BLOCS#30 □ Bonjour, nous sommes le mercredi 3 juillet et voici le trentième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur LinkedIn.
Super-bloc
Sauf coup de théâtre, le parti travailliste devrait remporter haut la main les élections législatives anticipées prévues ce jeudi au Royaume-Uni. Son leader, Keir Starmer, a recentré le programme et le discours de sa formation politique, en laissant de côté les querelles post-Brexit. Ce choix de la modération et de l’humilité laisse augurer une politique commerciale britannique plus constructive, notamment à l’égard de l’Union européenne.
Liverpool, UK - 07 Oct 2023. ©Flickr
CHANGEMENT DE TON □ Exit le Brexit ! Huit ans après le référendum qui a décidé le divorce entre le Royaume-Uni et l’Union européenne (UE), le sujet qui empoisonnait depuis les débats politiques outre-Manche, a été laissé de côté au cours de la campagne politique qui s’achève. Comme si les conséquences calamiteuses (BLOCS#5) de ce choix politique avaient été enfin reconnues et acceptées par les Britanniques.
Place maintenant à l’avenir et au changement proposé par Keir Starmer, le leader du parti travailliste, archi-favori des élections législatives de jeudi. Après une campagne prudente, M. Starmer, autrefois chaud partisan de la tenue d’un second référendum pour annuler le Brexit, devrait ainsi succéder au conservateur Rishi Sunak.
De quoi provoquer à tout le moins un réchauffement des relations avec l’UE. « Certains au sein du parti travailliste espèrent profiter de la prochaine révision de l’accord de commerce et de coopération [signé en décembre 2020 avec l’Union] pour apporter des changements significatifs aux relations commerciales, mais ils risquent d’être déçus, pronostique Iain Begg, expert de la politique économique de l’UE et des conséquences du Brexit, à la London School of Economics (LSE).
LIGNES ROUGES □« Trop souvent, dans le débat britannique, la réaction de l’UE n’est pas suffisamment prise en compte. Je ne vois pas beaucoup de volonté de la part des dirigeants de l'UE ou des États membres importants pour de grands changements, poursuit Iain Begg. Cependant, je m’attends à ce que le ton change - un élément très important dans les relations entre l’UE et le Royaume-Uni ».
Un point de vue partagé par Zach Meyers, du Center for European Reform : « Parvenir à une intégration économique bien plus poussée sera en tout cas difficile, compte tenu des lignes rouges du parti travailliste - pas de marché unique, pas d’union douanière et pas de liberté de circulation », estime ce chercheur britannique.
Des lignes rouges qui semblent, pour l’heure, infranchissables. Mais « à long terme, il semble inévitable qu’une certaine flexibilité sur ces règles sera essentielle pour contribuer à stimuler l’économie et réparer une grande partie des dommages économiques causés par le Brexit, poursuit Zach Meyers. Cependant, après avoir fait campagne sur ces lignes rouges, il serait très difficile pour les travaillistes de les déplacer au cours de leur premier mandat de gouvernement. Le Labour cherche plutôt à se concentrer sur la relation en matière de sécurité, dans laquelle le Royaume-Uni a beaucoup à offrir à l’UE, et à utiliser cela pour rechercher une meilleure coopération économique ».
RESET □ Pour éviter d’effrayer son électorat, le Labour a en tout cas axé son programme européen sur des projets modestes. M. Starmer espère notamment obtenir un accord vétérinaire avec l'UE qui réduirait les contrôles aux frontières sur les produits animaux, lesquels représentent pour l’heure un obstacle pour les agriculteurs et les importateurs britanniques. Aussi dans le viseur des travaillistes, une reconnaissance mutuelle de certaines qualifications professionnelles et la facilitation des conditions de travail des artistes en tournée.
« Dans ce genre de négociations, ce sont les détails plutôt que le principe de l'accord qui deviennent souvent le principal obstacle, mais je m'attendrais à ce qu'il soit assez facile de trouver des solutions », pronostique Iain Begg.
Au-delà de la question européenne, l’alternance britannique devrait conduire à moins de grandiloquence sur la scène commerciale internationale. Par exemple, le futur gouvernement devrait, selon le Financial Times, s’aligner sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE, abandonnant le modèle britannique promu par les conservateurs. La stratégie dite « Global Britain », qui prévoyait de multiplier les accords de libre-échange ambitieux avec des partenaires commerciaux alternatifs, devrait quant à elle être abandonnée.
Le probable futur ministre travailliste des Affaires étrangères, David Lammy, a en tout cas appelé à un reset de la politique étrangère avec des relations plus étroites avec l’UE et un engagement accru avec les puissances moyennes, notamment avec les pays du Sud. Sa traduction dans les faits demeure toutefois à préciser.
IMPUISSANCE □ Reste aussi à savoir comment le nouveau gouvernement se positionnera au milieu de l’affrontement Pékin-Washington. « Les travaillistes ont promis de revoir les relations du Royaume-Uni avec la Chine et d’adopter une approche plus cohérente que celle du parti conservateur – dont la politique a parfois radicalement changé en fonction de la force de l’aile droite du parti, qui adopte une ligne dure à l’égard de la Pékin, analyse Zach Meyers. Cependant, les détails de la position du parti travailliste sont peu clairs – et beaucoup pourrait dépendre des résultats des élections américaines ».
Malgré les intentions affichées par le Labour, le Royaume-Uni pourrait bien se retrouver en position d’impuissance : « d’une part, avec des possibilités limitées d’intensifier ses relations commerciales avec l’UE et un protectionnisme croissant aux États-Unis, le Royaume-Uni ne peut guère se permettre de réduire ses échanges et ses investissements avec la Chine, poursuit Zach Meyers.
D’un autre côté, l’UE augmentant potentiellement les droits de douane sur certains produits chinois, le Royaume-Uni pourrait être contraint de suivre son exemple dans certains cas – ou bien il risque de voir un afflux massif de produits chinois qui pourrait nuire aux producteurs britanniques. En fin de compte, les travaillistes risquent de se trouver avec peu de marge de manœuvre et, in fine, une politique pas tout à fait différente de celle des conservateurs ».
Blocs-notes
L’OMBRE DU TARIFF MAN □ La piètre performance de Joe Biden jeudi 27 juin lors du premier débat en vue de la présidentielle du 7 novembre prochain a encore renforcé l’hypothèse d’un retour de Donald Trump, le« Tariff Man », à la Maison Blanche .
Le candidat conservateur s’est adjugé ce surnom au cours d’un premier mandat (2017-2021) marqué par des augmentations de droits de douane d’une ampleur inédite aux Etats-Unis depuis la Grande Dépression, à l’encontre de la Chine, mais aussi du Canada, de l’UE, ou encore de l’Inde et du Mexique.
Or, en 2024, Donald Trump prévoit un recours au protectionnisme décuplé : il propose des droits de douane de 10% sur la quasi-totalité des importations américaines, tous partenaires confondus, exceptée la Chine, dont les produits seraient, eux, frappés à hauteur de 60%.
Si le candidat populiste assure que de telles mesures protègeraient les classes moyennes et les industries américaines, la garantie d’une catastrophe économique sur fond de guerre commerciale.
En mai, une étude du Peterson Institute for International Economics a chiffré les coûts potentiels à 500 milliards de dollars par an pour les consommateurs américains, soit 1,8% du PIB. Et encore, ces estimations se limitent à l’impact direct sur les prix, sans intégrer les très probables mesures de rétorsion des partenaires commerciaux, ni la perte de compétitivité engendrée.
Certes depuis son arrivée au pouvoir, Joe Biden n’a généralement pas remis en cause les droits de douane instaurés par son prédécesseur : il a même renforcé ceux ciblant la Chine - plusieurs augmentations annoncées en mai sur les batteries, les véhicules électriques ou encore les puces électroniques prendront d’ailleurs effet le 1er aout.
Lui aussi protectionniste, le président démocrate ne défend pas pour autant de propositions d’une radicalité comparable à celles de Donald Trump.
ENQUÊTE SUR ENQUÊTES □ Le ministère chinois du commerce a annoncé jeudi 27 juin enquêter sur une potentielle utilisation abusive par l’UE du règlement européen encadrant les subventions versées par des Etats tiers à leurs entreprises actives au sein du marché unique.
Entré en vigueur en juillet 2023, cet outil a permis à la Commission européenne de lancer des investigations sur des entreprises chinoises (des fabricants de matériel ferroviaire, d’éoliennes et de panneaux solaires, BLOCS#19) soupçonnées de bénéficier d’aides publiques déséquilibrant la concurrence en Europe.
L’enquête annoncée en réponse par Pékin fait suite à des plaintes déposées par l'Association chinoise de l'industrie des machines (CCCME). « Nous sommes très préoccupés par le fait que certaines pratiques du règlement de l'UE [...] ont eu un impact négatif important sur les exportations et les investissements des entreprises chinoises en Europe. », a expliqué He Yadong, porte-parole du ministère du commerce à la presse chinoise.
L’initiative a naturellement été saluée par la Chambre de commerce chinoise auprès de l’UE (CCCEU), qui représente plus d’un millier d’entreprises opérant dans l’Union. La CCCEU s’est « engagée à collaborer étroitement avec [le ministère] dans la conduite de l’enquête » et a accusé la Commission « d’utiliser les enquêtes pour recueillir des renseignements sur les technologies de pointe des entreprises chinoises ».
Des allégations démenties par la porte-parole de la Commission pour la concurrence, Lea Zuber auprès du média Euractiv.
En parallèle, Pékin et Bruxelles discutent d’un dossier plus brûlant encore : le 22 juin, les deux blocs ont entamé des pourparlers sur le contentieux qui les oppose autour des véhicules électriques chinois.
Le temps presse, l’UE ayant prévu d’appliquer à partir du 4 juillet des droits de douane provisoires de 17 % à 38,1 % sur ces importations suite à l’enquête menée par la Commission sur les subventions massives dont auraient bénéficié les constructeurs chinois.
Mini-blocs
□ Les chefs d’État et de gouvernement de l’UE ont adopté, jeudi 27 juin, leur « agenda stratégique » - les grandes priorités qui doivent guider le bloc pour le cycle 2024-2029. Ce document, qui s’articule autour des thèmes de la défense, de la démocratie et de la compétitivité, ambitionne de faire de l'Europe « une puissance technologique et industrielle ». Objectif : rattraper le retard accumulé par rapport aux Etats-Unis et à la Chine dans des domaines stratégiques (intelligence artificielle, espace, technologies quantiques, 5G/6G, santé, biotechnologies, technologies 'zéro émission nette’…). Cela nécessitera « un effort d'investissement collectif important, mobilisant des fonds tant publics que privé », note le Conseil européen.
Au niveau international, l'ouverture commerciale doit rester un principe directeur pour l'UE ces cinq prochaines années, soulignent les Vingt-Sept. La politique commerciale doit permettre le « développement de chaînes d'approvisionnement résiliantes et fiables, [garantir] des conditions de concurrence véritablement équitables et créer des possibilités d'accès réciproque au marché ». Les dirigeants européens insistent enfin sur le renforcement de la sécurité économique du bloc en réduisant les dépendances « préjudiciables ».
□ Les accords de libre-échange (ALE) doivent aussi être évalués en regard des effets placebo ou nocebo qu’ils génèrent parmi les acteurs économiques, explique Lucian Cernat, chef de la « Coopération règlementaire mondiale » à la Commission européenne dans une note publiée en juin par le European Centre For International Political Economy. « L’hypothèse principale derrière cette nouvelle méthodologie est que même quand les interventions publiques dans le commerce n’ont en elles-mêmes le pouvoir de résoudre les problèmes, un effet placebo positif peut émerger si les parties prenantes croient que de telles politiques vont encourager l’accès aux marchés. Inversement, un effet nocebo négatif peut se manifester si ces derniers sont convaincus que les initiatives (en particulier les ALE), auront un impact néfaste, même en dépit de preuves indéniables du contraire », lit-on en introduction. La note comprend des exemples concrets.
□ L’accord de libre-échange conclu le 18 décembre 2023 entre l'UE et le Kenya est entré en vigueur ce lundi 1er juillet. Il« vise à renforcer les échanges économiques entre les deux blocs alors que le pays est considéré comme la première économie d'Afrique de l'Est », raconte le Moci.
□ « La Chine accentue la nationalisation du secteur des terres rares », relève un éditorial du « Monde » paru mardi 2 juillet. « Pékin a dévoilé samedi 29 juin une liste de réglementations sur ces ressources hautement stratégiques, et dont elle est le premier producteur mondial. Ce nouveau signe de durcissement chinois met au défi l’Europe de rendre plus vite compétitive sa production locale tout en polluant le moins possible », estime le quotidien du soir.
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Cette édition a été préparée par Antonia Przybyslawski, Clément Solal, Mathieu Solal et Sophie Hus.
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