BLOCS

Chaque semaine, votre condensé d’actualité utile sur le commerce international.

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Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal
6 déc. · 7 mn à lire
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Entre Pékin et Washington, l’UE trace sa troisième voie

Mais aussi - Échec UE-Mercosur, Sécheresse sur le canal de Panama, Commerce vert

BLOCS#2 Bonjour, nous sommes le mercredi 6 décembre et voici le deuxième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn.


Super-bloc

Au milieu de la guerre commerciale sino-américaine, le Vieux Continent affirme son non-alignement sur Washington, tout en luttant contre la concurrence déloyale de la Chine et en réduisant ses dépendances stratégiques. Les leaders de l’UE se déplacent jeudi et vendredi à Pékin avec l’ambition de continuer d’avancer sur ce chemin de crête.

Ursula von der Leyen et Xi Jinping à Pékin, en avril dernier. © Dati Bendo, European Union, 2023Ursula von der Leyen et Xi Jinping à Pékin, en avril dernier. © Dati Bendo, European Union, 2023

EN BANDE ORGANISÉE □ Les trois dirigeants principaux de l’Union européenne s’envolent ce mercredi vers Pékin pour un sommet bilatéral prévu jeudi et vendredi. Un voyage au cours duquel la Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, le Président du Conseil européen, Charles Michel, et le Haut Représentant aux affaires étrangères, Josep Borrell, tenteront de démontrer l’unité, la fermeté, mais aussi la volonté de dialogue de l’UE avec son « rival systémique » chinois.

La visite en grande pompe des responsables bruxellois fait suite, de surcroît, à de nombreux déplacements de commissaires européens sur place ces derniers mois, ainsi qu’au voyage d’Ursula von der Leyen et Emmanuel Macron dans la capitale chinoise en avril dernier. De quoi confirmer la volonté européenne de maintenir plus qu’un contact avec Pékin, au grand dam de Washington. Les Etats-Unis aimeraient en effet que l’UE se positionne plus nettement de leur côté dans la guerre commerciale dans laquelle ils sont engagés face à la Chine depuis 2018.

Dernier épisode de ce conflit : vendredi, le Trésor américain a annoncé qu'à partir du mois prochain, les véhicules électriques fabriqués aux États-Unis et comprenant des composants de batterie fabriqués en Chine ne pourront plus bénéficier des subventions prévues dans l’Inflation Reduction Act, d'un montant total de 369 milliards de dollars. Une annonce agressive dont le timing pourrait ne pas être anodin, à quelques jours du sommet Chine-UE.

Peu désireuse de se ranger derrière l’Oncle Sam, notamment du fait de l’imprévisibilité de sa situation politique intérieure, l’UE persiste dans son non-alignement. Un positionnement qui semble porter ses fruits, au moins sur le front de l’agression russe en Ukraine, comme l’expliquait un diplomate européen en début de semaine.

« Nous avons bien sûr vu des exportations de biens de la Chine vers la Russie avec un potentiel double-usage civil et militaire, reconnaissait-il. Toutefois, parmi les biens considérés comme de haute priorité, nous avons constaté un déclin de ces exportations, ce qui est positif ».

DE-RISKING L’UE n’adopte pas pour autant une approche naïve face à Pékin. Échaudés par le mutisme de la Chine autour de la naissance de la pandémie de Covid-19, son déni face à la situation au Xinjiang et ses manœuvres autoritaires et agressives à Hong Kong et Taïwan, mais aussi son attitude acrimonieuse à l’égard de la Lituanie ou encore de certains eurodéputés, les Européens ne se méprennent pas sur leur hôte de la fin de semaine.

Dans ce contexte, ce voyage officiel apparaît bien moins comme une tentative de rapprochement diplomatique que comme un vecteur potentiel de progrès vers des règles de concurrence plus équitables pour les entreprises européennes en Chine et de rééquilibrage commercial entre l’UE et son premier partenaire.

En 2022, bien que les flux commerciaux entre l'UE et la Chine aient apparemment maintenu une stabilité, atteignant un volume de 860 milliards d'euros, l’UE a enregistré un déficit commercial record de 396 milliards d'euros vis-à-vis de la Chine.

Cette asymétrie persistante entre importations et exportations accroît les craintes d'une dépendance économique croissante de l'UE à l'égard de la Chine, alimentée par une concurrence perçue comme déloyale par les Européens. Ceux-ci organisent néanmoins leur riposte depuis maintenant plusieurs années, avec un mot d’ordre : l’atténuation des risques (« de-risking »).

« L’UE ne cherche pas un découplage économique vis-à-vis de la Chine mais bien à éviter des dépendances excessives dans les chaines de valeur qui remettraient en cause notre sécurité économique, notamment en ce qui concerne les matières premières critiques », explique un second diplomate européen.

Sous la houlette du commissaire au Marché intérieur Thierry Breton, Bruxelles a ainsi impulsé une réflexion sur les dépendances stratégiques de l’UE et la manière de les pallier. Un des enjeux du sommet de la fin de semaine pour l’Europe sera de faire comprendre à la Chine la nuance entre la voie du « de-risking » qu’elle a choisie et celle du découplage vers laquelle se dirigent les Etats-Unis.

« Pour l’UE, la question est existentielle, estime Elvire Fabry, chercheuse au sein de l’Institut Jacques Delors, dans un rapport qui analyse divers scénarios potentiels pour le futur des relations UE-Chine. Dans un monde remodelé par la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, l'Europe a choisi de se désengager de sa forte dépendance à l'égard de produits essentiels, notamment en provenance de Chine ».

DES TEXTES AUX ACTES □ Une stratégie qui s’est aussi concrétisée par le renforcement de l’arsenal législatif européen. Depuis l’arrivée de von der Leyen à la tête de la Commission en 2019, sont ainsi à noter la mise sur pied d’un règlement anti-coercition visant à aider l'UE à résister au chantage économique émanant de pays tiers, la mise en place d'une taxe carbone aux frontières (voir BLOCS #1), et la création d'un outil anti-subvention ciblant les entreprises étrangères opérant en Europe.

La Commission a également présenté en juin un projet de loi visant à renforcer la « sécurité économique » de l'UE. Ce projet prévoit non seulement un renforcement du contrôle des investissements étrangers sur le continent et des exportations de biens sensibles hors des frontières communautaires, mais également une supervision accrue des investissements des sociétés européennes dans des pays tiers afin de prévenir d'éventuelles fuites de technologie.

Encore fallait-il passer des textes aux actes. Ce qu’a entrepris von der Leyen en septembre, en annonçant l'ouverture d'une enquête sur les aides d'État que Pékin accorde à ses constructeurs de véhicule, afin de déterminer si des mesures de rétorsion doivent être prises. « Les marchés mondiaux sont aujourd'hui inondés de voitures électriques chinoises bon marché, dont le prix est maintenu artificiellement bas par des subventions publiques massives », avait-t-elle déclaré lors de son discours sur l’état de l’Union.

Ses mots seront-ils aussi ferme à Pékin ? C’est l’un des enjeux de ce sommet. Les prix de vente des véhicules électriques produits en Chine et importés dans l’UE sont en tout cas en moyenne 20% moins chers que ceux produits en Europe. Et les exportateurs chinois gagnent rapidement des parts de marché ; toujours selon l'exécutif européen, les voitures électriques chinoises représentent aujourd'hui 8% du marché européen, soit deux fois plus qu'en 2021. 

Les manœuvres européennes ne plaisent évidemment pas à Pékin, qui y voit du protectionnisme, mais permettent à l’UE de créer des leviers diplomatiques intéressants. Reste à savoir si cette stratégie permettra d’obtenir des résultats tangibles lors du sommet qui s’annonce.


Blocs-notes

MERCOPASSUR □ Le projet d’accord de libre-échange entre l’UE et les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay) ne devrait pas être finalisé cette semaine, comme l’avaient un temps espéré les négociateurs. Vendredi, le Brésil, qui occupe la présidence tournante de l’organisation, a indiqué à la partie européenne son incapacité à s’engager sans l’assentiment du futur gouvernement argentin, lequel sera sur pied ce dimanche, sur fond de messages contradictoires envoyés par Buenos Aires.

Cet échec sonne le glas de ce qui, à Bruxelles, était vu comme une période « d’alignement des planètes » au-dessus de cet accord voué à créer un marché intégré de 780 millions de consommateurs.

La présidence brésilienne du Mercosur, qui avait joué un rôle moteur dans la récente progression des négociations, se termine en effet cette semaine. Du côté du Conseil de l’UE, celle de l’Espagne, Etat membre le plus désireux de parvenir à un accord, se conclura à la fin du mois. La perspective des élections européennes en juin 2024 devrait de toute façon conduire à un gel du dossier dès les prochaines semaines, a minima jusqu’à la rentrée de septembre.

A ces hasards du calendrier s’ajoute l’arrivée au pouvoir du Président argentin Javier Milei, dont le caractère imprévisible et le climato-scepticisme n’augurent rien de bon pour les discussions à venir (voir BLOCS#1).

La France, la Belgique, la Pologne ou encore l’Autriche, qui sont parmi les Etats les plus rétifs au projet de traité, peuvent souffler. La pilule est en revanche bien difficile à avaler pour les partisans du deal en Europe, dont la Commission européenne, l’Allemagne, et donc l’Espagne. Ceux-ci voient en effet notamment dans cet accord la promesse de nouveaux débouchés et d’une diversification des approvisionnements en minerais stratégiques tels que le lithium, alors même que la Chine multiplie déjà les investissements miniers en Amérique du Sud.

L’interminable saga de l’accord UE - Mercosur semble donc loin d’avoir livré son ultime épisode. Négocié depuis l’an 2000, conclu en 2019, mais jamais ratifié par l’UE, le texte a par la suite été rouvert, Bruxelles cherchant à d’obtenir du Mercosur l’ajout de garanties environnementales, relatives notamment à la lutte contre la déforestation. D’aucuns espéraient que ce processus aboutisse ce jeudi, lors du sommet du Mercosur prévu à Rio de Janeiro, au Brésil.

Le résultat est néanmoins insuffisant, selon Emmanuel Macron. « Quelques phrases ont été ajoutées […] pour faire plaisir à la France - mais cela ne fonctionne pas a -t-il lancé samedi, à la suite d’une rencontre avec le Président brésilien Lula, en marge de la COP 28, à Dubaï. Je ne peux pas demander à nos agriculteurs, à nos industriels […] de faire des efforts vers la décarbonation, tout en mettant fin soudainement à tous les tarifs pour faire entrer des biens qui ne sont pas soumis aux mêmes règles ».

Le Brésil et l’Allemagne ne s’avouent toutefois pas vaincus. Lundi, le Chancelier allemand Olaf Scholz et Lula ont ainsi affiché leur détermination à finaliser l’accord, lors d’une rencontre bilatérale à Berlin. « Si je n'étais pas convaincu qu'il était possible de signer un accord à Rio de Janeiro, alors je n'irai pas à cette réunion », a martelé Lula. Affaire à suivre.


PANAMA DRY □ À Panama, les mois se suivent et se ressemblent : anormalement secs. Depuis le début de l’année, son célèbre canal par lequel transite habituellement pas moins de 5% du commerce mondial, soit plus de 500 millions de tonnes de marchandises par an, souffre ainsi d’un important manque d'eau douce.

Conséquence: l’administration de cette voie interocéanique hautement stratégique a été contrainte de réduire de plus de 50% le nombre de navires y transitant quotidiennement. Les deux grandes routes commerciales s’en trouvant affectées sont celles qui vont de la côte ouest de l’Amérique latine à la côte est des Etats-Unis et, plus encore, de l’est de l’Asie à la côte est des Etats-Unis.

Une situation d’autant plus inquiétante que le phénomène ne paraît pas près de se résorber. Au contraire, même: l’administration locale prévoit une nouvelle diminution du nombre de bateaux en décembre, puis de nouveau à partir de février.

Cette perturbation devrait nourrir une hausse générale des coûts, transmise in fine aux consommateurs. D’autant que la longue attente à l’entrée du canal se double d’une explosion du tarif de passage des navires, soumis à un système d'enchères.

Il y aurait bien une solution. Mi-septembre, l’administration du canal a annoncé réfléchir à la construction d'un nouveau réservoir afin d'ajouter une source d'eau douce pour que l'infrastructure puisse fonctionner à pleine capacité.

Problème: cela impliquerait « de construire un nouveau barrage et d’inonder des terres dans une zone riche en biodiversité », relève The Economist. L’option semble d’autant moins réalisable que la population panaméenne, très attachée à son environnement, vient d’obtenir la fermeture d’une mine de cuivre, après des mois de manifestation.


MISE AU VERT POUR L’OMC □ Selon la présidente de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) Ngozi Okonjo-Iweala, le commerce international constitue davantage un vecteur potentiel de solutions qu’un problème face au dérèglement climatique.

L’économiste nigériane est d’ailleurs bien déterminée à en convaincre quiconque elle croisera à Dubaï lors de la COP28. « Comment peut-on en finir avec le discours selon lequel le commerce, qui a sorti plus d’un milliard de personnes de la pauvreté, est le problème ? Bien sûr (...) les transports maritime et aérien contribuent aux émissions mondiales. Mais un grand nombre de solutions sont impossibles sans les échanges internationaux, a-t-elle estimé vendredi dans l’émirat, au cours d’un panel de discussion dédié au commerce. La question est dès lors : comment le commerce peut-il contribuer à la transition ? ».

Pour y répondre, cette ancienne ministre des Finances du Nigéria est arrivée munie d’une « boite à outils » de « 10 options de politiques publiques ». Sont notamment envisagés un ajustement des droits de douane destiné à encourager le déploiement des renouvelables et des technologies bas carbone et le verdissement des règles encadrant la passation de marchés publics.

Okonjo-Iweala part néanmoins de très loin avec sa volonté de «placer le commerce [et ce faisant, l’OMC] au centre de la discussion» multilatérale ». L’organisation cise à Genève n’a en effet jamais représenté un forum de négociations climatiques. Par ailleurs affaiblie dans le contexte de « géopolitisation » des relations commerciales, l’OMC semble aujourd’hui en incapacité d’accoucher d’une réforme visant à verdir les règles encadrant les échanges mondiaux.


Mini-blocs

Dans le cadre du premier « Trade day » mis à l’agenda d’une COP, le Centre du commerce international a lancé lundi à Dubaï un programme à destination des jeunes « éco-entrepreneurs ». Ce programme, mis en place aux côtés de l’ONU et du G20, a pour ambition de « renforcer les compétences et les réseaux des entreprises vertes dirigées par des jeunes, en particulier dans les pays en développement ». L’ambition affichée est de soutenir 1700 jeunes entrepreneurs au cours des 5 prochaines années.

En dépit de la pandémie et des manipulations russes, le commerce mondial de blé continue de démontrer sa résilience. Aucune perturbation majeure n’est ainsi à noter, selon les statistiques bi-mensuelles dressées conjointement par l’OMC et le Conseil international des céréales.

Les représentants du Parlement européen et du Conseil de l’UE ont trouvé un accord sur la modernisation du règlement sur l’écoconception, lundi à Bruxelles. Les règles de l’écoconception seront désormais étendues aux vêtements, aux meubles, aux téléphones et ordinateurs. Le nouveau règlement, qui doit être mis en œuvre dans les prochains mois, comporte aussi l’interdiction de la destruction des invendus textiles d’ici deux ans.


Nos lectures de la semaine

L'économiste américaine Fiona Scott Morton analyse, dans une note publiée par l'institut de recherche Bruegel, dans quelle mesure les États-Unis peuvent s'inspirer de la loi européenne sur les marchés numériques (DMA) pour rétablir une concurrence saine dans le secteur du e-commerce, en se basant sur le cas d’Amazon.

En novembre dernier, lors d'un sommet entre les pays du Cadre économique Indo-Pacifique (IPEF), composé des États-Unis et de 13 autres nations de la région, les membres n'ont pas réussi à finaliser un accord commercial. Une analyse critique, publiée dans la revue bimestrielle américaine The National Interest, remet en question l'efficacité des efforts américains pour contrer l'influence chinoise dans la région.

L’Institut de la Banque de Finlande pour les économies émergentes (BOFIT) examine l’évolution des importations russes de produits technologiques sous sanctions. Bien que celles-ci aient chuté au cours des deux dernières années, l’étude met en lumière le rôle de la Chine, comme principal fournisseur de produits technologiques pour la Russie.


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