Comment l'IA transforme le commerce

Focus sur le commerce dernier cri, mais aussi les divisions au G7, les promesses d'un ALE UE-Indonésie et la position commune Le Maire-Habeck sur l'avenir de l'économie européenne

BLOCS
7 min ⋅ 29/05/2024

BLOCS#25 Bonjour, nous sommes le mercredi 29 mai et voici le vingt-cinquième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur LinkedIn.

LE VENT DE LA CAMPAGNE □ BLOCS s’associe à 100% Europe, une émission politique interactive conçue par Canalchat Grandialogue et animée par notre cofondateur Mathieu Solal, avec l’objectif de remettre l’UE au coeur des élections européennes de juin prochain. Revivez en intégralité les six premiers numéros et suivez l’actualité de l’émission sur LinkedIn et Twitter.


Super-bloc

Optimisation des chaînes d’approvisionnement, chatbots, images 3D des produits… À l’occasion du salon VivaTech, BLOCS vous propose cette semaine un panorama des différentes applications de l’intelligence artificielle dans trois des secteurs principaux du commerce international : le fret, le e-commerce et le développement de voies d’export.

Le stand du groupe CMA CGM, armateur français spécialiste des porte-conteneurs, lors du salon VivaTech 2024 ©CMA CGM Group/ XLe stand du groupe CMA CGM, armateur français spécialiste des porte-conteneurs, lors du salon VivaTech 2024 ©CMA CGM Group/ X

FRET EFFERVESCENT □ Le stand CMA CGM occupait une place de choix au salon VivaTech, le plus grand événement européen sur les nouvelles technologies, qui s’est tenu la semaine dernière, à Paris.

Cela fait en effet des années que Rodolphe Saadé, le PDG du géant du fret maritime marseillais, a décidé de prendre au bond la balle de l’Intelligence artificielle (IA) via des investissements et la formation de ses équipes.

Les trois « fleet centers » (salles de contrôle) de CMA CGM y ont ainsi déjà recours pour permettre aux 641 navires de la flotte à travers le globe d’emprunter les meilleures routes possibles.

Dès 2018, M.​​ Saadé a aussi créé ZEBOX, un incubateur qui a depuis permis de soutenir environ 150 start-up, focalisées, entre autres, sur la logistique.

On trouve parmi celles-ci Searoutes, qui promet « de calculer précisément les émissions issues du fret, [...] de choisir les services et les opérateurs qui émettent le moins [...] et de gérer efficacement votre flotte ou vos conteneurs avec des positions en temps réel ».

« Le monde du logiciel dédié à la chaîne logistique est actuellement en pleine phase d’ouverture à l’IA », résume François-Joseph Mytych, Head of Product chez, Kbrw, un éditeur de logiciel spécialisé dans la transformation digitale des chaînes d’approvisionnements, cité par MagIT

Cette effervescence touche toutes les étapes de la chaîne, avec un maître-mot : « optimiser ». En février dernier, Renault et l'École des Ponts ParisTech, ont ainsi prolongé un partenariat voué à optimiser les trajets des près de 6000 camions transportant la myriade de pièces détachées du constructeur.

FLUIDIFIER LE E-COMMERCE □ L’IA, et, en particulier l’IA générative, touche aussi largement le e-commerce. De nombreuses marques adoptent notamment sa version conversationnelle, capable de créer des dialogues naturels avec les utilisateurs. Une technologie qui permet aux commerçants et distributeurs d’économiser du temps et des ressources, tout en valorisant les gigantesques stocks de données de leurs clients.

En 2023, iAdvize, plateforme conversationnelle française, a ainsi constaté une adoption massive de l’IA générative par des marques comme FNAC, Cdiscount et Decathlon. Le volume de conversations traitées par l’IA a été multiplié par 100 en trois mois, selon un baromètre publié récemment par cette entreprise.

« Ces fenêtres de discussion sont vraiment une nouveauté qui est arrivée avec la vague Chat GPT », analyse le journaliste spécialiste des nouvelles technologies, Jérôme Marin, ancien correspondant du journal Le Monde à San Francisco.

« On ne voit pas encore d’outil parfaitement intégré, mais on comprend bien l’intérêt de poser des questions à un chatbot. Bien sûr, la question de la fiabilité se pose, mais ce genre d’outil peut permettre d’éviter un blocage à l’achat par manque d’informations », poursuit le créateur de la newsletter Cafétech, partenaire de BLOCS au sein du bouquet Footnotes.

L’automatisation des conversations permet ainsi aux marques de répondre à davantage de questions en ligne, en améliorant la vitesse et la qualité des réponses, et de personnaliser les recommandations.

Signe de cette tendance croissante, Google Cloud a dévoilé en début d’année plusieurs outils d’IA générative pour moderniser les achats en ligne.

Par exemple, « si un client cherche une robe pour un mariage, l'agent virtuel peut converser avec lui et lui proposer des options de produits personnalisés selon ses couleurs préférées, le lieu de cérémonie, la météo, les accessoires assortis et le budget », explique un communiqué de Google.

Dans le secteur de la beauté, L'Oréal a dévoilé en janvier son « Beauty Genius », un conseiller beauté personnel. Alors que les consommateurs sont « submergés par le nombre de choix disponibles », la marque mise sur ce moteur d'IA personnalisé pour fournir un diagnostic de peau et permettre de tester virtuellement les produits.

« L’IA est aussi de plus en plus utilisée pour les images, complète Jérôme Marin. Elle est notamment utilisée pour créer des images des produits vendus, et ainsi supprimer les coûts de prise de photos, qui peuvent être assez élevés. C’est notamment très utile pour les marques d’ultra fast fashion, qui peuvent mettre en ligne plusieurs dizaines de milliers de modèles par jour ».

L’EXPORT EN LIGNE DE MIRE □ Logistique, e-commerce, mais aussi export ? C’est le pari du géant chinois Alibaba qui a lancé fin 2023 une suite pilote, nommée Aidge, conçue pour automatiser une partie des opérations commerciales des PME qui se lancent dans l’export.

Concrètement, cet outil couteau suisse contient des solutions qui vont de l'analyse des réactions des clients et de l'extraction d'arguments de vente, jusqu'à la création d'outils marketing et de présentation des produits. Aidge vise aussi le service à la clientèle, à travers des chats multilingues et des chatbots d'assistance à la vente ou de service.

« Il faut prendre ce genre d’annonces pour ce qu’elles sont : de simples annonces, tempère Jérôme Marin. Pour l’heure, on a beaucoup de promesses, mais peu de déploiement à grande échelle. La solution d’Alibaba peut être utile pour la traduction par exemple, mais pourra-t-elle gérer la relation avec une administration d’un pays étranger ? À voir, mais je crois qu’il sera quand même plus fiable d’avoir recours à un avocat ».


Blocs-notes

G7 DIVISÉ □ Les ministres des Finances et les banquiers centraux des pays du G7, réunis les 24 et 25 mai à Stresa, dans le nord de l'Italie, ont exprimé leurs inquiétudes quant à « l’utilisation généralisée par la Chine de politiques et de pratiques non commerciales qui nuisent à nos travailleurs, à nos industries et à notre résilience économique », selon les conclusions publiées à l’issue du sommet.  

Les responsables politiques de l’Allemagne, du Canada, des États-Unis, de la France, de l’Italie, du Royaume-Uni et du Japon craignent que l'afflux de produits chinois subventionnés dans les technologies « vertes » (panneaux solaires, batteries, véhicules électriques) ne paralyse les industries occidentales et n’entraîne des pertes d'emplois ainsi qu’une dépendance accrue à l'égard de la Chine.

Ils ont ainsi convenu de surveiller les effets négatifs de cette surcapacité et « d’envisager de prendre des mesures pour garantir des conditions de concurrence équitables ».

Cependant, malgré cet appel à faire bloc, les sept grandes économies mondiales sont divisées sur la stratégie à adopter.

D’un côté, les États-Unis ont récemment annoncé une hausse de 100 % des droits de douane sur les VE chinois (BLOCS#23), et la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, a exhorté, lors du sommet, à « faire front commun et envoyer un message unifié à la Chine, pour qu'elle comprenne qu'il ne s'agit pas d'un seul pays, mais qu'elle est confrontée à une opposition collective à sa stratégie »

Un message reçu cinq sur cinq par le ministre italien des Finances, Giancarlo Giorgetti, membre du gouvernement atlantiste de Giorgia Meloni, qui a estimé que « les États-Unis ont pris des mesures très fortes et que l'Europe devra probablement les imiter ».

Le son de cloche est néanmoins différent côté français. Bruno Le Maire a ainsi averti ses homologues de l’inutilité d’une « guerre commerciale qui ne serait dans l'intérêt de personne ». L'Allemagne, dont l’économie est très dépendante des exportations et qui aurait beaucoup à perdre d'une escalade des tensions commerciales (BLOCS#24), prône également la prudence.


BRUXELLES-JAKARTA □ La Commission européenne et l’Indonésie, qui négocient depuis 2016 un accord de libre-échange (ALE), veulent conclure les négociations d’ici au mois d’octobre, a appris Borderlex en fin de semaine dernière.

Un tel accord aurait des bénéfices à la fois sur le plan diplomatique, dans la région stratégique de l’Asie du sud-est, et des vertus économiques, selon l’étude d’impact commandée par l’exécutif européen.

Plus précisément, l’Indonésie serait gagnante dans les secteurs du textile, de l’habillement et du cuir, tandis que les Européens trouveraient davantage de débouchés pour les véhicules motorisés et les pièces détachées.

Dans le domaine agricole, les deux parties, « soumises à des climats que tout oppose, ont une production […] aussi différente que complémentaire », souligne le média libéral Contrepoints, qui soutient la conclusion de cet ALE.

Parvenir à un accord sera toutefois tout sauf une formalité pour les deux parties, qui ont accumulé les différends commerciaux ces dernières années.

La politique environnementale européenne - et en particulier le nouveau règlement s’attaquant à la déforestation importée (BLOCS#15) - est ainsi dans le viseur du gouvernement indonésien, tandis que les restrictions sur le nickel mises en place par Jakarta ont fait l’objet d’une plainte de l’UE à l’OMC.


Mini-blocs

Le ministre de l’Économie français et son homologue allemand ont publié le 23 mai une initiative commune afin de « stimuler la croissance » de l’UE pour les cinq prochaines années. Partant du principe que le bloc européen doit relancer sa compétitivité, Bruno Le Maire et Robert Habeck soulignent le besoin d’investissements « massifs » dans la transition climatique (620 milliards d’euros par an) et numérique (125 milliards d’euros par an) pour ne pas décrocher face aux États-Unis et à la Chine. Ils appellent ainsi à s’appuyer sur les financements privés, mais reconnaissent aussi la nécessité d’augmenter les financements publics, alors que Washington et Pékin subventionnent lourdement leurs industries vertes. En outre, les deux ministres estiment que la politique commerciale de l’UE doit être « modernisée », afin de prendre en compte les enjeux géostratégiques pour sécuriser les chaines d’approvisionnement. Enfin, M. Le Maire et M. Habeck appellent à utiliser les instruments de défense commerciale de l’UE, « si nécessaire, pour lutter efficacement contre les pratiques déloyales ou abusives ». Cette position forte adoptée par le ministre de l’économie allemand issu des Verts semble toutefois bien éloignée de celle de son homologue aux Finances, le libéral Christian Lindner (BLOCS#24).

« Il faut dire à nos alliés israéliens que si ils continuent sur cette voie, nous allons suspendre les accords économiques que nous avons avec eux. De même qu’il faut dire à l’autorité palestinienne que si elle ne s’engage pas de bonne foi dans des négociations, l’argent que nous lui versons doit être suspendu » , a estimé Bernard Guetta au cours de l’émission 100% Europe, vendredi 17 mai. L’eurodéputé, qui figure en deuxième place sur la liste macroniste Besoin d’Europe, a ainsi partiellement rejoint la position du Premier ministre belge Alexander De Croo, qui réclame depuis début mai la prise de mesures commerciales contre Israël. Peu évoquée pour l’heure, la possibilité de sanctions commerciales européennes dans le cadre du conflit Israël-Hamas, pourrait bien surgir, dans le contexte de l’offensive israélienne sur Rafah.

Dans son essai Pesticides, un colonialisme chimique publié le 15 février aux éditions Anacaona, la géographe brésilienne Larissa Mies Bombardi questionne l’attitude de l’UE par rapport aux pesticides. Faisant figure d’espace le plus restrictif en la matière, l’Union est paradoxalement le premier exportateur de ces substances utilisées dans l’agriculture. Une bonne partie de ces produits exportés par les entreprises européennes ne sont pas conformes à la règlementation de l’UE, ce qui ne les empêche pas d’être utilisés dans la production de légumes qui sont ensuite exportés puis consommés en Europe. Un « effet boomerang » aux conséquences sanitaires désastreuses, selon l’autrice, qui voit donc dans ce processus une forme de « colonialisme chimique ». « D’un côté, de grandes industries du Nord global produisent des agrotoxiques interdits dans leurs propres pays. De l’autre, une grande oligarchie qui contrôle les terres dans les pays du Sud global les leur achète » explique la Brésilienne, menacée de mort dans son pays à cause de ses travaux.

Dans une tribune publiée par Borderlex, David Henig, directeur du UK Trade Policy Project au sein du groupe de réflexion European Centre for International Political Economy (ECIPE), enjoint les libéraux à « encourager des alternatives aux accords de libre-échange » (ALE). Constatant à la fois les difficultés politiques de plus en plus nombreuses à conclure de nouveaux ALE et la plus value souvent marginale de ces accords pour les économies, le chercheur plaide notamment pour la multiplication d’instances de discussion comme le conseil UE-États-Unis du commerce et des technologies, ou encore la modernisation d’ALE déjà existants, comme celui avec le Chili.


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Cette édition a été préparée par Antonia Przybyslawski, Clément Solal, Mathieu Solal, Juliette Verdes et Sophie Hus.

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Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal

BLOCS a été conçu à l’automne 2023 par une équipe de trois journalistes français forts d'une expérience de plusieurs années de correspondance à Bruxelles pour les plus grands titres de la presse écrite - l’Opinion, Le Parisien, Le Figaro ou encore l’Agefi.

Spécialistes de la politique européenne, experts des sujets commerce et de leur dimension géopolitique, Clément Solal, Antonia Przybyslawski et Mathieu Solal sont aussi les rédacteurs de ce qui constitue leur premier projet éditorial autonome. Ils disposent tous trois d’un appétit pour les informations croustillantes, les faits et la nuance.

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