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Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal
1 avr. · 5 mn à lire
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Produits agricoles ukrainiens : le casse-tête de l'UE

Focus sur la libéralisation des échanges entre l'UE et l'Ukraine, mais aussi sur le nouveau plan chinois pour attirer les investissements étrangers, les implications du rejet du CETA par le Sénat, et la possible reprise du trafic du Canal de Panama.

BLOCS#17 Bonjour, nous sommes le mercredi 27 mars et voici le dix-septième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur LinkedIn.


Super-bloc

Faut-il freiner l’afflux de produits agricoles venus d’Ukraine, afin de calmer la colère des agriculteurs de l’UE, quitte à remettre en cause le peu d'activité économique qui subsiste au sein du pays en guerre ? Ce mercredi 27 mars, les Vingt-Sept se pencheront de nouveau sur cette délicate question. BLOCS vous propose un décryptage de ce casse-tête européen.

Tracteur récoltant des grains de blé dans un champ agricole en Pologne ©Wikimedia CommonsTracteur récoltant des grains de blé dans un champ agricole en Pologne ©Wikimedia Commons

DILEMME □ Dès les débuts du conflit, cela avait été un choix consensuel en solidarité avec l’ami ukrainien victime de l’invasion russe. En mai 2022, l’Union européenne (UE) a décidé de favoriser les importations de produits agricoles provenant de Kiev, l’une des premières puissances mondiales en la matière, via un abaissement des droits de douane à l’entrée du marché unique.

Deux ans plus tard, la question des suites à donner à ces mesures divise les Vingt-Sept, et prend des allures de casse-tête.

D’un côté, l’heure n’est pas à une remise en cause du soutien européen, au contraire : outre-Atlantique, le blocage de l’aide américaine jette une ombre sur les perspectives de l’Ukraine, quand, sur le terrain, l’armée de Kiev est en fâcheuse posture. De l’autre, l'augmentation massive des importations agricoles ukrainiennes, l’une des principales causes de la crise agricole au sein de l'UE.

Certains marchés européens, tels que ceux du sucre, du poulet, des œufs et des céréales ont été fortement perturbés par une explosion des importations de marchandises ukrainiennes, à des prix défiant souvent toute concurrence. Et pour cause, ces productions sont très loin de respecter les hautes normes environnementales de l’UE, ce qui ajoute à la colère paysanne.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : les importations de sucre auraient été multipliées par 10 par rapport à 2021, tandis que celles de céréales ont triplé et celles de volailles doublé.

FREIN D’URGENCE □Si le problème atteint aujourd’hui son paroxysme, il n’est en fait pas nouveau. Voilà près d’un an et demi que les pays « de première ligne », frontaliers de l'Ukraine ou très proches - la Pologne en tête, mais aussi la Hongrie, la Slovaquie, la Bulgarie et la Roumanie - demandent à l’UE d’intervenir. Cependant, tant que le malaise se cantonnait à l’Est de l’Union, Bruxelles a préféré faire l’autruche.

Puis, au début de l’année 2024, quand l’agacement s’est mué en colère, et que les manifestations d’agriculteurs ont déferlé sur toute l’Europe, y compris en France, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Pologne, en Espagne, en Italie et en Grèce, la Commission européenne s’est résolue à bouger. Pas question, toutefois, de mettre fin aux mesures de libéralisation.

Le 31 janvier dernier, l'exécutif européen a proposé de les prolonger, de juin 2024 jusqu’en juin 2025, mais cette fois assorties d’un « frein d’urgence ». Ce mécanisme prévoit la réintroduction temporaire de droits de douane si les importations de trois produits jugés « sensibles » - volaille, œufs et sucre - dépassent les niveaux moyens de 2022 et 2023.

De premières concessions jugées insuffisantes par les organisations agricoles de l’UE, ainsi que par la Pologne et ses alliés, qui font valoir que lors de ces deux années de référence, les importations avaient déjà explosé. Récemment rejoints par la France, première puissance agricole de l'UE, ce groupe a ensuite obtenu un durcissement du texte Les institutions de l’UE se sont finalement entendues, mercredi 20 mars, pour ajouter l’avoine, le maïs, le gruau et le miel au trio initial de produits sensibles.

PARTITION FRANÇAISE □ Mais, Varsovie, Paris et consorts ont ensuite rejeté le deal. Ces derniers poussent désormais pour inclure le blé et pour ajouter une référence aux niveaux moyens des exportations de 2021, avant la guerre donc. De nouvelles négociations auront lieu entre les Etats membres ce mercredi 27 mars.

Sur ce dossier, la partition jouée par Paris est critiquée dans les pays qui souhaitent limiter les restrictions au nom de l’aide à l’Ukraine, tels que les Pays-Bas, la Suède, l’Irlande ou l’Allemagne.

On reproche à Emmanuel Macron un double discours, entre d'un côté, l'appel à un « sursaut » européen dans le soutien à l’Ukraine et de l’autre, une absence de scrupule à remettre en cause le peu d'activité économique qui subsiste au sein du pays en guerre. Les ajustements réclamés par Paris pourraient en effet diminuer les revenus agricoles annuels ukrainiens de plus d'un milliard d'euros.

La réponse française est double. Premièrement : laisser entendre que cette libéralisation ne bénéficie pas tant au pays, qu’à « des intérêts particuliers », l’agriculture ukrainienne étant structurée autour d’immenses exploitations aux mains d’oligarques. Deuxièmement, le chef de l’Etat estime que ces restrictions sont, au fond, dans l’intérêt de long terme de l’Ukraine.

« C’est très cohérent ... Aujourd'hui, l'Ukraine ne produit pas avec les règles de l'Europe (...). On est en train d'éroder l'acceptabilité de l'Ukraine, de sa propre candidature et des producteurs ukrainiens partout sur le marché européen parce que ce n'est pas juste », a-t-il expliqué vendredi 22 mars à Bruxelles.

De son côté, l’Ukraine s’est dite prête à accepter des restrictions supplémentaires si les Européens prenaient des sanctions contre les importations de céréales russes et biélorusses, une ligne rouge jusqu'ici pour les Vingt-Sept au nom de la sécurité alimentaire mondiale. Mais une proposition de Bruxelles a fini par être acceptée, vendredi 22 mars, par les dirigeants européens.

Ces tarifs, actuellement bas voire nuls, seront désormais de 95 euros par tonne ou 50% du prix du produit, dans le but de mettre fin à ces importations, qui représentent environ 1% de la consommation de céréales des Vingt-Sept.


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Blocs-notes

OPÉRATION SÉDUCTION □ Après une chute historique de 82% des capitaux étrangers investis en Chine en 2023 par rapport à l’année précédente, le Conseil d'État chinois, sous la direction du Premier ministre Li Qiang, a décidé de prendre les choses en main.

Le 19 mars dernier, le gouvernement a ainsi dévoilé un plan d'action en 24 points visant à ouvrir davantage le marché chinois et à contrer la méfiance croissante des investisseurs étrangers, qui découle en partie des tensions géopolitiques avec les États-Unis (BLOCS#8) et de l’effondrement du marché immobilier chinois.

Le plan concerne notamment l'accès des institutions financières étrangères aux secteurs de la banque et de l'assurance, jusqu'alors réservés aux investisseurs nationaux.

La Chine a, par ailleurs, l’intention de supprimer complètement les restrictions qui pèsent actuellement sur les investissements étrangers dans les secteurs manufacturier, de la télécommunication et de la médecine, mais aussi de la haute technologie, de l'environnement et des économies d'énergie. « Avec, à la clé, la possibilité pour les investisseurs de pouvoir bénéficier des politiques de soutien applicables aux entreprises nationales, y compris dans le domaine fiscal », précisent Les Échos.

Certaines restrictions en matière de transfert de données seront également levées, afin de permettre aux entreprises d’effectuer plus facilement des achats, des expéditions transfrontalières et des paiements.

Enfin, Pékin promet d'améliorer l'environnement général des entreprises étrangères sur son sol, et envisage d’éradiquer les comportements qui entravent une « concurrence loyale », de renforcer les services de soutien aux entreprises étrangères, ainsi que la facilitation des échanges d'informations entre ces entreprises en Chine et leur siège social à l'étranger.


CETATTAQUÉ □ Le verdict a été sans équivoque : 211 sénateurs français ont rejeté, jeudi 21 mars, la ratification de l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada (CETA), contre 44 voix pour (BLOCS#16). Suite à ce rejet massif, l’Assemblée nationale, qui détient le dernier mot, devra se prononcer sur ce traité controversé le 30 mai.

Or, le soutien du Palais Bourbon est loin d’être acquis. Lors de sa première présentation à l'Assemblée en 2019, le CETA avait été approuvé de justesse, alors qu'Emmanuel Macron bénéficiait d'une majorité absolue, désormais relative.

De plus, la crise agricole a sérieusement sapé le soutien aux accords de libre-échange, accusés de mettre en concurrence déloyale les agriculteurs européens avec leurs homologues étrangers.

Pour que le texte soit entièrement mis en œuvre, y compris la partie investissement de l’accord, de compétence partagée entre UE et Etats membres, la Commission européenne doit obtenir l'aval des 27 États membres. À ce jour, seule Chypre s'est prononcée contre le CETA, sans toutefois notifier l'échec de la ratification à Bruxelles. Neuf États membres doivent encore se prononcer, tandis que 17 ont déjà donné leur approbation.

Un rejet du Parlement français équivaudrait à un rejet de la part de la France, ce qui mettrait en péril le maintien de l'accord provisoire en vigueur depuis 2017.

De fait, le traité pourrait continuer à s'appliquer tant que le gouvernement ne l’a pas notifié à Bruxelles, comme dans le cas chypriote, au prix de fortes contestations nationales, à quelques jours des élections européennes.


Mini-blocs

La sécheresse qui a frappé le Panama et son célèbre canal pendant plus d’un an semble toucher à sa fin. Le 20 mars, l'administrateur du canal de Panama a dit espérer un retour à la normale du trafic « avant fin février 2025 ». Ce manque de précipitations, causé par le changement climatique et aggravé par le phénomène El Niño, a contraint les autorités du canal, début 2023, à réduire le transit quotidien des navires de marchandises de 39 à 27 aujourd'hui, perturbant considérablement le commerce maritime (BLOCS#2). Cette voie navigable, par laquelle transite 6 % du commerce mondial, relie l’Atlantique au Pacifique et est principalement utilisée par les Etats-Unis, la Chine et le Japon. Le phénomène La Niña, caractérisé par une augmentation des précipitations, devrait succéder à El Niño à partir du mois d’avril. L'administrateur doute cependant d'un effet immédiat sur le trafic, estimant que l'industrie maritime a besoin de temps pour s’adapter.

Dans  un contexte toujours plus tendu en Mer Rouge, la Chine et la Russie auraient conclu un accord avec les rebelles Houthis, leur garantissant le « passage sécurisé » de leurs navires, en échange d’un soutien politique accru dans des instances internationales, selon des sources anonymes citées par Bloomberg. L'information, démentie par la Russie, n’a pas été commentée par le ministre des affaires étrangères chinois, interrogé par Bloomberg lors d’une conférence de presse le 23 mars. Depuis le 19 novembre 2023, les attaques des Houthis, dans cette zone stratégique où transite 13% du commerce mondial (BLOCS#4), auraient réduit de moitié le nombre de navires circulant dans la région. Les attaques se poursuivent malgré une présence internationale renforcée, avec la coalition Prosperity Guardian, lancée  par les Etats-Unis et le Royaume Uni fin 2023, ou l’opération Aspides de l’UE (BLOCS#8). 

Trois ans après, la Suisse et l’UE sont officiellement de retour à la table de négociation. Les deux parties ont relancé le 18 mars les pourparlers destinés à approfondir leurs relations bilatérales suspendues par Berne en mai 2021. Il n’est certes désormais plus question d’un « accord cadre » global, relève le Moci. Néanmoins, l’importance du « vaste ensemble de mesures » qui doit être discuté est immense. Il sera, entre autres, question d’une contribution financière de la Suisse à la politique de cohésion européenne, en contrepartie de sa participation au marché unique ; de son degré d’alignement avec les normes régissant ce marché, ou encore de coopérations dans le secteur de l’électricité, de la santé et des transports. Le quatrième partenaire de l’UE, qui est dans une phase d’ouverture croissante au commerce a récemment abaissé les droits de douane sur une myriade de produits industriels.

Agathe Demarais, chercheuse au sein du European Council on Foreign Relations, tord le cou à l’idée reçue selon laquelle les sanctions affecteraient plus l’UE que la Russie, dans une analyse publiée par le magazine Foreign Policy.

Dans un article publié par l’Institut Jacques Delors en octobre 2023, Lara Martelli revient sur les relations entre la Suisse et l’UE, ponctuées depuis plus de trente ans par des phases de rapprochement et de distanciation..



Cette édition a été préparée par Antonia Przybyslawski, Clément Solal, Mathieu Solal et Sophie Hus.

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