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Chaque semaine, votre condensé d’actualité utile sur le commerce international.

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Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal
21 févr. · 6 mn à lire
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Déficit commercial : c'est grave, docteur ?

Focus sur le commerce français, mais aussi le Nouvel an en Chine, la dégringolade de Maersk, le projet de sanctions de l'UE contre des entreprises chinoises

BLOCS#11 Bonjour, nous sommes le mercredi 14 février et voici le onzième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur LinkedIn.


Super-bloc

Bien qu’en repli par rapport à 2022, le déficit commercial français reste abyssal, selon les statistiques de la balance des biens en 2023, dévoilées mercredi dernier par le service des douanes. Un état de fait préoccupant, mais dont la gravité pour la vitalité économique de l’Hexagone mérite d’être nuancée. Explications.

Emmanuel Macron et Bruno Le Maire posent avec Thomas Caulfield, le Directeur général de GlobalFoundries sur le site de la méga-usine créée avec STMicroelectronics, juillet 2022. ©️ Instagram Bruno Le MaireEmmanuel Macron et Bruno Le Maire posent avec Thomas Caulfield, le Directeur général de GlobalFoundries sur le site de la méga-usine créée avec STMicroelectronics, juillet 2022. ©️ Instagram Bruno Le Maire

MOMENT DÉLICIEUX □ La publication des chiffres annuels du commerce de biens est un rendez-vous attendu de pied ferme par les apôtres du déclin français.

Aux côtés de la dette et du déficit publics, la balance commerciale tricolore, en déficit depuis plus de 20 ans, fait en effet figure d’argument-massue pour ceux qui voient l’Hexagone comme une terre en décrépitude perpétuelle.

Être en déficit commercial n’est pourtant pas nécessairement mauvais pour une économie. Dans la doctrine économique, les partisans du libre-échange voient ainsi un échange commercial comme profitable par définition, non seulement à celui qui vend, mais aussi à celui qui achète, et les termes même de déficit ou d’excédent en la matière seraient par conséquent inappropriés.

Cette vision libérale a toutefois été mise à mal successivement par la guerre protectionniste entre les États-Unis et la Chine, les pénuries engendrées par la pandémie de Covid-19 et la prise de conscience du danger des dépendances énergétiques avec l’invasion russe en Ukraine. De quoi faire de la réindustrialisation du pays un mantra gouvernemental, et de la publication des chiffres de la balance commerciale un moment délicieux pour les pessimistes.

La batterie de statistiques de l’année 2023, dévoilée mercredi dernier par les douanes française, n’a pas fait exception, et ce, en dépit d’une nette réduction de ce déficit, repassé légèrement sous la barre des 100 milliards d’euros après un record historique à 163 milliards en 2022.

De fait, cette réduction impressionnante est avant tout liée à la baisse des prix de l’énergie par rapport à la crise de 2022, ainsi qu’au rétablissement d’une partie de la production du parc nucléaire français, qui a permis à la France de redevenir exportatrice nette d’énergie. En 2023, le solde énergétique a ainsi gagné 46,6 milliards d’euros. 

Autre explication de la baisse du déficit: l’augmentation de 22,8 milliards d’euros du solde des produits manufacturés, ce qui semble surtout traduire un retour à la normale, après la forte demande post-covid sur les importations de biens intermédiaires.

SOMBRE TABLEAU □ En dehors de ces améliorations conjoncturelles, peu de bonnes nouvelles à se mettre sous la dent. La part de la France dans les exportations mondiales reste toujours inférieure à celle de 2019. Et même si les chiffres de la balance des services, qui ne sont pas encore disponibles, devraient conduire à éclaircir le tableau, la France restera, et de loin, le pays ayant le déficit commercial le plus important de la zone euro.

« La trajectoire des parts de marché à l'exportation de biens et services de la France est la plus défavorable parmi les grandes économies de la zone euro sur les deux dernières décennies », enfonce Olivier Redoules, directeur des Etudes de l’institut Rexecode, dans une récente note.

« La compétitivité-prix des produits français reste affaiblie et la compétitivité hors-prix insuffisante malgré une qualité reconnue », note en outre le chercheur. En cause notamment, le coût du travail, qui s’élève à 43,30 euros en France contre 36 euros en moyenne dans la zone euro.

Partant, les exportations françaises reposent principalement sur des secteurs à forte valeur ajoutée, comme l’aéronautique ou les cosmétiques, qui ont encore joué un rôle moteur en 2023.

Au contraire, l’automobile, bien que toujours en excédent, a beaucoup souffert en 2023. Les importations dans ce secteur ont augmenté de 11,5 %, et les deux tiers de cette hausse s’expliquent par des achats de voitures électriques et hybrides, en provenance d’Allemagne et de Chine.

De même, l’agroalimentaire, dont l’excédent est beaucoup lié au secteur viticole perd chaque année un peu plus de sa superbe à l’international. Sans parler de l’industrie pharmaceutique, qui semble payer son retard dans les médicaments innovants. C’est bien simple: sur 65 secteurs répertoriés, 50 sont en déficit.

Il serait toutefois un peu rapide de s’arrêter à ce constat affligeant sans souligner les efforts mis en place par le gouvernement pour inverser la tendance.

ÉTRANGE OUBLI □ Dernier exemple en date: la présentation par Bercy, la semaine dernière, d’une série de mesures visant à faciliter l’export des PME, en simplifiant notamment les formalités à remplir pour obtenir un soutien public dans cette visée. Une initiative bienvenue: la France compte pour l’heure seulement 130 000 entreprises exportatrices, bien loin des chiffres affichés par des pays comme l’Italie et l’Espagne.

Le gouvernement mène surtout un combat au long cours pour la réindustrialisation du pays, qui commence à porter ses fruits, comme l’admet du bout des lèvres Le Figaro.

À son actif, le titre de pays le plus attractif pour les investissements étrangers de l’UE, obtenu en 2022 pour la quatrième année consécutive - le classement 2023 n’est pas encore connu.

Et si les investissements dans l’industrie tardent à porter leurs fruits, c’est parfois pour des raisons étrangères à l’économie. Comme l’explique Le Monde, les projets industriels avortent bien souvent sous la pression des riverains, des consultations étant imposées par la loi pour tout aménagement ayant une incidence environnementale.

Les implantations d’usines sont aussi bridées par un autre indicateur, étrangement oublié par les diseurs de mauvaise aventure depuis quelques années: le taux de chômage, toujours en dessous des 8% au troisième trimestre 2023. L’activité faisant moins défaut qu’auparavant, les promesses d’embauches des industrielles pèsent forcément moins lourd face aux possibles nuisances de leurs projets, aux yeux des citoyens.

Autre élément qui peut conduire à relativiser la gravité du déficit commercial français: l’excédent colossal de son voisin allemand, qui s’est élevé à 167,5 milliards d’euros en 2023… sans toutefois lui avoir empêché d’entrer en récession.


Blocs-notes

FESTIVITÉS PERTURBATRICES □ La deuxième puissance économique mondiale est à l’arrêt pendant plus d’une semaine en raison du Nouvel An lunaire, la fête la plus importante en Chine et dans de nombreux pays asiatiques. Débutée le samedi 10 février cette célébration s'accompagne d'une période de congés étendue jusqu'au 19 février.

Traditionnellement, autour de 300 millions de travailleurs partent en vacances, et la quasi-totalité des usines chinoises ferment, occasionnant chaque année des perturbations sur le commerce international.

En 2024, les retards causés pourraient être encore plus significatifs, exacerbés par les disruptions actuelles du transport maritime dues aux attaques houthistes en mer Rouge (BLOCS#10). Selon Reuters, les produits dont l'arrivée est prévue sur les étagères occidentales pour les mois d'avril et mai pourraient être particulièrement touchés.

Pékin mise en même temps sur les festivités pour redynamiser son économie, qui a connu au mois de janvier la plus forte baisse des prix à la consommation enregistrée en Chine (-0,8%) depuis la crise financière mondiale de 2009, selon les dernières données du Bureau national des statistiques chinoises publiées le 8 février. Cette déflation, constatée depuis plus de cinq mois, trouve son origine dans la faiblesse de la demande intérieure et la surproduction des usines et des exploitations agricoles, contraignant les entreprises à proposer des rabais.

Bien que la diminution des prix ait principalement touché les denrées alimentaires et les voitures électriques, les prix de gros facturés par les usines sont également concernés. Selon le Bureau national des statistiques, cette baisse s'explique en partie par la « base de comparaison élevée » de l'année précédente, la fête du Nouvel An, qui provoque une pression sur les prix, ayant eu lieu en janvier.


DE MAERSK EN PIS □ Maersk, le géant du transport maritime, est dans une bien mauvaise passe, et ne semble pas prêt d’en sortir. Le groupe danois a annoncé jeudi dernier des résultats de nouveau en forte baisse au quatrième trimestre 2023. Sur l’année, son bénéfice net a été divisé par plus de 7. L’action Maersk a immédiatement chuté en bourse.

Car, de surcroît, l’armateur indique qu’il ne prévoit pas d’éclaircie en 2024. Comment l’expliquer ? En 2023, cette dégringolade a été déclenchée par le ralentissement du commerce mondial, causant une saturation de l’offre de conteneurs, et une forte diminution des taux de fret.

Sauf que ces derniers grimpent désormais en flèche (BLOCS#7) à la suite, notamment, des attaques perpétrées par les rebelles houthistes contre des navires en mer Rouge (BLOCS#10). La récente remontée des tarifs du transport maritime avait d’ailleurs suscité un regain d’optimisme des marchés vis-à-vis du secteur ces dernières semaines.

Lors de la pandémie, l’explosion des prix provoquée par les goulets d'étranglement avaient ainsi dopé les bénéfices des transporteurs. Pour autant, le directeur général de Maersk, Vincent Clerc, ne voit pas les troubles en mer Rouge comme une aubaine pour l’entreprise.

« Les perspectives pour 2024 semblent encore plus délicates (…) car l'offre excédentaire de navires atteint son paroxysme et l'exposition contractuelle de Maersk lui permet de bénéficier de manière limitée des augmentations des taux au comptant à la suite des détournements de la mer Rouge », confirme une note de Barclays.

Le géant danois, qui a déjà annoncé plusieurs milliers de suppression de postes, s’attend à une reprise du transport maritime, et donc à de meilleurs chiffres, en 2025, au plus tôt.


Mini-blocs

La Commission européenne propose de cibler, pour la première fois, des entreprises chinoises et indiennes dans le cadre du 13ème paquet de sanctions de l’UE contre la Russie, selon Bloomberg. Ces sociétés, dont les noms ne sont pas encore connus, sont soupçonnées de réexporter des biens critiques, comme des semi-conducteurs ou des composants destinés à la fabrication de drones, vers le territoire russe, et donc de soutenir l'effort de guerre de Moscou. Ce nouveau train de mesures requiert cependant l’approbation à l’unanimité des États membres. Or, lorsque Bruxelles avait déjà affiché de telles velléités en mai dernier, les résistances parmi les 27, dont certains craignent par dessus tout la réaction de Pékin, avaient eu raison du projet. De fait, la Chine a dénoncé mardi des « sanctions illégales » et menacé l’Europe de représailles.

Le Mexique est devenu le premier partenaire commercial des États-Unis en 2023 devant la Chine, selon les données du Département du Commerce américain publiées le 8 février. L’Empire du Milieu est ainsi devancé pour la première fois en 20 ans. Le phénomène s’explique par la nouvelle doctrine commerciale de Washington, le "friend-shoring" (BLOCS#8), qui vise à favoriser les échanges avec les alliés politiques et économiques, dans le contexte des tensions croissantes avec Pékin. Ainsi, le déficit commercial des États-Unis avec la Chine s'est considérablement réduit l'année dernière, les importations venues de Chine ayant chuté de 20 %. Outre le Mexique, les consommateurs et les entreprises américains se sont davantage tournés vers l'Europe, la Corée du Sud, l'Inde, le Canada et le Vietnam.

7000 milliards de dollars. Telle est la somme pharaonique que Sam Altman, le patron d’Open AI voudrait lever afin de redessiner l’industrie mondiale des semi-conducteurs, selon le Wall Street Journal. Son ambition : créer des dizaines d'usines à travers la planète pour, notamment, répondre à la demande en puces du secteur en ébullition de l’intelligence artificielle générative, vouée à exploser ces prochaines années. Des investisseurs potentiels comme les Émirats arabes unis, le groupe japonais Sofantbank ou encore le géant taïwanais des semi-conducteurs TSMC seraient déjà en pourparlers avec le créateur de ChatGPT.


Nos lectures de la semaine

Beaucoup a été dit en France du projet d’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay), cible du récent mouvement de colère agricole (BLOCS#9). L’enseignant-chercheur Alan Hervé (BLOCS#6) fournit dans Le Club des Juristes un décryptage clair et succinct de l’avancée du dossier sous un prisme politico-juridique. Le directeur du master Europe et Affaires mondiales à Sciences Po Rennes évoque en particulier les marges de manoeuvre de la France qui a promis de s’opposer au texte à Bruxelles.

Dans une analyse publiée le 12 février par la Fondation Robert Schuman, deux chercheurs soulignent la négligence de l’UE à l’égard du forum des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) créé en 2009, et élargi depuis janvier 2024 à l’Arabie Saoudite, aux Émirats Arabes Unis, à l’Iran, l’Ethiopie et l’Egypte. Bien qu’informel, ce groupement, mené par la Pékin, pose des défis potentiels à l’Europe, notamment en matière énergétique et de souveraineté maritime.


Cette édition a été préparée par Clément Solal, Antonia Przybyslawski, Mathieu Solal et Sophie Hus.

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