Deal Trump-von der Leyen : un pis-aller qui tient le choc

Focus sur les relations transatlantiques, trois mois après la signature de l'accord informel de Turnberry.

BLOCS
4 min ⋅ 29/10/2025

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Super-bloc

Le 27 juillet, Ursula von der Leyen signait un accord informel aux conditions asymétriques avec Donald Trump, après des mois de furie commerciale américaine. Trois mois après l’annonce de cette trêve, comment ont évolué les relations transatlantiques ? Quel premier bilan peut-on tirer de ce deal décrié ? BLOCS fait le point.

Dessin de Philippe Vilandrau pour BLOCS - 👉 Instagram ; Blog

DUPLICITÉ BÉARNAISE □ « Accord Van der Leyen-Trump : c'est un jour sombre que celui où une alliance de peuples libres, rassemblés pour affirmer leurs valeurs et défendre leurs intérêts, se résout à la soumission », lance sur X François Bayrou, le 28 juillet.

Dans le viseur du locataire de Matignon : l’accord commercial informel conclu la veille à Turnberry (Écosse) par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen (dont il écorche au passage le patronyme) et le président américain (BLOCS#72).

Au diapason de la classe politique hexagonale, le Béarnais étale ainsi son courroux devant les conditions acceptées par l’Allemande - en omettant de préciser que la France l’a soutenue dans sa démarche et accepte sans sourciller le résultat de ces négociations.

DÉSÉQUILIBRE □ Conspuer à Paris ce que l’on soutient à Bruxelles : le subterfuge est presque aussi vieux que le projet européen. Son utilisation pour le moins caricaturale par le Premier ministre en ce 28 juillet s’explique avant tout par le contenu déséquilibré du compromis Bruxelles-Washington arrêté la veille.

Aux termes de l’accord politique, en effet, l’UE n’obtient qu’un engagement principal de la partie américaine : celui de limiter à 15% les droits de douane additionnels appliqués par Washington sur l’essentiel des produits européens.

En contrepartie, la Commission, affaiblie par la dépendance de l’UE en matière de défense en plein conflit ukrainien, semble avoir beaucoup concédé - suppression des droits de douane sur les produits industriels américains, centaines de milliards de dollars d’investissements et d’achat d’énergie promis, flexibilités dans l’application du Pacte vert aux entreprises américaines.

Formulé de manière ambigüe et dépourvu de valeur juridique, l’accord politique de Turnberry paraît en outre bien fragile.

À LA LETTRE □ Trois mois après sa signature, force est toutefois de constater qu’il a tenu le choc.

Washington a certes parfois traîné des pieds, mais au final bel et bien respecté à la lettre ses engagements. Fin septembre, l’administration américaine a ainsi mis en œuvre la baisse des tarifs sur les véhicules venus de l’UE de 27,5% à 15%, avec effet rétroactif au 1er août (BLOCS#76). Parallèlement, des baisses additionnelles promises dans l’aéronautique, la pharma et les matières premières sont devenues réalité.

De surcroît, les droits de douane décidés subitement ces dernières semaine par Donald Trump dans le secteur pharmaceutique (BLOCS#79) puis sur les poids lourds et les autobus (BLOCSPRO#2) ont bien épargné les produits fabriqués sur le sol européen.

Du côté européen, l’acte législatif prévoyant la suppression des droits de douane sur les produits industriels américains a bien été proposé par la Commission dès la fin du mois d’août, mais ne sera pas adopté avant des mois.

Les États-Unis paraissent accepter cette lenteur propre au système institutionnel européen. Et si Donald Trump a parfois menacé l’UE de la frapper de nouveaux droits de douane punitifs, notamment après l’amende infligée à Google par Bruxelles à la fin de l’été (BLOCS#73), il n’en a finalement rien été.

« LE MEILLEUR ACCORD »Un bilan qui confirme la première impression de François Chimits, responsable de projets Europe à l’Institut Montaigne, qui considère que l’UE a obtenu « le meilleur accord » par rapport, notamment, au Royaume-Uni et au Japon.

Un résultat permis, d’après lui, par « la taille du marché européen, l’unité des États membres dernière la Commission et la définition de certaines lignes rouges crédibles, dont l’intégrité de notre autonomie à réguler le secteur numérique ».

À l’arrivée, « les Européens s’en sortent avec des concessions sur le Pacte vert (BLOCS#77) qui ne vont pas au-delà de la dynamique de simplification qui était de toute façon déjà dans les tuyaux, et avec des engagements sans valeur juridique en matière d’investissement et d’achats d’énergie », analyse encore M. Chimits.

RÉÉQUILIBRAGE □ Reste à savoir si cet accord de Turnberry pourra tenir sur la durée. L’hypothèse paraît peu probable aux yeux de François Chimits.

« On va sans doute aller vers de nouvelles tensions et des conflictualités dans les mois à venir, notamment à partir du moment où Donald Trump aura stabilisé la situation avec la Chine, pour l’heure très tendue, estime le chercheur de l’Institut Montaigne. Une partie de ce que l’accord contient durera sans doute, mais peut-être pas l’essentiel - et notamment les droits de douane limités à 15% ».

« Ce qui pousse à être optimiste, toutefois, c’est l’évolution de la conjoncture. Les Européens ont été contraints à cet accord asymétrique par leurs difficultés économiques, la relance allemande qui tarde à se concrétiser et leurs dépendances militaires - trois dimensions qui devraient aller en diminuant. Côté américain, on a eu un Donald Trump au fait de sa puissance, porté par une bonne dynamique économique amorcée sous Joe Biden. Ces dynamiques devraient aussi s’atténuer ces prochains mois, participant d’un rééquilibrage du rapport de force transatlantique », conclut-il.

Alan Hervé (BLOCS#72), directeur du master Europe et Affaires mondiales à Sciences Po Rennes, est quant à lui plus circonspect. « Avec cet accord, on a une espèce d’épée de Damoclès qui pèse sur les institutions européennes, explique ce juriste spécialiste du droit commercial. L’UE doit désormais toujours faire attention avant de légiférer, ou même de simplement mettre en œuvre sa législation, en particulier sur le numérique. Pour bien analyser la situation, il faut, je crois, s’intéresser aux décisions qui sont prises, mais aussi à celles qui ne sont pas prises à cause de la pression américaine ».

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Cette édition a été préparée par Mathieu Solal, Alexandre Gilles-Chomel et Sophie Hus-Solal.

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Par Mathieu Solal

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