BLOCS#47 □ Bonjour, nous sommes le mercredi 29 janvier et voici le quarante-septième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous sur LinkedIn.
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Super-bloc
Des propos menaçants et contradictoires, un épisode colombien rocambolesque et un revers boursier malvenu… Les premiers jours de la deuxième présidence Trump n’ont pas été de tout repos. Si la guerre commerciale promise par l’épouvantail de la Maison Blanche n’a pas - encore ? - eu lieu, le chaos est déjà palpable. À J+9, BLOCS tire un premier bilan.
Donald Trump signe ses premiers décrets présidentiels, 20 janvier 2025. © White House, 2025
RETRAITS EN SÉRIE □ La crainte de voir Donald Trump se lancer à bras raccourcis dans la guerre commerciale, en imposant des mesures agressives dès le jour de son investiture comme il l’avait lui-même annoncé, ne s’est pas réalisée.
Si le nouveau président américain a bien signé une cascade de décrets présidentiels (‘executive orders’) dès son investiture, lundi 20 janvier, ceux-ci concernent la migration, les personnes transgenres, ou encore le climat, mais pas le commerce.
Ce dernier sera certes indirectement affecté par le retrait américain de l’accord de Paris de 2015 ou de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) décidés à cette occasion. Ces deux départs préliminaires marquent en outre une nouvelle fois le mépris de M. Trump pour le multilatéralisme.
À noter aussi : le retrait de l’accord OCDE conclu en 2021, concernant la fiscalité internationale des entreprises. Si celui-ci ne devrait pas produire de grands effets, l’accord ayant déjà été intégré à beaucoup de législations, dont celles des pays de l’UE, celui-ci est doublé d’une menace de mesures de rétorsions qui pourraient bouleverser le cadre fiscal international.
Sur le front commercial, outre le lancement d’enquêtes, notamment sur les pratiques commerciale de la Chine, une seule décision ferme a néanmoins été prise depuis l’investiture de M. Trump : le déblocage de livraisons d’armes à destination d’Israël, dont notamment des bombes de 2.000 livres (907 kg).
CONTRADICTION N’EST PAS RAISON □ Les premiers jours de Trump II auront ainsi surtout été rythmés par des déclarations en tout genre, souvent menaçantes, et parfois contradictoires entre elles.
Jeudi, le président américain a ainsi déclaré qu’il préférerait ne pas avoir à imposer de droits de douane à la Chine. Le même Trump avait pourtant promis quatre jours plus tôt qu’il imposerait des tarifs de 10% aux produits chinois à compter du 1er février. Pendant la campagne, il menaçait même Pékin de droits de douane de 60%.
Xi Jinping, qui prépare depuis des mois sa stratégie face à la nouvelle administration américaine (BLOCS#45), peut ainsi s’estimer heureux. D’autant que le président américain promet parallèlement des sanctions commerciales sur les semi-conducteurs taïwanais… On s’y perd !
Autres espaces attaqués verbalement : l’Union européenne, une nouvelle fois menacée de sanctions à Davos jeudi dernier, mais aussi le Canada et le Mexique, que le milliardaire américain promet de frapper de droits de douane de 25% dès ce vendredi.
Pour l’heure, un seul État s’est concrètement retrouvé dans le viseur de la nouvelle administration américaine : la Colombie.
VIOLENCE RARE □ Dimanche, Donald Trump a ainsi menacé d’imposer immédiatement des droits de douane de 25 %, puis de 50%, sur les importations après le refus du président colombien Gustavo Petro d’accueillir deux avions militaires transportant des migrants expulsés.
« On m’informe que vous imposez un droit de 50 % sur les fruits de notre labeur pour entrer aux États-Unis, et je fais de même » lui a rétorqué M. Petro, dans un message d’une violence rare… avant de rétropédaler dans l’après-midi.
Conclusion: un communiqué de la Maison Blanche, republié par la présidence colombienne et actant sa capitulation en rase campagne : « Le gouvernement colombien a accepté toutes les conditions du président Trump, y compris l’acceptation sans restriction de tous les immigrants illégaux de Colombie revenant des États-Unis, y compris à bord d’avions militaires américains, sans limitation ni délai. Sur la base de cet accord, les tarifs douaniers et les sanctions resteront en réserve et ne seront pas signés, à moins que la Colombie ne respecte pas cet accord ».
Cette histoire aussi courte qu’abracadabrantesque a immédiatement provoqué une chute de la valeur des contrats à terme sur les actions américaines, amplifiée le lendemain par l’onde de choc suscité par le succès du modèle d’intelligence artificielle développé par la start-up chinoise DeepSeek.
PREMIER REVERS □ L’épisode colombien semble ainsi constituer un premier revers sur le plan financier pour la nouvelle administration Trump.
« Au cours des dernières semaines, le marché s’est montré complaisant face à la menace des droits de douane, dans l’espoir que l’administration américaine adopte une approche plus graduelle », explique ainsi Arif Joshi, co-directeur de la dette des marchés émergents chez Lazard Asset Management, cité par Reuters.
« Non seulement les événements de ce week-end réduisent la probabilité de cette théorie, mais ils rappellent également la rapidité avec laquelle l’administration Trump peut réagir aux menaces commerciales, analyse encore le financier. Toutes choses étant égales par ailleurs, cela accroît la volatilité, accroît le risque et diminue les valorisations des devises par rapport au dollar américain. »
Cette première illustration de la nouvelle méthode Trump pourrait aussi avoir des conséquences commerciales, analyse Scott Lincicome, vice-président du think tank Cato Institute, auprès de la newsletter Weekly Trade de Politico.
« Je me demande si quelqu’un à la Maison Blanche pense vraiment à l’ampleur de cette incertitude qui pèsera sur l’économie américaine et sur la politique commerciale américaine et mondiale, se questionne M. Lincicome. Si vous faites cela tout le temps, cela fonctionnera quelques fois, puis les gens diront simplement : ‘tant pis’ »
« Les États-Unis demeurent un marché de grande valeur, mais qui veut faire face au casse-tête d’être constamment menacé pour des raisons non commerciales ? », s’interroge encore M. Lincicome.
ÉNERGIE CANADIENNE □ Les alliés historiques des États-Unis paraissent en tout cas ne pas savoir sur quel pied danser.
Les Européens évitent ainsi les déclarations polémiques, préférant resserrer les rangs pour mieux résister à l’appétit groenlandais du nouveau président américain.
L’UE, qui ne manque pas de leviers pour répondre à M. Trump (BLOCS#38), s’apprête pour l’heure à mettre l’accent sur sa propre compétitivité, pour mieux absorber la dérégulation engagée par le président américain (voir notre section Blocs-notes ci-dessous).
De même, le Mexique qui, par la voix de sa présidente, Claudia Sheinbaum, avait promis une riposte aux droits de douane américains au lendemain de l’élection de Donald Trump, fait depuis profil bas.
Seul le Canada paraît plus offensif. Sa ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, plaide ainsi pour une riposte coordonnée avec le Mexique, le Royaume-Uni et l'UE. Elle joindra ses homologues d’ici la fin de la semaine.
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Blocs-notes
PRÉFÉRENCE EUROPÉENNE □ Deux mois après son entrée en fonction, la Commission européenne s’apprête à dévoiler ce mercredi son premier texte majeur : la « boussole de compétitivité ».
Inspirée des rapports remis par Enrico Letta et Mario Draghi à Ursula von der Leyen, cette feuille de route, consultée en sa version provisoire par BLOCS, fait état d’un ensemble de projets qui devront être concrétisés dans les mois à venir par des propositions législatives spécifiques afin de renforcer la compétitivité européenne.
Pour l’UE, il est urgent d’agir : l’économie du bloc, qui décroche dangereusement par rapport aux puissances chinoise et américaine, se trouve d’autant plus menacée face aux menaces protectionnistes de Donald Trump.
Dans cette perspective, la boussole de la compétitivité place la sécurité économique et la résilience commerciale au cœur de ses priorités. Bruxelles entend réduire les dépendances stratégiques qui fragilisent son autonomie, notamment dans les secteurs critiques.
Une des propositions majeures de cette version provisoire de la feuille de route concerne la révision de la directive sur les marchés publics en 2026.
La Commission envisage d’introduire une préférence européenne pour les secteurs et technologies stratégiques, afin de renforcer les chaînes d’approvisionnement locales et garantir une meilleure sécurité technologique.
Selon l’exécutif européen, ces actions devraient permettre à l’Union de mieux se préparer aux abus de certains acteurs économiques, tout en simplifiant l’accès des start-ups et entreprises innovantes aux marchés publics.
Cette proposition hautement politique, dans un contexte où les Etats-Unis et la Chine adoptent des positions protectionnistes, promet des débats houleux entre les États membres, avec d’un côté des pays comme la France qui appellent depuis plusieurs années à la mise en place d’une telle mesure, et de l’autre, les pays du Nord, traditionnellement libéraux et globalement opposés à toute intervention sur le marché.
Parallèlement, la Commission propose des mesures visant à diversifier les chaînes d’approvisionnement à travers des partenariats bilatéraux et multilatéraux.
En s’inspirant du mécanisme d’agrégation de la demande de gaz, mis en place en 2022, la Commission européenne propose de créer une « plateforme » commune de l'UE pour faciliter l'achat conjoint de matières premières critiques, considérés comme des « intrants cruciaux pour les secteurs de l'énergie et de l'industrie ».
BROUILLARD LONDONIEN □ Le Royaume-Uni est-il disposé à se rapprocher de l’UE en matière commerciale ? C’est en tout cas ce qu’a suggéré la ministre des Finances britannique. Dimanche, sur la chaîne Sky News, Rachel Reeves a assuré regarder d’un bon œil la proposition récemment formulée à Londres par le commissaire européen au Commerce, Maroš Šefčovič, quant à une suppression de certains obstacles sur le plan douanier.
Concrètement, il s’agirait pour le Royaume-Uni de rejoindre la Convention paneuro-méditerranéenne, un accord scellé en 2012 regroupant certains pays membres, des États méditerranéens et des pays des Balkans.
En y adhérant, le pays qui a quitté au 1er janvier 2021 le marché unique et l’union douanière, bénéficierait d’une réduction significative des barrières aux échanges, d’un accès facilité aux marchés européens et d’une diminution des coûts pour ses entreprises.
« Nous sommes absolument ravis d'examiner ces propositions, car nous savons que l'accord obtenu par le gouvernement précédent ne fonctionne pas suffisamment bien », a indiqué la chancelière de l’Echiquier.
Ce faisant, Rachel Reeves a désavoué le ministre des Relations post-Brexit avec l'UE, Nick Thomas-Symonds qui avait initialement affirmé que Londres « n'avait aucun projet de rejoindre » un tel accord.
La ligne de Londres vis-à-vis de Bruxelles reste ainsi difficile à lire. D’un côté, le travailliste Keir Starmer, aux affaires depuis juillet dernier, se dit désireux de fluidifier les échanges commerciaux. Le Premier ministre milite depuis son arrivée pour un « reset » - une réinitialisation de la relation avec l’UE.
Ce rapprochement pourrait d’ailleurs se faire au prix d’une coopération plus étroite sur le plan de la défense, ce qui serait dans l’intérêt de l’UE (voir notre dossier spécial).
Le sujet sera au cœur d’une réunion informelle des Vingt-Sept, lundi prochain à Bruxelles, à laquelle a été convié le locataire du 10 Downing Street.
D’un autre côté, M. Starmer a aussi été élu en fixant trois lignes rouges : ne pas rejoindre ni le marché unique, ni l’union douanière de l’UE, et ne pas rétablir la libre circulation des personnes. Et il ne semble pas encore prêt à se dédire.
Plus généralement, le Royaume-Uni fait planer une certaine ambiguïté stratégique sur la manière dont il compte naviguer dans un contexte commercial marqué par le retour du protectionniste Donald Trump.
Mi-janvier, la même Rachel Reeves s’était ainsi rendue à Pékin puis Shangaï pour proclamer que renforcer le lien commercial avec la Chine est « absolument dans l’intérêt du Royaume-Uni » (BLOCS#45).
Quelques heures plus tard, Keir Starmer affirmait dans une interview au Financial Times son ambition « d'avoir un accord de quelque forme que ce soit avec les Etats-Unis, un accord commercial ». De toute évidence, Londres ne veut se fermer aucune porte.
Mini-blocs
□ Les constructeurs automobiles Tesla, BMW, ainsi que trois fabricants chinois – SAIC, Geely et BYD – ont déposé des recours devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pour contester les surtaxes douanières imposées sur les voitures électriques importées de Chine, comme l’indique un document publié lundi par la Cour. Selon Politico, l’objectif du recours est d’annuler la loi européenne à l’origine de ces taxes. « Si le tribunal donne raison aux exportateurs, ceux-ci pourraient réclamer un remboursement des pertes subies », rapporte le journal. Adoptés en octobre, ces droits de douane font suite à une enquête anti-subventions menée par Bruxelles et s’ajoutent aux 10 % de droits habituels. Tesla et BMW subissent des taxes respectives de 7,8 % et 20,7 %, tandis que Geely, BYD et SAIC sont frappés par des taux de 18,8 %, 17 % et 35,3 % (BLOCS#34). «Nous prenons acte de ces procédures et sommes prêts à défendre la position de la Commission », a déclaré lundi Olof Gill, porte-parole de l’exécutif européen. La Commission dispose désormais de deux mois et dix jours pour présenter sa défense.
□ « Après avoir retenu l'Union européenne en otage pendant plus d'un mois, Viktor Orbán a renoncé à son veto sur le renouvellement des sanctions contre la Russie, quatre jours avant leur expiration », relatent nos amis de La Matinale Européenne, dans leur dernière édition. Les ministres des Affaires étrangères de l'UE ont en effet prorogé hier pour six mois supplémentaires les mesures restrictives sectorielles adoptées depuis le début de l'invasion de l'Ukraine. Si la Hongrie avait maintenu son veto, les sanctions auraient expiré et, le premier février, Vladimir Poutine aurait pu rapatrier les 200 milliards d’euros d’actifs de la Banque centrale russe qui ont été gelés par l’UE. En contrepartie du retrait de son veto, M. Orbán n’a obtenu qu’une vague déclaration de la Commission de solidarité sur la sécurité énergétique, sans aucun engagement à faire pression sur l'Ukraine pour rouvrir le gazoduc utilisé jusqu'à la fin de l'année pour transporter le gaz russe en Slovaquie et en Hongrie. Une défaite en rase campagne qui pourrait être liée à l’influence de Donald Trump sur le Premier ministre hongrois, analyse La Matinale Européenne, s’appuyant sur des déclarations du ministre polonais des Affaires étrangères, mais aussi sur le fardeau financier qu’aurait fait peser sur les États-Unis le recouvrement des actifs russes. Washington compte en effet sur ces actifs pour rembourser un prêt accordé au G7 pour soutenir l’Ukraine.
□ La directrice générale de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), Ngozi Okonjo-Iweala, a exhorté les membres de l’organisation à faire preuve de retenue face à la perspective de nouveaux droits de douane imposés par Donald Trump. « Il ne faut pas hyperventiler, mais prendre une grande inspiration », a-t-elle déclaré jeudi dernier lors du Forum économique mondial de Davos. Elle a mis en garde contre une escalade commerciale qui pourrait entraîner une chute à deux chiffres du PIB mondial, rappelant les erreurs de l'entre-deux-guerres, lorsque des politiques protectionnistes avaient été mises en œuvre en réaction à une loi tarifaire américaine de 1930, aggravant les tensions économiques mondiales. La responsable de l’OMC a également appelé les États à garder leur sang-froid et à envisager des alternatives en cas de nouveaux tarifs « Nous disons clairement à nos membres qu'il existe d'autres options », a-t-elle insisté, en encourageant les gouvernements à analyser leurs possibilités et à recourir au système de règlement des différends de l'OMC. Cependant, ce mécanisme reste partiellement paralysé depuis fin 2019, après que les vetos successifs de Donald Trump ont empêché la nomination de nouveaux juges, rendant l’Organe d'appel de l'organisation inopérante (BLOCS#12).
Cette édition a été préparée par Clément Solal, Antonia Przybyslawski, Mathieu Solal et Sophie Hus.
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