BLOCS#44 □ Bonjour, nous sommes le mercredi 8 janvier et voici le quarante-quatrième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous sur LinkedIn.
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Super-bloc
Les tensions géopolitiques devraient toujours plus détraquer la machine commerciale globale en 2025. Illustration avec un état des lieux des quatre sujets qui s’annoncent comme les plus chauds de l’année qui commence.
© Wikimedia commons @Flickr ©Unsplash
CHALEUR TRUMPIENNE □ Douze jours avant l’investiture de Donald Trump, la planète commerce a de quoi trembler.
En campagne, l’homme qui s’est auto-surnommé le « Tariff Man », a promis de faire ingurgiter au monde un redoutable cocktail de droits de douane, composé d’une surtaxe de 10, voire 20%, sur la quasi-totalité des biens importés et une barrière de 60% pour les marchandises chinoises.
Des menaces qui ont continué de plus belle après son élection, ciblant en particulier le Mexique et le Canada, qui pourraient écoper de tarifs douaniers de 25% (BLOCS#40).
Si l’incertitude règne quant à la propension de l’épouvantail américain à tenir parole, son élection a déjà un impact sur les prévisions commerciales.
Dans son scénario le plus optimiste, Allianz Trade estime ainsi qu’une « guerre commerciale contenue » pourrait « ramener la croissance nominale du commerce mondial en dessous de 5 % en 2026 (-0,6 point de pourcentage), avec 67 milliards de dollars d'exportations menacées en Europe et en Chine en 2025-2026 (la moitié du total mondial) ».
Une guerre commerciale totale aurait quant à elle un effet dévastateur global, en particulier sur l’économie américaine qui souffrirait de taux d’inflation inédits.
La France ne serait pas épargnée : ses gains à l'exportation sur la période 2025-2026 « tomberaient à 50,6 milliards de dollars, soit 13,4 milliards de dollars de moins que notre estimation précédente », expliquent les économistes d’Allianz.
Reste à savoir comment les Européens réagiront aux menaces commerciales trumpiennes, qui s’accompagnent de marchandage sur la garantie de sécurité américaine et d’incertitudes entretenues sur la question ukrainienne (BLOCS#38).
Dans une récente note publiée par le Centre Jacques Delors, les chercheurs Elvire Fabry et Arthur Leichthammer affirment que « l’UE est mieux préparée à relever ces défis que lors du premier mandat de Trump ».
« Grâce à un mélange de dissuasion et d’incitations ciblées telles qu’une augmentation des achats d’énergie et de défense, l’UE peut renforcer sa position de négociation, dont la force reposera fondamentalement sur son unité », analysent encore les deux chercheurs.
La présidente du Conseil italienne, Giorgia Meloni, a néanmoins semé le doute sur la capacité des Européens à rester solidaires, en se rendant ce week-end en solo à à Mar-a-Lago, pour rencontrer le président élu, comme le relatent nos amis de la Matinale européenne dans leur édition de lundi.
PARIS PAS LATINO □ La conclusion des négociations autour d’un accord commercial entre l’UE et le Mercosur (Brésil, Uruguay, Argentine, Paraguay), entérinée par Ursula von der Leyen le 6 décembre 2024, ne marque certainement pas la fin de cette saga qui dure depuis plus de deux décennies.
La France, qui s’est opposée frontalement à ce traité de libre-échange en gestation (BLOCS#39), est en effet loin d’avoir dit son dernier mot.
« La messe n'est pas dite (...) On continuera de défendre avec force la cohérence de nos engagements et donc (une) politique commerciale cohérente », a ainsi martelé Emmanuel Macron devant les ambassadeurs français réunis à l'Élysée, lundi.
L’accord paraphé le mois dernier doit en effet encore parcourir un long chemin démocratique avant d’être ratifié et d’entrer en vigueur.
La France, dont l’opposition ne devrait a priori pas suffire à faire tomber le texte, tentera de se trouver des alliés à la table du Conseil. Rome et Varsovie, qui ont exprimé leurs réserves avant le 6 décembre, semblent plus ouverts au compromis que Paris.
Les agriculteurs européens pourraient aussi jouer un grand rôle dans le processus politique. Mi-décembre, quelques 5 000 agriculteurs ont ainsi manifesté devant le ministère de l’Agriculture espagnol, reprochant à l’accord de créer une concurrence déloyale (BLOCS#43).
La colère agricole, qui s’était vigoureusement exprimée au début de l’année dernière, couve aussi dans d’autres pays de l’UE dont la France.
La solution pourrait venir de la mise en place d’un fonds européen de compensation pour les agriculteurs.
L’issue de ce processus politique en dira beaucoup sur la capacité ou non de l’UE à s’engager dans de nouveaux accords commerciaux ambitieux.
XI À LA RELANCE □ « Peu importe l'évolution de l'environnement extérieur, incertain et changeant, les actions de la Chine en matière d'ouverture ne faibliront pas », a affirmé ce vendredi lors d'un point presse Zhao Chenxin, vice-président de la Commission nationale du développement et de la réforme.
Des déclarations qui peuvent paraître surprenantes au vu de la détérioration globale de l’attractivité de la Chine, qui a notamment conduit à une baisse des investissements directs étrangers dans le pays en 2023, à un plus bas depuis 1993 (BLOCS#18).
Sur le plan commercial, Pékin pense sans doute avoir une carte à jouer, en s’imposant comme un interlocuteur raisonnable, en comparaison avec l’outrancier Donald Trump.
L’ouverture affichée par M. Chenxin devra néanmoins s’accompagner de résultats tangibles pour être crédible. Trouver une solution négociée au conflit Pékin-Bruxelles entamé cet été autour des voitures électriques chinoises serait un bon début (BLOCS#43).
La capacité ou non de la Chine à éviter une guerre commerciale totale avec les Etats-Unis reste aussi à prouver.
Sur le front américain, Xi Jinping adopte pour l’heure une attitude dure et déterminée. Le président chinois a ainsi refusé l’invitation de M. Trump à participer à sa cérémonie d’investiture, et prépare sa riposte aux attaques promises par le président élu.
« La confiance de Pékin est à l’image de celle de l’équipe Trump, analyse le chercheur américain Evan Medeiros dans une tribune publiée par le Financial Times. Les deux camps pensent avoir l’avantage, pouvoir imposer des coûts plus élevés et endurer davantage de souffrances. Le terrain est donc propice à une dynamique complexe et déstabilisatrice qui, au mieux, aboutira à un cessez-le-feu. Et cela ne concerne que les questions économiques, pas Taïwan, la mer de Chine méridionale, la concurrence technologique ou la modernisation des armes nucléaires. La guerre froide commence à paraître désuète en comparaison ».
LES PARADOXES DU FRET MARITIME □ Les tensions géopolitiques devraient continuer d’affecter le fret maritime en 2025. En Syrie, la chute du régime Assad pourrait en effet augmenter encore la déstabilisation de la région, et l’arrivée au pouvoir de M. Trump aux Etats-Unis créer de nouveaux soubresauts avec l’Iran.
De quoi laisser présager une perpétuation, voire une aggravation des attaques de navires commerciaux en mer Rouge, qui obligent depuis plus d’un an une bonne partie des porte-conteneurs, privés d’accès au canal de Suez, à contourner le continent africain via le Cap de Bonne Espérance.
Une situation qui a conduit à augmenter les temps de trajet, tendre l’offre de fret maritime et a ainsi, paradoxalement, multiplié les bénéfices des grandes compagnies maritimes, qui n’ont pas eu à subir les conséquences des surcapacités qui s’annonçaient.
Les tensions géopolitiques, notamment autour du canal de Panama, dans le viseur de M. Trump qui affirme qu’il est contrôlé par la Chine, mais aussi les menaces de grève des dockers, notamment aux Etats-Unis, ainsi que la réduction des flux que devrait provoquer la guerre commerciale qui s’annonce, pourraient faire de 2025 une année encore plus tendue que 2024 pour le fret maritime.
Blocs-notes
COMPÉTENCE APPRÉCIÉE □ L’éphémère ministre du Budget, Laurent Saint-Martin, a succédé à Sophie Primas (BLOCS#32) en tant que ministre délégué chargé du Commerce extérieur, le 23 décembre.
La nomination de ce macroniste de la première heure, ancien député du Val de Marne passé par le groupe BPI avant de diriger Business France pendant un an et demi, semble avoir été bien accueillie par l’écosystème du commerce international, note le Moci.
« Il présente un certain nombre d’atouts qui le qualifient pour le poste, confirme Julien Thorel, Doyen de la Faculté des Études Internationales et Interculturelles de CY Cergy Paris Université. Il connaît le monde de l’entreprise et, en particulier, sa dimension internationale, au contraire de beaucoup de ses prédécesseurs qui semblaient surtout voir ce poste de ministre délégué comme un tremplin dans leurs carrières politiques. Reste à savoir s’il aura le temps de faire avancer les choses… ».
La question se pose en effet, alors que M. Saint-Martin est le quatrième ministre délégué chargé du Commerce extérieur qu’ait connu la France en un an, et que le gouvernement mené par François Bayrou paraît encore plus fragile que celui de Michel Barnier.
Une instabilité politique qui empêche de mener une action politique cohérente sur le front commercial, et nuit à l’attractivité française.
« Le baromètre du cabinet EY avait permis, ces dernières années, d’observer la progression de la France sur le front de l’attractivité. Aujourd’hui, on voit que tous les ingrédients sont là pour que l’image de marque de la France soit ternie (BLOCS#40) et qu’on n’attire plus autant que ces dernières années » s’inquiète Julien Thorel.
TROUBLE SUR LE ROUBLE □ Près de trois ans après le début de la guerre en Ukraine, les sanctions occidentales sont-elles en passe de mettre la Russie à genoux ?
Alors que UE a adopté mi-décembre le 15ème paquet de ces mesures qui ont ciblé une multitude de secteurs depuis l’invasion du 24 février 2022 (finance, transports, or, agriculture, pétrole, gaz, charbon, matériels militaires, technologies, diamants … ), l’économie russe affiche en tout cas de sévères signaux de faiblesse.
A commencer par une inflation galopante, de près de 9% en novembre dernier, qui a contraint la banque centrale à augmenter son taux directeur à 21 %, le niveau le plus haut depuis plus de vingt ans.
De quoi jeter une ombre sur l’avenir de milliers d’entreprises habituées à refinancer leur dette à taux variable.
« Même les patrons proches du Kremlin expriment leurs inquiétudes », constate Le Monde. « Si nous continuons de cette façon, alors pratiquement la majorité de nos entreprises feront faillite », a notamment déclaré Sergueï Tchemezov, le directeur général de Rostec, holding d’Etat au cœur du complexe militaro-industriel, et ami de Vladimir Poutine.
Le rouble plonge comme jamais depuis mars 2022, tandis que la croissance économique est en chute libre. Le 19 décembre dernier, Vladimir Poutine a lui-même qualifié le niveau d’inflation de « signal alarmant » et reconnu que « les sanctions ont un impact ».
Cependant, la Russie parvient à contourner une partie des mesures grâce à des partenariats avec des pays comme la Chine, l’Iran et l’Inde. Mais ces alternatives sont très coûteuses.
Par exemple, le Kremlin vend désormais massivement son pétrole à l’Inde plutôt qu’à l’UE, mais à des prix bradés et avec des frais de transport bien plus élevés. De même, le coup le plus rude asséné au pays se trouve dans l’interdiction d’importer des centaines de biens technologiques venus d’Occident ( radiocommunication, hélicoptères, composants d’avions, semi-conducteurs …). Ici, c’est surtout la Chine qui compense, mais très partiellement.
Mini-blocs
□ Le président américain, Joe Biden, a bloqué vendredi le projet de rachat d'US Steel par Nippon Steel, évalué à 14,9 milliards de dollars. Selon le président sortant, cette fusion « placerait un grand producteur américain d’acier sous contrôle étranger » et mettrait en péril la sécurité nationale et les chaînes d’approvisionnement essentielles des États-Unis. En réaction, les aciéristes japonais et américains des deux groupes ont annoncé lundi avoir déposé un recours devant la justice américaine pour contester la décision du Président, qu’ils considèrent comme une « ingérence illégale ». L’affaire, devenue un enjeu majeur de la campagne présidentielle américaine, concerne notamment la Pennsylvanie, État électoral stratégique et berceau historique de l’industrie sidérurgique. En septembre, des groupes industriels avaient déjà exhorté les autorités à résister aux pressions politiques dans ce dossier. De son côté, Donald Trump, a réaffirmé lundi son opposition à l’accord : « Pourquoi vendre US Steel maintenant, alors que les droits de douane la rendront bien plus rentable ? Ne serait-il pas formidable qu’US Steel, autrefois la plus grande entreprise mondiale, mène à nouveau le chemin vers la grandeur ? », a-t-il déclaré sur son réseau social, Truth Social.
□ Le marché automobile en France traverse une période difficile. Avec 1,7 million immatriculations, les ventes de voitures neuves en France ont reculé de 3,2% l’année dernière par rapport à 2023, selon la Plateforme automobile. La baisse de la demande, plus marquée au second semestre, résulterait, selon les experts du secteur, de l'environnement économique et politique actuel. Les deux principaux acteurs français, Stellantis et Renault, ont vu leurs ventes reculer de 7% et 2,7% respectivement. La vente de véhicules électriques (VE) inquiète particulièrement : la part de marché stagne à 16,9%, freinée par les incertitudes sur les aides à l'achat. Une situation qui complique l'atteinte des objectifs européens de réduction des émissions de CO2 pour 2025, qui imposent aux constructeurs de vendre 25% de VE. En Allemagne, la baisse est encore plus marquée : les immatriculations de ces véhicules ont chuté de 27,4% après cinq années de croissance, à cause de l'inflation et de la fin des subventions publiques. Pour soutenir les ventes, le chancelier Olaf Scholz plaide pour une prime européenne à l’achat. À l’échelle de l’UE, les ventes de VE ont baissé dans 14 pays en novembre, avec une part de marché tombant de 16,3% à 15%.
□ En ce début d’année, l’euro a atteint son plus bas niveau depuis deux ans, à 1,02 dollars le jeudi 2 janvier, et autour de 1,04 ce mardi. Certains analystes voient la monnaie européenne atteindre la parité avec le billet vert cette année - voire passer en-dessous - et ainsi poursuivre une chute entamée il y a un peu plus de trois mois. Quelles sont les causes de ce phénomène ? D’abord, les anticipations de politique monétaire divergentes dans un contexte économique morose sur le Vieux continent. De ce côté-ci de l’Atlantique, l’inflation semble maîtrisée et la BCE entend poursuivre les baisses des taux, là où la Réserve fédérale américaine se montre plus prudente. « Autrement dit, le différentiel de rendement financier risque fort de s'accroître, en faveur des actifs américains », résume Les Echos. Il faut dire que les mesures prévues par Donald Trump, dont les droits de douanes et la lutte contre les travailleurs sans papiers, ont un évident potentiel inflationniste. Une monnaie plus faible constitue dans une certaine mesure une opportunité pour la compétitivité des entreprises exportatrices dans la zone euro, mais elle est aussi synonyme de perte de pouvoir d’achat pour les Européens.
□ Trois ans après le retour des barrières douanières entre l’UE et le Royaume-Uni, « les échanges extérieurs ont perdu en intensité » entre les deux côtés de la Manche, pointe une étude du service statistique ministériel de la douane française publiée le 27 décembre. Parmi les phénomènes marquants : la chute du nombre d’entreprises qui importent ou exportent des biens entre la France et son voisin britannique. Ou encore, le recul de la part du bloc européen dans le commerce extérieur du Royaume-Uni, lequel semble « avoir en partie réorienté ses échanges commerciaux vers des pays extérieurs à l’UE », constate l’étude citée par Le Figaro. En particulier vers la Chine, qui est « le pays dont le poids dans le commerce extérieur du Royaume-Uni s’accroît le plus ».
□ Dans une note publiée en décembre, la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement) met en lumière le rôle du commerce dans la réduction de l'insécurité alimentaire. En 2023, plus de 733 millions de personnes ont souffert de faim chronique, exacerbée par les conflits, les changements climatiques et les chocs économiques. Selon l'agence onusienne, « le commerce peut accroître les disponibilités alimentaires, faire baisser les prix et améliorer l'accès à des aliments diversifiés et nutritifs, tout en protégeant contre les chocs locaux tels que la sécheresse et les conflits ». Le rapport mentionne notamment l'Accord de la mer Noire, qui a facilité les exportations de céréales et d'engrais pendant la guerre en Ukraine, contribuant à la baisse des prix mondiaux. Toutefois, il met en garde contre la dépendance aux importations pour éviter de nouvelles vulnérabilités.
Cette édition a été préparée par Clément Solal, Antonia Przybyslawski, Mathieu Solal et Sophie Hus.
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