Tensions sino-américaines autour du canal de Panama

□ L'avenir de cet axe clé du commerce mondial □ La réponse de l'UE au choc protectionniste de Trump □ Les conséquences des droits de douane américains sur l'automobile □ Le sursis accordé par Pékin au cognac □ Les bonnes affaires d'Alstom au Maroc □ Les projets européens dans les minerais stratégiques

BLOCS
9 min ⋅ 02/04/2025

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Super-bloc

La Chine a bloqué vendredi la vente de l’administration des ports d’entrée de sortie du canal de Panama à un consortium mené par l’Américain BlackRock. Un mouvement qui pourrait mettre le feu au poudre, alors que Washington menace de taxer lourdement les navires chinois.

© Compte X de l’Ambassade de Chine en France

PREMIER MOUVEMENT HOSTILE FRONTAL □ Alors qu’il semblait avoir trouvé son épilogue, le feuilleton panaméen continue de plus belle. 

Tout paraissait pourtant réglé : après un pré-accord début mars (BLOCS#53), le géant hongkongais CK Hutchison devait céder l’administration des ports d’entrée et de sortie du canal à un consortium mené par l’armateur italo-suisse MSC et le gestionnaire d’actifs américain BlackRock. 

De quoi ravir Donald Trump, désireux de reprendre le contrôle sur cette artère stratégique du commerce international, par lequel transite 5% du commerce mondial de bien, dont 74% de produits à destination ou en provenance des États-Unis. Le contrat devait être signé ce mercredi.

C’était compter sans le régulateur du marché chinois, qui a annoncé vendredi le lancement d’une enquête sur cette vente, provoquant sa suspension. 

Le deal, qui porte, au-delà du Panama, sur la vente par CK Hutchison au consortium de la quasi-totalité de ses activités portuaires - impliquant 43 ports et 23 pays différents - pour la modique somme de 22,8 milliards de dollars, se retrouve ainsi fragilisé.

« C’est une séquence assez étrange, analyse François Chimits, économiste senior du Mercator Institute for China Studies (MERICS). D’un côté, il est difficile d’imaginer que le deal entre le consortium mené par BlackRock et CK Hutchison ait été prévu sans l’aval, au moins tacite, de la Chine. De l’autre, Pékin n’y a pas réagi tout de suite, et même les organes de propagande chinois ont semblé se poser des questions avant de s’en prendre à l’accord. Ce qui donne à penser que la Chine a été inconfortée par cette situation, avant qu’une décision à haut niveau ne clarifie les choses ».

□ MAINMISE CHINOISE Cette opposition in extremis de Pékin marque en tout cas un premier mouvement hostile frontal face à la nouvelle administration américaine, dans un contexte de tensions autour du transport naval.

« Le canal de Panama, sur lequel M. Trump affirme vouloir reprendre le contrôle depuis décembre, est forcément un point d’inquiétude pour nous, explique Eve Barré, économiste à la Coface, une société d’assurance-crédit centrée sur l’accompagnement à l’export. Mais il faut aussi voir plus largement la stratégie américaine visant à contrer l’influence de la Chine sur le commerce maritime ».

« La stratégie chinoise repose beaucoup sur la dette, éclaire Sacha Courtial, chercheur associé à l’Institut Jacques Delors, spécialiste des relations UE-Chine. Pékin investit dans des infrastructures portuaires, créant ainsi une dépendance financière pour la transformer ensuite en rétribution politique. Par exemple, un an après le rachat du port du Pirée par Cosco en 2016, la Grèce a mis son veto au niveau européen sur un rapport analysant le dévoiement des droits de l’Homme en Chine ».

Autre levier permis par cette stratégie chinoise : « obtenir un rôle central dans la définition des normes et des standards, mais aussi, de manière plus directement géopolitique, une capacité de contrôle et de surveillance des flux », complète Sacha Courtial.

Cette influence se traduit dans les chiffres. « Il y a bien sûr les investissements dans les ports, dont on parle beaucoup, analyse Eve Barré, mais aussi la production de navires commerciaux, localisée à plus de 50% en Chine en 2024, celle de grues de quais, dans laquelle la Chine pèse 70% au niveau mondial, et enfin les pavillons sous lesquels opèrent les navires, avec une sixième place mondiale pour le chinois ».

□ TAXES PORTUAIRES BRANDIES Face à cette mainmise, M. Trump a menacé de réagir en brandissant la mise en place de taxes portuaires, fin février. Ces mesures cibleraient principalement les armateurs chinois, mais aussi ceux qui opèrent des navires construits en Chine (BLOCS#53). « Des estimations ont montré que 80% des bateaux seraient concernés », précise Eve Barré.

Le blocage chinois de la vente des activités portuaires de CK Hutchison pourrait ainsi précipiter le passage à l’acte de M. Trump, avec, à la clé un renchérissement des coûts du fret et une possible escalade.

Un tel embrasement est toutefois loin d’être certain, selon François Chimits. « Pour le moment, les Chinois n’ont pas fait porter à la suspension de cette transaction une tonalité géopolitique virulente, remarque l’économiste. On peut en conclure qu’ils s’autorisent la possibilité d’en faire une monnaie d’échange dans la perspective d’un accord avec le ‘Deal-maker’ de la Maison Blanche ».

Une hypothèse qui semble aussi probable à Sacha Courtial. « L’enjeu du contrôle du canal de Panama a été médiatisé par M. Trump très tôt. Il sera donc jugé sur sa capacité à avancer dessus par son électorat », note le chercheur.

Cette hypothèse est, de surcroît, assez cohérente avec la stratégie déployée par Pékin (BLOCS#45). 

« Depuis l’investiture de M. Trump, les Chinois répondent à ses attaques avec des coups puissants mais ciblés, en gardant une forme de tempérance dans le discours, probablement aussi pour ne pas insulter le futur, analyse François Chimits. En effet, ils  sont incertains quant à la nouvelle stratégie des États-Unis à leur égard, qui ont, pour l’heure, surtout ciblé leurs alliés traditionnels, au moins dans le discours.

□ RAPPROCHEMENT CHINE - CORÉE - JAPON ? « Difficile, à ce stade, de savoir si M. Trump va adopter une ligne de compétition stratégique, faisant primer l’ambition à long terme entre deux puissances considérées comme irréconciliables, ou bien une ligne mercantile visant à se partager le gâteau mondial avec la Chine, dans une logique de jeu à somme nulle ».

Pékin tente aussi de profiter du vide laissé par M. Trump en se rapprochant des alliés traditionnels des États-Unis. Dimanche, les ministres de l’Industrie et du Commerce chinois, coréen et japonais se sont ainsi réunis à Séoul pour discuter d’un accord de libre-échange.

Un rapprochement significatif ? « Il faut garder en tête que et Séoul et les Japonais disposent d’une grande connaissance dans la gestion du partenaire chinois, et ont une vision très claire de ce qu’il est, tempère François Chimits. Lors de la première présidence Trump, Japonais et Coréens avaient opéré un certain rapprochement sur la forme vis à vis de Pékin, certes pour se concentrer sur le partenaire américain mais aussi lui rappeler qu’en cas de pression excessive, une forme de rééquilibrage serait envisageable. Fondamentalement, ces deux pays limitrophes de la Chine ne se font guère d’illusion sur les limites de tout rapprochement avec Pékin, et des risques pour leur sécurité nationale qu’engendrent les ambitions chinoises sous Xi ».

Pékin envoie également des signaux d’ouverture à un approfondissement de la relation avec l’UE. « On aurait intérêt à relancer les discussions avec les Chinois, à condition que ce soit dans un cadre clair, estime Sacha Courtial. Par exemple, en s’assurant que les investissements chinois en Europe se fassent au profit d’une production européenne et pas dans des domaines critiques, et dans l’autre sens, que des conditions équitables soient données aux entreprises européennes présentes en Chine, notamment pour ce qui concerne les échanges de données ».


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