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Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal
20 mars · 5 mn à lire
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Sept ans après, le Sénat menace le CETA

Focus sur cet accord controversé, mais aussi sur le curieux essor des échanges Chine-Mexique, la lutte de l'UE contre le travail forcé et le boom des ventes d'armes tricolores

BLOCS#16 Bonjour, nous sommes le mercredi 20 mars et voici le seizième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur LinkedIn.


Super-bloc

Ce jeudi 21 mars, la chambre haute du Parlement français se prononcera enfin sur le fameux accord de libre-échange entre l’UE et le Canada. Un rejet du Sénat ne suffirait pas à suspendre son application provisoire, en vigueur depuis 2017, mais il constituerait un pas menaçant dans cette direction. La résurgence de cette controverse peut étonner tant, six ans et demi après, le bilan du CETA a balayé les sombres prophéties dont il faisait initialement l’objet.

Manifestation contre le CETA devant le siège du Parlement européen de Strasbourg, le 15 février 2016 ©StopTTIP/Flickr.Manifestation contre le CETA devant le siège du Parlement européen de Strasbourg, le 15 février 2016 ©StopTTIP/Flickr.

SCÉNARIO CHOC □ Concurrence déloyale au détriment de l’agriculture et de l’industrie, suppressions d’emplois massives, désastre écologique … Lors des débats houleux qui avaient ponctué son entrée en vigueur en septembre 2017, puis sa validation par l’Assemblée nationale en 2019, le CETA avait été accusé de tous les maux. Ce jeudi 21 mars, ce sera, enfin, au tour du Sénat de se prononcer sur cet accord de libre-échange (ALE) qui a supprimé les droits de douane sur 98 % des produits échangés entre l’Union européenne (UE) et le Canada.

Un rejet au Palais du Luxembourg semble possible : outre les communistes, qui, à force de persévérance, ont finalement obtenu contre la volonté du gouvernement l’inscription du sujet à l’ordre du jour, et les autres forces de gauche, une bonne partie des 133 sénateurs Les Républicains (LR) devrait voter contre.

Avec quelles conséquences ? Concrètement, l'opposition de la chambre haute ne suffirait pas à suspendre la mise en application de l’accord, toujours « provisoire » à ce stade. Mais le deal pourrait ensuite retourner à l’Assemblée nationale, où sa remise en cause ne serait alors pas à exclure. Ce risque apparaît d’autant plus élevé dans le contexte d’une colère paysanne qui cible en particulier les accords commerciaux (BLOCS#9) et d’une campagne européenne propice aux instrumentalisations.

« Théoriquement, un rejet par le Parlement français de la ratification du texte pourrait bien avoir pour conséquence la fin de la mise en application provisoire du CETA. Cependant, le gouvernement français pourrait s'abstenir de notifier [ce rejet] aux instances de l'Union », explique Alan Hervé, juriste expert de la politique commerciale de l’UE à Sciences Po Rennes (BLOCS#6).

Si le scénario choc est donc loin d’être écrit, l’existence de cette menace a déjà de quoi étonner. Car, six ans et demi après, la réalité du CETA a balayé une bonne partie des craintes auxquelles il était initialement associé. « Le CETA est un bouc émissaire mal choisi », estime ainsi le quotidien libéral L’Opinion. Le bilan est globalement positif pour l’économie de l’UE, dont les échanges auraient augmenté de plus de 50% avec le Canada entre 2017 et 2022 (un chiffre contesté), avec une balance nettement favorable à ce côté-ci de l’Atlantique.

GRANDS GAGNANTS □ L’Hexagone n’est pas en reste : c’est en France - et en Italie - que les entreprises ont été les plus nombreuses à se tourner vers l’export grâce au CETA. Et pourtant, en 2019, seuls 20 % des Français voyaient dans ce dernier une opportunité pour les entreprises tricolores.

Argument corollaire à mettre au crédit de l’accord controversé : cette croissance des échanges profite en premier lieu aux PME, ce qui n’est pas toujours le cas. Sans surprise, les secteurs français de la pharmacie, des cosmétiques et des services, ont, comme souvent, tiré leur épingle du jeu. Ils ne sont pas les seuls.

L’agriculture française n’a pas été sacrifiée, au contraire : l’excédent commercial agroalimentaire a été multiplié par trois en cinq ans, pour atteindre 578 millions d’euros en 2023. Les filières des vins, des spiritueux et des produits laitiers figurent sur la liste des grands gagnants. Certains secteurs, comme ceux du bœuf, du porc ou du maïs sont plus exposés, mais ils ont été en partie protégés par des quotas.

En tout état de cause, les plus sombres prophéties ont été démenties. Quand certains imaginaient un afflux de boeufs canadiens, « les volumes importés en Europe s’élèvent à 2 ou 3 % des contingents autorisés, qui eux-mêmes sont déjà faibles. En 2022, pour chaque livre de bœuf canadien exporté vers l'UE, le Canada en a importé 17 de l'UE », détaille Elvire Fabry, de l’Institut Jacques Delors.

HIC CLIMATIQUE □ « Le débat politique s'est figé sur les craintes de 2017, sans mesurer l'importance de ce partenariat dans un contexte géopolitique qui appelle à diversifier les échanges avec des partenaires fiables et à sécuriser l'accès aux minerais critiques », poursuit cette experte de la dimension géopolitique du commerce.

Le CETA a été complété, en 2021, par la signature d’un « Partenariat stratégique pour les minéraux critiques » : 20% des importations de l’UE en provenance du Canada sont aujourd'hui des minerais, comme le nickel. Sa remise en cause irait, plus généralement, à rebours de la stratégie européenne de “friend-shoring” (BLOCS#8), destinée à moins dépendre de puissances telles que la Chine ou la Russie.

Cela dit, le bilan du CETA sur le plan climatique est autrement plus contestable. D’après une récente étude du Veblen Institute pour les réformes économiques, il serait même « clairement négatif ».

« La libéralisation des échanges a été promue dans tous les domaines, y compris pour les biens et services polluants », expliquent les économistes de ce groupe de réflexion français classé à gauche, qui énumèrent : « les combustibles fossiles, les engrais, les produits plastiques, les véhicules, les produits chimiques, le fer, l’acier, l’aluminium et le nickel, les transports et le tourisme ».

Les efforts européens voués à verdir les ALE restent très en deçà des promesses. En la matière, même l’accord entre l’UE et la Nouvelle Zélande ratifié en novembre dernier, et dépeint comme un modèle de virtuosité, ne convainc pas les sceptiques.


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Blocs-notes

COÏNCIDENCE ? □ Dans un contexte de ralentissement général du commerce mondial, l’essor des relations commerciales entre la Chine et le Mexique a de quoi étonner.

La demande de conteneurs depuis l’Empire du Milieu vers le pays d’Amérique du Nord a enregistré une hausse exceptionnelle de 60 % en janvier 2024 sur un an, selon les dernières données de Xeneta, un cabinet d'analyse spécialisé dans l'évaluation comparative des tarifs de fret.

En 2023, les échanges commerciaux entre les deux pays ont globalement progressé de 34,8%, contre seulement 3,5% en 2022. « Il s'agit probablement du commerce qui connaît actuellement la croissance la plus rapide au monde », relève Peter Sand, analyste en chef de Xeneta. Ce cabinet norvégien croit avoir l’explication.

Avec une proportion significative de ces marchandises susceptibles d'être acheminées par camion vers les États-Unis, « il est possible que l'augmentation des échanges entre la Chine et le Mexique serve à contourner les droits de douane imposés aux importations chinoises aux États-Unis dans le cadre de la guerre commerciale en cours », explique Xeneta.

D’autant qu’en parallèle, le Mexique a dépassé la Chine en tant que premier exportateur de marchandises vers les États-Unis l'année dernière (BLOCS#11).

En 2018, l’administration Trump avait imposé près de 350 milliards de dollars de droits de douane sur les produits chinois, une politique qui n’a pas été remise en cause sous l’ère Biden.


TRAVAIL FORCÉ □ Les représentants permanents des Vingt-Sept à Bruxelles ont approuvé le compromis trouvé la semaine précédente avec le Parlement européen autour du projet de règlement interdisant les produits issus du travail forcé.

En dépit de l’opposition de l’Allemagne, ce texte a ainsi franchi une nouvelle étape décisive, la dernière avant son adoption définitive par le Parlement, qui ne fait guère de doute.

Aux termes du compromis trouvé, le texte interdira l'accès au marché de l'UE à tous les produits mondiaux fabriqués avec du travail forcé, en prévoyant des sanctions telles que l’interdiction d'importation et d'exportation, le retrait obligatoire du marché, voire la destruction du produit concerné.

L’application de ces règles reposera sur des évaluations dressées par la Commission, prenant en compte la présence probable de travail forcé imposé par l'État tiers, la quantité ou le volume du produit final susceptible d'être concerné, ou encore les moyens dont l’entreprise dispose pour y remédier.

À l’instar du projet européen contre les produits issus de la déforestation (BLOCS#15), ce texte devrait fortement affecter les chaînes d’approvisionnement, notamment dans le secteur agricole.

L’UE devrait ainsi viser le coton ou les tomates produits par les Ouïgours dans le Xinjiang, en Chine. Mais elle pourrait aussi s’en prendre à la production de bœuf brésilien, de canne à sucre, de café, de cacao ivoiriens, d’huile de palme indonésienne et de poisson chinois - autant de produits que le gouvernement américain estime perméables au travail forcé.

Les exploitations agricoles européennes, et notamment celles employant massivement des travailleurs saisonniers étrangers dans des conditions abusives, pourraient elles aussi se retrouver visées. Chaque Etat membre sera responsable de sa mise en application à l’intérieur de ses frontières.


Mini-blocs

La France est devenue le deuxième exportateur mondial d'armes, avec 11% de part de marché, loin derrière les Etats-Unis (42%) selon l’Institut international sur la paix de Stockholm (Sipri). L'Hexagone a pris la place de la Russie dans ce classement dévoilé le 11 mars dernier qu’est venu chambouler la guerre en Ukraine. Alors que les exportations de Moscou ont diminué de 53 %, les ventes tricolores ont, elles, progressé de 47 % entre 2019 et 2023, portées par le succès du Rafale. Les acheteurs d'armes françaises se trouvent en Asie - en Inde pour 30% - , en Océanie ou au Moyen Orient, mais très peu en Europe - moins d’un dixième. Un paradoxe : car, au cours des cinq années étudiées, les importations européennes d'armes, stimulées par le retour de la guerre sur le Vieux continent, ont bondi de 94 %. Ce faisant, la dépendance européenne aux Etats-Unis a atteint des sommets.

Petit coup de théâtre dans le délicat dossier des importations ukrainiennes de produits agricoles au sein de l’UE. Mise sous pression par ses agriculteurs, la Pologne était jusqu’ici trop seule à Bruxelles à réclamer de nouvelles restrictions (BLOCS#14) pour limiter la déstabilisation du marché européen. Elle vient de trouver un allié de poids : la France. Les deux pays plaident désormais de concert en faveur d’une importante diminution des quotas d'œufs, de sucre et de volaille venus d’Ukraine, au-delà desquels les droits de douanes européens sont rétablis. Lesdits quotas ont été introduits fin janvier par la Commission en guise de concession aux agriculteurs de l’UE. Paris et Varsovie souhaiteraient aussi étendre la liste des produits qui en font l’objet à certains types de céréales, ainsi qu’au miel, selon Politico. Le sujet pourrait s’inviter à la table des leaders européens, qui se réuniront ces jeudi et vendredi à Bruxelles.

Un embarrassant désaveu. Le PDG du constructeur allemand Mercedes-Benz, Ola Källenius, a exprimé son opposition à toute augmentation des droits de douane de l'UE sur les importations de voitures électriques chinoises, dans un entretien au Financial Times. De telles mesures sont envisagées de plus en plus sérieusement (BLOCS#15) par la Commission européenne dans le cadre de l’enquête qu’elle a lancée en octobre sur de probables subventions déloyales versées par Pékin. Avec environ un tiers de ses ventes réalisées sur le marché chinois, le groupe redoute des représailles en cas de conflit commercial. À ce stade, la Chine réagit en faisant monter d’un cran sa menace à l'encontre des spiritueux européens. Sa propre enquête sur les eaux-de-vie de vin importées de l'UE cible désormais explicitement les maisons Martell (filiale de Pernod Ricard), Hennessy (du groupe de luxe LVMH) et Rémy Martin (Rémy Cointreau).

Comment les sanctions commerciales imposées à la Russie de Poutine par l’UE depuis 2022 sont-elles contournées ? Un passionnant documentaire d’Arte tente de répondre à cette question, levant le voile sur un vaste marché, entre fraudes et nouvelles alliances.

La Foundation for European Progressive Studies (FEPS), think tank de la gauche modérée européenne, a publié fin février une série de recommandations et d’idées « progressives » pour la politique commerciale européenne.



Cette édition a été préparée par Clément Solal, Antonia Przybyslawski, Mathieu Solal et Sophie Hus.

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