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Chaque semaine, votre condensé d’actualité utile sur le commerce international.

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Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal
21 févr. · 5 mn à lire
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OMC : le blocage à tous les étages

Focus sur le gendarme impuissant du commerce mondial, mais aussi sur l'économie russe, le nouveau chapitre indonésien et l'industrie de la défense

BLOCS#12 Bonjour, nous sommes le mercredi 21 février et voici le douzième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur LinkedIn.


BLOCS PASSE À L’IMAGE ! □ Nous sommes heureux de vous annoncer le lancement de 100% Europe, une émission politique interactive présentée par notre co-fondateur, Mathieu Solal, avec l’objectif de remettre l’UE au coeur de la campagne des élections européennes de juin prochain. 

BLOCS s’associe à la première de cette émission, prévue ce vendredi à 11h, et qui sera centrée sur le commerce international, avec notamment la participation de l’eurodéputée MoDem Marie-Pierre Vedrenne. Posez-lui vos questions dès maintenant, découvrez les autres invités et regardez l’émission en direct vendredi en cliquant ici.


Super-bloc

À la veille de sa 13ème conférence ministérielle, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) apparaît en piteux état. Victime d’un monde de plus en plus protectionniste et conflictuel, cette institution genevoise autrefois vectrice du développement du libre-échange et dont les règles continuent de régir 75% du commerce international, peine à se réinventer. Explications.

Ngozi Okonjo-Iweala, directrice générale de l'OMC ©OMC/Bryan LehmannNgozi Okonjo-Iweala, directrice générale de l'OMC ©OMC/Bryan Lehmann

MOROSITÉ □ Les ministres des 164 États membres de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) se réunissent à Abou Dhabi (Émirats arabes unis), du 26 au 29 février, pour la 13ème conférence ministérielle de l’institution.

À l'approche de cette réunion biennale, Keith Rockwell, ancien porte-parole de l’organisation internationale sise à Genève, décrit l'atmosphère dans un article publié le 6 février par la Fondation Hinrich. « Une aura de morosité aussi sombre et décourageante qu’un nuage hivernal au-dessus du lac Léman enveloppe le siège de l'OMC », écrit-il.

Successeur de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) de 1947, l’OMC, née en 1995, se retrouve en effet plongée dans une crise profonde, en dépit du rôle majeur qu’elle a joué dans l'expansion du commerce international, via la réduction des barrières douanières et la convergence des normes.

Les sujets inscrits à l'ordre du jour de la réunion de la semaine prochaine, censés réformer et moderniser l’institution de Genève, suscitent ainsi peu d'espoir d'accord, tant les divergences sont fortes.

Sur les subventions internes dans le secteur agricole, l’Inde menace notamment de bloquer tous les points à l'ordre du jour si sa demande controversée de constituer des stocks de riz à des prix supérieurs au marché n'est pas acceptée.

Concernant la réduction des subventions à la pêche, New Delhi - encore une fois - réclame une flexibilité maximale pour que les pays en voie de développement puissent encore en bénéficier, et demande un abandon de ces subventions pour les pays développés.

La décision de prolonger une interdiction vieille de 25 ans des droits de douane sur les transmissions de données dans le domaine du commerce électronique est également remise en question par l’Inde, l’Indonésie, le Pakistan et l’Afrique du Sud.

INADÉQUATION □ Ces blocages pourraient bien accoucher d’une réunion totalement stérile. Un échec qui viendrait confirmer l’inadéquation entre le mode de prise de décision par consensus des 164 États membres et le contexte international contemporain, de plus en plus conflictuel et protectionniste. En cause, notamment, l’agressivité et la concurrence déloyale de la Chine, dont l’adhésion à l’organisation en 2001 avait pourtant suscité des espoirs de paix et de prospérité - depuis longtemps envolés.

À la crise de la fonction législative de l’OMC s’ajoute celle de sa fonction judiciaire.

Chargée de la mise en œuvre et du suivi des différends accords commerciaux adoptés par ses États membres, l’OMC détient en principe le rôle d’arbitre sur le règlement des différends.

Depuis 2019, ce rôle est néanmoins amoindri, les États-Unis bloquant la nomination d’un nouveau juge pour l’Organe d'appel qui statue en dernier ressort. Washington reproche avant tout à l’organe d’appel d’outrepasser ses pouvoirs dans ses décisions quand il interprète les accords de l’OMC, et d’appliquer une logique jurisprudentielle.

« Pour les États-Unis, cette chambre doit se contenter de vérifier la cohérence de la décision prise par les experts du premier échelon, l’Organe de règlement des différends, qui se basent sur les textes de l’OMC, et laisser aux États le soin de combler les lacunes des accords d’origine dans le cadre de négociations », résume l’Agefi.

En clair, les États membres de l’OMC peuvent toujours déposer des plaintes auprès de l’instance inférieure, mais s'ils n'acceptent pas ses conclusions, l'affaire se retrouve dans les limbes. Pas moins de 30 contentieux sont aujourd’hui dans ce cas.

LUEURS D’ESPOIR □ Si une discussion entre ministres est prévue la semaine prochaine à Abou Dhabi, aucun déblocage n’est attendu avant l’élection présidentielle américaine prévue en novembre. Et si celle-ci venait à tourner en faveur du « Tariff Man » Donald Trump (BLOCS#8), grand pourfendeur du multilatéralisme, l’OMC pourrait définitivement s’effondrer.

Quelques lueurs d’espoir viennent toutefois éclaircir le chemin de l’organisation genevoise, laquelle demeure un important forum de discussion, réunissant de manière permanente des représentants de ses États membres, et dont les règles régissent 75 % du commerce mondial.

Après des mois de tergiversations, les membres de l’organisation ont notamment réussi à se mettre d’accord en février 2021 pour élire à la tête de l’OMC l’énergique économiste nigériane Ngozi Okonjo-Iweala.

La directrice-générale prend ainsi des initiatives pour le verdissement du commerce international (BLOCS#2), et défend bec et ongles l’organisation qu’elle dirige.

« L’OMC c’est comme l’air que l’on respire. Vous le prenez pour acquis parce que vous ne le voyez pas tous les jours », a-t-elle récemment lancé à la presse, dans une tentative assez laborieuse de faire taire les critiques.


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Blocs-notes

PERFORMANCE INATTENDUE □ Charbon, pétrole, semi-conducteurs, caviar, ciment, diamants … Depuis l’invasion de l’Ukraine, des sanctions occidentales d’une intensité inédite ont ciblé une multitude de secteurs de l'économie russe. Et pourtant, en 2023, celle-ci a affiché une insolente croissance d’environ 3% du PIB. Doit-on pour autant conclure à l’inefficacité des sanctions ?

Pas si vite. Cette performance inattendue repose sur une transition vers une économie de guerre, modèle a priori pas viable dans la durée. En Russie, 30% des dépenses publiques sont désormais consacrées à l'armée. Largement réorientée, l’industrie russe a le vent en poupe, mais risque d’hypothéquer son avenir.

Les sanctions doivent ainsi être évaluées au regard de leur objectif initial: peser à long terme sur la capacité de la Russie à mener son effort de guerre. En frappant ses exportations de matières premières, les occidentaux ont en partie asséché la manne utilisée par Moscou pour financer son armée.

Dans quelle mesure ? La Russie ne publie plus de chiffres. Une partie de ses ventes d’hydrocarbures est en tout cas redirigée vers la Chine, l’Inde ou l’Arabie saoudite, alors qu'une « flotte fantôme » permet au pays de contourner certaines sanctions.

Mais le coup le plus rude est probablement l’interdiction d’importer d’Occident des centaines de bien technologiques, souvent « à double usage » civil et militaire. Radiocommunication, hélicoptères, composants d’avions, semi-conducteurs … Ici aussi, Pékin compense, mais très partiellement. Le développement industriel du pays s’écrit ainsi en pointillés.


RECETTE INDONÉSIENNE □ Après les deux mandats de cinq ans du président Joko Widodo qui ont fait de l’Indonésie la première puissance économique d’Asie du Sud, le pays a ouvert un nouveau chapitre de son histoire ce 14 février.

L’archipel de 280 millions d’habitants a élu à sa tête Prabowo Subianto, un ex-ministre dont le passé controversé de général au service de la brutale dictature de Soeharto - laquelle a pris fin en 1998 - inquiète la société civile. Des suspicions de fraude planent en outre sur le scrutin.

La période qui débute est donc décisive pour la démocratie du plus grand pays de l’ASEAN, mais aussi pour son économie.

Jusqu’ici, le décollage économique indonésien a été principalement permis par l’exploitation des minerais stratégiques de la transition écologique, dont le sous-sol du pays regorge. Celui-ci comporte en particulier les premières réserves mondiales de nickel, métal nécessaire aux batteries électriques.

Pour capitaliser sur cette manne, l’Indonésie a eu le flair d’interdire, à partir de 2014, les exportations de minerai brut. Résultat: tous les géants de la filière ont été contraints de s’y installer pour le raffiner ou le transformer. Plus généralement, les investissements étrangers ont explosé.

Le nouveau Président se retrouve désormais face au défi de la « montée en gamme », relève Les Echos. L’économie est en effet encore peu digitalisée, sa base industrielle limitée, et la dépendance aux produits manufacturiers chinois toujours forte.

Jakarta n’est pas pour autant vassale de Pékin. « L’Indonésie est un cas d’école fascinant de la capacité d’un grand pays asiatique à ne pas choisir un camp dans la guerre froide sino-américaine, explique l’éditorialiste Pierre Haski sur France Inter. Cet équilibre sera-t-il préservé [à l’avenir] ? ».


Mini-blocs

« Dépenser plus, dépenser mieux, acheter européen ». C’est par ce triptyque qu’Ursula von der Leyen entend placer la politique industrielle de défense au cœur d’un éventuel second mandat à la tête de la Commission européenne. Dès mars, son commissaire Thierry Breton devrait d’ailleurs présenter un nouveau plan industriel. Selon Les Echos, il devrait notamment proposer d’établir un catalogue des équipements européens disponibles, voire une centrale d'achat. Les doutes sur la fiabilité de l’allié américain, récemment alimentés par les déclarations du candidat Donald Trump, ont accéléré ce mouvement de fond. Pour autant, les Européens dégageront-ils suffisamment d’argent commun ? Et ces investissements donneront-ils préférence à l’industrie européenne, alors même que les Etats-Unis fournissent environ 80% de son matériel militaire à l’Europe ?

La Commission européenne a ouvert vendredi sa première enquête approfondie dans le cadre du règlement sur les subventions étrangères. Elle vise une filiale du fabricant public de trains chinois CRRC dans le cadre d’un marché public en Bulgarie. Un moment politique important qu’analyse la newsletter What’s up EU.

L'UE a lancé le 24 janvier une alliance des ports européens contre le trafic de drogue. Le 13/14 de France Inter revient sur cette initiative (à partir de la 32ème minute de l’émission).

Un rapport du Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) met en lumière le manque de cohérence entre les accords de libre-échange ainsi que les règles de l'OMC avec le Pacte Vert européen.



Cette édition a été préparée par Clément Solal, Antonia Przybyslawski, Mathieu Solal et Sophie Hus.

Une remarque ? Une critique ? Ou qui sait, un compliment ? N’hésitez-pas à nous écrire.