BLOCS

Chaque semaine, votre condensé d’actualité utile sur le commerce international.

image_author_Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal_null
Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal
28 févr. · 5 mn à lire
Partager cet article :

Les élections européennes, un tournant pour le commerce mondial ?

Cap sur le scrutin de juin prochain, mais aussi sur les sanctions russes, la dépendance solaire de l'UE et la revanche des "pays du Club Med"

BLOCS#13 Bonjour, nous sommes le mercredi 28 février et voici le treizième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur LinkedIn.


Super-bloc

À trois mois et demi du scrutin, focus cette semaine sur les potentielles conséquences de ces élections europénnes sur la politique commerciale de l’UE. Une coalition majoritaire de la droite et de l’extrême-droite pourrait-elle amorcer un tournant protectionniste ? Faut-il dire adieu à toute perspective de ratification d’un nouvel accord de libre-échange ? Quel impact peut avoir la colère agricole sur la campagne ? L’eurodéputée Marie-Pierre Vedrenne, le journaliste Christian Spillmann et le chercheur Pierre Leturcq, tous trois invités de la première de l’émission 100% Europe, tentent de répondre à ces questions brûlantes.

La première de 100% Europe dans le studio parisien de Canalchat Grandialogue, vendredi 23 février.La première de 100% Europe dans le studio parisien de Canalchat Grandialogue, vendredi 23 février.

APPEL DU PIED □ « Il est temps qu’une nouvelle majorité qui permette de prendre une nouvelle direction arrive au Parlement européen » lançait mardi 20 février François-Xavier Bellamy sur France Inter.

Des propos qui peuvent paraître surprenants, venus de l’eurodéputé et tête de liste LR aux européennes, dont le groupe parlementaire, le PPE (conservateurs), fait actuellement partie de la coalition majoritaire.

Visiblement insatisfait par ses partenaires de coalition que sont les centristes et libéraux de Renew et les sociaux-démocrate du S&D, Bellamy lance ainsi un appel du pied très clair à l’extrême-droite, dans la perspective des élections de juin prochain. Un effet de manche qui s’inscrit dans la droite ligne du désaveu de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, pourtant membre de la même famille politique que lui.

À Bruxelles et à Strasbourg, droite et extrême-droite votent déjà main dans la main contre les textes du Pacte vert, promu par von der Leyen depuis 2019. Si cette union est peu fructueuse pour l’heure, les élections de juin vont, en tout état de cause, rebattre les cartes.

TOURNANT PROTECTIONNISTE □ Sur le plan commercial, la nouvelle donne espérée par Bellamy pourrait avoir d’importantes conséquences.

« Même si une partie de l’extrême-droite est plutôt de tendance libertarienne donc libérale, un basculement vers la droite du centre de gravité de l’hémicycle pourrait créer une majorité qui s’entendrait sur peu de chose si ce n’est le protectionnisme », explique Pierre Leturcq, analyste senior à l’Institute for European Environmental Policy (IEEP).

« Ce sursaut protectionniste, poursuit-il, aurait pour but de répondre aux stratégies américaine et chinoise et viendrait encore plus perturber le cadre multilatéral et la diplomatie. Alors même que les pays du sud global ont plus que jamais besoin de garanties en matière d’investissement, de développement industriel et de financement pour l’adaptation au changement climatique ».

Le chercheur, coordinateur du Green Trade Network, cite en exemple la taxe carbone aux frontières (BLOCS#1), vouée à répercuter le coût du carbone européen sur les importations de certaines marchandises étrangères. L’adoption de ce texte aurait ainsi suscité « des réactions un peu trop enthousiastes de la part de ceux qui n’ont pas compris la logique du mécanisme. Certains voudraient l’appliquer à l’ensemble des produits, alors que le prix du carbone n’a fait ses preuves que sur secteurs les plus émetteurs ».

L’hypothèse d’un tournant protectionniste paraît toutefois peu probable à Christian Spillmann, ancien correspondant de l’AFP à Bruxelles, pour qui l’idée d’une UE rendant coup pour coup aux deux plus grandes puissances mondiales, est loin de faire consensus, notamment à la table des Vingt-Sept.

« Quand on a aux États-Unis un Buy American Act, qu’est-ce qu’on répond en Europe ? Qu’on est un grand marché. Quand on a les Chinois qui respectent pas les règles ? Qu’on ne peut pas se priver d’un accès à leur marché. On est toujours dans la mollesse des intérêts et on n’ose pas utiliser les instruments qu’on a à disposition », estime le journaliste.

VAGUE DE COLÈRE □ Effectivement peu en verve pour ce qui est de promouvoir l’utilisation des instruments de défense commerciale de l’UE, les responsables de droite et d’extrême-droite préfèrent, à l’instar de Bellamy, lâcher leurs coups contre les accords de libre-échange de l’UE, surfant sur la vague de colère agricole.

« Faire croire à l’opinion publique, comme le font certains responsables politiques, que c’est parce qu’on n’aurait plus d’accord de commerce, il n’y aurait plus de difficultés, ça c’est l’hypocrisie la plus totale ! », tacle Marie-Pierre Vedrenne, eurodéputée MoDem.

« Sur les accords de commerce, nous avons fait un examen au cas par cas, avec l’objectif de façonner un nouveau contenu des accords de commerce, comme on l’a fait avec la Nouvelle-Zélande (BLOCS#1), explique celle qui est aussi Vice-présidente de la commission du commerce international. L’accord est certes critiqué, comme les autres, par une partie des agriculteurs, mais pas par tous et pas par tous les secteurs (BLOCS#9) ».

Alors que la campagne commence à peine, l’eurodéputée ne s’avoue pas vaincue. « On voit une montée des populistes un peu partout en Europe, mais voyez pour autant ce qui s’est passé en Pologne. Il faut prendre en compte ce vent d’espoir qui existe aussi et faire en sorte que les citoyens se mobilisent, estime-t-elle. Parce qu’en Pologne il y a eu une mobilisation forte, notamment des jeunes, notamment des femmes, et qui a contredit les sondages ».

Revivez la première de 100% Europe dans son intégralité en cliquant ici.


BLOCS fait désormais partie de Footnotes, le média qui rassemble les newsletters d’un monde complexe. Une douzaine d’experts vous éclairent chaque semaine sur leurs thématiques de prédilection.

Découvrez tous nos contenus ici et suivez-nous sur LinkedIn.

Vous pouvez vous abonner directement à nos newsletters :  What’s up EULettre d’AllemagneCafétechLudonomics, et Hexagone.


Blocs-notes

CONTOURNEMENT □ Deux ans après le début de la guerre en Ukraine, le Kremlin est confronté à une avalanche de mesures de rétorsions. Le 22 février dernier, les États membres de l'UE ont unanimement adopté un 13ème paquet de sanctions pour restreindre l'accès de la Russie aux technologies militaires et prévenir tout contournement.

Ces mesures comprennent ainsi des restrictions sur le commerce des entreprises de l'UE avec trois sociétés chinoises fournissant des équipements à l'armée russe. Des entreprises indiennes, serbes et turques, ayant contribué aux efforts de guerre russes avec des composants et technologies sous sanctions, sont également soumises à des restrictions.

Les mesures européennes s'étendent également aux restrictions à l'exportation de plusieurs technologies et produits électroniques, notamment les microprocesseurs, les machines et les roulements à billes utilisés par l'industrie de la défense russe.

Parallèlement, les États-Unis ont annoncé la plus importante vague de sanctions depuis le début du conflit, visant plus de 500 individus et organisations russes. La liste noire américaine inclut également 26 entités et individus dans 11 pays, impliqués dans le contournement des précédentes mesures.

Le système public Mir, équivalent des systèmes Visa et MasterCard, est également ciblé en raison de son utilisation croissante par Moscou dans les transactions commerciales internationales. Une autre cible majeure est Sovcomflot, considérée comme la plus grande compagnie maritime russe, spécialisée dans le transport de pétrole et de gaz.


LA LONGUE NUIT DU SOLAIRE □ L’une des plus grandes usines de modules photovoltaïque d’Europe va mettre la clé sous la porte. Le groupe suisse Meyer Burger a annoncé vendredi dernier qu'il comptait fermer en avril son site allemand de Freiberg (Saxe).

Dans le rouge depuis des années, le groupe misait beaucoup sur une aide gouvernementale attendue en 2024. Mais en décembre dernier, la crise budgétaire outre-Rhin (BLOCS#4) est venue doucher ses espoirs.

Plus largement, Meyer Burger entend mettre fin « aux pertes soutenues en Europe et tirer parti du marché américain très attrayant ». Deux usines devraient ainsi être construites d'ici fin 2024 aux Etats-Unis, où le groupe va notamment bénéficier de 300 millions de dollars de crédits d'impôt au titre de l'Inflation Reduction Act (IRA).

Doutes allemands, IRA … La fermeture du site de Freiberg est le résultat de tendances récentes. Mais elle s’inscrit aussi dans la plus longue histoire de la chute de l’industrie solaire européenne, assommée par la concurrence des acteurs chinois, qui détiennent 97% de part des marchés de l’UE liés au photovoltaïque (cellules, wafers, modules…), grâce à des prix ultra-compétitifs.

En 2013, l’UE avait lancé une enquête anti-dumping pour contrer l’offensive de Pékin, avant de faire machine arrière (BLOCS#6). Aujourd’hui, l’Europe dispose, sur le papier, de nouveaux outils pour sanctionner cette concurrence jugée déloyale, mais elle reste réticente à les mobiliser.

« Étant donné que nous dépendons actuellement dans une très large mesure des importations [des panneaux photovoltaïques], toute mesure potentielle doit être mise en balance avec nos objectifs en matière de transition énergétique », avait expliqué Mairead McGuinness, la commissaire européenne aux services financiers, le 5 février dernier.


Mini-blocs

Les échanges entre l’UE et la Russie ont baissé de 77% et le déficit commercial des producteurs européens à l’égard des russes a baissé de 94% depuis le début de la guerre en Ukraine, selon le dernier rapport d’Eurostat publié jeudi. Raison principale de cette évolution : la forte diminution des importations d’énergie russe - divisées par 3 entre 2021 et 2023 - suite aux sanctions, visant le pétrole en particulier, mais aussi du fait de l’arrêt des livraisons de gaz par gazoduc par la Russie. L’UE s’est rapprochée des États-Unis pour ses importations de gaz, qui ont triplé au cours de la même période. Cependant, la diminution des importations en provenance du pays de Vladimir Poutine ne concerne ni le gaz naturel liquéfié (GNL) - avec une hausse de près de 33% entre 2021 et 2023 -, ni les engrais, produits à partir du gaz.

Longtemps considérés par certains voisins du Nord de l’UE comme des boulets, les « pays du Club Med » prennent leur revanche. En 2023, l’Espagne, le Portugal, la Grèce et l’Italie ont surpassé l'Allemagne, la Finlande et les Pays-Bas en termes de croissance économique. Le PIB espagnol a ainsi enregistré une hausse remarquable de 2,5 %, équivalente à la performance économique des États-Unis. Le Portugal a également affiché une croissance solide de 2,3 %, tandis que la Grèce a enregistré une progression de 2,2 %. En revanche, l'Allemagne a connu une contraction de son PIB de 0,3 %, et la Finlande de 0,4 %. Cette performance positive du sud est attribuée au plan de relance européen, au retour des touristes et à l'effet de rattrapage post-crise de 2008, selon Les Échos.

Nvidia, le géant américain des puces utilisées par l’intelligence artificielle (IA), n’en finit plus de croître. Sur l’exercice 2023, l’entreprise a multiplié par six ses profits, à près de 30 milliards de dollars. Suite à l’annonce de ses derniers résultats trimestriels, le groupe a enregistré jeudi dernier la plus importante augmentation de l’histoire de Wall Street sur une seule journée. « À la différence de la bulle Internet, la valorisation de Nvidia repose sur une croissance de l’activité (...), pas seulement sur des promesses », note le magazine Investir. Voilà plus d’un an que l’entreprise, autrefois spécialisée dans les composants pour jeux vidéo, surfe sur l’explosion de l’IA, en fournissant, entre autres, des centres de données. La demande paraît insatiable, mais la concurrence devrait se durcir : Sam Altman, le patron d’Open AI, l’un des clients de Nvidia, veut ainsi investir 7000 milliards de dollars dans l’industrie des semi-conducteurs destinés à l’IA (BLOCS#11).

Les experts du groupe de réflexion européen Bruegel ont disséqué en 10 graphiques « la guerre énergétique entre l’UE et la Russie ». Cette étude est disponible en français sur le site du Grand Continent.

Dans une étude parue ce lundi, Elvire Fabry, chercheuse de l’Institut Jacques Delors, compare l’approche de l’UE en matière de sécurité économique à celles adoptées par les Etats-Unis, la Chine et par le Japon, dans le contexte de « tensions géopolitiques croissantes et d’augmentation des restrictions au commerce et à l’investissement ».



Cette édition a été préparée par Clément Solal, Antonia Przybyslawski, Mathieu Solal et Sophie Hus.

Une remarque ? Une critique ? Ou qui sait, un compliment ? N’hésitez-pas à nous écrire.