Mais aussi - Diamants russes, Rebelles houthis, Protectionnisme vert
BLOCS#3 □ Bonjour, nous sommes le mercredi 13 décembre et voici le troisième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn.
En catimini, Bruxelles a acté le retard abyssal de l’industrie européenne des batteries sur ses concurrents chinois et américains, en milieu de semaine dernière. En dépit des milliards d’euros injectés ces dernières années, le Vieux Continent ne fait toujours pas le poids dans ce secteur pourtant crucial pour alimenter son industrie automobile en pleine transition. Focus sur cet échec industriel aux fortes conséquences commerciales.
Hyundai Opens Innovation Center, Singapour ©️Automotive Rhythms - Flickr
REPORT D’ORIGINE □ Cachée dans un contexte post-Brexit, l’information est passée quasiment inaperçue. La décision prise mercredi dernier par la Commission européenne, d’un commun accord avec le Royaume-Uni, est pourtant d’une importance cruciale en matière industrielle et commerciale, excédant de beaucoup le simple cadre bilatéral.
Bruxelles et Londres ont ainsi convenu de reporter de pas moins de trois ans l’entrée en vigueur des règles dites « d’origine » en matière de voiture électriques. Ces dernières, qui devaient être progressivement mises en place à compter du 1er janvier 2024, prévoient des droits de douane de 10% de la valeur de tout véhicule électrique échangé entre les deux blocs, si moins de 45 % de ses pièces ont été produites localement.
« Aujourd'hui, il est encore possible d'utiliser une batterie chinoise pour construire un véhicule européen ou britannique et de le vendre sur nos marchés respectifs en tant que produit national, bénéficiant ainsi de droits de douane nuls, explique un fonctionnaire européen. Mais au fur et à mesure que nous augmenterons le seuil des règles d’origine, il ne sera plus possible d’utiliser des batteries fabriquées en Chine sans payer des tarifs ».
Bruxelles et Londres comptent augmenter les exigences à 65% de pièces devant être produites localement pour échapper aux pénalités à l’horizon 2027. Une ambition certes rehaussée mais retardée, et qui ne contrebalance donc pas le coup d’arrêt que constitue le report décidé mercredi.
Cette décision était réclamée à la fois par l’industrie automobile, le Royaume-Uni, et la grande majorité des Etats membres, considérant de concert que l’écosystème n’est pas prêt à encaisser la mise en oeuvre de ces règles, pourtant censées favoriser la production locale.
AMBITION FRUSTRÉE □ En cause, principalement, les batteries, qui représentent de 30 à 40% de la valeur d’un véhicule, et sont toujours plus importées, notamment depuis la Chine. Cette dernière produit en effet 77 % des batteries pour voitures électriques utilisées dans le monde, contre 7% côté européen. Au-delà des véhicules, la part des batteries chinoises dans les importations globales de batteries de l'UE est ainsi passée de 31 % en 2021 à 46 % en 2022.
Le constat est d’autant plus cruel que l’UE, qui veut se passer de voitures thermiques neuves d’ici à 2035, a identifié depuis longtemps déjà les batteries comme un secteur prioritaire, en lançant dès 2017 une alliance industrielle en la matière, avec l’ambition d’atteindre une « autonomie stratégique ».
En 2022, le montant total des investissements dans l’écosystème européen des batteries, qui comprend à présent plus de 160 projets industriels tout au long de la chaîne de valeur, a même dépassé les 180 milliards d’euros. Objectif: construire une cinquantaine d’usines de batteries lithium-ion d’ici 2030, alors qu’elles sont quasiment inexistantes aujourd’hui. Des investissements qui pourraient finir par porter leurs fruits, mais n’ont manifestement pas suffit à inverser la tendance pour le moment.
Pour justifier cet échec, la Commission invoque des « circonstances imprévues ». La guerre en Ukraine, les répercussions du Covid-19 sur les chaînes d'approvisionnement et la concurrence accrue des nouveaux régimes internationaux de soutien par subventions ont ainsi « entraîné la suspension ou le report de certains investissements dans l'écosystème européen des batteries ».
De fait, le protectionnisme, américain notamment, semble beaucoup affecter le Vieux Continent. Selon l’ONG Transport et Environnement, 68% des projets de production de batteries lithium-ion européennes risquent d’être « revus à la baisse, retardés ou interrompus », en raison notamment de la concurrence américaine dopée par les subventions de l’Inflation Reduction Act (IRA), un plan de crédits d’impôt colossaux pour l’industrie verte et la transition énergétique, doté de 369 milliards de dollars.
Si les subventions publiques pleuvent aussi côté chinois, l’avantage compétitif de Pékin est toutefois plus profondément enraciné que celui de Washington. L’Empire du Milieu s’est en effet positionné dès 2009 sur l’ensemble de la chaîne de valeur et notamment sur le secteur des matières premières.
Grâce à cette vision de long terme, la Chine a aujourd’hui la main sur 75% du raffinage du lithium et 50% du cobalt, ce qui devrait lui permettre de conserver son leadership dans la production de batteries pour les cinq prochaines années, selon les prévisions de BloombergNEF.
Dernier point faible de l’UE: elle ne dispose pas de réserves de ces matières premières essentielles pour la production des batteries – le lithium, le cobalt, mais aussi le nickel, le manganèse et le graphite. Ces dernières sont en effet possédées par seulement une petite poignée de pays, tels que l’Australie, la Chine et la République démocratique du Congo.
RÉACTION TARDIVE □ L’UE tente certes de réagir. Elle a notamment adopté le mois dernier une loi visant à garantir l’accès aux matières premières critiques et défini l’objectif de mettre en place des partenariats stratégiques afin de contrebalancer la position dominante de Pékin.
Pour retenir les investisseurs en Europe et éviter les retards dans la réalisation des projets d’usine sur le Vieux Continent, elle a également mis en place une « clause d’alignement ». En clair, si une entreprise européenne se voit proposer une délocalisation aux Etats-Unis pour percevoir une subvention, l’Etat membre concerné pourra offrir une aide d’Etat équivalente afin d’empêcher cette délocalisation.
L’UE tente enfin de se positionner sur les batteries vertes. Mercredi dernier, comme pour estomper la mauvaise impression laissée par la décision de report des règles d’origine, la Commission a ainsi annoncé un financement pouvant atteindre 3 milliards d’euros sur trois ans aux fabricants européens des batteries les plus durables.
Malgré ces efforts, un certain pessimisme est de mise à Bruxelles. La Cour des comptes européenne a ainsi rendu en juin dernier un rapport pour le moins sombre sur le sujet. « L’UE mise gros sur les batteries, mais elle n’a pas toutes les cartes en main, expliquait alors la responsable de ce rapport, Annemie Turtelboom. L’accès aux matières premières, le manque d’attrait pour les investisseurs et les coûts à supporter pourraient lui faire perdre son pari ».
BRILLANTE IDÉE □ Largement épargné depuis le début de la guerre en Ukraine, le secteur du diamant russe est en passe d’être frappé par les sanctions occidentales. L’UE est ainsi proche d’adopter un douzième paquet de sanctions ciblant pour la première fois le commerce de cette pierre précieuse, qui continue d’aider la Russie à financer son effort de guerre. Par l’intermédiaire de sa société Alrosa, le pays exporte chaque année pour entre 4 et 5 milliards de dollars de diamants bruts.
Les mesures contenues dans le paquet de l’UE visent en fait à mettre en œuvre, en Europe, un accord conclu le 6 décembre dernier au sein du G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, l’Italie, Japon, Royaume-Uni, et l’ensemble de l’UE). Celui-ci prévoit à partir du 1er janvier 2024 des « restrictions à l’importation » directe de diamants « extraits, traités ou produits en Russie » vers les pays du G7. Puis un tel embargo concernera les diamants russes traités par des pays tiers, à compter du 1er mars.
Toute initiative commune avait dans un premier temps été bloquée par la Belgique, dont la ville flamande d’Anvers est l’un des points névralgiques du commerce international de diamants.
Le Plat Pays s’est finalement résolu à cette idée. Depuis au moins six mois, ce n’était plus le principe de sanctions, mais la manière d’identifier l’origine russe des diamants une fois traités qui faisait l’objet d’âpres pourparlers.
Car la grande majorité des diamants passent par la ville indienne de Surat, pour être taillés et polis - après quoi ils sont considérés comme provenant d’Inde. Ainsi l’accord prévoit également que les pays du G7 mettent en place « une vérification de traçabilité efficace et un mécanisme de certification », d’ici au 1er septembre 2024. Le délai doit permettre de « surmonter » certaines « difficultés techniques » persistantes, indique Politico.
La méthode du G7 pourrait en partie s’appuyer sur une proposition du gouvernement belge de créer un mécanisme de traçage faisant passer toutes les pierres brutes par un « hub » - Anvers au moins dans un premier temps. Ces derniers mois, cette proposition a suscité la controverse, les pays africains producteurs de diamants (Botswana, République démocratique du Congo, Afrique du Sud) craignant d’en devenir les victimes collatérales.
« Si l’intention est d’appliquer un système de certification purement technologique et de faire passer toutes les importations de pierres brutes du G7 par la Belgique, cela se fera au détriment des producteurs africains responsables », a réagi le géant sud-africain du secteur, De Beers, cité par Reuters.
PEUR SUR BAB EL-MANDEB □ La tension n’en finit pas de grimper en mer Rouge. Déjà dangereuse en temps normal, la zone, et en particulier le détroit de Bab el-Mandeb, le bras de mer de 27 kilomètres qui sépare le Yémen et Djibouti, est le théâtre d’actions violentes initiées par les rebelles houthis du Yémen. En répercussion de la guerre entre Israël et le Hamas initiée le 7 octobre, ces derniers, soupçonnés d’être financés par l’Iran, s’en prennent à tout ce qui ressemble de près ou de loin à un bateau israélien.
Mi-novembre, ce groupe chiite a ainsi saisi le porte-voitures Galaxy Leader exploité par Nippon Yusen, qu’il considère comme un « navire israélien » malgré les dénégations de Tel Aviv. Les 25 membres de l’équipage sont toujours retenus en otage. Dimanche 3 décembre, les Houthis ont encore franchi un cap dans la terreur en lançant un missile et en attaquant avec un drone au moins deux autres navires, dont le lien avec Israël est là aussi peu clair.
Cette série d’attaques a déjà des conséquences commerciales. Bab el-Mandeb voit en effet passer le quart du trafic mondial de conteneurs et est considéré comme le quatrième passage maritime le plus important en termes d'approvisionnement énergétique, avec une dimension particulièrement stratégique pour le commerce d'hydrocarbures en provenance du golfe arabo-persique.
« Le prix d’acheminement des conteneurs en provenance de Chine a augmenté de 9 % à 14 % vers le port israélien d’Ashdod, où le trafic est désorganisé par les retards et les incertitudes, constate l’amiral Alain Oudot de Dainville, dans une tribune publiée par Le Monde. […] Pour ne pas prendre de risques, certains ont décidé de contourner […] par le cap de Bonne-Espérance, au prix d’un retard de deux semaines […]. Les primes d’assurance et les salaires des équipages augmentent. Les revenus du canal de Suez seraient affectés et les contrats à terme sur le pétrole augmentent ».
Ces difficultés viennent s’ajouter à celles provoquées par la sécheresse qui sévit sur le canal de Panama (BLOCS#2) et pourraient nourrir une hausse générale des coûts du transport maritime de marchandise.
DES COUPS À LA COP □ Le Brésil, la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud avaient d’emblée annoncé la couleur. À la veille de la COP28, le groupe dit des « BASIC » avait fait une tentative de dernière minute d’ajouter à l’agenda une discussion au sujet « d’inquiétudes vis-à-vis de mesures commerciales unilatérales liées au changement climatique ». Leur principale cible : le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) de l’UE, comme l’indiquait assez explicitement le texte justificatif joint à leur demande.
L’initiative a certes échoué, mais les quatre pays n’ont pas pour autant mis en sourdine leurs violentes critiques du MACF, sorte de taxe carbone, qui concernera à partir de 2026 les importations d’acier, de fer, d’aluminium, de ciment, d’engrais, d’hydrogène et d’électricité (BLOCS#1). Cette levée de bouclier à l’encontre de ce qui est vu comme un « protectionnisme vert » dépasse d’ailleurs le seul cas du MACF.
Ces mêmes pays ont ensuite essayé d’inclure dans la déclaration finale du sommet « l’expression de graves inquiétudes » concernant « des sanctions sur les produits bas-carbone, [...] des barrières vertes, des législations discriminatoires […] ». Outre le MACF, ou la directive européenne contre les produits issus de la déforestation, la liste a tout l’air de viser l’Inflation Reduction act (IRA) américain, dont les subventions massives n’iront pas aux véhicules électriques fabriqués aux États-Unis comprenant des composants de batterie fabriqués en Chine (BLOCS#2).
« Nous ne nous attendons pas à ce que ces messages politiques fassent dérailler les discussions. Je crois que personne ne s’attend à ce que [la COP28] soit un forum de débat sur les mesures commerciales de quiconque. Il y a une institution pour cela : c’est l’OMC », avait réagi il y a une semaine le négociateur en chef de l’UE, Jacob Werksman.
□ Agacé par le nouvel échec des négociations autour du projet d’accord de libre-échange UE-Mercosur (BLOCS#2), le Président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva s’en est vertement pris à son homologue français, en marge du sommet du bloc commercial latino-américain, jeudi à Rio de Janeiro. « J'ai appelé Macron à cesser d'être aussi protectionniste [mais] ce n'est pas seulement le cas de Macron. Tous [les présidents français] sont protectionnistes lorsqu'il s'agit de leurs produits agricoles » a lâché Lula. Ambiance…
□ Selon les dernières statistiques de l’organe des Nations unies chargé du commerce (CNUCED), le commerce mondial devrait se contracter de 5 % en 2023 par rapport à l'année dernière, avec des perspectives généralement sombres pour 2024. Un phénomène attribué en partie à une sous-performance des exportations des pays en développement, ainsi qu’aux « tensions géopolitiques, y compris le déclin de l'interdépendance entre la Chine et les États-Unis ».
□ En juin 2022, les membres de l’OMC avaient conclu un accord multilatéral visant à limiter les subventions à la pêche susceptibles de menacer les stocks mondiaux de poisson, fruit de 20 ans de négociations. Prochaine étape en février 2024 à Abu Dhabi, où les membres sont censés « approfondir » l’accord, que seuls la moitié des Etats signataires ont à ce stade ratifié. Mais les pourparlers patinent, explique le Financial Times : l’Inde constitue de nouveau « l’un des plus grands obstacles ». « En 2022, le pays avait déjà cherché à affaiblir le compromis en poussant des échappatoire majeures en faveur des pays en développement », précise le FT.
□ Dans sa lettre de novembre, le Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII), analyse l’impact des sanctions européennes contre la Russie, ainsi que leurs effets sur les entreprises françaises. Les chercheurs notent que certaines exportations se dirigent vers les pays voisins de Moscou, réduisant ainsi les coûts des restrictions et de l'incertitude liée à la guerre pour les entreprises françaises. Cependant, les surplus seraient possiblement réexportés vers la Russie, lui permettant de conserver l'accès aux technologies européennes.
□ L’université de Sheffield Hallam (Royaume-Uni), le Uyghur Rights Monitor et le Uyghur Center for Democracy and Human Rights ont publié le 6 décembre un rapport sur l’importation en Europe de vêtements issus du travail forcé. Selon ce document, commandé par le groupe socialiste du Parlement européen, pas moins d’une quarantaine de grandes marques occidentales d’habillement, telles que Zara, Burberry, H&M ou encore Adidas et Décathlon, « présentent un risque élevé d’approvisionnement en vêtements fabriqués par des Ouïgours soumis au travail forcé ».
□ The Economist, estime, dans un article paru le 7 décembre, que le « protectionnisme vert » peut fortement nuire à l’atteinte des objectifs de transition énergétique soutenus lors de la COP28. Les mesures protectionnistes, telles que la loi américaine sur la réduction de l'inflation (IRA), les subventions chinoises aux véhicules électriques ou aux panneaux solaires, ainsi que le Règlement européen pour une industrie à zéro-émission nette (NZIA), sont susceptibles d'accroître les coûts des technologies vertes, avec le risque d'aggraver les pénuries pour les pays du Sud.
Une remarque ? Une critique ? Ou qui sait, un compliment ? N’hésitez-pas à nous écrire.