□ Un accord de trêve sino-américain spectaculaire mais fragile □ Ce que valent les deals conclus par Londres avec les Etats-Unis et l'Inde □ Pourquoi le marché du cuivre est sous tension □ Bruxelles concocte de fermes représailles contre l'Amérique de Trump
BLOCS#61 □ Bonjour, nous sommes le mercredi 14 mai et voici le soixante-et-unième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous sur LinkedIn.
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Les négociations entre les Etats-Unis et la Chine ont abouti ce lundi à un résultat spectaculaire : les deux premières économies mondiales passent d’un quasi-embargo de fait à des droits de douane, certes à des niveaux historiquement hauts, mais qui redeviennent abordables pour les entreprises. Côté américain, le spectre de la récession pour 2025 s’éloigne et les marchés financiers respirent enfin. Pékin tient pour sa part une éclatante victoire diplomatique. Reste que la trêve signée lundi entre les deux blocs demeure précaire. Décryptage.
© Wikimedia commons
EFFET SPECTACULAIRE □ « Une remise à plat totale négociée de manière amicale, mais constructive » : tels sont les termes employés lundi par Donald Trump sur son réseau Truth Social, pour qualifier l’accord douanier annoncé le même jour par Pékin et Washington.
Le résultat des tractations sino-américaines qui se déroulaient depuis deux jours à Genève (Suisse) est en effet assez spectaculaire : à partir de ce mercredi, les droits de douane de 145% infligés par Washington aux produits chinois doivent tomber à 30%. Soit 10 points correspondant au taux minimal appliqué à la quasi-totalité des pays de la planète par les États-Unis, et 20 points pour sanctionner la Chine pour son rôle supposé dans le trafic de fentanyl.
De son côté, Pékin ne frappera plus les biens importés des États-Unis de 125%, mais de 10%, soit l’application réciproque du taux minimal américain.
WALL STREET RESPIRE □ Cet accord a ainsi permis de passer d’un quasi-embargo de fait à des droits de douane, certes à des niveaux historiquement hauts entre les deux blocs, mais qui redeviennent abordables pour les entreprises.
Côté américain, le spectre de la récession pour 2025 (BLOCS#60) s’éloigne et les marchés financiers respirent enfin. Lundi, à Wall Street, le S&P 500 a fini la journée en hausse de 3,26 % tandis que le Nasdaq, l’indice des grandes entreprises technologiques américaines, bondissait de 4,35 %.
En Chine, selon les analystes de Citibank cités par Les Echos, l'actuel statu quo à 30 % réduirait de 2,2 points au maximum la croissance chinoise, et avec un accord sur le fentanyl, l'impact ne serait plus que de 0,6 point.
Aux termes de cet accord, la Chine doit aussi lever le contrôle des exportations de terres rares qu’elle avait mis en place début avril sur sept catégories de ces précieux métaux, d’une importance cruciale pour l’industrie.
Cette mesure non-tarifaire, appliquée jusque-là de manière chaotique par Pékin (BLOCS#59), semble avoir joué un grand rôle dans la motivation de Washington à obtenir un accord au plus vite.
TRÊVE PRÉCAIRE □ Si ces craintes paraissent s’estomper à court terme, la trêve signée lundi entre les deux parties demeure précaire : la suspension ne vaut que pour 90 jours, à l’issue desquels les sanctions bilatérales seront de nouveau mises en application, sauf nouvel accord d’ici là.
Le deal annoncé ce lundi est en outre lacunaire. « Avant le début du deuxième mandat de M. Trump, les États-Unis ont imposé à la Chine de nombreux droits de douanes sectoriels, notamment sur les panneaux solaires, l’acier ou l’aluminium et plusieurs mesures non-tarifaires, comme par exemple le contrôle des exportations sur les semi-conducteurs, et la Chine a répliqué quasi-systématiquement », rappelle Sacha Courtial, chercheur associé à l’Institut Jacques Delors, spécialiste des relations UE-Chine.
« Toutes ces mesures, qui ont de lourds impacts, ne sont pas concernées par l’accord trouvé lundi, et sont donc toujours en place, poursuit le chercheur. Concrètement, cet accord a essentiellement conduit à réduire d’environ 90% les droits de douane réciproques, qui n’avaient été mis en place qu’à cause d’un phénomène d’escalade ».
INCERTITUDE PERSISTANTE □ Et sur le fond, les sujets de tensions demeurent nombreux, du niveau de subventions chinoises acceptable pour Washington à l’accès de la Chine aux produits technologiques stratégiques, en passant par le contrôle du canal de Panama (BLOCS#60), le maintien ou non du réseau social TikTok aux États-Unis, ou encore l’accès des entreprises américaines au marché chinois.
« Les différends continuent d’exister, pas seulement dans le domaine économique mais aussi en matière de sécurité, explique Gesine Weber, chercheuse associée du think tank German Marshall Fund. Sur le sort de Taiwan et sur la question des partenariats américains dans la région Indo-pacifique, beaucoup va dépendre de nominations à des postes-clés de l’administration américaine, qui se font toujours attendre. On ne sait pas encore si les Américains privilégieront la compétition, voire le conflit, ou chercheront au contraire, à passer des accords avec la Chine ».
Ces incertitudes économiques et sécuritaires persistantes devraient conduire les entreprises des deux pays à réorganiser leurs chaînes d’approvisionnement, quand bien même Washington exclut désormais le « découplage » avec la Chine.
PÉKIN SAUVE LA FACE □ Politiquement, la séquence apparaît toutefois comme une première démonstration de la capacité du président américain à façonner des accords d’ampleur rapidement.
« Donald Trump veut se positionner comme un ‘deal maker’ : c’est l’un des narratifs principaux de son action extérieur, analyse Gesine Weber. Il aurait aimé conclure un accord entre l’Ukraine et la Russie, mais à défaut, il va se concentrer sur ce deal spectaculaire avec la Chine pour montrer à ses électeurs et au monde qu’il est capable d’avancer ».
Pour la majorité des observateurs cependant, c’est bien Pékin qui ressort gagnant politiquement de cet épisode. « La Chine est le seul pays à avoir assumé des contre-mesures au ‘liberation day’ américain, explique Sacha Courtial. Elle a ‘sauvé la face’ en démontrant qu’elle pouvait maintenant faire face à la première puissance du monde sans courber l’échine. C’est une victoire idéologique en interne, qui aura aussi un impact dans le reste du monde ».
L’UE DOIT RESTER CONCENTRÉE □ L’UE, qui continue de plancher sur sa réaction aux droits de douane américains (Voir notre section ‘mini-blocs’), devrait-elle pour autant s’inspirer de la fermeté chinoise ?
« Ce désir de confrontation sans concession peut difficilement être endossé par quelqu’un d’autre que Xi Jinping, vu sa personnalité, sa ligne, et sa capacité à agir à la tête d’un régime illibéral à parti unique, répond François Chimits, responsable de projets Europe à l’Institut Montaigne. L’UE, c’est 27 Etats membres, 27 opinions publiques et donc une capacité à faire front commun qui n’est pas la même. En outre, les Européens ne disposent pas des capacités d’intervention et de contrôle qui ont permis à la Chine d’amortir le choc à court terme. S’ils avaient subi 120% de droits de douane américains, les Européens auraient sans doute dû essuyer une fuite massive des capitaux et un effondrement de l’euro ».
Au contraire, selon le chercheur, « L’UE doit adopter un positionnement extrêmement pragmatique ; maintenant qu’elle ne peut décemment plus s’inscrire pleinement dans le sillon américain au vu de l’incertitude Trump, elle doit avoir un rôle plus médian et médiateur. Les caractéristiques de l’UE que sont la stabilité et la transparence peuvent, dans un tel environnement, devenir ses avantages comparatifs ».
Une vision partagée par Sacha Courtial : « l’UE a plutôt intérêt à poursuivre son intégration : parler d’une seule voix au niveau commercial et développer des liens économiques avec le reste du monde pour compenser le volume d’échanges qui sera impacté par le reliquat de mesures douanière américaines, estime-t-il. Après tout, la croissance mondiale est maintenant hors de l’Occident. Il ne faut pas sous-estimer les gains économiques futurs de s’associer davantage dès à présent avec les pays de l’Asie du Sud-Est, le Nigéria ou le Brésil ».
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