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Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal
4 déc. · 7 mn à lire
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Pressions multiples sur l’unité européenne

Entretien au sujet des actualités commerciales qui percutent notre continent avec l'eurodéputée Marie-Pierre Vedrenne. Mais aussi ... □ Lagarde lance le débat sur la stratégie face à Trump □ Qui est le chef du commerce dans la nouvelle Commission ? □ UE-Mercosur, accord en vue ? □ Trump menace les BRICS □ Ngozi Okonjo-Iweala rempile à l'OMC

BLOCS#41 Bonjour, nous sommes le mercredi 4 décembre et voici le quarante-et-unième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous sur LinkedIn.

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Super-bloc

Attractivité de la France plombée par l’incertitude politique, interminable suspense sur l’accord UE-Mercosur, débats sur la bonne stratégie contre Trump, conflit Bruxelles-Pékin … Alors que de multiples actualités se chevauchent, BLOCS a balayé les grands sujets commerciaux du moment dans un entretien avec Marie-Pierre Vedrenne (Modem) l’une des eurodéputées les plus influentes sur la politique commerciale lors du précédent mandat. La cheffe de la délégation « Europe Ensemble » au Parlement européen implore l’UE de préserver son unité face aux nombreux périls.

Marie-Pierre Vedrenne

BLOCS : Le gouvernement Barnier pourrait tomber ce mercredi. L’incertitude politique pèse sur l’économie française : les défaillances d’entreprises grimpent et on craint une recrudescence du chômage, sans parler du budget et du sujet de l’endettement : dans quelle mesure êtes-vous inquiète pour notre pays ?

MARIE-PIERRE VEDRENNE : Il faut regarder la réalité en face : tant d’un point de vue politique qu’économique, que pour la vie de nos entreprises, on a effectivement connu des moments plus glorieux. En France, on ne voit hélas pas la logique de la responsabilité primer parmi les élus et les forces politiques. La situation suscite énormément de questions de la part de collègues à Bruxelles. Elle a un impact sur notre action à l’échelle de l’Union, sur les marchés financiers …

La grande inquiétude des investisseurs étrangers vis-à-vis de la France est née au moment de la dissolution de l’Assemblée nationale. Sentez-vous que le regard porté sur l’Hexagone a changé ?

Je crois qu’on percevait déjà la France différemment des autres Etats membres auparavant, avec un regard ambivalent, mêlé d’admiration et parfois de consternation. Au moment du débat sur les retraites, on nous demandait déjà : « comment allez-vous vous en sortir ? ». Il y a depuis un petit moment une interrogation sur la capacité de la France à mener des réformes structurelles, à continuer d’avancer.

Ceci dit, les difficultés politiques et économiques de l’Allemagne et l’instabilité dans d’autres pays provoquent aussi de l’inquiétude. D’autant plus à l’heure où l’on a besoin d'États membres solides et d’unité pour faire face au retour de Trump, à l’attitude de la Chine, à la guerre en Ukraine …

« Certains au sein de la Commission européenne aimeraient profiter de la relative faiblesse de la France pour se dépêcher de signer l’accord UE-Mercosur »

Paris manœuvre pour faire dérailler la conclusion de l’accord commercial UE-Mercosur. Cependant, la Commission pourrait-elle profiter du chaos politique en France pour le signer, pourquoi pas dès le Sommet du Mercosur qui se tiendra ces jeudi et vendredi à Montevideo ?

Certains à Bruxelles sont dans cette logique, y compris au sein même de la Commission européenne. Mais je n’ai pas le sentiment que profiter de la relative faiblesse de la France pour se dépêcher de signer soit la volonté ni de la présidente Ursula von der Leyen, ni de la cheffe de la Direction générale du Commerce de la Commission [la DG Trade], Sabine Weyand, avec qui j’en parlais encore ce mardi matin.

Leur enjeu est plutôt : comment répondre aux craintes exprimées au sein de l’UE et parmi les pays du Mercosur ? Comment convaincre les Etats membres et le Parlement européens que la Commission a mené un bon travail de négociations ?

A court terme, diriez-vous alors que la fenêtre d’opportunité pour Bruxelles s’est refermée ? La France aura-t-elle eu gain de cause sur le dossier Mercosur ?

C’est une négociation qui se poursuit avec des points d’achoppement des deux côtés. Ceci dit, il est vrai que la ligne que nous défendons avec le président de la république a rallié d’autres pays qui partagent les enjeux agricoles, dont la Pologne, l'Italie, l'Autriche, l’Irlande.

Beaucoup d’eurodéputés s'interrogent également sur le respect de l’accord de Paris et sur la conformité des produits importés aux standards européens (BLOCS#39).

C’est à mettre au crédit du président et de notre délégation au Parlement européen sur notre ligne d’opposition à l’accord en l’état. Un positionnement crédible, à la différence d’élus français d’autres bords politiques, qui rejettent en bloc tous les accords commerciaux, avec un argumentaire souvent populiste, qui ternit l’image de notre pays au sein de l’UE.

« Il ne faudra pas céder à l’approche transactionnelle de Donald Trump. En cela, je suis en désaccord avec Christine Lagarde »

Christine Lagarde a beaucoup étonné en se positionnant plutôt contre l’idée de mesures de rétorsion face aux droits de douanes promis par M. Trump. La cheffe de la BCE plaide à l’inverse pour que l’UE s’engage à acheter davantage de produits américains. Qu’en pensez-vous ?

Globalement, j’estime que nous devons nous préparer au pire, que ce soit dans la relation bilatérale, mais aussi au-delà : Trump profère des menaces contre le Canada, le Mexique, maintenant les BRICS … [voir section «mini-blocs »] Son arrivée risque de recomposer beaucoup de choses dans les partenariats commerciaux, les chaînes de valeur mondiales, etc.

S’il cible des secteurs d’exportations européens, alors surtout, il ne faudra pas céder à l’approche transactionnelle que la Maison Blanche cherchera à nous imposer (BLOCS#38) Et en cela je suis en désaccord avec Christine Lagarde.

Je ne suis certes pas pour la loi du talion, mais il faut savoir défendre nos intérêts. Lors du précédent mandat nous avons créé plusieurs instruments de défense. Il s’agit désormais de les utiliser.

Néanmoins, il faudra bien s’asseoir à la table de négociation à un moment ?

Bien sûr, il faudra répondre par nos propres tarifs, puis en parallèle négocier par la voie diplomatique. Les deux sont complémentaires, comme on le voit dans le conflit avec la Chine sur les véhicules électriques. (BLOCS#34). Mais la clé et le plus dur sera de maintenir l’unité européenne, et ce tant face à Pékin que face à Washington.

« Parier sur un renoncement de Trump face à aux effets inflationnistes de ses droits de douane serait une erreur stratégique »

Vous n’êtes donc pas de ceux qui pensent que devant les conséquences économiques de ses droits de douanes, sur l’inflation en particulier, M.Trump finira de toute manière par faire machine arrière ?

Parier sur un renoncement de Trump face à aux effets inflationnistes serait une erreur stratégique. Je le répète : il faut être prêt au pire du pire. Car c’est un sujet économique, mais aussi politique et de symbolique, avec la volonté d’imposer un rapport de force et ensuite de ne pas perdre la face.

Bien sûr, Trump étudiera les impacts sur ses électeurs et sur les acteurs économiques, et il pourrait à un moment être rattrapé par la réalité économique.

Cependant, s’il met en place une politique d’investissement stratégique type IRA [Inflation reduction act, le plan d’investissement massif de l’administration Biden dans les industries vertes], mais démultiplié, les Etats-Unis pourront aussi produire eux-même et jouer sur les deux tableaux.

Trump cherchera à mettre un cadre pour protéger son marché et à investir massivement au sein de ce même marché. La gouvernance le permet beaucoup plus facilement aux Etats-Unis que dans l’UE. Les Américains avancent sur les deux fronts, nous sur aucun des deux…

Vous vous satisfaisez des droits de douanes mis en place par l’UE contre les véhicules électriques. Mais plusieurs secteurs, dont ceux du cognac, du porc et des produits laitiers craignent les représailles de Pékin …

Les secteurs qui contribuent le plus à notre rayonnement international et à notre dynamisme, comme les vins et spiritueux, l’agroalimentaire ou le luxe, sont justement ceux qui sont ciblés par les Etats tiers dans ce type de conflit.

Ce qui est terrible, car ceux-ci ont le sentiment d’être des variables d’ajustement pour d’autres secteurs. L’enjeu est dès lors : comment mieux utiliser nos instruments avec fermeté pour que les Etats tiers stoppent leurs pratiques déloyales, tout en maintenant l’unité européenne ?

Car le risque est que chaque pays défende ses propres secteurs et aille négocier tout seul avec les Etats-Unis ou la Chine. C’est ce qu’il faut à tout prix éviter.


Blocs-notes


LAGARDE BAISSE LA GARDE □ Christine Lagarde a défrayé la chronique. En recommandant, jeudi dernier, à l’UE d’adopter une « stratégie du carnet de chèques » face au président élu Donald Trump, la cheffe de la BCE a beaucoup étonné la presse française et européenne.

Augmenter les importations, notamment de gaz naturel liquéfié et de matériel de défense américains, pour dissuader M.Trump d'augmenter les droits de douane sur les importations européennes, a en effet quelque chose de contre-intuitif.

L’idée n’est pourtant pas nouvelle : Ursula von der Leyen l’avait déjà évoquée début novembre. Cette stratégie évoquée par les deux femmes les plus puissantes de l’UE est toutefois loin d’être partagée par l’ensemble des responsables européens.

Parmi les Vingt-Sept, si tout le monde souhaite engager le dialogue avec le président élu, d’aucuns appellent l’UE à réagir avec détermination si M. Trump augmente les droits de douane comme il l’a promis.

Au sein de la Commission européenne, une « task-force » a d’ailleurs été mise en place cet été pour réfléchir à des mesures de rétorsion ciblées en cas d’attaque commerciale des Etats-Unis (BLOCS#38).

À l’approche de la prise de fonction de M. Trump, qui aura lieu le 20 janvier, les Européens semblent ainsi jouer la carte de l’ambiguïté stratégique, en faisant passer en même temps des messages de fermeté et d’ouverture.

Les deux réponses envisagées reposeraient néanmoins sur une unité européenne face à M. Trump que rien ne garantit pour l’heure, surtout au vu de la capacité de nuisance du président élu.

« Trump dispose d’une longue liste d’instruments qu’il peut utiliser pour cibler des pays individuellement, même sans recourir au Congrès […] », explique ainsi l’économiste Uri Dadush, dans une tribune publiée dimanche par Le Monde.

Parmi les secteurs que Trump est susceptible de viser, l’automobile, en particulier allemande, qui a l’air de l’obséder.

Pour maintenir l’indispensable unité, l’UE devra compter sur une Commission européenne pugnace, mais aussi sur un tandem franco-allemand en ordre de bataille. Or, pour l’heure, on en est loin.

À BRUXELLES, C’EST QUI LE BOSS ? □ La nouvelle Commission européenne a officiellement entamé son mandat ce 1er décembre. Du côté de la politique commerciale, le membre le plus puissant selon l’organigramme du nouveau collège des commissaires est, a priori, le macroniste Stéphane Séjourné.

Vice-président exécutif de l’institution, cet ancien chef du groupe centriste Renew au Parlement européen et ex-ministre des Affaires étrangères, hérite d’un épais portefeuille qui couvre à la fois le commerce, l’industrie, les PME et le marché unique.

Novice à la Commission, le Français aura toutefois fort à faire pour s’imposer, au vu des profils qui l’entourent. Le nouveau commissaire au Commerce, Maroš Šefčovič, est ainsi le plus expérimenté du collège, où il officie depuis 2010. Si ce dernier est formellement placé sous la supervision de M. Séjourné, sa connaissance de la technostructure et sa proximité avec Ursula Von der Leyen devraient lui conférer une capacité d’action propre.

Sous les ordres du Slovaque, on trouve en outre la puissante direction générale du Commerce (DG Trade), dirigée depuis 2019 par l’Allemande Sabine Weyand, à la Commission depuis 1999. Grande partisane du libre-échange, Mme Weyand pourrait donner du fil à retordre à M. Séjourné, lequel défend une ligne plus protectionniste et pro-politique industrielle, dans la tradition française.

Dernière personnalité susceptible de peser sur les affaires commerciales, le conservateur Valdis Dombrovskis, lui aussi proche de Mme Von der Leyen, et présent à la Commission depuis 2014. Le Letton, qui vient de céder le portefeuille du commerce, est désormais en charge de l’économie et de la simplification, sous la supervision de M. Séjourné.

Dans l’entourage de Stéphane Séjourné, on préfère positiver. « La grande nouveauté de cette Commission est d’en finir avec un travail en silo, salue-t-on au sein de son nouveau cabinet. Désormais la Commission fonctionne en objectif politique, ce qui fait que les politiques commerciale, industrielle et environnementale sont conçues comme un tout ».

Une autre manière de voir les choses est que cette structure assez floue est vouée à placer la cheffe de la Commission Ursula von der Leyen au cœur de toutes les décisions majeures. 

« Le découpage peu net des portefeuilles au sein du collège des commissaires, où on ne sait pas bien qui est en charge de quoi, avec des responsabilités diluées sur quasiment chaque sujet, pourrait conduire à ce que les arbitrages clés politiquement remontent systématiquement vers la présidente, estime Pierre Degonde, consultant en affaires publiques franco-européennes au sein du cabinet Euralia. La nouvelle gouvernance est en réalité faite pour cela ».


Mini-blocs


La ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a appelé ce mardi la Commission européenne a finaliser l'accord de libre-échange avec le Mercosur dès ce vendredi, lors de la réunion des dirigeants des pays du bloc (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay), prévue à Montevideo. « Il est essentiel que la Commission européenne finalise politiquement l'accord de libre-échange avec le Mercosur », a ainsi déclaré la ministre issue du parti vert allemand, en marge d'un sommet de l'Otan à Bruxelles. Lundi, des contacts techniques étaient encore en cours entre les deux parties, selon les informations de BLOCS. Une signature de l’accord ce vendredi représenterait une gifle pour la France, qui n’a pas ménagé sa peine pour signifier son opposition ces derniers mois (BLOCS#40).

Dans un message publié samedi sur les réseaux sociaux, Donald Trump a sommé les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) de renoncer à créer ou soutenir une monnaie rivalisant avec le dollar, menaçant ces pays d'imposer des droits de douane à hauteur de 100 %. « Ils peuvent chercher un autre pigeon. Le dollar américain restera incontournable, et tout pays qui tentera de le remplacer devra dire adieu à l’Amérique », a-t-il averti. À moins de deux mois de son investiture, M.Trump semble ainsi résolu à préserver la suprématie américaine, notamment le rôle dominant du billet vert dans le commerce mondial. Actuellement, la devise américaine représente environ 58 % des réserves de change mondiales, et sert largement de référence pour les échanges de matières premières comme le pétrole. Cependant, cette position est menacée par les BRICS , qui envisagent de commercer dans des devises alternatives.

Les 166 membres de l’OMC ont reconduit à l’unanimité sa Directrice générale Ngozi Okonjo-Iweala pour un deuxième mandat de 4 ans, ce vendredi 29 novembre. La réélection de la Nigériane intervient bien avant le terme de son premier mandat de la Nigériane, fixé au 30 août 2025. L'objectif était ainsi d'éviter que « l'équipe de Donald Trump mette son veto comme il y a quatre ans », a indiqué à l'AFP l'ancien porte-parole de l'OMC, Keith Rockwell, qui prédit que cette reconduction accélérée va « créer des tensions dans les relations avec les Etats-Unis ». En tout état de cause, la tâche ne sera pas aisée pour la Nigériane, alors que M.Trump multiplie les menaces protectionnistes et n’a aucune intention de respecter les règles du commerce mondial. Ngozi Okonjo-Iweala a cependant indiqué avoir « hâte » de travailler avec Donald Trump, jugeant « prématuré » de commenter ses menaces protectionnistes, tout en appelant au respect des règles de l’OMC.

Dans un article en accès libre, Les Echos explique comment l’Italie se prépare au renforcement de la politique protectionniste promise par Donald Trump. Les Etats-Unis représentent le deuxième marché pour les produits « made in Italy », pour une valeur de 69 milliards d'euros en 2023. De plus, 1.800 entreprises italiennes sont présentes au Mexique, alors que Trump a annoncé des droits de douane de 25% sur leurs produits en provenance de ce pays frontalier.

L'UE peine à sortir du « grand sommeil » dans lequel elle est tombée depuis la campagne des élections européennes de juin, et prolongé par des crises politiques majeures à Paris et à Berlin, écrivent nos amis de La Matinale Européenne dans leur édition de mardi. La paralysie, susceptible de durer jusqu'à la mi-2025, risque d'entraver la réalisation des projets ambitieux d'Ursula von der Leyen pour les 100 premiers jours de son mandat, réduits à des orientations générales faute de consensus politique plus solide. Cette inertie survient à un moment « crucial » pour l’Europe, alors que Donald Trump s’apprête à revenir à la Maison Blanche avec des menaces de guerre commerciale et un possible retrait du soutien à l’Ukraine. Pour lire l’analyse complète de La Matinale Européenne, c’est par ici.


Cette édition a été préparée par

Clément Solal, Antonia Przybyslawski, Mathieu Solal et Sophie Hus.

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