BLOCS

Chaque semaine, votre condensé d’actualité utile sur le commerce international.

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Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal
7 févr. · 5 mn à lire
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L’agriculture, grande sacrifiée du libre-échange ?

Mais aussi - Biden freine le GNL, Affaiblissement chinois, Filtrage des investissements

BLOCS#9 Bonjour, nous sommes le mercredi 31 janvier et voici le neuvième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur Twitter et LinkedIn.


Super-bloc

Les accords de libre-échange signés par l’UE sont pointés du doigt en France depuis le déclenchement du mouvement de colère des agriculteurs. Les représentants de ces derniers, mais aussi les politiques de tous bords, reprochent à ces accords de nuire aux exploitants hexagonaux, en permettant l’import massif de produits ne respectant pas les mêmes normes que les leurs. Ce procès en concurrence déloyale est-il fondé ? Tentative de réponse à cette question brûlante.

Manifestation des agriculteurs, le 26 janvier 2024, à Trévenans (Territoire de Belfort). © Thomas Bresson, Wikimedia CommonsManifestation des agriculteurs, le 26 janvier 2024, à Trévenans (Territoire de Belfort). © Thomas Bresson, Wikimedia Commons

EXIGENCES INCOMPARABLES □ Des rangs des manifestants au Premier ministre, en passant par le patron de la Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (FNSEA) (BLOCS#8), chacun y est allé de sa remise en cause des accords de libre-échange (ALE) européens, dans le contexte du mouvement agricole qui secoue l’Hexagone depuis plus d’une semaine.

Actuellement au nombre de 42, ces accords lient l’UE à 74 États partenaires, répartis sur l’ensemble des cinq continents. 

Selon leurs détracteurs, les ALE nuiraient aux agriculteurs français en facilitant l’importation de produits ne respectant pas les mêmes normes, en particulier sur le plan environnemental.

Un procès qui semble de prime abord largement fondé. Quand bien même l’Union s’est illustrée ces dernières années par des textes ambitieux en matière de lutte contre la déforestation importée ou encore le travail forcé, les exploitants hors UE ne sont effectivement que rarement soumis à des exigences comparables à celles des Européens en matière de protection de l’environnement et des animaux, ou de conditions de travail.

Si les marchandises importées sont loin d’être exemptes de contrôles - portant notamment sur la présence de résidus de pesticides pour ce qui concerne les fruits et légumes ou l’existence d’un certificat sanitaire pour la viande - les normes comprises dans les ALE sont bien moins ambitieuses que celles du Pacte vert européen, par exemple.

Ces accords apparaissent ainsi comme une cause majeure des mouvements de colère qui se multiplient, non seulement en France, mais partout en Europe, et mettent sous pression les institutions bruxelloises. Une séquence politique décortiquée dans le dernier numéro de What’s up EU, la newsletter de référence pour comprendre l’UE, à laquelle vous pouvez vous abonner ici.

INCIDENCE VARIABLE □ Il serait néanmoins simpliste de voir les ALE uniquement comme un poids pour l’agriculture française. Les producteurs tricolores bénéficient en effet aussi des opportunités qu’ouvrent ces accords.

Globalement, l’agriculture française demeure d’ailleurs excédentaire sur le plan commercial avec, pour 2022, un solde de la balance commerciale agricole affichant 10,3 milliards d’euros.

La compétitivité agricole française est certes en déclin continu depuis le début des années 2000. Le secteur perd toutefois principalement des parts de marché au profit non pas des partenaires commerciaux de l’UE mais de ses pays membres, dont les agriculteurs sont pourtant soumis peu ou prou aux mêmes normes.

« Un certain nombre de sous-secteurs du monde agricole, par exemple la grande céréaliculture, mais également la production de vin et de spiritueux, sont très enclins à exporter aux quatre coins de la planète » expliquait par ailleurs Maxime Combes, Économiste expert du commerce à l’AITEC, samedi sur France Culture. Les produits laitiers français font aussi partie des gagnants des libéralisations.

A contrario, les viandes (volailles, ovins, bovins), mais aussi les fruits et les légumes « ont été plutôt pénalisées par cette mondialisation », explique Thierry Pouch, économiste pour les chambres d’agriculture, dans La Croix.

D’un ALE à l’autre, l’incidence globale sur l’agriculture européenne peut par ailleurs beaucoup varier. Ainsi, le Ceta, l’accord avec le Canada qui avait tant été critiqué à l’époque de sa signature en 2017, affiche aujourd’hui un bilan positif pour l’agroalimentaire français. Idem pour l’accord avec le Japon de 2019, porteur pour les secteurs du vin, de certains fromages ou du porc. 

CLAUSES-MIROIR AUX ALOUETTES □ Dans certains cas, les agriculteurs peuvent néanmoins se sentir à raison sacrifiés sur l’autel de secteurs considérés comme plus stratégiques. Exemple parmi d’autres : l’Europe négocie depuis plus de cinq ans un ALE avec l’Australie, pays dont elle convoite les riches gisements en divers minéraux stratégiques comme le lithium ou le cobalt. Ce, alors que le fort potentiel australien dans l’exportation de viandes ovines inquiète certains Etats membres, à commencer par la France.

D’où l’idée, brandie par Emmanuel Macron depuis 2017, d’ajouter des « clauses-miroir » au sein des ALE, pour protéger ces secteurs. En d’autres termes, soumettre les produits importés aux mêmes contraintes que celles imposées aux agriculteurs européens.

Pour l’heure, cette idée martelée s’apparente toutefois à un voeu pieu. L’accord récemment ratifié (BLOCS#1) avec la Nouvelle-Zélande, lequel contient de solide garanties sociales et environnementales, constitue certes un pas dans cette direction.

Généraliser le principe des clauses-miroir paraît néanmoins irréaliste, a fortiori avec des pays moins développés. Sans parler de la grande difficulté pratique qu’engendrerait la création d’un système de traçabilité européen à travers les fermes du monde. 

Un renforcement, même modeste, des exigences environnementales en matière commerciale de l’UE, peut ainsi avoir pour conséquence de compliquer les négociations, comme l’illustre la saga du Mercosur (BLOCS#2). 


Blocs-notes

GAZ NATUREL LIMITÉ □ Joe Biden a annoncé vendredi un moratoire sur la construction de nouveaux terminaux d’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL).« Cette pause prend en compte ce qu'est vraiment la crise climatique : une menace existentielle », a expliqué le Président américain.

Au-delà du climat, cette décision saluée par les ONG paraît intimement liée au contexte de la campagne présidentielle américaine, marquée notamment par le déni climatique affiché par Donald Trump.

Premier exportateur de GNL mondial, l’Oncle Sam a notamment beaucoup approvisionné l’Europe depuis le début de la guerre en Ukraine. Les achats de GNL de l’UE, qui ont augmenté de 70% l'année dernière, concernent, pour plus de 40% d’entre eux, du gaz américain.

Alors que les projets en gestation devaient faire quadrupler la capacité d’exportation des Etats-Unis, la décision inattendue de Joe Biden, qui s’ajoute aux difficultés d’approvisionnement liées aux attaques houthies en mer Rouge (BLOCS#4), pourrait conduire à tendre le marché.

Les prix sont toutefois pour l’heure au plus bas, sur fond de chute historique de la consommation européenne. Selon les chiffres de l'institut Bruegel, par rapport à la période 2019-2021, l'utilisation de gaz dans l’UE a ainsi plongé de 12% en 2022, puis de respectivement 18 et 20% au premier et au second semestre de 2023.


NUIT DE CHINE □ La justice chinoise a ordonné lundi la mise en liquidation du géant de la promotion immobilière Evergrande.

Si elle n’a pas provoqué de panique boursière immédiate, la chute de l’entreprise, alourdie par une dette estimée à 328 milliards de dollars en juin dernier, en dit long sur la profonde crise immobilière dans laquelle est engluée la Chine et, plus largement, sur le malaise qui traverse l’économie du pays.

Déréglé par la politique zéro covid, l’Empire du Milieu a bénéficié d’une croissance de 5,2% en 2023, selon le Bureau national des statistiques. Un chiffre faible comparé aux taux habituels et aux espérances de rebond caressées par Pékin l’année dernière.

Les nuages s’amoncellent aussi sur le plan commercial. Alors que la demande intérieure était à la peine, le ralentissement mondial a ainsi pesé sur les exportations, qui ont reculé pour la première fois depuis 2016, à − 4,6 %.

À noter à ce sujet, un premier repli depuis 2019 des échanges avec les Etats-Unis et une augmentation colossale de ceux avec la Russie, dont le volume a été 26,3% plus élevé qu’en 2022. Pas de quoi compenser la régression commerciale chinoise.

S’ajoutent à ces contrariétés le début d’une spirale déflationniste, un recul démographique pour la deuxième année d’affilée, ainsi qu’un endettement public qui paraît de moins en moins soutenable, en dépit des initiatives déployées par le pouvoir central.


Mini-blocs

Muscler le filtrage des investissements étrangers en Europe: telle est la proposition la plus mature parmi celles présentées par la Commission européenne, mercredi dernier au sein de son paquet législatif sur la « Sécurité économique ». Créé il y a trois ans dans le but d’écarter les investissements - essentiellement venus de Chine - jugés néfastes pour la sécurité ou les intérêts stratégiques de l’UE, le cadre européen repose pour le moment sur une coordination assez lâche entre des systèmes nationaux fragmentés. Bruxelles propose d’harmoniser ce système, et aimerait aussi obtenir le pouvoir de se saisir de cas qui auraient, à ses yeux, été négligés par les Etats membres.

La commission d’enquête sénatoriale sur les activités de TotalEnergies a débuté ses auditions le 25 janvier. Dans son collimateur, plusieurs projets controversés du groupe - en Papouasie Nouvelle Guinée, en Angola, au Mozambique-, ses liens avec la Russie, ou encore, son objectif d’augmentation de sa production d’hydrocarbures dans les 5 prochaines années. La stratégie de TotalEnergies est-elle compatible avec les engagements climatiques et les orientations en politique étrangère de la France ? Et quels sont « les moyens mobilisés et mobilisables par l’Etat » pour en assurer le respect ? Telles sont les questions auxquelles tentera de répondre cette commission constituée à la demande du groupe écologiste. Ses conclusions sont attendues pour la mi-juin.


Nos lectures de la semaine

La valeur du marché des matières premières a enregistré une chute historique de 14% en 2023, selon le rapport annuel de la société d’étude CyclOpe publié le 23 janvier. La raison principale de cet effondrement tiendrait, selon le rapport, à l’éclatement, dès la fin 2022, de bulles nées au lendemain de la guerre en Ukraine. L’Europe a appris à se passer du gaz russe et les marchés mondiaux ont fini par considérer le conflit ukrainien comme « un facteur parmi d’autres », affirme CyclOpe. La société d’étude anticipe en outre une baisse du cours des matières premières de 8% en 2024 et des difficultés particulières pour le Brésil, premier exportateur de maïs et de soja, voué, selon les rapporteurs, à subir de plein fouet l’impact du phénomène climatique El Niño.

En amont de la quatrième réunion du Conseil du commerce et de la technologie UE-États-Unis qui s’est tenue mardi à Washington, le European Council on Foreign Relations a publié vendredi une analyse abordant la stratégie de l’UE dans cette instance bilatérale. Selon ce groupe de réflexion, les Européens devraient mieux exploiter ce forum diplomatique en se focalisant plus sur les enjeux de politique de sécurité économique, tels que l'intelligence artificielle responsable, les semi-conducteurs et la technologie quantique.

L’UE a exporté 32,1 millions de tonnes de déchets vers des pays tiers en 2022, soit 3 % de moins que l'année précédente, selon les données publiées par Eurostat le 18 janvier. Sur ce total, 39 % ont été dirigés vers la Turquie. L'Inde était la deuxième destination, avec 3,5 millions de tonnes, suivie du Royaume-Uni avec 2 millions de tonnes. La Suisse, la Norvège et l'Égypte occupaient quant à elles la troisième place ex aequo, avec 1,6 million de tonnes chacun. Les déchets de fer et d’acier représentaient un peu plus de la moitié de toutes les exportations de déchets de l'UE.


Cette édition a été préparée par Clément Solal, Antonia Przybyslawski, Mathieu Solal et Sophie Hus.

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