□ Les réorganisations des flux de marchandises □ L’étau judiciaire se resserre sur les tarifs trumpiens □ Washington frappe encore l’acier et l’aluminium □ Regain de tensions sino-américaines □ Trump est-il une poule mouillée ? □ Les dispositifs médicaux chinois dans le viseur de l'UE □ La fructueuse tournée de Macron en Asie du Sud-Est
BLOCS#64 □ Bonjour, nous sommes le mercredi 3 juin et voici le soixante-quatrième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous sur LinkedIn.
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Comment les grandes entreprises internationales réorganisent-elles leurs flux de marchandises face aux droits de douane ? Quelles stratégies mettre en place, ou non, au vu des multiples revirements de Donald Trump ? Le taux du fret est-il voué à chuter ? Cette semaine, BLOCS a posé ces questions, et bien d’autres, à Arthur Barillas, le Directeur général du commissionnaire de transport parisien OVRSEA. Cette entreprise experte de la logistique, créée en 2017 et désormais contrôlée majoritairement par Bolloré Logistics, elle-même filiale de CMA CGM, conseille des centaines de clients, de l’industrie pharmaceutique à celle du luxe, en passant par la cosmétique, la santé, le retail, et les projets industriels. OVRSEA se retrouve ainsi aux avant-postes dans la tempête tarifaire déchaînée par le président américain.
© Sal Mercogliano sur X
BLOCS □ Dans le climat de forte instabilité provoquée par la politique tarifaire de Donald Trump - encore renforcé par la remise en cause des droits de douanes par la justice américaine (voir notre section “Blocs-notes”) - quel est votre rôle ?
ARTHUR BARILLAS : Notre mission est de continuer à conseiller au mieux, même dans un pareil moment de flou réglementaire. Nos clients ne suivent pas la totalité des évolutions qui ont lieu aux États-Unis. Ils ont bien entendu connaissance des grandes lignes de ce qu’annonce Donald Trump, mais ils ne peuvent pas analyser tout ce que publie ensuite officiellement l’administration des douanes américaines, faute de temps, et car c’est souvent assez technique.
Notre rôle est donc, premièrement, de leur présenter une image aussi claire que possible de la situation, ce qui n’est déjà pas une mince affaire, vu le manque de clarté de Washington et ses revirements récurrents. Deuxièmement, il s’agit de leur proposer des solutions concrètes pour s’adapter compte tenu de leurs contraintes.
“Nous avons proposé à plusieurs de nos clients de stocker des volumes de marchandises sur le sol américain dans des entrepôts sous douanes”
Quels types de solutions ?
Typiquement, nous avons proposé à plusieurs de nos clients de stocker des volumes de marchandises sur le sol américain dans des entrepôts sous douanes, dans l’espoir de dédouaner celles-ci à l’avenir dès lors qu’un accord aura été trouvé entre l’UE et les États-Unis, et que les taux appliqués seront donc plus bas.
Mais nous ne nous contentons pas de proposer, notre troisième fonction est d’accompagner les clients dans l’opérationnalisation des solutions choisies, en particulier pour ceux qui décident de reconfigurer leurs flux, voire de changer de fournisseurs pour privilégier une autre zone d’importations. Cela implique notamment une maîtrise d’un nouvel environnement réglementaire, que nous leur apportons.
“Des entreprises qui avaient initié des changements pour s'adapter peuvent décider de revenir en arrière”
Cependant, personne, même vous, n’est en capacité de lire dans l’esprit du président américain … Ses volte-face intempestives ne rendent-elles pas aussi votre mission beaucoup plus compliquée ?
La volatilité des décisions réglementaires constitue en effet un immense défi : la vérité du jour n’est peut-être pas celle du lendemain, et encore moins celle du mois prochain. Déjà, il s’agit de rester à jour, de réinformer nos clients de manière fiable et précise.
La deuxième difficulté concerne la rapidité avec laquelle ceux-ci adoptent de nouvelles stratégies pour s’adapter. Car face à de nouvelles annonces, des entreprises qui avaient initié des changements pour s'adapter peuvent décider de revenir en arrière. Cela a en particulier été le cas à la suite de l’accord conclu mi-mai entre les États-Unis et la Chine [ce compromis provisoire a permis aux droits de douane de 145% infligés par Washington à l’essentiel des produits chinois de tomber à 30%, BLOCS#61].
Une autre réponse des entreprises internationales pour échapper aux tarifs les plus hauts est le « blanchiment d’origine ». Cette pratique n’est pas nouvelle et a notamment bénéficié à des voisins de la Chine, comme le Vietnam (BLOCS#63). Est-ce une solution ?
Le recours à diverses stratégies de co-manufacturing est effectivement courant. En gros, au lieu de faire partir les marchandises d’un pays - tel que la Chine - depuis lequel les tarifs américains sont très élevés, les entreprises font effectuer les dernières étapes de leur production, voire même simplement le packaging, dans un pays voisin faisant l’objet de droits de douane moindres, d’où les biens sont donc envoyés aux États-Unis.
L’intérêt est que le coût de l’opération est inférieur, parfois largement, au différentiel de droits de douanes entre les deux pays économisé par l’entreprise. Ceci dit, ces pratiques ne sont pas toujours légales : cela dépend de la valeur créée, ou non, dans le second pays.
J’ai par ailleurs du mal à imaginer que les pays de transit, à commencer par le Vietnam et le Mexique, pourront continuer à l’avenir de bénéficier à ce point de ce phénomène. Donald Trump les a identifiés comme étant parmi ceux avec qui le déficit commercial américain est le plus élevé.
“Aujourd’hui nos chiffres témoignent d’un certain redémarrage des flux, ce que confirme la forte hausse récente des taux de fret maritime sur l’axe Asie-Amérique”
Face à la hausse des tarifs aux États-unis, vous vous inquiétez d’une multiplication des « défaillances de cautions douanières ». Pouvez-vous nous expliquer ?
Certaines entreprises ont avec les services des douanes un arrangement prévoyant un paiement différé des droits de douane moyennant des cautions financières. En pratique, c’est une facilité de paiement, ou un crédit, octroyé par l’État à ces sociétés.
Sauf que, quand hier des entreprises exportant aux États-Unis - typiquement des biens alimentaires - étaient soumises à des droits de, disons, 0,47%, et devaient donc régler quelques centaines de dollars par livraison, les taux sont passés à 10% voire à bien plus, et on parle désormais d’une ardoise de dizaines de milliers d’euros… Le risque est que certains acteurs ne soient plus solvables, ou en tout cas qu’ils peinent à payer l’excédent.
Le problème, au fond, est la pression que fait peser l’augmentation des droits de douane sur les trésoreries. Certains de nos clients envisagent ainsi de ne plus vendre leurs produits aux États-Unis car le coût, et le risque réglementaire pour l’avenir sont devenus trop élevés.
Ceci dit, l’accord trouvé entre la Chine et les États-Unis le 14 mai limite la casse. Constatez-vous un redémarrage des flux depuis ? Ou bien le nouveau taux de 30% reste-t-il prohibitif ?
On avait observé en avril une diminution extrêmement significative, de l’ordre de 50%, des échanges entre la Chine et les États-Unis. Aujourd’hui, nos chiffres témoignent d’un certain redémarrage des flux, ce que confirme la forte hausse récente des taux de fret maritime sur l’axe transpacifique Asie-Amérique.
Il y a deux interprétations possibles : soit cela redémarre car le taux de 30% n’est globalement pas jugé prohibitif, soit l’économie américaine, qui ne peut pas se passer d’importer massivement, réagit surtout dans l’urgence, d’autant que les stocks qu’avaient constitués les entreprises se sont écoulés en avril.
“Dès lors que les navires pourront passer par la route de Suez sans craindre d’être attaqués, la baisse des taux de fret pourrait être significative. ”
Globalement, le commerce international ralentit, et ce pile au moment où les grands armateurs reçoivent les nouveaux navires qu’ils avaient commandés pendant la période du Covid (BLOCS#59). Les taux de fret sont-ils par conséquent voués à chuter à l’avenir ?
Il y a peu de choses plus périlleuses que d’essayer de pronostiquer les futurs taux de fret… On se trompe très souvent. Ce qui est certain est qu’il existe en effet un déséquilibre entre l’offre sur le marché - les capacités disponibles - et la demande mondiale.
Cette surcapacité a jusqu’ici été très largement absorbée par le détournement des navires qui empruntaient auparavant le Canal de Suez par le Cap de Bonne Espérance [contraint par les attaques des rebelles houthistes en Mer rouge], ce qui rallonge le temps de transit, et mobilise donc de fait des capacités supplémentaires.
Beaucoup d’experts estiment que tant que la route de Suez ne sera pas rouverte, les taux resteront relativement stables. Mais que dès lors que les navires pourront passer sans craindre d’être attaqués, la baisse pourrait être significative.
Un accord de cessez-le-feu avait été annoncé le 6 mai entre les rebelles houthistes et l’administration Trump. N’avançons-nous pas justement vers une réouverture du Canal ?
En tout cas les navires commerciaux ne repassent toujours pas et les Houthis n’ont pas arrêté leurs attaques. Pour les compagnies maritimes, voir un navire coulé, ou un équipage ciblé, représente des risques si énormes sur les plans humain, économique, légal, et réputationnel, que j’estime qu’ils ne réumprunteront cette route que lorsque la situation sera absolument stable. Et ce n’est pas pour demain. La situation dure depuis novembre 2023, et on ne voit pas de sortie potentielle à court terme.
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REVERS JUDICIAIRES □ L’incertitude plane sur une bonne partie des droits de douane américains.
La semaine dernière, deux coups de théâtre judiciaires ont ainsi fragilisé les droits de douane dits « réciproques », les tarifs « de base » de 10% infligés à la quasi-totalité de la planète, ainsi que les sanctions infligées séparément à la Chine, au Canada et au Mexique.
En cause, deux requêtes : l’une formée par une coalition de 13 États fédérés, conduite par l’Oregon ; l’autre par un groupe de PME directement affectées par les tarifs. Les deux visant à faire reconnaître l’illégalité de ces mesures.
La Cour de commerce internationale (U.S. Court of International Trade), juridiction fédérale spécialisée basée à New York, a en effet invalidé mercredi une large partie des droits de douane imposés par Donald Trump depuis son retour à la Maison Blanche.
Ce jugement a toutefois été suspendu dès le lendemain par la Cour d’appel fédérale, dans le cadre d’un référé d’urgence. Les mesures contestées ont donc été réintroduites, dans l’attente du jugement de la Cour sur le fond.
La décision d’appel est attendue pour la mi-juin au plus tôt.
Elle pourrait confirmer le jugement en première instance, qui considère que Donald Trump ne pouvait se prévaloir, comme il l’a fait, de l’International Emergency Economic Powers Act (IEEPA) de 1977 pour imposer ces droits de douanes.
En conséquence, l’administration américaine pourrait être contrainte de rembourser jusqu’à 14 milliards de dollars de droits perçus depuis avril, et décider de réintroduire ces taxes par le biais d’autres vecteurs juridiques, ce qui serait long et coûteux, selon l’analyse du Council on Foreign Relations.
En cas de défaite devant la cour d’appel, l’affaire pourrait néanmoins être portée devant la Cour suprême, dont la majorité des membres sont inféodés au héros du clan MAGA.
Ces péripéties judiciaires ne constituent pas moins un revers majeur pour le locataire de la maison Blanche, puisqu’elles bousculent les négociations en cours avec plusieurs pays, comme le Japon, le Vietnam ou l’UE, et décrédibilisent la tactique de menaces infligées puis retirées par Donald Trump.
Par ailleurs, ce double revirement et l’incertitude induite affecte directement les acteurs économiques touchés par les droits de douanes pris sous l’IEEPA, qui commencent déjà à s’organiser pour identifier les transactions soumises aux tarifs invalidés en première instance et évaluer leur éligibilité aux hypothétiques remboursements.
Ce bras de fer judiciaire pourrait enfin permettre de clarifier en partie la répartition des compétences entre le président américain et le Congrès sur la conduite de la politique commerciale.
MORAL D’ACIER □ Comme pour faire oublier ses ennuis judiciaires (voir ci-dessus), Donald Trump a annoncé vendredi le doublement des droits de douane américains sur les importations d’acier et d’aluminium. Ceux-ci doivent ainsi passer de 25 à 50% dès ce mercredi.
Cette augmentation devrait soutenir la profitabilité des fabricants américains, qui ont déjà bénéficié de l’augmentation des cours de l’acier et de l’aluminium provoquée par la mise en place des tarifs de 25% cet hiver. Le secteur métallurgique américain reste toutefois handicapé par le prix de l’électricité et sa capacité de production limitée.
Ces nouveaux droits de douane devraient surtout pénaliser la compétitivité de l’industrie états-unienne.
« Les États-Unis sont un importateur net d'acier, nous avons donc besoin d'importations pour satisfaire la demande, estime Josh Spoores, responsable de l'analyse de l'acier pour les Amériques au sein de la société de conseil CRU, cité par Reuters. Cette mesure n'empêchera pas les importations d'arriver, elle ne fera qu'augmenter les prix intérieurs pour les consommateurs d'acier aux États-Unis, tels que les fabricants ».
Environ un quart de l'acier utilisé aux États-Unis est importé, en grande partie des pays voisins, le Mexique et le Canada. La proportion grimpe à 70 % pour l'aluminium, importé majoritairement du Canada, qui bénéficie de l'énergie abondante produite par ses nombreuses centrales hydroélectriques.
L'industrie manufacturière américaine, fortement dépendante des importations de matières premières, s'est contractée pour un troisième mois consécutif en mai, pour atteindre son niveau le plus bas depuis six mois, tandis que les usines ont continué à supprimer des emplois, selon les données de l'Institute for Supply Management (ISM).
L’industrie se retrouve, de surcroît, vulnérable face aux mesures de rétorsion que devraient prendre les partenaires commerciaux des États-Unis si les droits de douane dits « réciproques » font leur retour, début juillet.
Les nouvelles mesures prises sur l’acier et l’aluminium pourraient par ailleurs inciter les importateurs américains à privilégier les produits finis ou semi-finis constitués d’acier et d’aluminium, que les droits de douane ne visent pas pour le moment.
Ce qui pourrait encore renforcer la fuite en avant de l’administration américaine. Le département du Commerce étudie actuellement des requêtes d'inclusion, allant des congélateurs aux châssis de semi-remorques. Et il a lancé des enquêtes sectorielles sur plusieurs industries, dont les semi-conducteurs, l'aéronautique, ou encore les métaux critiques.
Annoncée au cours d’un discours tenu devant des ouvriers métallurgistes en Pennsylvanie, ces nouveaux tarifs semblent par ailleurs constituer une diversion par rapport au rachat du géant américain US Steel par le japonais Nippon Steel (BLOCS#63), confirmé le même jour par M. Trump, alors qu’il avait été bloqué par Joe Biden (BLOCS#44).
Quand bien même cette acquisition est accompagnée de promesses d’investissements de 14 milliards de dollars de Nippon Steel dans les unités de production américaines, elle illustre la difficulté des Américains à conserver le contrôle sur leurs fleurons industriels.
□ Les États-Unis, Donald Trump en tête, ont dénoncé vendredi une violation par la Chine de la trêve commerciale signée le 12 mai (BLOCS#61). Selon le représentant au Commerce, Jamieson Greer, Pékin continuerait de limiter ses exportations de terres rares et aurait maintenu en vigueur l’inscription d’entreprises américaines sur sa liste noire des exportations (BLOCS#59). La Chine a rejeté ces accusations et menacé de réagir fermement.
□ « Moi je me dégonfle ?! » s’est emporté Donald Trump mercredi face à un journaliste. Ce dernier interrogeait le président sur la pertinence du nouvel acronyme en vogue : TACO (« Trump always chickens out », « Trump se dégonfle toujours » en français). L’expression a été créée début mai par Robert Armstrong, un éditorialiste du Financial Times. Les investisseurs « se rendent compte que l'administration américaine ne possède pas une forte tolérance aux pressions économiques et du marché, et qu'elle sera prompte à reculer quand les droits de douane feront souffrir. C'est la théorie du TACO: Trump se dégonfle toujours », écrivait-il alors. Depuis, le concept a été repris par de très sérieux analystes économiques, et semble expliquer le calme relatif qui règne sur les marchés financiers, en dépit des décisions erratiques de M. Trump. Piqué au vif par la question du journaliste, le tempétueux dirigeant de 78 ans a toutefois relancé de plus belle ses flèches commerciales (voir ci dessus), laissant craindre aux traders la fin de ses renoncements et le début d’un plongeon sans fin pour l’économie américaine.
□ Les États membres de l'UE ont décidé lundi d'utiliser pour la première fois leur instrument relatif aux marchés publics internationaux, en ciblant les dispositifs médicaux chinois, relèvent nos amis de la Matinale européenne, une newsletter consacrée à l’actualité institutionnelle que nous vous recommandons. Cet instrument permet de limiter l'accès aux marchés publics de l'UE des sociétés provenant de pays tiers qui n'offrent pas un accès similaire aux entreprises européennes. Après une enquête lancée en avril 2024, la Commission est parvenue en janvier dernier à la conclusion que la Chine n'offre pas le même niveau d'accès aux entreprises européennes pour les marchés publics de dispositifs médicaux. Aux termes de la décision adoptée par les Vingt-Sept, les entreprises chinoises seront exclues des marchés publics européens d’un montant supérieur à 5 millions d'euros.
□ Mardi dernier, les Vingt-Sept ont définitivement adopté le règlement instaurant le fonds "SAFE", doté de 150 milliards d’euros. Cet instrument financier permettra d’octroyer des prêts aux États membres pour renforcer leurs capacités militaires (artillerie, missiles, munitions, drones, systèmes anti-drones) (BLOCS#52). Proposé en mars par la Commission européenne, il vise aussi à soutenir l’industrie de défense européenne. Pour être éligibles, les projets devront intégrer au moins 65 % de composants issus d’entreprises basées dans l’UE ou dans des pays partenaires, tels que l’Ukraine, l’Islande, la Norvège et la Suisse. Des États tiers comme le Royaume-Uni, le Japon ou la Corée du Sud pourront participer à des achats conjoints, sous réserve d’accords spécifiques avec l’UE.
□ Emmanuel Macron a effectué la semaine dernière une fructueuse tournée en Asie du Sud-Est qui l’a conduit au Vietnam, en Indonésie et à Singapour, accompagné d’une large délégation d’entreprises. De nombreux accords ont été signés, du secteur de la défense à celui de l’agroalimentaire, en passant par l'aéronautique, le ferroviaire et les énergies renouvelables. Au Vietnam, on peut notamment relever la commande par la compagnie à bas coût Vietjet Air de 20 nouveaux appareils gros-porteurs A300-900 d’Airbus. Autre signature importante : celle d’un projet d’investissement de 600 millions de dollars de CMA CGM pour la construction d’un nouveau terminal portuaire en eau profonde à Hai Phong, dans le nord du pays, comme le note le Moci. Et le média d’évoquer les pourparlers en cours entre la France et les autorités vietnamiennes pour le développement d’infrastructures ferroviaires majeures. En Indonésie, 17 milliards d’euros d’accords ont été signés, d’après l’Élysée, qui n’en a toutefois pas dévoilé le détail. Il semblerait que le secteur de l’armement se soit taillé la part du lion. Avec, ces dernières années, des commandes indonésiennes massives de Rafale, de radars de surveillance de Thalès, de sous-marins de Naval Group et de canons Caesar du groupe KNDS, le pays de 280 millions d’habitants est devenu le deuxième client de l’industrie de défense française en Asie. Selon le ministre de la défense, Sébastien Lecornu, Jakarta s’oriente vers de nouvelles acquisitions. À noter, par ailleurs, la signature par la société minière tricolore Eramet d’un protocole d’accord « afin d’étudier la création d’une plateforme d’investissement stratégique dans le secteur du nickel, couvrant l’ensemble de la chaîne de valeur (...) ».
□ Dans une note très intéressante publiée fin 2024, le Center for Strategic and International Studies (CSIS) souligne le rôle crucial du détroit de Taïwan dans le commerce mondial. En 2022, les ports taïwanais ont traité près de 586 milliards de dollars d’échanges, incluant des transbordements. Cependant, cette activité repose sur quelques ports situés à moins de 160 km des côtes chinoises, les rendant vulnérables aux pressions de Pékin. Le CSIS alerte sur les conséquences économiques mondiales qu’une escalade pourrait provoquer. « Toute perturbation du trafic maritime dans le détroit de Taïwan pourrait inciter les compagnies maritimes à éviter la zone, afin de limiter les risques et les hausses de primes d'assurance — une stratégie déjà adoptée en 2024 pour éviter les attaques des Houthis en mer Rouge », estiment les auteurs de la note.
□ Si elles sont trop rapides, et trop agressives, « les politiques visant à relocaliser – c’est-à-dire à rapatrier une partie de la chaîne d’approvisionnement – pourraient réduire les échanges mondiaux de plus de 18 % et entraîner une baisse du PIB réel mondial supérieure à 5 %, sans pour autant améliorer durablement la résilience face aux perturbations ». Telle est la conclusion d’un rapport publié le 2 juin par l’OCDE, qui prévient ainsi que face aux turbulences géopolitiques, « la relocalisation n’est pas intrinsèquement source de stabilité ». En raison de sa domination dans de nombreux secteurs manufacturiers, la Chine est le pays créant le plus de « dépendances commerciales » pour les membres de l'OCDE, confirme ce rapport. On apprend par ailleurs que le Canada, la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni sont parmi les plus exposés aux « chocs de chaîne d'approvisionnement », tandis que les pays qui dépendent davantage de leur production nationale, comme les États-Unis, le Brésil et la Chine, sont relativement moins exposés.
Cette édition a été préparée par Mathieu Solal, Alexandre Gilles-Chomel, Clément Solal et Sophie Hus.
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