sera annoncée le 24 octobre et ne prendra effet qu’après un vote des États membres de l'UE. Cependant, l’instauration de nouveaux tarifs définitifs ne fait pas l’unanimité parmi les Vingt-Sept. Si la France, l’Italie et l’Espagne soutiennent ces nouvelles mesures, l’Allemagne, accompagnée de la Suède et de la Hongrie, s’y oppose fermement en raison de la présence importante de ses constructeurs automobiles sur le marché chinois.
□ La « DG Trade », autrefois si puissante direction générale du Commerce de la Commission européenne, a fortement perdu de son influence à Bruxelles, alors que la priorité n’est plus à la signature de toujours plus d’accords de libre-échange, mais plutôt au renforcement de la sécurité économique, rapporte Borderlex. Malgré la montée du protectionnisme au niveau mondial, le média bruxellois préconise, à l’approche de la nouvelle mandature de la Commission, le rétablissement d’un commissaire consacré à l'ouverture et au commerce fondé sur les normes internationales.
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Cette édition a été préparée par Antonia Przybyslawski, Clément Solal, Mathieu Solal et Sophie Hus.
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