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Chaque semaine, votre condensé d’actualité utile sur le commerce international.

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Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal
23 oct. · 7 mn à lire
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Automobile : les incohérences de la stratégie européenne

Focus sur l'industrie des voitures en Europe, mais aussi... □ La drôle de rencontre Orban-Breton □ Les déboires d'ASML □ La levée de bouclier contre Shein et Temu □ Les nuages au-dessus de la relation commerciale US-Mexique

BLOCS#36 Bonjour, nous sommes le mercredi 23 octobre et voici le trente-sixième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur LinkedIn.

SONNEZ LES MATINES DE L’UE □ BLOCS vous invite à découvrir La Matinale européenne, une newsletter quotidienne qui offre une couverture complète, claire, et très informée des actualités de l’Union européenne. Le deuxième article de notre édition du jour est extrait de cette lettre préparée par trois journalistes - un Français, un Italien et un Espagnol - tous trois correspondants à Bruxelles expérimentés.


Super-bloc

Trois jours après la conclusion d’une édition 2024 du Mondial de l’auto au succès en trompe l’oeil, BLOCS analyse cette semaine les racines politiques des difficultés de l’industrie automobile européenne. Sans oublier toutefois les lueurs d’espoir qui éclaircissent le tableau.

La gamme de voitures électriques ID de Volkswagen présentée par Herbert Diess, ancien président du directoire du groupe allemand, en 2018. © Wikimedia Commons/CC BY-SA 4.0/Matti Blume

BAUME AU COEUR □  L’édition 2024 du Mondial de l’auto, qui s’est conclue dimanche à Paris, a remporté un franc succès. Déserté il y a deux ans par les Allemands, les Japonais et les Américains, le salon a réussi cette année à attirer tous les grands noms de l’industrie.

Résultat : plus de 500 000 visiteurs se sont pressés sous les halles du parc des expositions de la Porte de Versailles.

De quoi redonner un peu de baume au cœur à un secteur par ailleurs en souffrance sur le continent européen. Dernier symptôme en date : la grève qui a paralysé vendredi les 6 sites de production de Stellantis en Italie.

Les difficultés du groupe qui exploite et commercialise 15 marques, dont Peugeot, Citroën ou Fiat, sont aussi visibles de ce côté-ci des Alpes, où beaucoup de salariés sont déjà en situation de chômage partiel.

L’avenir de l’emblématique site de production de Poissy, le dernier de Stellantis situé en Ile de France, est plus incertain que jamais, selon les informations des Echos. Outre-Rhin, Volkswagen en vient aussi à envisager des fermetures de sites. En cause : un ralentissement généralisé des commandes, qui touche également les sous-traitants.

« Deux indicateurs illustrent la crise actuelle, explique Olivier Hanoulle, consultant automobile au cabinet Roland Berger, cité par Le Figaro. D’une part, les volumes de production en Europe : en 2024, ils devraient atteindre 17,2 millions de véhicules légers. Le niveau le plus bas avait été atteint en 2020 à 16,6 millions de véhicules. […] Le deuxième indicateur est la rentabilité. En 2024, les marges vont terriblement diminuer. »

AVANCE CHINOISE □ De quoi susciter les plaintes des constructeurs, qui pointent du doigt la concurrence chinoise. Grâce, pour l’essentiel, à son avance acquise sur les différents stades de la filière de production de véhicules électriques (terres rares, batteries et assemblage), l’Empire du Milieu est devenu en 2023 le premier exportateur mondial d’automobile.

Les constructeurs purement chinois dominent aussi désormais leur florissant marché intérieur, autrefois trusté par des joint-ventures incluant des entreprises étrangères, et notamment européennes.

La stratégie chinoise, qui repose sur des subventions massives accordées depuis des années, est toutefois mise à mal par les sanctions commerciales prises ces derniers mois par les principaux blocs commerciaux, dont celui de l’UE (BLOCS#34).

De quoi mettre un coup de frein à l’avancée de la superpuissance asiatique en Europe ? Entre 2020 et 2024, la part de véhicules électriques produits en Chine au sein du total des ventes en Europe est passée de 12% à près de 25%, selon les chiffres de Transport et Environnement.

D’après cette ONG, cette part de marché pourrait diminuer fortement grâce aux nouveaux droits de douane de l’UE. « T&E» prévoit en outre que les ventes de véhicules électriques devraient atteindre 24 % de part de marché en 2025 (contre 14 % au premier semestre 2024).

LUEURS D’ESPOIR □ Les constructeurs européens pourraient donc, sur le papier, tirer leur épingle du jeu. C’est toutefois compter sans la capacité d’adaptation des constructeurs chinois.

Ceux-ci se sont activés, ces derniers mois, pour ouvrir des sites de production en Europe orientale et dans des pays voisins de l’UE comme la Turquie, disposant de relations commerciales privilégiées avec l’UE.

Les sanctions européennes risquent ainsi de manquer leur cible. Elles peuvent en outre paraître mal calibrées, dans la mesure où elles ne comportent pas de règles d’origines, notamment concernant les batteries et les composants électroniques, pour les voitures assemblées dans l’UE.

L’installation expresse des constructeurs chinois en Europe offre en même temps des opportunités aux firmes européennes désireuses de rattraper leur retard dans l’électrique.

Stellantis a ainsi consenti à un investissement de 1,5 milliard d’euros et à la constitution d’une filiale du chinois Leapmotors pour faciliter son installation en Europe, en l’échange d’un prometteur transfert de technologies.

Autres lueurs d’espoir pour l’industrie : le succès encourageant des petites voitures hybrides européennes, à côté du leader Toyota, ou encore la forte baisse du prix des batteries pronostiquée par Goldman Sachs.

BORNES EN BERNE Reste à savoir si la filière des batteries électriques, soutenue de longue date par l’UE, pourra en bénéficier, alors qu’elle paraît en difficulté.

Les lacunes européennes paraissent d’autant plus dommageables que les objectifs de décarbonation du secteur édictés au niveau européen sont élevés. Le prochain palier en vue avant la fin du moteur thermique en 2035 : une baisse de 15% des émissions des véhicules neufs en 2025, en comparaison avec 2020.

Décriée par certains, la cible devrait pourtant être atteinte sans problème par la plupart des firmes européennes. Les experts de tous bords déplorent toutefois que cet objectif ne soit pas accompagné d’un vrai soutien public vers l’électrification au niveau européen.

« Dans 20 pays de l’UE, des incitations en matière d’infrastructures, telles que des subventions pour les bornes et les stations de recharge, font défaut », se désolait ainsi Johan Geeroms, le Directeur Risk Underwriting Benelux d’Allianz, dans un rapport paru au printemps.

Les difficultés budgétaires ont aussi des conséquences concrètes. « En Allemagne, la suppression des aides en décembre 2023 a fait couler les ventes [de] - 68 % en août dernier, note Le Figaro. En France, l’enveloppe de 1 milliard et demi consacrée au bonus écologique et au leasing social sera rabotée d’un tiers ».

Le secteur automobile européen constituera ainsi, à n’en pas douter, l’un des dossiers chauds sur la table du nouveau collège des commissaires européens.


Blocs-notes


THIERRY BRETON CHEZ VIKTOR ORBAN □ La bulle européenne était en ébullition lundi, après la publication par l'ancien commissaire européen, Thierry Breton, d’un post sur X suite à une rencontre avec le Premier ministre hongrois, Viktor Orban.

« Après les élections américaines, nous entrerons dans un monde nouveau et de plus en plus exigeant. Nous devons être prêts, quel que soit le résultat, à soutenir non seulement notre industrie européenne de la défense, mais aussi notre secteur automobile européen, si important ici en Hongrie, nos propres technologies et notre compétitivité européenne dans son ensemble. [...] » , a expliqué l’ancien commissaire.

La rencontre avait été organisée avant l’éviction de Thierry Breton de la nouvelle Commission par Ursula von der Leyen et Breton a tenu à honorer le rendez-vous, nous a expliqué un de ses proches.

La porte s’est fermée entre la présidente de la Commission européenne et le dirigeant hongrois, avec un risque réel de blocage du consensus européen.

Dégagé de ses obligations, Thierry Breton cherche à maintenir un dialogue avec un dirigeant difficile, qui souhaite ouvertement l'élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis et qui a l’écoute de plusieurs chefs de gouvernements de l’UE.

Breton n’est pas le seul à vouloir dialoguer avec Orban. « Nous avons toujours trouvé des accords avec Viktor Orban », a rappelé Emmanuel Macron à l’issue du dernier sommet européen, le 17 octobre.

Ce mardi soir, le président français et le dirigeant hongrois ont d’ailleurs dîné ensemble à l’Elysée pour évoquer, entre autres, la présidence hongroise du Conseil de l’UE.

Cet article est extrait du numéro de mardi de La Matinale Européenne, une lettre quotidienne sur l’actualité de l’UE recommandée par BLOCS.

ASML : QUAND LES ÉTATS S’EN MÊLENT □ La société ASML, incontournable dans la fabrication de puces électroniques, et l’un des rares géants européens de la Tech, vient-elle d'entrer dans une crise aiguë ? Le mastodonte néerlandais a dévoilé le 16 octobre des chiffres calamiteux.

Au troisième trimestre son carnet de commandes s’est élevé à 2,6 milliards d’euros, deux fois moins que ce qu’attendaient les analystes. Et les prévisions de revenus pour 2025 sont en chute libre.

Résultat, la capitalisation boursière d’ASML a fortement baissé, bien que celle-ci reste colossale, à 250 milliards d’euros, soit environ un quart du PIB des Pays-Bas. Néanmoins, comment expliquer ce sérieux coup de frein ? D’abord par la conjoncture.

Le boom de l’IA promettait pourtant à la société une croissance soutenue. Certes, et celui-ci est toujours d’actualité, mais le secteur ne représente à ce stade que 15% des ventes d’ASML, selon les chiffres d’UBS. Ce sont plutôt les ralentissements des autres grands marchés des puces, notamment la téléphonie et l’automobile, qui sont en cause.

La toujours très haute valorisation de l’entreprise repose sur une situation de monopole : ASML est la seule à maîtriser une technologie révolutionnaire de gravage des semi-conducteurs avec une précision de moins de 7 nanomètres.

Elle vend ces machines à plus 350 millions d’euros pièce à des clients comme le taïwanais TSMC et le sud-coréen Samsung, seuls producteurs mondiaux de ces puces haut de gamme que l’on retrouve dans les ordinateurs et les smartphones.

Mais ce positionnement fait aussi de l’entreprise « un baromètre avancé de la santé de l’électronique mondiale », et « en ce début d’automne l’aiguille bascule soudain sur “mauvais temps” », résume Le Monde.

S’ajoute un facteur géopolitique : ASML a été frappée par les autorités néerlandaises et américaines d’une interdiction de vendre en Chine ses machines ultra-performantes ; ces mesures risquent d’ailleurs d’être durcies à l'avenir.

La part de ses ventes vers la superpuissance asiatique pourraient déjà passer de 50 % en 2024 à 20 % en 2025, selon ASML. 

Plus généralement, le secteur des semi-conducteurs est très dépendant des remous géopolitiques : le géant taïwanais TSMC vient pour sa part d’annoncer la construction d’une deuxième usine en Europe ; l’entreprise se prépare à un éventuel blocus chinois de l'île d’où proviennent 62% des puces électroniques dans le monde.

HARO SUR SHEIN ET TEMU ! □ Eurocommerce, la principale organisation européenne représentant le secteur du commerce de détail et de gros, a dénoncé dans une note publiée le 14 octobre la concurrence déloyale exercée par ces plateformes chinoises de commerce en ligne au sein du marché européen.

Alors que les achats réalisés en ligne et à l'étranger par les consommateurs européens ont augmenté de 36% depuis 2016, Eurocommerce impute le succès des acteurs tels que Shein et Temu à des pratiques jugées « non conformes » à plusieurs législations européennes : un marketing agressif « trompant et manipulant les consommateurs », des violations de la protections des données personnelles, des produits de piètre qualité, parfois dangereux, etc.

Le cri d’alerte d’Eurocommerce s’ajoute à celui exprimé par une vingtaine d’ONG et associations européennes du secteur dans une lettre ouverte publiée en septembre.

La réponse politique est en gestation. Dix Etats, dont l’Allemagne, la France et la Pologne, avaient enjoint fin septembre la Commission européenne à sévir face aux « risques de préjudices pour les consommateurs et de concurrence déloyale » présentés par ces produits, dont l'entrée dans l'UE est facilitée par l'exemption de frais de douane sur les colis inférieurs à 150 euros.

L’exécutif de l’UE pourrait bientôt proposer de taxer ces petits colis, dont ceux de l’ultra fast fashion, à l’instar de Joe Biden aux Etats-Unis (BLOCS#32).

La Commission de Bruxelles a enfin demandé fin juin des informations à Temu et Shein afin de vérifier leur conformité aux règles en matière de protection des consommateurs et à celles du Digital services act (DSA). Une première étape vers l'ouverture éventuelle d’une enquête formelle et de possibles sanctions.


Mini-blocs


Alors que les dirigeants d'entreprises américaines et mexicaines ont annoncé des investissements de plus de 20 milliards de dollars au Mexique pour 2025 lors du CEO Dialogue qui s'est tenu à Mexico le 15 octobre, un climat d'incertitude plane sur les relations commerciales entre les deux pays. En cause : les réformes controversées mises en œuvre par la nouvelle présidente du Mexique, Claudia Sheinbaum, et héritées de son prédécesseur, Andrés Manuel López Obrador. Parmi celles-ci : l'élection des juges par « vote populaire », la priorité accordée aux entreprises énergétiques d'État et l'élimination de certains régulateurs indépendants. Ces initiatives, ainsi que la « super-majorité » détenue par la coalition de gauche de Sheinbaum au Congrès, suscitent des inquiétudes parmi les investisseurs. Ces derniers attendent par ailleurs les résultats de la présidentielle américaine du 5 novembre. Car, côté Etats-Unis, la campagne présidentielle exacerbe les discours protectionnistes : Donald Trump a promis de taxer les entreprises américaines investissant au Mexique dans le cadre de la révision de l'accord de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique (ACEUM), prévue pour 2026.

Les hausses d’impôts sur les entreprises proposées dans le projet de budget 2025 du gouvernement Barnier, et discutées en ce moment par les députés, inquiètent les milieux économiques outre-Rhin. Le directeur général de la chambre de commerce franco-allemande, Patrick Brandmaier, pointe dans Les Echos « un risque pour la compétitivité des entreprises et, à plus long terme, pour l'attractivité de la France ». Depuis 2018, l'Allemagne est le premier investisseur européen dans l'Hexagone, rappelle le quotidien.

Le gouvernement norvégien a annoncé début octobre que le pays nordique rejoindrait le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) de l'UE. Une décision qui représente une étape importante dans l'alignement des politiques climatiques et commerciales de la Norvège avec celles de l'Union. Le mécanisme, adopté en 2022 à Bruxelles, est voué à répercuter le prix du carbone de l’UE sur les marchandises importées dans les secteurs de l’acier, du ciment, de l’aluminium, de l’hydrogène ou encore des engrais. Il sera mis en place progressivement, entre 2026 et 2034. Si d’autres pays tels que le Royaume-Uni ou l’Australie, ont également indiqué vouloir répliquer l’instrument, celui-ci suscite une opposition croissante, notamment de la part de la Chine et de l'Inde (BLOCS#1).

Le président de l’entreprise tricolore de logistique Ovrsea évoque dans Les Echos « l’ère d’imprévisibilité » dans laquelle est entrée le transport international ; Arthur Barillas recommande aux chargeurs de négocier des taux de long terme (ou taux contractuels) « qui les préserveraient en grande partie, en 2025, des violentes fluctuations tarifaires ».

Quelle politique commerciale aux Etats-Unis, selon que Donald Trump ou Kamala Harris accède à la présidence ? Une note très étayée de l’Institut Jacques Delors parue ce mardi 22 octobre donne des éléments de réponse.

Dans une note publiée par l’Institut Montaigne le 16 octobre, le chercheur Philippe Aguignier analyse le « changement de cap » choisi par Pékin pour relancer une économie en berne depuis la crise immobilière de 2021. Cet expert de l’économie chinoise cherche à tirer des enseignements d’une comparaison avec les « trois flèches » (monétaire, budgétaire et de croissance) de la politique économique mise en oeuvre par Shinzō Abe au Japon entre 2012 et 2016.


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Cette édition a été préparée par Clément Solal, Antonia Przybyslawski, Mathieu Solal et Sophie Hus.

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