Pékin - Bruxelles : Le bras de fer est loin d’être terminé

Focus sur les droits de douane à l'encontre des véhicules électriques chinois, mais aussi... □ Les représailles de Pékin sur les eaux-de-vie européennes □ L'élection présidentielle en Tunisie □ L'arrachage de vignes françaises

BLOCS
7 min ⋅ 09/10/2024

BLOCS#34 Bonjour, nous sommes le mercredi 9 octobre et voici le trente-quatrième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur LinkedIn.


Super-bloc

Les tenants de la fermeté face à Pékin ont crié victoire. Les Vingt-Sept ont approuvé, vendredi, des droits de douanes massifs à l’encontre des véhicules électriques produits sur le territoire de la superpuissance asiatique. La Chine a cependant toujours espoir de faire céder les Européens. Elle a annoncé mardi des représailles à l’encontre des importateurs de brandy européen, dont le cognac.

À Yantai, dans la province du Shandong, des voitures électriques chinoises de la marque BYD attendent d'être exportées vers l'Europe. © XinHua

FEU VERT □  En Europe, les tenants de la fermeté face aux appétits industriels de l’ogre chinois ont remporté une importante victoire. Vendredi 4 octobre, les États membres de l’UE ont décidé de pérenniser les droits de douane appliqués à titre provisoire depuis début juillet sur les importations de véhicules électriques produits en Chine.

Ces tarifs, allant de 17,4% à 35,3% (en plus des 10% déjà existants), ont été mis en place par la Commission européenne à la suite d’une minutieuse enquête anti-subventions lancée en octobre 2023 (BLOCS#2).

Celle-ci a établi que les constructeurs implantés en Chine bénéficiaient d’aides étatiques massives leur permettant de vendre en Europe leurs produits à très bas prix, et donc de casser la concurrence.

Pour les partisans de ces droits de douanes « compensateurs », dont la France, l’enjeu était dès lors de protéger l’industrie automobile du Vieux continent, et les 14 millions d’emplois qu’elle représente.

Entre 2020 et 2024, la part de véhicules électriques produits en Chine au sein du total des ventes en Europe est passée de 12% à près de 25%, selon les chiffres de Transport et Environnement. D’après cette ONG, « cette part de marché pourrait diminuer à 20 % en 2025 et à 18 % l’année suivante » grâce aux droits de douane.

Ainsi, « la question, c'est celle du modèle que l'on veut : veut-on être des consommateurs ou des producteurs ? », avait feint de s’interroger Emmanuel Macron à la veille du vote.

A contrario, aux yeux de l’Allemagne et des quatre autres pays membres s’étant sans succès opposés à la décision européenne (Hongrie, Malte, Slovaquie, Slovénie), l’Union est en train de se tirer une balle dans le pied.

Car les droits de douane s’appliqueront aux entreprises chinoises, mais aussi aux constructeurs étrangers implantés en Chine, parmi lesquels figurent les marques allemandes (Volkswagen, BMW, Mercedes, aux côtés de Renault, Volvo et de l’américain Tesla).

Plus généralement, l’Allemagne reste tétanisée à l’idée de froisser la Chine, l’un de ses principaux partenaires commerciaux. « La Commission ne devrait pas déclencher une guerre commerciale », s’est ainsi emporté vendredi sur X son ministre des Finances, Christian Lindner, quand BDI, le puissant lobby industriel du pays, s'est inquiété d’une « escalade du conflit commercial ».

ACCORD À L’AMIABLE □ Cependant, Pékin a perdu une manche, mais pas la partie. La Commission a fait savoir qu’elle continuerait à chercher un accord à l’amiable avec la Chine. Ces pourparlers pourront se poursuivre au moins jusqu’au 31 octobre, date à laquelle les tarifs définitifs doivent entrer en vigueur, relève Le Grand Continent.

La formule envisagée est celle d’un « engagement de prix ». Concrètement, les constructeurs basés dans l’Empire du Milieu pourraient échapper aux surtaxes de l’UE s’ils respectent un prix plancher et un volume prédéfini pour leurs exportations de voitures électriques sur le marché européen.

Reste à fixer ces seuils … Jusqu’ici les propositions de la partie chinoise ont été jugées largement inacceptables par Bruxelles. Mais la pression pour trouver un terrain d’entente va aller en s’accroissant sur les épaules de la Commission.

MENACES CHINOISES □ La Chine sait y faire. Elle a réservé aux Vingt-Sept un savant cocktail de menaces, de chantage et d’incitations. Et la France est en particulier dans sa ligne de mire : dès ce mardi 8 octobre, le ministère chinois du Commerce a annoncé des représailles à l’encontre des eaux-de-vie de vin françaises, dont le cognac et l’armagnac (voir la section « Blocs-notes »).

Outre ces alcools, qui étaient déjà dans son viseur, la Chine a lancé ces derniers mois contre l’UE une série d’enquêtes antidumping qui inquiètent les secteurs européens des produits laitiers et du porc.

La menace sur la filière porcine (où la Chine est le premier marché à l’export, avec 16 % du total) fait elle trembler la France autant que l’Espagne.

Enfin, les responsables chinois font planer l’éventualité d’augmenter les taxes sur les gros moteurs européens, une mesure particulièrement nocive pour les groupes allemands et italiens, selon Reuters.

Les Européens finiront-ils par capituler ? Emmanuel Macron a appelé le 2 octobre à « ne pas reproduire les erreurs du passé » qui ont créé une « dépendance » à l'égard de la Chine.

Le chef de l’État faisait ici référence au précédent de 2013 sur les panneaux photovoltaïques chinois : la Commission avait là aussi mené une enquête anti-subvention puis décidé de droits de douane, avant de trouver avec Pékin, sous pression de l’Allemagne notamment, une solution à l’amiable.

L’épisode est souvent cité comme emblématique de la naïveté commerciale de l’UE, dont le marché n’a depuis cessé d’être inondé par les produits photovoltaïques chinois.

Cette fois-ci, Bruxelles aurait sans doute tort de faire trop de concessions. Car l’Union n’est pas nécessairement en position de faiblesse : en surproduction massive de véhicules, avec une demande intérieure ralentie, la Chine est en recherche vitale de débouchés, alors que ses pratiques commerciales dans le secteur sont de plus en plus sanctionnées par d’autres pays.

Les États-Unis et le Canada leur appliquent des droits de douane à hauteur de 100% ; la Turquie a annoncé qu’elle les soumettrait à un prélèvement de 40 % ; l’Inde, enfin, les ponctionne de 70 % à 100 % selon les modèles.


Blocs-notes


ACTION, RÉACTION □ Cinq jours après le vote européen sur les véhicules électriques chinois, Pékin a réagi en ciblant, comme prévu, le cognac français et d'autres brandys européens, exacerbant ainsi la guerre commerciale entre les deux parties. Dans un communiqué publié mardi, le ministère chinois du Commerce a annoncé qu'il imposerait, à partir du vendredi 11 octobre, un dépôt de garantie pour les importateurs de spiritueux de l'UE.

Les « cautions » demandées varient entre 30,6 % du prix d'importation pour Martell (groupe Pernod Ricard) à 39 % pour Hennessy (groupe LVMH), et 38,1 % pour Rémy Martin (groupe Rémy Cointreau), précise Les Echos. Les autres producteurs ayant collaboré avec les autorités chinoises lors de l'enquête anti-dumping se verront quant à eux imposer un dépôt de 34,8 %.

Le Bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC), représentant les intérêts des producteurs n’a pas tardé à exprimer son inquiétude : « Les autorités françaises ne peuvent pas nous abandonner face à des rétorsions chinoises qui ne nous concernent pas. » Il a également appelé le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à cette escalade et obtenir la suspension de ces taxes.

De son côté, la Commission européenne a rapidement réagi en annonçant son intention contester ces mesures devant l'Organisation mondiale du commerce.

« Ces mesures sont infondées, et nous sommes déterminés à défendre l'industrie de l'UE contre toute utilisation abusive des instruments de défense commerciale », a déclaré un porte-parole de l'exécutif européen, cité par le Financial Times.

CONTINUITÉ TUNISIENNE □ Kaïs Saïed, qui dirige la Tunisie depuis 2019, a été réélu président de la République avec plus de 90,7% des suffrages, selon les résultats proclamés lundi par l'Instance supérieure indépendante pour les élections. Ce résultat écrasant témoigne à lui seul de la transformation de la jeune démocratie tunisienne issue de la révolution de 2011 en un régime autoritaire, depuis le coup de force de M. Saïed en 2021.

Après le plébiscite annoncé lundi, les arrestations d’opposants politiques, la prise en main du pouvoir judiciaire et l’affaiblissement de l’Etat de droit devraient ainsi continuer de plus belle.

La situation économique ne devrait pas non plus s’améliorer. Alors que le pays est touché par une inflation galopante, qui s’établissait à 9,3% en 2023, affiche une croissance atone de 0,4% sur la même période et un taux de chômage à plus de 16%, M. Saïed est incapable de porter une « vision économique claire », selon l’analyste politique Hatem Nafti, cité par France 24.

Malgré le surendettement, le président a notamment rejeté en 2023 le plan de sauvetage de 1,9 milliard de dollars proposé par le FMI, évitant de justesse le défaut de paiement.  

Sur le plan commercial, le pays d’Afrique du Nord a subi de plein fouet la flambée des prix de l’énergie et des denrées alimentaires de base, et n’est pas parvenu à augmenter suffisamment ses exportations pour équilibrer sa balance commerciale.

Tunis tente néanmoins de réagir en se rapprochant d’Alger. Les deux capitales ont ainsi multiplié les partenariats ces derniers mois et vu leurs échanges augmenter significativement. De même, M. Saïed tente de nouer une nouvelle « amitié commerciale » avec l’Iran, note Jeune Afrique.

Malgré la suspension, depuis 2019, des négociations autour d’un nouvel accord de libre-échange, l’UE reste de loin le premier partenaire commercial de la Tunisie. 69,7% des exportations tunisiennes sont dirigées vers ses pays membres et 43,7% des importations en proviennent.

Les échanges avec l’Italie se sont notamment intensifiés ces derniers mois, sur fond d’essor de la coopération politique entre M. Saïed et la présidente du conseil, Giorgia Meloni. La relation privilégiée entre les deux dirigeants a notamment joué un rôle important dans la conclusion d’un accord migratoire UE-Tunisie très controversé, prévoyant des aides d’un montant total de 255 millions d’euros.

VIN EN DÉCLIN □ Alors que les viticulteurs français font face à une crise de surproduction sans précédent, la Commission européenne a validé le 3 octobre un plan de 120 millions d’euros de subventions directes pour une campagne d’arrachage définitif de vignes, demandé par la France. Ce dispositif permettra d’apporter un soutien immédiat au secteur et d’arracher près de 30.000 hectares sur les près de 800.000 existants en 2023, avec une indemnité maximale de 4000 euros par hectare.

Cette crise s’explique par une baisse constante de la consommation de vin (rouge en particulier), avec une chute spectaculaire de 70% en l’espace de soixante ans, passant de plus de 120 litres par an et par habitant en 1960 à moins de 40 litres en 2020. En plus de cette baisse structurelle de la demande, le secteur doit faire face à plusieurs facteurs externes qui accentuent les difficultés.

La guerre en Ukraine a provoqué une pénurie de bouteilles en verre, celles-ci étant majoritairement produites dans des usines ukrainiennes aujourd’hui fermées. Cette situation a entraîné une hausse des coûts de production et des perturbations des chaînes d'approvisionnement, comme le souligne France Bleu.

Par ailleurs, les viticulteurs sont confrontés à des difficultés d’exportation vers des marchés clés comme la Chine et les États-Unis, tout en subissant les impacts du dérèglement climatique, de la pandémie de Covid-19 et de l'inflation.

Cette crise marque aussi « un véritable changement d'époque pour s'adapter à la baisse continue de la consommation qui frappe aussi d'autres vignobles tricolores comme à Cognac, dans le Languedoc et les Côtes du Rhône où le sujet est désormais aussi sur la table », selon La Tribune.


Mini-blocs

Sous la pression de ses partenaires commerciaux et de plusieurs États membres dont l’Allemagne, la Commission européenne a proposé, mercredi dernier, de reporter de un an la mise en œuvre du règlement sur la déforestation importée. Ce texte, qui prévoit d’interdire l’importation dans l’UE de produits (huile de palme, viande bovine, soja, café, etc.) dont la production a contribué à la dégradation des forêts depuis 2020, pourrait ainsi être appliqué seulement à partir du 31 décembre 2025. La décision de la Commission européenne doit encore être approuvée par le Conseil, qui représente les Vingt-Sept, et le Parlement européen, qui pourraient profiter de l’occasion pour insérer des amendements, et ainsi édulcorer ce texte majeur du Pacte vert (BLOCS#15).

Diffusé dimanche sur France 5, le documentaire de Nicolas Vescovacci et Alfred de Montesquiou « Cargos - Dans les soutes de la mondialisation » raconte de l’intérieur un voyage d’un porte-conteneur géant de l’armateur Maersk entre la Corée du Sud et les Pays-Bas. Partis avec l’ambition de filmer « la mondialisation à hauteur de marin », les deux journalistes tirent de ce trajet de 45 jours un récit original, à la fois pédagogique et critique. Le documentaire est disponible en replay sur le site de France Télévisions.

« Préparer les dirigeants et cadres d’entreprises aux défis du commerce international afin de sécuriser leurs activités et développer des stratégies durables » : tel est l’objectif du tout nouvel Executive Master en Management des échanges internationaux lancé par l’Université Paris-Dauphine-PLS. Ce diplôme déstiné aux professionnels sera disponible à compter de mars 2025, en partenariat avec l’Office de Développement par l’Automatisation et la Simplification du Commerce Extérieur (ODASCE).


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Cette édition a été préparée par Antonia Przybyslawski, Clément Solal, Mathieu Solal et Sophie Hus.

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Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal

BLOCS a été conçu à l’automne 2023 par une équipe de trois journalistes français forts d'une expérience de plusieurs années de correspondance à Bruxelles pour les plus grands titres de la presse écrite - l’Opinion, Le Parisien, Le Figaro ou encore l’Agefi.

Spécialistes de la politique européenne, experts des sujets commerce et de leur dimension géopolitique, Clément Solal, Antonia Przybyslawski et Mathieu Solal sont aussi les rédacteurs de ce qui constitue leur premier projet éditorial autonome. Ils disposent tous trois d’un appétit pour les informations croustillantes, les faits et la nuance.

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