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Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal
25 sept. · 6 mn à lire
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La sécurité économique, nouveau mot d'ordre de la Commission européenne

Focus sur la nouvelle expression à la mode dans la bulle bruxelloise, mais aussi sur le tir de barrage américain contre Shein, la nouvelle ministre chargée du Commerce extérieur et les complications de l'accouchement de l'instrument anti-déforestation importée de l'UE.

BLOCS#32 Bonjour, nous sommes le mercredi 25 septembre et voici le trente-deuxième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur LinkedIn.

DÉBUT DE SAISON L’été est terminé et BLOCS repart à l’attaque, en reprenant, à compter de ce jour, son rythme hebdomadaire. Après une année de travail enthousiaste mais totalement bénévole, nous abordons ce deuxième chapitre avec l’envie intacte de vous informer et de vous donner à réfléchir sur les enjeux brûlants du commerce international, mais aussi le désir de pérenniser notre projet. Découvrez ici notre nouvelle stratégie et le rôle que vous pouvez jouer à nos côtés.


Super-bloc

La création d’un poste de commissaire « au Commerce et à la Sécurité économique » par Ursula von der Leyen semble confirmer le nouveau tournant pris par l’UE en matière commerciale. Le chevronné et discipliné Maroš Šefčovič, qui hérite de cette fonction, ne devrait pas ménager ses efforts. Reste à savoir comment ce concept mouvant de sécurité économique se traduira dans les faits.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le nouveau commissaire au Commerce et à la Sécurité économique, Maroš Šefčovič. © Union européenne, 2024La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le nouveau commissaire au Commerce et à la Sécurité économique, Maroš Šefčovič. © Union européenne, 2024

POLITIQUE ÉCONOMIQUE EXTÉRIEURE □ « L’Europe doit se doter d'une nouvelle politique économique étrangère. Le libre-échange équitable doit rester le moteur de notre prospérité, mais il doit aussi nous permettre de réduire nos dépendances et contribuer à développer des partenariats durables dans le monde entier, au bénéfice des consommateurs et des entreprises »

C’est avec ces mots que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a présenté la mission de Maroš Šefčovič, nouveau commissaire au Commerce et à la Sécurité économique, lors de l'annonce, mardi dernier, de l'exécutif européen pour la période 2024-2029.

Pour son quatrième mandat à la Commission, le Slovaque, qui a notamment joué un grand rôle dans les négociations du Brexit et est reconnu pour sa fiabilité et sa discrétion à Bruxelles, se voit confier un portefeuille inédit : celui de la sécurité économique.

Ce concept, encore flou, désigne dans le jargon bruxellois un ensemble de mesures visant à réduire les dépendances excessives de l'Union européenne envers les pays tiers et à renforcer la résilience de ses chaînes d’approvisionnement, tout en préservant un système commercial ouvert. 

Ce changement confirme une révision profonde de la vision européenne de l’ouverture économique et du commerce international, longtemps perçus comme des moteurs de paix et de prospérité, mais qui révèlent désormais des vulnérabilités. 

À ce poste hautement politique, le Slovaque aura ainsi pour mission, s’il reçoit l’approbation du Parlement européen début novembre, de trouver un compromis équilibré entre les intérêts parfois divergents des Etats-membres pour mener une politique ferme face au protectionnisme montant des Etats-Unis et de la Chine (BLOCS#2). 

ARSENAL DÉFENSIF Un bout de chemin a déjà été parcouru. Depuis 2020, l’UE a commencé à se doter d’un arsenal défensif qui doit lui permettre de mieux protéger ses intérêts : un cadre pour le contrôle des exportations de biens à double usage (civil et militaire), un règlement pour promouvoir la réciprocité dans l’accès aux marchés publics, une législation pour lutter contre les importations sur son sol de biens dopés aux subventions de pays tiers, ou encore un instrument anti-coercition pour aider l’UE à lutter contre le chantage économique de pays tiers.

Par ailleurs, dans sa toute première stratégie pour protéger la sécurité économique de l’UE, Bruxelles a annoncé en janvier 2024 le renforcement du mécanisme de contrôle des investissements étrangers en Europe, entré en vigueur fin 2020, et que seuls 22 Etats membres avaient adopté. La Croatie, la Bulgarie, Chypre, l'Irlande et la Grèce ne s'en sont pas dotés - ce qui crée des vulnérabilités pour l’ensemble de l’Union, selon l’exécutif européen. 

En outre, la présidente de la Commission demande à Maroš Šefčovič de développer, au cours de cinq prochaines années, de nouveaux outils de défense commerciale, renforcer les sanctions économiques et améliorer la coordination entre États membres sur le contrôle des exportations.

En parallèle, il devra composer avec des relations parfois tendues avec Washington, encore plus en cas de retour de Donald Trump, et avec les représailles potentielles de Pékin face aux droits de douane que les Européens ont imposés sur les véhicules électriques chinois (voir plus bas). Ce dossier devrait constituer le premier défi du Slovaque, dont le pays est hautement dépendant de son secteur automobile et dont le gouvernement rejette les surtaxes décidées par la Commission.

LA PATTE DE DRAGHI □ Ce renforcement de la sécurité économique s’inscrit également dans les recommandations formulées par Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne, dans son récent rapport sur la compétitivité de l’UE. 

« Alors que l'ère de la stabilité géopolitique s'efface, l'insécurité croissante devient une menace pour la croissance et la liberté. L'Europe est particulièrement vulnérable, dépendante d'une poignée de fournisseurs pour les matières premières essentielles et fortement tributaire des importations de technologies numériques », avertit l’Italien dans le rapport commandé par la Commission européenne.

Pour atténuer ces vulnérabilités stratégiques, M. Draghi recommande l’élaboration d’une « politique économique étrangère » - une expression qui semble donc avoir plu à Ursula von der Leyen - intégrant des investissements directs concertés et des accords commerciaux préférentiels avec des pays ou régions disposant des ressources critiques qui font actuellement défaut à l’Union.  

Les accords de libre échange (ALE) que Maroš Šefčovič devra finaliser avec les pays tiers, en particulier en Amérique latine et dans la région indo-pacifique, devront ainsi permettre à l’UE de diversifier ses approvisionnements.

OPPOSITION □ Ces ALE occupent néanmoins une place marginale dans la lettre de mission du Slovaque, ce qui suggère une mise en opposition entre libre-échange et sécurité économique, qui ne va pourtant pas de soi.

Le tournant pourrait être d’autant plus significatif que Šefčovič agira sous l’autorité du Français Stéphane Séjourné, nommé vice-président exécutif en charge de la Prospérité et de la Stratégie industrielle. La France, traditionnellement frileuse en matière de nouveaux accords commerciaux, pourrait donc peser sur l’ambition de l’Union d'élargir ses horizons économiques, alors même que les ALE sont vus par beaucoup comme des moyens de sécuriser les échanges et d’assurer la résilience des chaînes d’approvisionnement.

« Stéphane Séjourné devra trouver le juste équilibre pour accomplir son mandat de vice-président exécutif tout en évitant trop de frictions entre les politiques industrielle et commerciale », analyse pour Politico, Elvire Fabry, spécialiste de la politique commerciale de l’UE au sein de l’Institut Jacques Delors.

La feuille de route des uns et des autres se clarifiera avec la publication du programme de travail de la Commission von der Leyen II, qui doit intervenir d’ici à la fin de l’année.


Blocs-notes


MINISTRE SCEPTIQUE □ La sénatrice des Yvelines Sophie Primas a été nommée samedi ministre du Commerce extérieur et des Français de l’étranger du gouvernement de Michel Barnier.

Entrée en politique en 2001 après avoir, notamment, travaillé sur les questions de consommation pour le groupe britannique Kantar, cette proche de Gérard Larcher s’est taillé « une réputation de femme de terrain et de négociatrice » selon le Moci.

Au diapason de son parti, Les Républicains - dont elle a claqué la porte en juin à la suite de l’alliance avec le RN décidée par Eric Ciotti - Mme Primas a adopté une position sceptique sur le commerce international, notamment pendant les six dernières années au cours desquelles elle a occupé la fonction de présidente de la commission des affaires économiques.

« Les théories du commerce international nous apprennent que le libre-échange permet des gains économiques globaux, mais c’est toujours au détriment de réallocations entre pays, entre entreprises, entre secteurs plus ou moins productifs. À ce jeu, notre agriculture européenne et particulièrement notre agriculture française sont bien souvent perdantes », déclarait-elle ainsi le 22 janvier, sur Public Sénat.

Mme Primas s’est aussi beaucoup inquiétée du déficit commercial français (BLOCS#11) et s’est montrée critique face à la stratégie mise en place par le gouvernement pour le résorber. Sa nomination, qu’elle avait encore du mal à réaliser samedi, lui donne l’occasion de passer de la parole aux actes.

LES PETITS COLIS DANS LE COLLIMATEUR □ Le gouvernement américain a annoncé vendredi 13 septembre une nouvelle réglementation visant à supprimer dans certains cas l'exemption de taxes douanières dites de minimis dont bénéficient les importations de biens d'une valeur inférieure à 800 dollars - souvent des petits colis.

De nombreux produits couverts par des taxes douanières sont concernés, notamment 70 % des importations américaines de textiles et de vêtements chinois assurées principalement par le leader de l’ultra fast fashion Shein.

En dix ans, le volume de colis bénéficiant de l'exemption de minimis a bondi de 140 millions par an à plus d'un milliard par an, souligne la Maison-Blanche dans un communiqué. Shein et Temu, son équivalent pour les objets en tous genres, en représentent environ le tiers.

La nouvelle règlementation, qui devrait favoriser le e-commerce local, mais aussi faire augmenter les prix pour les consommateurs, doit être suivie d’une loi que Joe Biden espère faire passer avant de devoir quitter la présidence.

L’initiative américaine fait suite à celle de la Commission européenne, qui doit proposer un texte en la matière dans les prochains mois. Le seuil de taxe de minimis est néanmoins fixé à 150 euros dans l’UE.

Côté français, la précédente législature s’était activée pour limiter l’ultra fast fashion (BLOCS#16). Reste à savoir si la nouvelle reprendra le flambeau.

ANTI-ANTI-DÉFORESTATION □ L’instrument « anti-déforestation importée » de l’UE entrera-t-il en vigueur, comme prévu, au 30 décembre 2024 ? La question se pose désormais très sérieusement.

Adopté l’année dernière, ce règlement doit interdire l’importation et la commercialisation dans l’UE d’une série de produits (cacao, café, soja, huile de palme, bois, viande bovine, caoutchouc, cuir, ameublement, papier, livres…) s’ils proviennent de terres qui ont été déboisées après 2020. Il fait depuis plusieurs mois l'objet d’une pluie de critiques tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Union.

La dernière en date est venue du chancelier allemand, Olaf Scholz, qui a indiqué le 12 septembre avoir prôné auprès de la présidente de la Commission européenne « une suspension de cette réglementation », dont la mise en œuvre est à ses yeux excessivement complexe pour les entreprises.

La voix allemande est loin d’être isolée. Fin mars, une vingtaine des ministres de l’Agriculture des États membres, dont ceux de la France, de l’Autriche, de l’Italie, de la Pologne et de la Suède, s’étaient alarmés dans une lettre commune des « charges administratives » générées pour les agriculteurs, éleveurs et exploitants forestiers de l’Union - auxquels s’appliquent le règlement au même titre qu’aux exploitations basées dans des pays tiers.

La nécessité de prouver l’origine des produits, documentations et images satellitaires à l’appui, est en particulier fustigée. Ces critiques font écho à celles formulées par une multitude de partenaires commerciaux de l’UE (Etats-Unis, Brésil, Argentine, Chili, Indonésie, Malaisie …) qui l’enjoignent à reculer (BLOCS#29).


Mini-blocs

Vers une solution négociée entre Pékin et Bruxelles dans l’épineux dossier des importations de véhicules électriques chinois ? Le commissaire européen chargé du Commerce, Valdis Dombrovskis et son homologue chinois Wang Wentao ont en tout cas envoyé des signaux encourageants jeudi 19 septembre au sortir d’une réunion au cours de laquelle ils ont planché sur l’option des « engagements de prix ». L’idée serait de permettre aux constructeurs chinois d’éviter les droits de douanes imposés par l’UE à condition de respecter un prix minimum et de ne pas dépasser certains volumes d’exportations. Ces seuils restent toutefois à déterminer. La Commission a imposé le 5 juillet jusqu'à 37,6 % de droits de douane supplémentaires (en plus des 10 % déjà en place) sur les importations de véhicules électriques chinois en riposte aux subventions massives qu'ils reçoivent de Pékin. Appliquées jusqu'ici « à titre conservatoire », ces sanctions doivent faire l'objet d’ici novembre d’un vote par les Etats membres de l’UE visant à les pérenniser pour les cinq prochaines années. Un accord à l’amiable susciterait par ricochet le soulagement des secteurs européens du cognac, du porc et des produits laitiers menacés par des enquêtes antidumping lancées en réponse par la Chine.

Anemos, le plus grand voilier cargo du monde de la compagnie havraise TOWT, a terminé le 3 septembre son premier voyage transatlantique entre Le Havre et New York. Ce navire, d’une capacité de 1000 tonnes de marchandises qui émet 10 fois moins de CO2 qu’un porte conteneurs classique, aura mis deux semaines à rallier la Grosse Pomme. Une performance prometteuse, alors qu’une quarantaine de grands cargos sont équipés de voiles, la plupart utilisant néanmoins le vent uniquement comme force d'appoint, avec une économie de carburant limitée à 20%. Seuls quelques bateaux, dont Anemos, utilisent ainsi le vent comme moyen de propulsion principal. Avec plusieurs voiliers marchands en construction, en projet ou déjà en service, la France est à l’avant-garde du « tout voile » (BLOCS#18), avec l’espoir de contribuer à la décarbonation du transport maritime, responsable de près de 3% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, selon l'Organisation maritime internationale (OMI).

Alors que Donald Trump appelle à révoquer le statut de « nation la plus favorisée » accordé à la Chine en 2000, dans un contexte de guerre commerciale entre les deux pays, le Peterson Institute for International Economics alerte sur les conséquences d'une telle mesure, dans une récente note. Selon ses experts, cette révocation entraînerait une hausse de l'inflation et une baisse significative du PIB américain, affectant notamment l'agriculture et l'industrie. Les effets seraient encore plus graves en cas de représailles chinoises, préviennent-ils.


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Cette édition a été préparée par Antonia Przybyslawski, Clément Solal, Mathieu Solal et Sophie Hus.

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