BLOCS

Chaque semaine, votre condensé d’actualité utile sur le commerce international.

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Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal
23 déc. · 7 mn à lire
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Les Houthis menacent le commerce international

Mais aussi - Devoir de vigilance, Bruxelles-Nairobi, micmac à Berlin

BLOCS#4 Bonjour, nous sommes le mercredi 20 décembre et voici le quatrième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn.


Super-bloc

Apeurés par la multiplication d’actions violentes du groupe rebelle yéménite visant des bateaux commerciaux en mer Rouge, les principaux armateurs ont décidé ces derniers jours de suspendre le transit dans cette zone stratégique. Une perturbation majeure, bien partie pour durer, et déjà lourde de conséquences sur le commerce international.

Les destroyers américain USS Manson (au premier plan) et japonais JS Akebono croisent dans le golfe d'Aden. © Alaman, US NavyLes destroyers américain USS Manson (au premier plan) et japonais JS Akebono croisent dans le golfe d'Aden. © Alaman, US Navy

PASSAGERS CLANDESTINS □ « Prosperity Guardian » : ainsi a été baptisée la coalition navale internationale de 10 pays mise en place lundi par les États-Unis, dans le but de contrer les Houthis du Yemen qui multiplient depuis des semaines les actions violentes visant des navires commerciaux en mer Rouge (BLOCS#3). Un choix de nom qui a quelque chose d’ironique, au vu des conditions de la naissance de cette coalition.

Il aura en effet fallu des semaines de tractations et, surtout, des décisions en cascades de tous les grands armateurs et pétroliers de suspendre le trafic maritime commercial dans la zone, pour que « Prosperity Guardian » soit enfin mise sur pied. Sans pour autant que l’étendue de sa mission et ses moyens soient précisés pour l’heure.

Participent à cette coalition le Royaume-Uni, Bahreïn, le Canada, l’Italie, les Pays-Bas, la Norvège, l’Espagne et les Seychelles, la France et donc les États-Unis. Une composition quasi-uniquement occidentale qui confirme les difficultés de Washington à arrimer la Chine et les Etats du monde arabo-musulman, à son action.

Ces Etats, qui compteraient pourtant parmi les principales victimes d’une paralysie longue du détroit de Bab-el-Mandeb, le bras de mer de 27 kilomètres qui sépare le Yémen et Djibouti et par lequel transite 12% du commerce international, préfèrent pour l’heure adopter la stratégie du passager clandestin.

Ce choix s’explique notamment par le discours martelé par les Houthis, lesquels affirment agir pour « soutenir les droits des Palestiniens » - et peu importe si les navires qu’ils attaquent ne sont pour la plupart pas liés, même de loin, à Israël. S’engager contre les Houthis, qui s’en prennent aussi sporadiquement à Israël en lui envoyant des missiles, reviendrait ainsi, dans l’esprit de Pékin, de Ryad ou du Caire, à soutenir implicitement Tel Aviv.

AMBITION HOUTHIE □ D’où cette coalition bancale, qui ne semble pas vraiment effrayer les rebelles chiites soutenus par l’Iran. Toute partie cherchant à étendre le conflit « doit assumer les conséquences de ses actes » a ainsi répliqué mardi le porte-parole de l’organisation, Mohammad Abdulsalam, dans un communiqué diffusé sur X.

« Les Houthis se sentent en confiance et sont de plus en plus ambitieux, explique le politologue canadien Thomas Juneau, dans un entretien accordé à RFI. Ils sont la puissance dominante de facto au Yémen. Ils ont gagné la guerre civile sur le plan militaire et ils contrôlent la capitale, Sanaa, et ils veulent maintenant se transformer en puissance régionale ».

Une ambition qui pourrait bien augurer d’un conflit long. D’autant que, selon ce professeur auteur en 2021 de l’ouvrage Le Yémen en guerre, personne n’est actuellement en mesure de stopper les rebelles. « En 2015, l'Arabie saoudite a mis sur pied une coalition internationale pour tenter de refouler les Houthis, rappelle-t-il. Presque neuf ans plus tard, c'est un échec total ».

La menace sur le commerce internationale semble donc bien caractérisée. La mer Rouge fait en effet figure de passage obligé sur la route reliant la Méditerranée à l'océan Indien, et donc l'Europe à l'Asie. Environ 20 000 navires transitent ainsi chaque année par le canal de Suez, porte d'entrée et de sortie de cet espace crucial pour les flux mondiaux.

Seule alternative: le cap de Bonne-Espérance, à l’extrême-sud de l’Afrique, au prix d’un allongement des trajets d’environ deux semaines. Avec à la clé, une augmentation de la consommation de carburant et de la masse salariale à la charge des armateurs.

L’ÉGYPTE EN PÉRIL □ Ces difficultés viennent s’ajouter à celles provoquées par la sécheresse qui sévit sur le canal de Panama (BLOCS#2) et devraient nourrir une hausse générale des coûts du transport maritime de marchandise, répercutée in fine sur les consommateurs. D’autres coûts supplémentaires sont aussi à prévoir avec le lancement du marché carbone européen sur le transport maritime, prévu le 1er janvier 2024.

Les effets du conflit en mer Rouge pourraient être particulièrement sévères pour le commerce d'hydrocarbures en provenance du golfe arabo-persique. Lundi, les prix du gaz naturel en Europe ont ainsi bondi de 13 % pendant que les prix à terme du Brent grimpaient de 3,9 %. Si la situation sur les marchés de l’énergie s’est calmée suite à l’annonce de la mise sur pied de « Prosperity Guardian », les conséquences du conflit se mesureront dans la durée.

Goldman Sachs se veut néanmoins rassurant, estimant, dans une note parue lundi, que les perturbations en mer Rouge ne devraient pas avoir d'effets importants sur les prix du pétrole et du GNL. Une réorientation prolongée des flux « augmenterait les prix du brut au comptant par rapport aux prix à long terme de 3 à 4 dollars le baril », pronostique la banque d’investissement.

Plus sombres sont les perspectives de l’Egypte, qui tire plus de 8 milliards de dollars de recettes chaque année de l’exploitation du canal de Suez. Toujours en négociation avec le FMI, Le Caire, en grande difficulté financière, doit pour l’heure s’asseoir sur cette manne.


Blocs-notes

VIGILANCE OBLIGATOIRE □ Contraindre les multinationales à s’attaquer aux « incidences négatives réelles ou potentielles » sur les droits humains et l’environnement, sur l’ensemble de leur « chaîne d’activités ».

Tel est l’objectif du projet de directive instaurant « un devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité », qui a fait l’objet d’un accord jeudi 14 décembre, entre les institutions de l’UE. Ce texte, dit « CS3D », devrait entrer en vigueur début 2027 et cibler environ 13 000 entreprises. 

Que prévoit-il concrètement ? D’abord, les multinationales devront produire une « cartographie » des risques. Les « incidences négatives » qu’elles seront tenues d’identifier sont liées, côté environnement, à la déforestation, à la pollution de l’air ou des sols, ou encore à la consommation d’eau excessive.

Sur le plan des droits humains, sont concernés les conditions de travail, le recours à une main d’oeuvre mineure ou à l’esclavage. Il s’agira ensuite d’établir un « plan d’action » visant à « prévenir, atténuer, ou supprimer » lesdites incidences. 

A la table des Vingt-Sept, certains, comme les pays scandinaves, ont systématiquement cherché à alléger les contraintes générées par la directive, craignant que celles-ci n'affectent la compétitivité des entreprises de l’UE.

A l’arrivée, la CS3D est néanmoins beaucoup plus ambitieuse que les quelques régulations existantes en la matière au sein de l’UE, en Allemagne, aux Pays-Bas et en France, notamment. Dans son champ d’application - les entreprises de plus de 500 salariés avec un chiffre d'affaires global supérieur à 150 millions d’euros - mais aussi dans les sanctions envisagées. 

Le texte imposera ainsi aux États membres de prévoir des « sanctions effectives, proportionnées et dissuasives » prononcées, en cas de non-respect des règles, par des autorités administratives nationales de contrôle, qui disposeront de pouvoirs d’enquête importants. 

Deuxième bâton : le texte prévoit que les entreprises pourraient voir leur responsabilité civile engagée en cas de manquement à leurs obligations ayant engendré des dommages. « Bien que l’accord final rate l’occasion de créer une répartition juste de la charge de la preuve, il comporte des progrès sur le plan de l’accès à la justice, concernant notamment la divulgation des preuves ou les délais de prescription », estime l’organisation européenne de juristes Frank Bold, dont la relative satisfaction sur le sujet fait écho à celles d’ONG comme Global Witness.  

Pour éviter de mettre en péril sa compétitivité, l’UE a aussi misé sur une application « extraterritoriale » des obligations de vigilance. Ainsi, le texte ciblera non seulement les entreprises non-européennes dont le chiffre d’affaires dépasse 300 millions d'euros au sein de l’UE, mais aussi, indirectement, les acteurs étrangers intégrés dans la chaîne d’activités de multinationales soumises aux dispositions de la directive (sous-traitants, fournisseurs, etc.). 

Avec quelles conséquences ? Certains craignent de voir les entreprises étrangères se détourner du marché européen et les multinationales européennes être forcées de « relocaliser » leurs chaînes de valeur. D'autres, comme l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve, voient à l’inverse dans l’attractivité du marché du Vieux continent un levier que l’UE a raison d’activer pour imposer le respect de ses valeurs.


KENYEAH ! □ Le Kenya et l’UE ont signé lundi un accord de libre-échange. Ce premier traité liant les deux blocs vient couronner neuf ans de discussions bilatérales.

Baptisé « accord de partenariat économique », le deal est potentiellement ouvert à la Tanzanie, au Burundi, à l’Ouganda et au Rwanda, qui ont participé aux négociations. Pour diverses raisons, quatre pays d’Afrique de l’Est ne souhaitent toutefois pas pour l’heure avancer vers la mise en œuvre du partenariat.

L’accord trouvé par Bruxelles et Nairobi, qui doit encore être approuvé par le Parlement européen, garantit aux produits kenyans un accès libre de droits et sans quotas au marché européen. Le Kenya s’est pour sa part engagé à faire de même sur 82,6 % des importations provenant de l’UE sur une période de 15 à 25 ans.

Cette approche graduelle vise à protéger l'économie kenyane, réputée fragile, en évitant un choc soudain sur les recettes budgétaires résultant d'une libéralisation trop rapide des importations. Le texte comprend en outre des dispositions contraignantes sur le commerce et le développement durable, ainsi qu'un mécanisme transparent de règlement des différends.

Les flux commerciaux bilatéraux ont déjà considérablement augmenté au cours des dernières années. Le commerce total entre les deux blocs a atteint 3,3 milliards d'euros en 2022, soit 27 % de plus qu’en 2018.

Le Kenya, acteur majeur de l’Afrique de l’Est, exporte une variété de produits tels que du thé, du café, des fleurs, des fruits et des légumes vers l'UE, représentant 21 % de ses exportations totales. En retour, Nairobi importe des machines, des produits pharmaceutiques et d'autres produits chimiques de l'UE. 

Le nouvel accord s'inscrit dans la stratégie globale de Bruxelles visant à renforcer ses liens économiques sur le continent africain pour tenter de contrer la présence de la Chine, qui y multiplie les dépenses dans de grands projets d'infrastructures. 


FREIN À L'INDUSTRIE □ La compétitivité de l’industrie allemande sera-t-elle la victime collatérale de la crise budgétaire qui fait tanguer la coalition gouvernementale à Berlin ?

Déclenchée le 15 novembre dernier par une décision surprise de la Cour constitutionnelle invalidant les différentes manœuvres de contournement de la règle allemande dite du « frein à l'endettement », censée limiter le déficit budgétaire annuel à 0,35 % du PIB, cette crise a rebondi la semaine dernière.

Après d’âpres négociations, les trois partis au pouvoir outre-Rhin ont ainsi conclu un accord revoyant nettement à la baisse le budget 2024, avec notamment la suppression d'une subvention de 5,5 milliards d'euros qui prévue pour stabiliser le coût d'utilisation des réseaux de transport de l'électricité.

L’État fédéral sera donc désormais moins à même de soulager son industrie en cas de flambée des prix, comme il a pris l’habitude de le faire depuis que l’Allemagne a fait une croix sur ses importations massives de gaz russes. « L'économie dans son ensemble risque de voir les prix de l'électricité augmenter sensiblement en fin d'année - et ce à partir d'un niveau déjà très élevé », a alerté le président de la Chambre de commerce et d'industrie allemande, Peter Adrian, cité par les Echos. L'organisation a calculé que, pour une entreprise de taille intermédiaire, la facture pourrait augmenter de 9 à 17 %.

À moins que Berlin ne décide de couper le mal à la racine ? Samedi dernier, le ministre des Finances Christian Lindner, chef du parti libéral FDP, a annoncé son intention de présenter une réforme du « frein à l’endettement ». L'objectif affiché à ce stade : assouplir ce mécanisme constitutionnel, mais ce seulement en cas de récession.


Mini-blocs

Le Royaume-Uni a annoncé, lundi 18 décembre, qu'il introduirait d'ici 2027 une nouvelle taxe carbone sur les bien importés à fortes émissions, de secteurs tels que la métallurgie, le verre ou le ciment, similaire au mécanisme d’ajustement carbone aux frontières prévu dans l'UE (BLOCS#1). La mesure fera l'objet d'une consultation plus approfondie en 2024, notamment pour préciser la liste précise des produits concernés.

La Commission européenne a annoncé mardi avoir prolongé jusqu'au 31 mars 2025 la suspension d’une partie des taxes sur des produits américains décidées en 2018 en représailles d'une série de droits de douane pénalisant les importations d'acier et d'aluminium européens aux États-Unis. Alors que Bruxelles et Washington négociaient un règlement pérenne de leur conflit (BLOCS#1), cette prolongation de la trêve partielle conclue avec Joe Biden en 2021 sonne comme un aveu d’échec.

Face à la perspective du départ en retraite de la moitié des agriculteurs français d’ici 2030, le ministre français de l’Agriculture Marc Fesneau a présenté vendredi le « Pacte d’orientation pour le renouvellement des générations en agriculture ». Parmi les mesures contenues dans ce plan, on peut noter la mise en place d’un guichet unique « France services Agriculture », de « stress-tests » climatiques des exploitations, ou encore une accélération des projets de stockage d’eau. Ce plan constitue un élément de réponse à la baisse de compétitivité agricole française marquée, outre le déclin démographique, par un recul sur certains marchés et des importations en hausse.


Nos lectures de la semaine

Dans un éditorial publié par le think-tank américain Wilson Center, l’ancien porte-parole en chef de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) Keith Rockwell estime qu’il y a peu d'espoir que la 13e conférence ministérielle de l'Organisation, qui se tiendra aux Émirats arabes unis en février 2024, produise des résultats significatifs. En cause, l’Inde, qui menace de bloquer tous les points à l'ordre du jour si sa demande controversée de constituer des stocks de riz à des prix supérieurs au marché n'est pas acceptée. Les négociations sur la réduction des subventions à la pêche en haute mer ont aussi peu de chances d'avancer, selon l'ancien fonctionnaire de l'OMC.

Dans son numéro d’hiver 2023, la revue française Politique étrangère, analyse les obstacles auxquels doit faire face le bloc des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Les membres sont non seulement confrontés à une remise en question de leur image, entre le Covid-19 et la guerre en Ukraine, mais aussi à leur difficulté d’agir de manière concertée. À cela s’ajoute l’élargissement du bloc à cinq nouveaux pays à compter de 2024 qui, selon l’auteur, « n’améliorera sans doute ni le poids global réel des BRICS – sauf en matière pétrolière –, ni leur cohésion ».

Alan Hervé, professeur à l'Institut d'études politiques de Rennes, a publié ce mois-ci aux éditions Larcier-Intersentia un ouvrage intitulé Les accords de libre-échange de l'Union européenne. En analysant minutieusement l’ensemble de ces ALE, l’auteur constate la diversification et la complexification de ces accords et tente de définir le modèle conventionnel européen du libre-échange.


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