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Chaque semaine, votre condensé d’actualité utile sur le commerce international.

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Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal
27 mars · 5 mn à lire
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Déforestation importée : Bruxelles fait un pas de côté

Focus sur un texte emblématique du Pacte vert mais aussi sur le bras de fer commercial UE-Chine, le rapprochement Australie-ASEAN et la « fast-fashion »

BLOCS#15 Bonjour, nous sommes le mercredi 13 mars et voici le quinzième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur LinkedIn.


Super-bloc

Face aux pressions internationales, la Commission européenne a consenti la semaine dernière à retarder la pleine mise en oeuvre du nouvel outil anti-déforestation importée de l’UE. Un pas de côté qui démontre la difficulté du bloc européen à diffuser son ambition verte au reste du monde, et notamment aux pays les moins développés.

Zone déboisée pour la plantation de palmiers à huile à Gunung Lumut, en Indonesie. ©Moses Ceaser/CIFORZone déboisée pour la plantation de palmiers à huile à Gunung Lumut, en Indonesie. ©Moses Ceaser/CIFOR

DÉFAUT-RESTATION □ Dans la série noire du Pacte vert, voilà qui ressemble fort à un nouvel épisode. Après l’assouplissement des obligations de mise en jachère accordée aux agriculteurs, puis le retrait d’un texte visant à limiter l’usage des pesticides, la Commission européenne a confirmé vendredi le report sine die de la publication de la classification des partenaires commerciaux de l’UE en fonction de leur vulnérabilité à la déforestation.

Cette classification, qui devait initialement entrer en vigueur en décembre de cette année, devait permettre de préciser les modalités du règlement sur la déforestation importée adopté l’année dernière. 

Ce règlement, dont la mise en oeuvre est prévue pour 2025, impose aux entreprises de démontrer, outils de traçabilité et de géolocalisation des parcelles à l’appui, que le soja, le café, le cacao, l’huile de palme, le caoutchouc, le bœuf ou encore le bois qu’elles veulent vendre dans l’UE ne sont pas issus de cette pratique désastreuse pour le climat. La déforestation est responsable de 11 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, selon le Giec.

Concrètement, la classification de la Commission devait déterminer l’étendue des obligations incombant aux entreprises ainsi que la fréquence des contrôles effectués par les autorités douanières européennes.

Il était notamment prévu que les États membres contrôlent 9 % des opérateurs de produits issus de pays à risque élevé, 3 % de ceux issus de pays à risque standard et 1 % de ceux à risque faible. Avec, en cas de non-conformité, une amende d’au moins 4% du chiffre d’affaires réalisé par l’entreprise visée dans l’UE.

Avec le report de la classification, tous les partenaires commerciaux de l’UE seront considérés, par défaut, comme à risque standard.

La Commission justifie cette reculade par la nécessité de « prendre le temps (...) afin de permettre une analyse solide et un dialogue approfondi avec les parties prenantes concernées, et en particulier les pays partenaires qui pourraient effectivement être classés à haut risque ».

PRESSIONS INTERNATIONALES □ Bruxelles semble ainsi finalement accepter de prendre en compte les critiques des partenaires commerciaux de l’UE les plus sujets à la déforestation.

Il y a 6 mois, les ambassadeurs à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) de 17 d’entre eux, dont notamment le Brésil, la Côte d’Ivoire ou encore la Thaïlande, signaient une lettre commune à l’intention des responsables européens.

Dans leur viseur : la classification prévue par la Commission, considérée comme « intrinsèquement discriminatoire et punitive », et « potentiellement incompatible avec les obligations de l'OMC ».

L’exécutif européen avait réagi en affirmant que les producteurs nationaux seraient soumis aux mêmes exigences et que le système était donc bien conforme aux règles de l’OMC, sans pour autant convaincre les plus sceptiques.

Pour Olivier Tichit, représentant de Musim Massaidd, le géant indonésien de la production d’huile de palme, cité par le Financial Times, le nouveau règlement européen risque de créer « un système à deux vitesses, dans lequel les producteurs vont envoyer vers l’UE leurs marchandises non-issues de la déforestation, et le reste vers les autres pays ».

CHAÎNES D’APPROVISIONNEMENT □ Autres arguments des pays visés et de leurs industries : les délais pour se conformer aux nouvelles règles seraient trop réduits, et les coûts de mise en conformité seraient trop élevés, menaçant en particulier les plus petits producteurs.

De fait, selon l’étude d’impact initial de la Commission, ces coûts représenteront entre 175 millions et 2,6 milliards d’euros, soit de 0,3% à 4,3% des coûts de production des entreprises. L’impact sur les chaînes d’approvisionnement devrait donc être significatif.

« Les mesures peuvent paraître justifiées du point de vue de l’UE, analyse Zach Meyers, chercheur du Center for European Reform. Il est légitime de veiller à ce que les pays tiers atteignent les mêmes normes que l'UE elle-même, afin que les producteurs européens ne soient pas désavantagés ».

« Cependant, de nombreux pays en développement ont également raison, poursuit le chercheur. Ils soutiennent qu’incorporer les normes européennes n’est pas réaliste pour les pays ayant un niveau de développement bien inférieur. Leurs gouvernements invoquent le principe des responsabilités communes mais différenciées, selon lequel les pays développés doivent assumer un rôle plus important que les autres dans la lutte contre le changement climatique », pointe cet expert de la régulation du marché européen.

Face à la pression internationale, la Commission a en tout cas consenti à faire un pas de côté et ce, à quelques encablures des élections européennes. La classification pourrait ainsi être opérée par la future Commission, dont la couleur politique et l’engagement environnemental demeurent incertains.


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Blocs-notes

BRUXELLES VS PÉKIN □ L’étau se resserre autour des véhicules électriques chinois qui inondent le marché européen à des prix défiant toute concurrence. Après avoir lancé en octobre dernier une enquête anti-subventions à l’encontre de Pékin (BLOCS#2), la Commission européenne a affirmé, mercredi 6 mars, disposer d’éléments de preuves montrant que la Chine octroie des aides publiques illégales à ses fabricants.

Parmi ces preuves, des transferts directs de fonds de la part du gouvernement chinois, des prêts à taux favorables, des exonérations fiscales, ou encore des composants à prix cassés.

Prenant acte de ces résultats préliminaires, l’exécutif européen a lancé l'enregistrement douanier de toutes les importations chinoises de véhicules électriques.

L’objectif : être prêt à sévir via des droits de douanes rétroactifs dès le lendemain de la conclusion de l’enquête en novembre prochain, voire même avant. La Commission n’exclut pas de mettre en place de telles mesures de manière « préventive » dès le mois de juillet, comme la loi l’y autorise.

Si l’UE hausse encore le ton, c’est que les parts de marché chinoises ne cessent de progresser : les importations de véhicules électriques venus de Chine ont augmenté de 14 % depuis l'ouverture officielle de l'enquête en octobre, selon la Commission. « Un préjudice difficilement réparable » pour « l’emploi et les performances globales des producteurs de l'Union », affirme l’institution.

Si le résultat final de l’enquête de la Commission ne fait plus guère de doute, la capacité de l’UE à tenir tête à l’Empire du Milieu reste à prouver. De son côté, Pékin menace l’Europe de mesures de rétorsion, notamment dans le secteur des vins et des spiritueux (BLOCS#6).


THÈME AUSTRAL □ « L’avenir de l'Australie se trouve en Asie du sud-est, plus que dans n'importe quelle autre région » a affirmé mardi le Premier ministre australien Anthony Albanese à Melbourne, en marge d’une réunion avec les dirigeants des pays de l'Association des nations de l'Asie du sud-est (Asean).

Joignant le geste à la parole, Albanese, à la tête du grand pays d’Océanie depuis 2022, a annoncé un plan d’investissement de 1,3 milliards de dollars à destination des 10 pays de l’Asean - l'Indonésie, la Malaisie, Singapour, la Thaïlande, les Philippines, le Brunei, le Vietnam, le Laos, la Birmanie et le Cambodge.

Ce financement se concrétisera notamment par la mise en place d’aides à l'exportation et de prêts orientés principalement vers le financement d'infrastructures et de projets liés à l’énergie renouvelable. L’accent sera également mis sur l’ouverture de voies d’exportations pour les services technologiques australiens. De quoi booster les échanges Australie-Asean, qui s’élevaient déjà à 178 milliards d’euros en 2022.

L’annonce constitue par ailleurs un pied de nez à la Chine, sur fond d’inimitié de plus en plus forte.

Pékin et Canberra ont en effet multiplié les querelles commerciales ces dernières années. La Chine, qui reste pour l’heure le premier partenaire commercial de l’Australie, mène par ailleurs des opérations de déstabilisation, en particulier en mer de Chine méridionale.

Dans la déclaration commune du sommet de Melbourne, l’Australie et l’Asean ont d’ailleurs appelé - sans la nommer - la Chine à la retenue.


Mini-blocs

Les députés français veulent réduire l’empreinte environnementale de l’industrie textile, l’une des plus polluantes au monde et responsable d’environ 10 % des émissions mondiales de carbone. La proposition de loi du groupe Horizons (centre-droit), adoptée à l’unanimité en commission à l’Assemblée nationale le 7 mars, vise en particulier les enseignes de la « fast fashion », reconnues pour leur offre abondante de vêtements bon marché et de qualité inférieure, largement importés d'Asie. Dans sa version actuelle le texte prévoit des pénalités financières pouvant atteindre 10 euros par produit, l’obligation d'affichage du score environnemental et une interdiction de la publicité pour des marques comme la chinoise Shein, qui propose 7200 nouvelles références par jour. Soutenue par le gouvernement et par l’ensemble des groupes politiques, la proposition sera débattue dans l'hémicycle ce jeudi.

Les Vingt-Sept ont approuvé jeudi le retrait coordonné de l’UE du Traité sur la Charte de l’énergie (TCE). Signé en 1994 par une cinquantaine de pays, le TCE a pour objet de sécuriser les investissements énergétiques, en donnant aux entreprises la possibilité d’attaquer en justice les gouvernements quand ces derniers modifient leurs politiques énergétiques, par exemple en faveur des énergies renouvelables. L’accord trouvé jeudi par les Vingt-Sept après des années de tergiversations devrait mettre fin à cette possibilité vue comme incompatible avec le Pacte vert. Il laisse néanmoins quelques flexibilités aux Etats membres qui voudraient rester dans le TCE, et doit encore être approuvé par le Parlement européen en avril.

Les tensions en mer Rouge ont encore franchi un cap, avec la première attaque mortelle des rebelles Houthis du Yémen, survenue mercredi 6 mars. Trois marins à bord du navire civil True Confidence ont perdu la vie, tandis que trois autres se trouvent dans un état critique suite à l'impact d'un missile balistique au large des côtes yéménites. L'équipage a été évacué, laissant le navire dériver avec sa cargaison d'acier et de camions. Quelques jours auparavant, le Rubymar, battant pavillon du Belize, également touché par les rebelles Houthis, a coulé après le sauvetage de son équipage. Il transportait 21 000 tonnes d'engrais hautement toxiques à base de sulfate de phosphate d'ammonium qui pourraient provoquer une catastrophe écologique en cas de fuite.

557 scientifiques ont signé, mercredi 6 mars, une lettre ouverte adressée au président de la République, Emmanuel Macron, appelant la France à « prendre des mesures » pour réguler les importations de cuisses de grenouilles. Cette demande fait suite à la menace croissante pesant sur plusieurs espèces sauvages, avec des implications potentielles sur la santé humaine.

Selon le rapport annuel « Les femmes, l'entreprise et le droit » publié le lundi 4 mars par la Banque mondiale, la mise sur un pied d'égalité des hommes et des femmes sur le marché du travail pourrait permettre de doubler le taux de croissance économique mondial au cours de la prochaine décennie.



Cette édition a été préparée par Clément Solal, Antonia Przybyslawski, Mathieu Solal et Sophie Hus.

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