BLOCS

Chaque semaine, votre condensé d’actualité utile sur le commerce international.

image_author_Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal_null
Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal
22 mai · 5 mn à lire
Partager cet article :

L'Allemagne, une puissance commerciale en péril

Focus sur la chute de compétitivité outre-Rhin, mais aussi sur les espoirs de réforme de l'organe d'appel de l'OMC, la crise du nickel en Nouvelle-Calédonie, et l'engouement mondial autour du cuivre

BLOCS#24 Bonjour, nous sommes le mercredi 22 mai et voici le vingt-quatrième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur LinkedIn.

LE VENT DE LA CAMPAGNE □ BLOCS s’associe à 100% Europe, une émission politique interactive conçue par Canalchat Grandialogue et animée par notre cofondateur Mathieu Solal, avec l’objectif de remettre l’UE au coeur des élections européennes de juin prochain. Revivez en intégralité les six premiers numéros et suivez l’actualité de l’émission sur LinkedIn et Twitter.


Super-bloc

La locomotive allemande est à la remorque. Telle est la conclusion qui peut être tirée des dernières prévisions économiques de la Commission européenne, publiées mercredi dernier. Cette semaine, BLOCS se penche sur les causes de ces difficultés économiques, et sur leurs conséquences en matière de commerce et d’investissement, déjà bien palpables.

 Le chancelier allemand Olaf Scholz le vendredi 14 juillet 2023 à Berlin. © Bernhard Ludewig Le chancelier allemand Olaf Scholz le vendredi 14 juillet 2023 à Berlin. © Bernhard Ludewig

DÉCROCHAGE □ Les prévisions publiées mercredi par la Commission en disent long. Après un recul de 0,3 % en 2023, le PIB de l’Allemagne devrait seulement croître de 0,1 % en 2024, avant d’accélérer à 1 % en 2025. Des résultats qui devraient plomber la reprise économique de la zone euro, que la Commission évalue à 0,8% cette année et 1,4% l’an prochain.

Pour Pascal Thibaut, correspondant de Radio France Internationale en Allemagne, ces difficultés sont principalement liées à « un facteur extérieur conjoncturel massif : la fin de l’approvisionnement en gaz russe bon marché, qui représentait jusque-là l’un des piliers de l’économie allemande ».

Conséquence : une situation « inquiétante », en particulier pour « les industries énergivores », selon Marie Krpata, chercheuse au Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’Institut français des relations internationales (IFRI).

« La production de l’industrie automobile a été réduite de 14%, celle du secteur chimique de 20%, note la chercheuse. La baisse de compétitivité allemande est aussi liée à l’attraction créée parallèlement par les Etats-unis avec l’Inflation reduction act ».

Ce paquet de 400 milliards de dollars en faveur du climat et de la santé adopté en 2022, avec d’énormes subventions pour l’industrie américaine, commence en effet à attirer les investissements étrangers vers les Etats-Unis, au détriment de l’Allemagne. La croissance américaine devrait ainsi atteindre 2,1% cette année, selon les prévisions du FMI, confirmant les craintes d’un décrochage de l’UE.

LA FRANCE PRISÉE □ Les entreprises allemandes choisissent aussi de s’installer dans des pays de l’UE. Exemple édifiant : le fabricant d’articles électroménager de luxe Miele, qui a récemment annoncé une délocalisation de grande ampleur en Pologne, avec une perte de 2700 emplois à la clé.

D’autres grands groupes comme Bosch, ZF ou Continental, ont fait des annonces similaires, provoquant la crainte dans le tissu des PME industrielles dont l’activité dépend de ce genre de mastodontes outre-Rhin.

D’autres, encore, optent pour la France, à l’instar du groupe d’installation électrique Hager qui va y investir plusieurs dizaines de millions d’euros, et salue le dynamisme de l’Hexagone en faveur de la réindustrialisation. L’Allemagne occupe ainsi la deuxième place derrière les Etats-Unis au classement des investisseurs étrangers en France.

À ces facteurs alarmants s’ajoute « une économie chinoise moins dynamique que dans le passé, ce qui nuit à l’industrie allemande, qui y exporte beaucoup », explique Pascal Thibaut, créateur de la newletter Lettre d’Allemagne (partenaire de Blocs au sein du média Footnotes). La relation entre les deux pays est ainsi toujours plus complexe (BLOCS#20).

DOSSIER CHINOIS □ Face à ces difficultés, le gouvernement mené par le social-démocrate Olaf Scholz ne trouve pas de réponses à la hauteur. Sur le dossier chinois, par exemple, la coalition qui mêle sociaux-démocrates, Verts et libéraux, peine à mettre en œuvre la stratégie de de-risking adoptée il y a presque un an.

« On a pu lire récemment le PDG de Mercedes, Ola Kaellenius, expliquer dans une interview au média officiel China Daily que pour lui, le de-risking signifie encore plus d’investissements en Chine, explique Marie Krpata. Il y a un profond hiatus entre ce que fait l’industrie et ce qu’essaient de mettre en place les politiques ».

Si la stratégie de diversification se développe à petit pas, l’Allemagne semble réticente à aller jusqu’à sanctionner la Chine pour sa surproduction, notamment dans le secteur des véhicules électriques.

« J'aimerais souligner qu'actuellement, au moins 50 % des importations de véhicules électriques en provenance de Chine sont le fait de marques occidentales qui les produisent elles-mêmes et les importent en Europe » a notamment pointé Olaf Scholz la semaine dernière.

La Commission européenne, qui mène plusieurs enquêtes sur les surproductions chinoises, ne devrait ainsi pas recevoir beaucoup de soutien de Berlin.

UNE COALITION TIRAILLÉE □ « L’Allemagne pourra difficilement rejeter les éventuelles sanctions prises par Bruxelles, mais elle va sans doute les soutenir du bout des lèvres », pronostique Pascal Thibaut.

Tiraillée entre ses trois composantes, la coalition allemande peine à défendre des positions claires au niveau européen, où le projet de riposte à l’IRA américain a avorté, faute de moyens.

Des moyens, l’Allemagne, n’en trouve pas au niveau national, bridée par son frein à la dette, dont une réforme est envisagée. « Un tel assouplissement semble irréaliste à court-terme, dans la mesure où les libéraux n’en veulent pas, analyse Pascal Thibaut. Mais cela finira forcément par changer, car c’est un frein pour l’avenir ».

De là à croire que « l’homme malade de l’Europe », comme l’a baptisée The Economist l’été dernier, peut vraiment péricliter ? « La situation est sérieuse, confirme Pascal Thibaut. En même temps, on a vu d’autres chroniques nécrologiques sur le made in Germany par le passé, et l’Allemagne a prouvé qu’elle pouvait se reprendre ».


Blocs-notes

L’ORGANE D’APPEL DE L’OMC RESSUSCITÉ ? □ « Terminons la réforme, afin que chacun des membres puisse se l'approprier. Cela signifie que nous devons nous écouter les uns les autres et penser à l'intérêt général. Je suis très optimiste », a lancé la directrice générale de l’OMC, Ngozi Okonjo-Iweala, mardi 14 mai lors d’une réunion avec les 166 chefs de délégation de l’institution de Genève.

La réforme évoquée par la Nigériane est celle de l’Organe de règlement des différends (ORD), institué en même temps que l’OMC en 1995, et chargé de juger les litiges commerciaux entre les États membres.

Depuis 2019, ce mécanisme est inopérant, les États-Unis de Donald Trump ayant bloqué la nomination des nouveaux juges pour l’organe d'appel qui statue en dernier ressort. Washington reproche notamment à l’ORD d’aller au-delà de l’interprétation des règles internationales de commerce, et d’avoir adopté une approche jurisprudentielle, susceptible de créer de nouvelles obligations pour les États membres (BLOCS#12).

Pour sortir de cette impasse, les États membres de l’OMC se sont engagés en 2022 à réformer l’ORD d'ici fin 2024. À partir du 30 mai, les membres se réuniront chaque mois, tant au niveau technique qu'au niveau des chefs de délégation, pour avancer sur cette laborieuse réforme.

« Je dois dire qu'à travers les consultations, un élément commun a été le sentiment d'urgence d'achever les travaux d'ici 2024, et plus tôt si possible », a, pour sa part, assuré l'ambassadrice de Maurice à l'OMC, Usha Chandnee Dwarka-Canabady, nommée en avril dernier pour diriger les discussions sur la réforme.

Si aucun accord n'est trouvé d’ici novembre, les États membres prennent le risque d’une nouvelle élection de Donald Trump, grand pourfendeur du multilatéralisme, ce qui refroidirait les espoirs de réforme.


L’AUTRE CRISE SUR LE CAILLOU □ La crise politique en Nouvelle-Calédonie a mis un coup d’arrêt à la production de nickel, industrie clé déjà en proie à de lourdes difficultés depuis plusieurs mois.

Notamment utilisé dans la fabrication des batteries de véhicules électriques, ou, plus encore dans les aciers inoxydables, le nickel est l’un des « matériaux critiques » listés par la Commission européenne. Il est tout aussi stratégique pour l’archipel : mais la filière représentant près d’un quart des emplois néo-calédoniens est donc au bord de la faillite.

Les producteurs du Caillou ont subi une forte augmentation des coûts de l’énergie dans ce secteur très carboné. Ils ont de surcroit souffert d’un manque de compétitivité face à la production indonésienne à bas coût qui a inondé le marché mondial en 2023.

« L’essentiel des difficultés se concentre sur la partie de traitement local, donc sur les usines […]. Les trois entreprises qui ont des activités métallurgiques sur le territoire sont en déficit », expliquait le ministre de l’économie Bruno Le Maire dans La Tribune en septembre dernier.

Ainsi, l’usine de production Koniambo Nickel SAS affichait ainsi une dette de 13,7 milliards d'euros fin 2023.

Le gouvernement a proposé en début d’année un plan de sauvetage, dénommé « Pacte Nickel ». Ce dernier prévoit de subventionner les prix de l’énergie à hauteur de 200 millions d’euros et de faciliter les exportations de minerais bruts qui faisaient jusqu’alors l’objet de restrictions.

Un Pacte accueilli froidement par les autorités calédoniennes et qui attise les tensions politiques : la transformation du nickel sur le territoire constitue en effet une source de revenus très importante pour les collectivités locales.

Le Congrès calédonien déplore également une contribution de 66 millions d'euros demandée aux provinces, qu'il juge trop élevée, rapporte Les Echos.


Mini-blocs

Le prix du cuivre a atteint un nouveau record historique en franchissant lundi 20 mai la barre des 11 104 dollars la tonne à la Bourse des métaux de Londres. Depuis début février, le cours du métal rouge a ainsi gagné environ 25 %. Un phénomène dû à une ruée des investisseurs qui anticipent des pénuries d'approvisionnement de ce métal essentiel pour la transition énergétique. De fait, selon un rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) paru le 17 mai, le cuivre, dont la demande devrait tripler d’ici 2040 est, aux côtés du lithium, le métal le plus à risque de pénurie. Ses propriétés lui valent d’être utilisé dans les batteries pour véhicules électriques, le solaire photovoltaïque, les éoliennes et les réseaux électriques. Le métal suscite dès lors les convoitises. Le géant anglo-australien BHP a récemment fait une offre de 43 milliards de dollars pour racheter son concurrent britannique Anglo American. Selon Les Échos, « le groupe est avant tout intéressé par les mines de cuivre en Amérique latine d'Anglo. Si l'opération aboutit, il deviendra le premier producteur mondial avec 10 % du marché ».

84% des exportateurs français envisageraient cette année une hausse de leurs revenus à l’export, selon une étude publiée par Allianz Trade le 14 mai. La « Global Survey 2024 », qui a sondé plus de 3000 entreprises exportatrices dans huit pays - dont les Etats-Unis et la Chine - révèle également que les acteurs hexagonaux sont les plus optimistes (à 65 %) quant au potentiel de l’IA sur leur productivité. En revanche, devant le risque de non-paiement, les tensions géopolitiques sont globalement le premier sujet d’inquiétude. En même temps, si 53% des entreprises envisagent de relocaliser une partie de leurs chaînes de production - typiquement de la Chine vers des pays comme le Vietnam, l'Inde et le Mexique - elles sont peu nombreuses à franchir le pas : les obstacles sont importants et leur dépendance à la Chine reste une réalité. Ainsi, seules un peu plus d’un tiers des entreprises prévoient d'accroître leur présence en Chine et seulement 11% de la réduire.

Dans une note publiée le 16 mai, le groupe de réflexion bruxellois Bruegel analyse les différentes approches des États-Unis et de l'Europe face à l'afflux des voitures électriques (VE) chinoises sur le marché mondial. Tandis que l’administration Biden a annoncé un doublement des droits de douane sur les VE chinois (BLOCS#24), l’UE travaille à la constitution d’un dossier pour l'application de droits de douane punitifs conformément aux règles de l'OMC. « L'objectif de l'UE devrait être de parvenir à une neutralité concurrentielle dans le secteur des VE, en renforçant et en n'empêchant pas une concurrence loyale qui favorisera la croissance de la productivité et l'innovation », explique Uri Dadush, auteur de l’analyse. Selon le chercheur, le bloc européen devrait également défendre les intérêts des exportateurs et des constructeurs automobiles de l'UE en Chine.


BLOCS fait partie de Footnotes, le média qui rassemble les newsletters d’un monde complexe. Une douzaine d’experts vous éclairent chaque semaine sur leurs thématiques de prédilection.

Découvrez tous nos contenus ici et suivez-nous sur LinkedIn.

Vous pouvez vous abonner directement à nos newsletters :  What’s up EULettre d’AllemagneCafétechLudonomics, et Hexagone.


Cette édition a été préparée par Antonia Przybyslawski, Clément Solal, Mathieu Solal, Juliette Verdes et Sophie Hus.

Une remarque ? Une critique ? Ou qui sait, un compliment ? N’hésitez-pas à nous écrire.