BLOCS

Chaque semaine, votre condensé d’actualité utile sur le commerce international.

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Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal
26 juin · 5 mn à lire
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Le fret maritime dans le viseur du RN et du NFP

Focus sur la volonté des deux blocs de mettre fin à la niche fiscale dont bénéficient les armateurs, mais aussi sur les craintes américaines sur le règlement européen anti-déforestation importée et les nouvelles sanctions européennes à l'encontre de la Russie

BLOCS#29 Bonjour, nous sommes le mercredi 26 juin et voici le vingt-neuvième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur LinkedIn.


Super-bloc

Désireuses de trouver des financements potentiels pour étayer leurs programmes, les deux forces politiques en tête dans les sondages ciblent les niches fiscales et, notamment, celle accordée au fret maritime. Celui-ci bénéficie en effet depuis 2003 d’une exemption d’impôt sur les sociétés, remplacé par une taxe calculée en fonction du tonnage des marchandises transportées. Le projet de suppression de ce régime dérogatoire n’apporterait toutefois a priori que peu de rentrées fiscales, et ne semble pas dépourvu d’arrières-pensées politiques.

Porte-conteneurs de l’armateur français CMA CGM sur le trajet Rotterdam-Dunkerque © Malte Kopfer / FlickrPorte-conteneurs de l’armateur français CMA CGM sur le trajet Rotterdam-Dunkerque © Malte Kopfer / Flickr

CHASSE AUX NICHES □ Pour financer leurs dispendieuses promesses de campagne, le Rassemblement national (RN) et le Nouveau front populaire (NFP) font la chasse aux niches fiscales, ces régimes dérogatoires accordées dans certains secteurs économiques.

Parmi ces régimes, celui consenti au fret maritime. Depuis 2003, les armateurs peuvent en effet choisir d’être exemptés d’impôt sur les bénéfices, et de s’acquitter à la place d'une taxe de 24 centimes d'euros par tonne de marchandise convoyée.

Une taxation au tonnage mise en place pour soutenir la compétitivité des armateurs français et lutter contre les « pavillons de complaisance » offerts par les paradis fiscaux.

Bilan : une dépense fiscale - c’est à dire un manque à gagner pour l’Etat - qui a atteint 3,8 Md€ en 2022 et 5,6 milliards en 2023, selon la Cour des Comptes. Deux années marquées par une reprise à toute allure du commerce international, qui a permis les superprofits du secteur et, en particulier, du marseillais CGA-CGM, qui affichait en 2022 un bénéfice record de 23,4 milliards d’euros pour un chiffre d’affaires de 70,1 milliards d’euros.

D’où la volonté affirmée par Jordan Bardella dans Le Parisien de supprimer cette niche fiscale, dans le but de soutenir l’abaissement de la TVA à 5,5% sur les énergies et le carburant proposée par le RN. Le même projet est esquissé dans celui du NFP, qui entend « supprimer les niches fiscales inefficaces, injustes et polluantes », et dont les membres ont tenté en vain d’introduire des amendements parlementaires pour ponctionner les superprofits du secteur.

SOMMES MODESTES □ RN et NFP auraient-ils trouvé la poule aux oeufs d’or ? Après étude approfondie des statistiques, il semblerait que non : le manque à gagner devrait, selon Bercy, retomber à 1,1 milliards d’euros en 2024 et pourrait encore baisser par la suite, sauf nouvelle poussée inattendue du commerce international.

La suppression de cette niche fiscale pourrait ainsi rapporter in fine des sommes assez modestes, bien loin des 5 milliards d’euros par an espérés du côté du RN. « Ces chiffres partialement présentés ne tiennent compte que de deux années particulières, affirment ainsi les principaux acteurs du secteur, parmi lesquels deux représentants de syndicats des travailleurs, dans une tribune publiée par le JDD. La vérité est en réalité cent fois moindre : de 2010 à 2020, l’impact budgétaire de cette taxe a été en moyenne de 46,36 M€ pour l’ensemble des 57 armateurs français concernés ».

Pour les armateurs, une suppression de cette niche fiscale n’aurait ainsi que peu d’effet bénéfique pour les finances publiques, mais pourrait néanmoins handicaper les firmes françaises au rôles stratégiques au niveau mondial. Parmi celles-ci, citons Bourbon, leader mondial pour l’offshore pétrolier, CMA CGM, 4ème mondial pour le transport de conteneurs et Louis Dreyfus Armateurs, parmi les leaders dans le domaine de la pose de câbles sous-marins ou le transport de vrac sec.

Alors que la plupart des armateurs mondiaux bénéficient d’une taxation au tonnage, appliquée notamment dans 21 pays de l’UE, la suppression de cette niche fiscale pourrait nuire à la compétitivité des trois leaders français, argumente le secteur. Les leaders français et plus largement européens comme le danois Maersk et l’italo-suisse MSC font en effet face à la fois à la concurrence chinoise de Cosco et à la nécessité d’engager d’importants investissement pour verdir leurs activités.

ARRIÈRE-PENSÉES □ Ces fleurons français cachent par ailleurs « une forêt de sociétés aux comptes d'exploitation moins richement dotés », note le Journal de la Marine marchande. Parmi ces entreprises plus modestes, certaines espéreraient sans doute une modification de la taxation au tonnage, qui les contraint à payer des impôts même quand elles enregistrent des pertes.

Si le système pourrait donc être repensé, comme le suggère notamment le fondateur du think tank Fipeco François Ecalle, cité par Le Figaro, la proposition de suppression pure et simple mise en avant par Jordan Bardella ne paraît ni très utile financièrement, ni dépourvue d’arrière-pensées politique.

En s’attaquant au secteur, le président du RN cible en particulier le milliardaire Rodolphe Saadé, propriétaire de CMA-CGM, proche d’Emmanuel Macron, et rival du chantre de l’union des droites Vincent Bolloré, en particulier dans le secteur des médias.

En partie grâce à ses profits exceptionnels post-Covid, CMA-CGM a en effet racheté La Provence en 2022, La Tribune en 2023 et BFMTV et RMC en mars dernier. M. Saadé a également beaucoup cherché à diversifier son activité en réinvestissant ses gains dans l’intelligence artificielle (BLOCS 25), et en réalisant la plus coûteuse acquisition de son histoire avec… Bolloré Logistics pour 4,8 milliards d’euros.


Blocs-notes

HALTE À L’ANTI-DÉFORESTATION □ La Commission européenne va-t-elle repousser l’entrée en application de l’instrument « anti-déforestation importée », censé interdire à partir de 2025 la commercialisation dans l’UE d’une série de produits (cacao, café, soja, huile de palme, bois, viande bovine, caoutchouc, cuir, ameublement, papier…) s’ils proviennent de terres qui ont été déboisées après 2020 ? C’est en tout cas ce que réclament de nombreuses voix, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Union.

Dernier épisode en date : la Commission européenne a indiqué jeudi 20 juin avoir reçu une lettre de la représentante américaine au Commerce Katherine Tai, et des secrétaires d’État américains au Commerce et à l’Agriculture lui demandant un tel report.

Daté du 30 mai, le courrier souligne « les défis critiques » posés par le règlement européen aux producteurs outre-Atlantique ; Washington pointe en particulier la difficulté pour les entreprises de prouver l’origine des produits via des données de géolocalisation et des photos satellitaires, comme le requiert l’UE.

Les secteurs américains les plus concernés - le bois et le papier - jugent même « impossible » de se conformer aux nouvelles règles. Les récriminations étatsuniennes s’ajoutent à celles, similaires, de partenaires commerciaux sud-américains, africains, et asiatiques ; l’Indonésie et la Malaisie, producteurs d’huile de palme, se sont notamment fait entendre.

La levée de bouclier est aussi interne à l’UE : fin mars, une vingtaine de gouvernements emmenés par l’Autriche ont demandé un report - et/ou un allègement - des nouvelles règles. Ces pays, parmi lesquels figurent la France, l’Italie, la Pologne et la Suède, s’alarment des charges pour leurs propres agriculteurs, éleveurs et exploitants forestiers, auxquels s’appliquent également le règlement.

La Commission n’a pas encore fait connaître ses intentions. En mars, l’institution avait fait un premier pas de côté en reportant la publication d’une classification des partenaires commerciaux de l’UE en fonction du niveau de risque que leurs industries présentaient (BLOCS#15).


GNL SANCTIONNÉ □ L’Union européenne a adopté lundi le quatorzième paquet de sanctions contre la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine il y a bientôt deux ans et demi, et vise pour la toute première fois l’industrie gazière russe.

La mesure phare de ce paquet concerne ainsi l’interdiction de transbordement de gaz naturel liquéfié (GNL) dans l'UE. Concrètement, la Russie pourra continuer à livrer du GNL à destination de l'UE -une condition jugée essentielle par certains pays encore très dépendants de ce gaz-, mais elle ne pourra plus utiliser les ports européens, comme Zeebruges en Belgique et Montoir-de-Bretagne en France, comme relais vers des pays tiers, tels que la Chine, Taïwan et la Turquie.

Des mesures qui pourraient réduire de près de 3,4 milliards d’euros les bénéfices annuels réalisés par le Kremlin dans le secteur du GNL, selon une étude de l'ONG belge Bond Beter Leefmilieu publiée la semaine dernière.

Le paquet comprend également des dispositions de lutte contre le contournement des sanctions.

Pour éviter les réexportations de matériels militaires ou nécessaires au développement des systèmes militaires russes, les acteurs européens qui les vendent à des pays tiers devront mettre en œuvre des mécanismes de diligence raisonnable capables d'identifier et d'évaluer les risques de réexportation vers la Russie et de les atténuer.

Les Vingt-Sept ont par ailleurs ajouté 61 nouvelles entités à la liste de celles qui soutiennent directement le complexe militaire et industriel russe, dont certaines situées dans des pays tiers (Chine, Kazakhstan, Kirghizstan, Turquie et Emirats arabes unis).

Enfin, l’interdiction du transport de marchandises par route sur le territoire de l'UE, y compris en transit, est élargie de manière à couvrir les opérateurs de l'UE dont 25% ou plus sont détenus par une personne physique ou morale russe.


Mini-blocs

Les investisseurs internationaux fuient massivement Israël. Plus de huit mois après le début de la guerre dans la bande de Gaza déclenchée à la suite des attaques terroristes du 7 octobre, les investissements directs à l'étranger ont chuté de 55,8 % durant le premier trimestre de cette année, selon Les Echos. Ils ont à peine dépassé la barre du milliard de dollars alors qu'ils atteignaient une moyenne trimestrielle de 4,8 milliards de dollars durant les quatre années précédentes. « Cette régression est d'autant plus inquiétante qu'elle porte sur des opérations d'implantations durables d'entreprises étrangères sous forme par exemple de création de filiales, de rachats de sociétés en Israël », souligne un responsable du ministère des Finances cité par le quotidien. Cet exode affecte en particulier le secteur de la high-tech, lequel assure à lui seul la moitié des exportations de l'Etat hébreu. Bien que dans une mesure largement moindre, les investisseurs israéliens commencent eux aussi à privilégier d’autres contrées, les Etats-Unis en premier lieu.

Le gouvernement italien a adopté le 20 juin des mesures visant à intensifier l'approvisionnement national et la transformation des matières premières critiques dans le cadre d'une stratégie de l'UE pour concurrencer la Chine sur les technologies vertes. L'Italie posséderait des réserves pour au moins 15 des 34 de ces matières premières, dont le lithium, le plomb, le zinc, le cobalt et le titane et souhaite ainsi simplifier les procédures d’octroi de permis miniers pour les exploiter. Ailleurs en Europe, la Serbie, qui avait renoncé à son projet d’exploitation en 2022 après des manifestations, pense ouvrir sa mine de lithium -dont les réserves couvriraient 17% de la production de véhicules électriques en Europe - en 2028. En France, le gouvernement a annoncé en avril des mesures de « simplification », avec notamment une réduction de moitié des délais d'instruction des permis d'exploration de ressources minières « critiques ».

La situation ne s’apaise pas en mer Rouge où les rebelles houthistes continuent de sévir dans le détroit de Bab El-Mandeb et dans le golfe d’Aden. Le cargo Tutor a sombré ce mercredi 19 juin, une semaine après avoir été touché par un drone naval contrôlé par le groupe armé soutenu par l’Iran, rapporte le site américain spécialisé en affaires moyen-orientales Al-Monito. Il s’agit du deuxième bateau commercial à avoir été coulé, après le Rubymar début mars, avec une cargaison de 21 000 tonnes d'engrais. Les rebelles yémenites « semblent chercher une nouvelle escalade, notent plusieurs spécialistes de la zone, Comme si les frappes américaines l’avaient galvanisé plutôt qu’affaibli », explique Courrier International. Les forces américaines ont annoncé ce dimanche avoir détruit trois navires du groupe sans équipage. Début mai, les houthistes avaient menacé d’étendre leurs opérations à l’océan Indien, pour cibler davantage de bateaux naviguant entre l’Asie et l’Europe.


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Cette édition a été préparée par Antonia Przybyslawski, Clément Solal, Mathieu Solal et Sophie Hus 🥳.

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