Le sinistre anniversaire du Brexit

Mais aussi - Global Britain, Éclaircies diplomatiques UE-RU, métaux stratégiques chinois

BLOCS
7 min ⋅ 27/12/2023

BLOCS#5 Bonjour, nous sommes le mercredi 27 décembre et voici le cinquième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Un numéro un peu spécial, presque entièrement consacré au bilan du Brexit, trois ans après la séparation des deux blocs commerciaux.

L’occasion aussi, pour la petite équipe de BLOCS, de vous souhaiter une belle période des fêtes et de vous remercier pour votre attention à notre jeune projet. Nous serons de retour le mercredi 10 janvier, les batteries rechargées à bloc. D’ici là, bonne lecture à vous.


Super-bloc

Le 1er janvier 2021, le Royaume-Uni quittait le marché européen, selon les termes d’un accord conclu in extremis entre Londres et Bruxelles le 24 décembre 2020. Trois ans plus tard, focus sur le paysage commercial post-Brexit, à travers trois grandes questions. Quel est le coût économique de cette nouvelle donne ? Le Royaume-Uni est-il parvenu à limiter les dégâts en se tournant vers des partenaires commerciaux alternatifs, comme le promettait la stratégie « Global Britain » ? Enfin, alors que l’heure est à l’apaisement entre l’UE et le 10 Downing Street, un approfondissement de la relation est-il envisageable ? 

Manifestation anti-Brexit à Londres, le 19 octobre 2019. © Jannes Van den wouwer, UnsplashManifestation anti-Brexit à Londres, le 19 octobre 2019. © Jannes Van den wouwer, Unsplash

CHRISTMAS DEAL □ Deal ou no deal ? C’était en décembre 2020, le Royaume-Uni s’apprêtait à quitter le marché unique au 1er janvier 2021, et la question agitait les médias des deux côtés de la Manche. Puis deal il y a finalement eu, sur le gong.

A la veille de Noël, Londres et l’Union européenne (UE) signaient un « accord de Commerce et de coopération », traité de 1300 pages prévoyant les modalités de leurs futures relations, commerciales notamment - et dans de nombreux autres domaines (investissement, concurrence, aides d’État, fiscalité, transport, énergie, environnement, pêche, protection des données…). 

Londres évite alors le chaos d’une sortie désordonnée. Le Premier ministre de l’époque, Boris Johnson, exulte : le principe inscrit dans le marbre est celui du « zéro tarif, zéro quota », soit une absence de droits de douane et de toute limitation quantitative des flux pour la très grande majorité des marchandises. Pas de tarif certes, mais des contrôles … 

Depuis 2021, faire transiter des biens du Royaume-Uni vers le marché européen requiert a minima de remplir des formulaires douaniers, voire, dans le secteur agroalimentaire, de soumettre les produits à des tests phytosanitaires ou sanitaires particulièrement contraignants.

ADDITION SALÉE□ Dans un premier temps, distinguer à l'œil nu l’ampleur des coûts économiques de la sortie du marché européen n’a pas été évident, tant ceux-ci se sont dilués dans le ralentissement de l’activité causé par la pandémie, puis dans les dysfonctionnements causés par la guerre en Ukraine. 

Trois ans après le Christmas Deal, la plupart des observateurs reconnaissent néanmoins que l’addition est salée, en particulier du côté du Royaume-Uni, pour qui l’UE constitue un partenaire commercial bien plus important que l’inverse.

« L’entrée en vigueur de l’accord a en effet été bien plus préjudiciable de ce côté de la Manche que pour l'UE, pose Zach Meyers, chercheur du Center for European Reform, un think tank basé à Londres. Selon nos estimations, le commerce de marchandises du Royaume-Uni dans son ensemble a été 7% en deçà de ce qu’il aurait été sans le Brexit, et son PIB a été amputé de 5,5% ».

« Et ce, en grande partie à cause des nouvelles barrières commerciales entre les deux blocs, poursuit cet expert de la politique industrielle. Désormais, même une bonne partie des économistes pro-Brexit reconnaissent au moins des dommages à court terme »

« Il y a eu une chute des échanges du Royaume-Uni avec l’UE, dont une cause majeure a été la charge administrative, en particulier pour les petites entreprises », résume pour sa part Iain Begg, expert de la politique économique de l’UE et des conséquences du Brexit à la London School of Economics (LSE).

À long terme, le bureau de la responsabilité budgétaire britannique, une agence publique indépendante, a estimé que la sortie du marché unique réduirait la taille de l’économie britannique d’environ 4 %. Selon Bloomberg Economics, le Brexit lui coûte environ 124 milliards d’euros par an.

STATUT PERDU □ Pour juguler les dégâts, voire pour faire du Brexit une opportunité, le 10 Downing Street avait pourtant un plan : la stratégie de la Global Britain prévoyait de multiplier les accords de libre-échange ambitieux avec des partenaires commerciaux alternatifs. Trois ans après, force est de constater que Londres a essentiellement avancé sur la duplication des accords commerciaux dont le Royaume-Uni bénéficiait déjà au sein de l’UE, avec une certaine efficacité.

« Il a été difficile d’obtenir des conditions préférentielles plus avantageuses pour un ‘petit’ marché comme le Royaume-Uni, comparativement aux 450 millions de consommateurs de l’UE, en ayant en plus perdu le statut de porte d’entrée privilégiée du Marché unique », explique Elvire Fabry, chercheuse de l’lnstitut Jacques Delors.

L’évolution globale du commerce ces dernières années n’a pas non plus aidé le pays désormais gouverné par Rishi Sunak, comme l’explique Elvire Fabry: « Le contexte international s’est profondément transformé depuis 2016 et plus encore depuis 2020 avec la multiplication des mesures de coercition économique, la fragmentation du commerce international et l’émergence des enjeux de de-risking, qui suscitent partout la mise en place de stratégies de sécurité économique. Il est plus difficile de réduire ses dépendances stratégiques à l’échelle d’un pays qu’à l’échelle d’une région ».


Blocs-notes

LOCAL BRITAIN □ Multiplier les accords de libre-échange ambitieux avec des partenaires alternatifs à l’UE, à commencer par les États-Unis, la Chine ou l’Inde. Telle était l’idée de « Global Britain », la stratégie commerciale censée guider le Royaume-Uni post-Brexit. Mais après trois ans, le bilan est très maigre.

« Les seuls accords réellement nouveaux ont été conclus avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Ils présentent un bénéfice minime pour la richesse nationale et ils ont, de surcroît, été critiqués pour leurs potentiels dommages sur le secteur agro-alimentaire », relate Iain Begg, de la London School of Economics (LSE).

« Ces deals, ainsi que ceux qui sont actuellement dans les tuyaux, ont une portée économique négligeable : l’accord avec l’Australie, par exemple, devrait augmenter le PIB de seulement 0.08% d’ici 2035; celui avec la Nouvelle-Zélande, de 0.03% », détaille Zach Meyers, chercheur du Center for European Reform, un think tank basé à Londres.

Les gouvernements conservateurs successifs, contraints de démontrer au plus vite l’intérêt de leur souveraineté retrouvée, n'ont pourtant pas ménagé leur peine. Un empressement à conclure qui a néanmoins plus placé Londres dans une posture défavorable aux différentes tables de négociations, qu’il n’a produit de résultats positifs.

« Les autres parties ont réussi à imposer au Royaume-Uni des termes désavantageux, analyse Zach Meyers. Ainsi, de nombreux commentateurs ont été surpris par l’assentiment de Londres à la levée de quasiment tous les droits de douane [dans l’agro-alimentaire], afin de clôturer l’accord avec l’Australie ». La conclusion de cet accord a ainsi suscité une forte inquiétude parmi les agriculteurs britanniques qui s’inquiètent, en particulier, d’un afflux de viande australienne de basse qualité. 

Au rang des satisfactions, il faut tout de même noter l’entrée, annoncée en mars, du Royaume-Uni dans le « Partenariat transpacifique » (« CPTPP », sous son acronyme en anglais) - un accord de libre-échange noué entre onze pays, dont le Canada, la Nouvelle-Zélande, le Mexique, l'Australie, le Japon ou encore Singapour. 

Un premier succès stratégique de prestige pour Global Britain, qui ne devrait néanmoins pas avoir de grandes conséquences économiques, avec un gain pour le PIB britannique estimé à moins de 0,1% . « C’est en fait un partenariat très superficiel, confirme Iain Begg. La perspective d’un accord de libre-échange avec la Chine, ou les États-Unis paraît lointaine, quand les pourparlers avec l’Inde sont bloqués : jusqu’ici la Global Britain n’est donc rien de plus qu’une aspiration », soupire cet enseignant-chercheur, attaché à l'Institut européen de LSE.

Rien d’étonnant aux yeux d’Elvire Fabry, de l'Institut Jacques Delors, selon qui cette stratégie visant à nouer des liens avec des partenaires éloignés souffrait dès l’origine d’une « limite structurelle ». « L’économie britannique repose à 80% sur les services, analyse cette chercheuse spécialiste de la géopolitique du commerce. Or, les échanges commerciaux dans le secteur des services résistent encore plus mal que les biens à l’épreuve de la distance géographique : la force de gravitation pèse sur le commerce en favorisant l’intégration régionale ».


LE VENT DE WINDSOR □ Après la longue tempête, place aux éclaircies au-dessus de la relation UE-Royaume-Uni. Depuis octobre 2022, exit les tensions avec Bruxelles qui ont caractérisé le règne de l’outrancier brexiteer Boris Johnson. L’arrivée de Rishi Sunak au 10 Downing Street a été synonyme d’apaisement sur la forme, et de pragmatisme sur le fond.

Sous la houlette du Premier ministre, les deux blocs ont ainsi accompli plusieurs pas majeurs l’un vers l’autre. A commencer par la signature de l’« accord de Windsor » en février, réglant l’épineuse question des modalités de fonctionnement de la frontière nord-irlandaise, principal point de friction post-Brexit

Puis, en septembre, le gouvernement britannique et la Commission européenne ont annoncé que le Royaume-Uni allait rejoindre les programmes scientifiques de l’UE Horizon (de coopération internationale dans la recherche), et Copernicus (d’observation de la Terre depuis l’espace). Un véritable soulagement pour les milieux universitaires britanniques.

Dernier épisode en date : le report de trois ans et d’un commun accord de l’entrée en vigueur de droits de douanes -  initialement prévus au 1er janvier 2024 - sur les véhicules électriques échangés entre les deux marchés (BLOCS#3)

Des mesures de rapprochement commerciales plus profondes sont-elles pour autant envisageables ? « Le cadre de Windsor et la tonalité plus positive de Sunak sont bienvenus, mais je ne vois pas de chemin évident, à l’heure actuelle, vers une relation commerciale plus étroite, et peu de chance que le Royaume-Uni cherche à intégrer le marché unique de sitôt », tranche Iain Begg, de la London School of Economics (LSE).

« L’un dans l’autre, l’UE est pour sa part relativement satisfaite de l’accord de commerce et de coopération, et n’est donc pas activement demandeuse d’un approfondissement de la relation », abonde Zach Meyers, chercheur du Center for European Reform. 

Du côté de Londres, beaucoup dépendra aussi de l’issue des prochaines élections législatives, qui devraient se tenir en 2024. Très large favori des sondages, le chef du Labour (centre-gauche) Keir Starmer, affiche de timides velléités d’approfondir l’accord de Noël 2020, dont une révision est prévue 2025.

Cet ancien remainer exclut néanmoins à ce stade de rejoindre la marché unique ou l’union douanière, craignant de se mettre à dos les électeurs de gauche hostiles à l’UE. « Certaines avancées plus modestes, mais tout de même importantes, apparaissent en revanche possibles, anticipe Zach Meyers. On peut par exemple imaginer des progrès vers un meilleur alignement des marchés de l’électricité et des quotas carbone, ou sur la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles ».


Mini-blocs

Pékin a annoncé jeudi l’arrêt de l’exportation d'une série de technologies liées à l'extraction des terres rares. Sont visées en particulier les « technologies d'extraction, de traitement et de fusion des terres rares ». Une décision qui devrait contrarier les efforts de développement de ce secteur en dehors de Chine, et notamment aux États-Unis, lesquels ont fait de ces métaux cruciaux notamment dans la fabrication des batteries, une de leurs priorités au sein de l’Inflation reduction act (IRA). Cette nouvelle mesure protectionniste adoptée par Pékin fait suite au conditionnement de l'exportation de trois métaux stratégiques à l'aval du gouvernement central, mis en oeuvre au cours de l’année 2023. En 2022, la Chine a extrait 58% de la production mondiale et raffiné 89% des terres rares.

Comme en écho, Washington a annoncé le même jour, jeudi, le lancement d’une enquête auprès de ses entreprises afin de déterminer comment elles se fournissent en semi-conducteurs fabriqués en Chine. Cette enquête « éclairera la politique américaine visant à renforcer la chaîne d'approvisionnement des semi-conducteurs, à promouvoir des conditions de concurrence équitables pour la production de puces traditionnelles et à réduire les risques pour la sécurité nationale posés par la Chine », a expliqué dans un communiqué le département du Commerce. Les Etats-Unis entendent ainsi maintenir leur avance « de plusieurs années » sur la Chine, dans la conception de semi-conducteurs.

La Commission européenne a présenté pour la première fois, mardi 12 décembre, une liste de plus de 200 médicaments jugés « critiques », c’est à dire essentiels « pour garantir la fourniture et la continuité de soins de santé de qualité et un niveau élevé de protection de la santé publique en Europe ». Cette liste, qui sera actualisée chaque année, doit servir de base à des actions concrètes telles que la constitution de stocks, des incitations à produire en Europe ou la mise en place de partenariats avec des pays tiers producteurs.


Les nouveautés de la Saint-Sylvestre

Nouvelle année, nouvelles mesures. Voici une liste non-exhaustive de ce qui changera au 1er janvier 2024.

La Suisse va supprimer les droits de douane à l’importation pour l’ensemble des produits industriels quelle que soit l'origine de la marchandise. Une stratégie qui vise à améliorer la compétitivité du pays et à lutter contre les prix élevés de son marché et devrait générer des gains estimés à 860 millions de francs suisses (910 millions d’euros), profitant tant aux entreprises qu'aux ménages helvétiques.

Afin d’inciter à réduire l’impact environnemental du transport maritime et accélérer l’utilisation de combustibles à faible teneur en carbone, les entreprises du secteur vont intégrer le Système Communautaire d’Échange de Quotas d’Émission de gaz à effet de serre (SEQE), plus connu sous le nom de « marché européen du carbone ».  Concrètement, à compter du 1er janvier, les compagnies de fret maritime qui feront au moins une escale dans l’UE seront tenues de déclarer leurs émissions et d’acheter un montant équivalent de quotas sur le marché carbone européen. 

Les membres du G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, l’Italie, Japon, Royaume-Uni) et l’ensemble de l’UE sont tenus de mettre en place des « restrictions à l’importation » directe de diamants « extraits, traités ou produits en Russie » (BLOCS #3). Une mesure qui s’inscrit dans le cadre d’une action internationale coordonnée par le G7, et approuvée au niveau européen le 19 décembre. L'objectif est de priver la Russie d'une importante source de revenus, estimée à 4 milliards d'euros par an.


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Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal

BLOCS a été conçu à l’automne 2023 par une équipe de trois journalistes français forts d'une expérience de plusieurs années de correspondance à Bruxelles pour les plus grands titres de la presse écrite - l’Opinion, Le Parisien, Le Figaro ou encore l’Agefi.

Spécialistes de la politique européenne, experts des sujets commerce et de leur dimension géopolitique, Clément Solal, Antonia Przybyslawski et Mathieu Solal sont aussi les rédacteurs de ce qui constitue leur premier projet éditorial autonome. Ils disposent tous trois d’un appétit pour les informations croustillantes, les faits et la nuance.

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