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Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal
18 déc. · 7 mn à lire
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E-commerce : le casse-tête chinois de l'Europe

Focus sur les plateformes de e-commerce chinoises... □ Le détail de l'accord UE-Mercosur □ Les États-Unis, El Dorado des investisseurs européens □ Le Royaume-Uni rejoint le TTP

BLOCS#43 Bonjour, nous sommes le mercredi 18 décembre et voici le quarante-troisième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous sur LinkedIn.

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DEUTSCHE QUALITÄT BLOCS vous recommande chaudement la newsletter de Pascal Thibaut sur l’Allemagne. Notre collègue est installé depuis la réunification à Berlin où il travaille comme correspondant de Radio France Internationale. Sa lettre d’information vous permettra d’être au courant de l’actualité diverse du principal partenaire de la France.


Super-bloc

L’essor des géants chinois du e-commerce, tels que Shein, Temu et AliExpress suscite une inquiétude croissante en Europe. Ces plateformes, qui inondent le marché de produits à prix cassés, ignorent souvent les normes européennes, créant des dangers pour les consommateurs et une concurrence déloyale pour les acteurs européens. Cependant, les mesures envisagées par l’exécutif européen pour y remédier soulèvent des résistances et révèlent les failles d’un système douanier déjà sous pression.

Colis Temu empilés © Julien Leiv - stock.adobe.com

INQUIÉTUDE EUROPÉENNE □ Shein, Temu, AliExpress … L’inquiétude n’en finit pas de monter en Europe face au succès foudroyant du e-commerce chinois. Sur le Vieux continent, ces plateformes en plein essor vendent par millions des produits de grande consommation de toutes sortse (vêtements, cosmétiques, ustensiles de cuisine, appareils high-tech, jouets, etc) à des prix défiant toute concurrence.

Et, le plus souvent, sans respecter les normes européennes en matière de sécurité et de qualité. Ce serait le cas de 70% des marchandises importées de l’étranger via des plateformes de commerce en ligne, selon les estimations de la Commission européenne.

Un phénomène qui, à l’approche de Noël, est d’autant moins rassurant. En 2023, le nombre de produits dangereux signalés par les douanes a doublé, les premiers concernés étant les jouets, les produits cosmétiques, les appareils électriques et les vêtements.

Entre la propension des géants chinois à faire fi des normes, leurs « pratiques marketing agressives », ou les généreuses aides d’État dont ils bénéficient, Shein, Temu et consort incarnent une « concurrence déloyale » pour les entreprises européennes du commerce en ligne, ne cesse d’alerter EuroCommerce, l’association représentant les intérêts du commerce de détail et de gros en Europe.

Ainsi, les 500 plus grands acteurs du commerce européens (tels qu’Ikea, H&M, Zalando, Décathlon …) ont vu leurs ventes transfrontalières chuter de 18 % rien qu’en 2023, sans parler des conséquences sur les commerçants locaux.

EXEMPTION DANS LE VISEUR □ Des Etats-Unis, qui croulent sous le même raz-de-marée, à l’Asie du Sud-Est (BLOCS#38), une série de pays ont commencé à sévir à l’encontre du e-commerce chinois.

Mais que fait l’Europe ? Fin septembre, dix Etats membres de l’Union, dont la France et l'Allemagne, avaient appelé dans une lettre la Commission européenne à adopter une ligne dure face aux « risques de préjudices pour les consommateurs et de concurrence déloyale ».

La réponse la plus évidente est en fait déjà dans les tuyaux : il s’agirait de supprimer l’exemption de frais de douane pour les colis de moins de 150 euros, qui implique aussi que la plupart de ces produits sont exonérés de contrôle aux frontières. Une telle mesure, vers laquelle s’oriente aussi Washington, a été mise sur la table par l’exécutif de l’UE dès mai 2023 au sein de sa grande proposition de réforme des douanes européennes (BLOCS#42).

Ce changement paraît d’autant plus nécessaire qu’« environ 65 % des colis entrant dans l'UE seraient délibérément sous-évalués dans leur déclaration de douane afin de bénéficier de cette exonération », expliquait alors la Commission. Et ce, « au détriment des entreprises de l'UE, en particulier des PME, qui ont du mal à tenir la concurrence face à des prix de vente ainsi réduits ».

TÂCHE HERCULÉENNE □ Salutaire sur le papier, cette mesure pose en pratique une série de problèmes. Proposée au nom de la juste concurrence, elle suscite des résistances parmi ces mêmes acteurs qu’elle est censée protéger. Car les nouveaux droits de douanes viseraient aussi les revendeurs européens important leurs produits de l’étranger.

En outre, supprimer cette exemption aurait toutes les chances de surcharger des services de douanes déjà débordés. L’aéroport Schiphol d’Amsterdam et le port de Rotterdam traitent ensemble 3,5 millions de colis par jour, soit 40 par seconde. Or, l’année dernière, ce sont 2,3 milliards d'articles en dessous du seuil de franchise de 150 euros qui ont été importés dans l'UE, selon la Commission.

Dans son projet législatif, la Commission avait proposé une « méthode simplifiée » pour calculer les droits de douane en fonction des types de produits (jouets, vêtements, accessoires, etc.). Il n’empêche qu’effectuer autant de contrôles s’apparenterait à une tâche herculéenne. Et le projet de centralisation des données douanières pour cibler les produits suspects, qui pourrait être soutenu par l’IA, ne semble pas près de voir le jour.

L’UE est-elle dès lors en train de faire machine arrière ? « Nos propositions sont en cours de négociation au Conseil de l’UE [l’institution réunissant les Etats membres] », esquive-t-on au sein de la Commission.

ALTERNATIVES À L’ÉTUDE □ Signe que l’idée n’est pas si consensuelle parmi les Vingt-Sept, l’exécutif de l’UE a commencé à plancher sur des alternatives. Deux mesures seraient ainsi à l’étude, selon le Financial Times : l’introduction de frais administratifs additionnels sur la manutention des marchandises en question, et une nouvelle taxe sur les revenus des entreprises du e-commerce.

Ces deux pistes présentent toutefois aussi leur lot d’obstacles : les frais administratifs pourraient être jugés contraires aux règles de l’OMC, comme le soulève EuroCommerce, tandis que la taxe sur les revenus nécessiterait un accord unanime des États membres de l’UE, ce qui semble difficile à obtenir.

En l’absence de solution miracle, la parade la plus prometteuse pour l’UE semble être de s’attaquer aux plateformes chinoises via la régulation européenne sur les services numériques, le fameux DSA (pour Digital Services Act).

La Commission a d’ailleurs déjà déclenché, le 31 octobre, une enquête contre Temu, dont les pratiques commerciales sont « fortement suspectées » d’être en violation dudit règlement.

AMENDE MASSIVE □ Ce texte requiert notamment des grandes plateformes en ligne de mettre en place un système pour garantir aux consommateurs que les produits vendus respectent les normes. Ce qui n’est de toute évidence pas le cas de l’entreprise chinoise qui, si elle ne corrigeait pas le tir, s’exposerait à une amende massive - équivalente au maximum à 6 % de son chiffre d’affaires mondial.

Les caractéristiques « addictives » du site et de l’application, très ludiques, sont aussi susceptibles de contrevenir au DSA. Tout comme l’algorithme de recommandation des produits reposant sur un traçage des utilisateurs auquel il est impossible d’échapper.

Shein, déjà sous surveillance, pourrait bien être le prochain sur la liste. Parmi les autres pratiques proscrites par le DSA : l’affichage d’avis trompeurs sur les produits vendus, les fausses annonces de réductions de prix, ou encore la grande difficulté rencontrée à clôturer les comptes …

Reste que les éventuelles amendes que décidera Bruxelles ne seront pas exemptes de considérations politiques à la table des Vingt-Sept, à l’instar des droits de douanes mis en place depuis l’été sur les voitures électriques importées de Chine (BLOCS#34). Les Européens sont-ils prêts à ouvrir un nouveau front dans le conflit commercial qui les oppose déjà à Pékin ?


Blocs-notes


RÉSULTATS DES MERCOCOURSES □ Quelque 5 000 agriculteurs ont manifesté devant le ministère de l’Agriculture espagnol, lundi. Ils reprochent à l’accord entre l’UE et le Mercosur, conclu vendredi 6 décembre à Montevideo, de créer une concurrence déloyale entre l’UE et le bloc commercial composé de l’Argentine, du Brésil, de l’Uruguay et du Paraguay.

Comme en témoigne cette colère vive en Espagne, laquelle couve aussi en France, comme le signalent nos amis de la newsletter Hexagone, dans leur dernière édition, le volet agricole de l’accord demeure le plus décrié.

De ce point de vue, la publication par la Commission européenne du contenu de l’accord, mardi 10 décembre, n’a pas réservé de grande surprise. Notre analyse sur le volet agricole (BLOCS#39) demeure ainsi d’actualité.

Pour rassurer les producteurs européens, Bruxelles insiste par ailleurs sur la présence d'une clause de sauvegarde, qui peut être activée si les augmentations d'importations depuis le Mercosur causent ou menacent de causer un préjudice grave.

Outre quelques ajustements sur l’ouverture des marchés publics brésiliens, les négociations ont surtout abouti à la mise en place d’une clause de révision de l’accord après trois ans de mise en oeuvre.

« Les changements apportés au texte sont pour l'essentiel cosmétiques, estime le juriste Alan Hervé, de Sciences Po Rennes. L’accord ne prévoit pas de compétence du système de règlement des différends commerciaux en matière de développement durable, ce qui limite fortement la portée des engagements en matière sociale et environnementale. C'est sans doute le point le plus décevant ».

L’accord contient en outre des avantages consentis par l’UE en faveur des pays du Mercosur concernant le règlement anti-déforestation importée. Concrètement, ces pays auront accès à un cadre de coopération sur mesure avec la Commission, qui pourrait leur permettre d’échapper à la classification en tant que zone à risque. La mise en oeuvre de ce règlement a déjà été récemment repoussée d’un an, au 1er janvier 2026 .

Reste à savoir si la Commission parviendra à convaincre les Etats membres de soutenir l’accord avec le Mercosur. Alors que la France y est frontalement opposée, la Pologne, ainsi que l’Italie, semblent un peu plus ouvertes.

La solution pourrait venir de la mise en place d’un fonds européen de compensation pour les agriculteurs. Les discussions au niveau des institutions communautaires se poursuivront pendant les prochains mois.

ATTRACTIVITÉ AMÉRICAINE □ En 2024, les industriels européens ont intensifié leurs investissements aux États-Unis, au détriment de leur propre continent. C’est ce que révèle le 9e baromètre mondial des investissements industriels réalisé par Trendeo, McKinsey et l’Institut de la réindustrialisation.

Entre 2022 et 2024, les investissements industriels domestiques des pays de l’UE ont atteint 124 milliards de dollars, bien en deçà des 306 milliards investis hors de l’Union. L’Europe se distingue ainsi comme la zone où les industriels dépensent le plus en dehors de leurs frontières : 44 % des montants alloués à l’industrie en Europe financent des projets à l’étranger, contre seulement 24 % aux États-Unis et 15 % en Chine.

Une tendance qui confirme les conclusions du récent rapport de Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne, sur la perte de compétitivité de l’UE : la capacité européenne d’investissement existe, mais elle est davantage fléchée vers l’extérieur que vers l’intérieur du bloc.

Les États-Unis attirent quant à eux une part record de 26 % des investissements directs étrangers dans l’industrie, devenant ainsi la première destination mondiale en 2024. Une réussite à mettre en lien avec l’Inflation Reduction Act (IRA), un plan d’investissement de 370 milliards de dollars de subventions lancé en 2022 par l’administration Biden pour décarboner l’industrie et attirer des entreprises sur le sol américain. Résultat : pour la première fois, les investissements étrangers dépassent les investissements domestiques aux États-Unis.

En Asie, l’Inde connaît une forte progression, captant 25 % des flux mondiaux (contre 8 % en 2023), devançant l’Union européenne (12 %) et la Chine (7 %), affaiblie par une demande intérieure en berne et les politiques protectionnistes américaines et européennes.

En France, le baromètre souligne les difficultés de 2024, avec des investissements industriels qui ont reculé pour la première fois (-10%) depuis 2019, et un solde négatif de création d’usines. Une tendance constatée au niveau mondial avec un repli de 26% des investissements industriels, notamment à cause d'un déclin généralisé du secteur manufacturier, mais également un net recul des soutiens en R&D.


Mini-blocs


Le Royaume-Uni a rejoint dimanche l’accord de partenariat transpacifique (Trans-Pacific Partnership, ou TPP), devenant le 12ème pays et le premier État européen à adhérer à ce traité de libre-échange centré sur la région Asie-Pacifique. Londres, qui a déjà conclu des accords bilatéraux avec 9 des 11 pays membres du TPP, n’espère pas de grands bénéfices économiques à court-terme de ce nouveau partenariat avec, ces pays très éloignés géographiquement. « À moyen terme, les bénéfices de l’adhésion devraient croître, surtout si d’autres pays de la région, notamment la Thaïlande et la Corée du Sud, rejoignent le traité », pronostique Le Monde. Rejoindre le TPP devrait toutefois faire des perdants côté britannique, notamment chez les agriculteurs, et risque de créer un conflit de normes en matière d’hébergement des données par les entreprises, explique encore le journal du soir. Cette adhésion constitue une nouvelle étape dans la stratégie dite Global Britain, mise en place poussivement depuis le Brexit (BLOCS#5).

Le Conseil de l'UE a formellement approuvé lundi le quinzième paquet de sanctions contre la Russie, en se concentrant sur les mesures visant à lutter contre le contournement des sanctions, analysent nos camarades de La Matinale européenne dans leur dernière publication. L'UE a sanctionné 52 nouveaux navires de la « flotte fantôme » russe, impliqués dans le transport de pétrole en violation du plafond de prix du pétrole brut imposé par le G7, dans les livraisons d'armes, dans le vol de céréales ou le soutien au secteur énergétique russe. Cinquante quatre individus et trente entités ont été ajoutés à la liste noire de l'UE, responsables d'actions compromettant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine. L'UE a également sanctionné sept personnes et entités chinoises pour avoir facilité le contournement des sanctions de l'UE ou fourni des composants sensibles pour des drones et des composants microélectroniques à l'industrie militaire russe. Le paquet inclut également une interdiction d'exporter des biens et technologies vers trente-deux sociétés soutenant le complexe militaro-industriel de la Russie. En outre, des restrictions plus sévères seront désormais appliquées aux exportations concernant des biens et technologies à double usage et des articles de haute technologie.

L’Italie s’apprête à signer un accord de gouvernement à gouvernement ("G to G") avec l’Arabie saoudite pour la vente de 20 hélicoptères NH90, version navale (NFH). Cet accord marque une avancée importante pour Rome dans le royaume saoudien, dominé jusqu’ici par les industriels américains, britanniques et espagnols. Le contrat sera signé par Leonardo, le géant italien de l’aéronautique, et non par NH Industries, consortium européen regroupant Airbus Helicopters (62,5 %), Leonardo (32 %) et Fokker (5,5 %), responsable de la production des NH90. Selon La Tribune, Paris aurait toutefois peu défendu le NFH auprès des autorités saoudiennes. En revanche, le Rafale reste une priorité pour Emmanuel Macron, qui a mis ce dossier au cœur de sa visite d'État à Riyad début décembre. Dassault, en concurrence avec les Typhoon d’Eurofighter et les F-15 de Boeing, espère vendre 50 avions de chasse Rafale à l’Arabie saoudite.


Cette édition a été préparée par Clément Solal, Antonia Przybyslawski, Mathieu Solal et Sophie Hus.

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