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Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal
9 mars · 5 mn à lire
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OMC : le commerce des services sort seul gagnant

Focus sur l'OMC, mais aussi sur les tensions agricoles ukraino-polonaises, le sevrage inégal du gaz russe et les tirs de barrage contre le devoir de vigilance européen

BLOCS#14 Bonjour, nous sommes le mercredi 6 mars et voici le quatorzième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur LinkedIn.


Super-bloc

La treizième réunion ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) s’est conclue vendredi à Abou Dhabi sur un constat d’échec. Si les textes les plus médiatisés n’ont pas fait l’objet d’accords, du fait notamment de la résistance de l’Inde, le commerce des services a toutefois été préservé par les négociateurs. Explications et analyse.

Cérémonie de clôture de la 13e conférence ministérielle de l'OMC, 1er mars 2024 ©️OMCCérémonie de clôture de la 13e conférence ministérielle de l'OMC, 1er mars 2024 ©️OMC

UNE VICTOIRE QUAND MÊME □ « Malgré tous nos efforts, nous ne sommes pas parvenus à nous mettre d'accord sur certains textes qui revêtent une grande importance pour bon nombre de nos membres », a reconnu vendredi le ministre d'Etat émirati au Commerce extérieur, Thani al-Zeyoudi.

La 13ème conférence ministérielle de l’OMC, qui s’est tenue la semaine dernière à Abou Dhabi, s’est ainsi terminée sur un constat d’échec.

Malgré une prolongation des discussions, ni le projet d’une période de transition pour les pays en développement sur la réduction des aides publiques à la pêche, ni celui visant à réguler les subventions agricoles n’ont pu faire l’objet d’un accord. Ces deux revers, étroitement liés à l’intransigeance de l’Inde, viennent encore épaissir la crise dans laquelle est engluée l’institution genevoise (BLOCS#12).

La réunion ministérielle a néanmoins permis à l’OMC d’adopter de nouvelles règles destinées à faciliter le commerce des services entre 71 Etats membres parmi lesquels figurent les États-Unis, la Chine et l'UE. L’initiative conjointe sur la réglementation intérieure des services, qui avait fait l’objet d’un premier accord en 2021, a ainsi été intégrée aux règles de l’OMC, avec l’assentiment des 166 membres de l’organisation.

Une petite victoire, mais une victoire quand même : l’Inde et l’Afrique du Sud, pourtant pas parties prenantes de l’accord, bloquaient obstinément son inscription dans les règles de l’OMC, mais ont dû céder sous la pression de leurs partenaires.

110 MILLIARDS D’ÉCONOMIES ANNUELLES □ La séquence démontre l’intérêt de négocier initialement des accords à l’intérieur d’un groupe réduit d’Etats, plutôt que de passer par la lourde machine de l’OMC qui fonctionne au consensus. « Cette réunion a montré que si les membres veulent accomplir quelque chose, les négociations plurilatérales sont la seule option viable », estime même l’ancien porte-parole de l’OMC Keith M. Rockwell dans une note publiée par la fondation Hinrich à la suite du sommet d’Abou Dhabi.

Concrètement, cette initiative conjointe sur la réglementation intérieure des services, portée par des pays qui représentent 92 % du commerce mondial des services, a pour objectif de simplifier les exigences en matière d'autorisations et d'alléger les obstacles procéduraux auxquels sont confrontées les entreprises du monde entier.

Selon les estimations de l’OMC, plus de 110 milliards d'euros seront ainsi économisés chaque année, avec des baisses de coûts de 10 % pour les économies à revenu moyen inférieur et de 14 % pour les économies à revenu moyen supérieur. Par ailleurs, les nouvelles règles, qui seront mises en oeuvre dans les 71 Etats membres les ayant initiées, pourront bénéficier aux fournisseurs de services des 166 membres de l'OMC, sur la base du principe de non-discrimination dit « de la nation la plus favorisée ».

L’accord constitue la deuxième avancée majeure pour le commerce des services à l’OMC. Longtemps exclus des traités commerciaux car perçus comme fondamentalement non-échangeables à l’international, les services ont changé de visage aux yeux des décideurs dans les années 1990, sur fond de nouvelles possibilités d’échanges permises par l'émergence des technologies de l'information et de la communication. Un changement de vision qui s’est concrétisé par un premier traité, l’Accord général sur le commerce des services (AGCS), dès la création de l’OMC en 1995.

SEGMENT LE PLUS DYNAMIQUE □ Depuis lors, les services, des communications aux transports, en passant par la finance, l'éducation, le tourisme et l'environnement, se sont affirmés comme le segment le plus dynamique du commerce mondial. La valeur ajoutée des services représente environ 50% du total des échanges, selon l’OMC.

Selon les données de l'OCDE, les services représentaient, en outre, en 2021 plus de 50 % des emplois dans le monde. Beaucoup moins médiatisé que le commerce des marchandises, celui des services, dont la définition même fait l’objet de querelles doctrinales, est historiquement moins bien traité par les responsables politiques.

Le coût d’échange des services est ainsi deux fois plus élevé que celui des biens. Les facteurs liés à la réglementation représentent plus de 40 % des frais, et les tarifs douaniers applicables varient entre 50 % et 250 % de la valeur des exportations. Les nouvelles règles devraient considérablement réduire ces coûts, bénéficiant particulièrement aux services de base plus réglementés, tels que les services informatiques, les activités bancaires commerciales et les télécommunications. 

Autre petite victoire pour les services : la prolongation in extremis pour deux ans du moratoire de l'OMC sur les droits de douane applicables aux transmissions numériques, pilier essentiel du développement de l'internet depuis des décennies. Un sursis plus que bienvenu : la mise en place de tels droits de douane, ambitionnée notamment par l’Inde, créerait une situation inédite et incertaine pour le commerce des services.


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Blocs-notes

LE MAÏS DE LA COLÈRE □ En Pologne, la fureur paysanne face à l’afflux de denrées alimentaires venues d'Ukraine ne diminue pas ; au contraire, elle met le Premier ministre Donald Tusk sous très forte pression. À tel point que l’ancien président du Conseil européen n’a pas exclu, mercredi 28 février, de « fermer temporairement » aux échanges de marchandises la frontière polonaise avec le pays en guerre.

Dimanche 25 février, huit wagons contenant du maïs ukrainien avaient été ouverts et leur contenu déversé sur une voie ferrée par des agriculteurs polonais, alimentant un énième épisode de tensions avec Kiev. Puis, le 27 février, des milliers de ces paysans s’étaient rassemblés à Varsovie pour une grande manifestation aux forts accents anti-Europe.

L’objet principal de leur colère : la décision de l’UE de favoriser les importations ukrainiennes sur son marché par une forte baisse des droits de douane, prise au début du conflit et prolongée en janvier dernier, jusqu’à mi-2025. Résultat : les exportations de sucre, de poulets, d'œufs et de céréales vers l'Europe se sont envolées, et la concurrence s’est ainsi brutalement intensifiée.

Dans l’espoir d’apaiser la colère, la Commission européenne a, certes, fait des concessions en adoptant fin janvier des « mesures de sauvegarde ». Celles-ci prévoient que des droits de douane seront rétablis si les importations dépassent certains quotas fixés par Bruxelles. Cependant, calculés sur la base des chiffres de 2022 et 2023, ces seuils sont jugés bien trop élevés.

Donald Tusk a imploré tour à tour Bruxelles et Kiev de les revoir à la baisse, sans succès. Son idée d’une fermeture de la frontière a tout d’une menace destinée à ramener tout le monde à la table de négociations.


NOUVELLES DU GAZ RUSSE □ 98%. Telle est l’ampleur de la dépendance de l’Autriche au gaz importé de Russie, deux ans après le déclenchement de la guerre en Ukraine. Ce chiffre, révélé mi-février, a déclenché une tempête politique dans le pays d’Europe centrale.

L’Autriche pourrait-elle se passer du gaz russe ? Les Verts, partenaires de coalition du centre droit à Vienne, veulent en faire une priorité. Cependant, l’entreprise énergétique nationale OMV, détenue à 30 % par l’Etat autrichien, assure avoir les mains liées : elle se retranche depuis deux ans derrière son contrat avec Gazprom, signé en 2018 et qui court jusqu’en 2040.

Certains estiment pourtant que ledit contrat pourrait être rompu. Ce pays à l’économie très développée semble d’ailleurs en mesure de se le permettre. « ll n’y a en fait pas de réelle volonté politique (...). Neutre et non membre de l’OTAN, l’Autriche a, de longue date, entretenu des liens économiques intenses avec Moscou, et cet héritage laisse encore des traces », analyse Le Monde.

À l’échelle de l’UE, le mauvais élève autrichien fait globalement figure d'exception, aux côtés de la Hongrie et de la Slovaquie. De 45 % avant l’invasion de l’Ukraine, la dépendance européenne au gaz russe a fondu à 15 % en 2023 - en prenant en compte la croissance du GNL (voir ci-dessous).

Pourtant, les sanctions de l’UE (BLOCS#13) n’ont jamais frappé le gaz russe. Les Européens ont, certes, décidé de se coordonner pour en acheter moins et ils sont censés s’en passer totalement à l’horizon 2027.

Mais initialement, la baisse du transit est bien une décision russe, par laquelle le Kremlin s’est tiré une balle dans le pied, incapable « à moyen terme », « de rediriger ses exportations de l’Ouest vers l’Est », démontre une récente étude de Bruegel.


Mini-blocs

Paradoxalement, si les importations de gaz russe via gazoduc se sont taries, celles de gaz naturel liquéfié (GNL) livré par bateau à l’Europe ont augmenté d’environ 33% depuis le début du conflit. La France, en particulier, est devenue le premier acheteur de GNL russe de l’UE : elle aurait réglé une facture de près de 5,4 milliards d’euros à Moscou en 2022. À titre de comparaison, l’Autriche (voir ci-dessus), pays sept fois moins peuplé, a payé 7 milliards d’euros pour son gaz russe pendant cette même année, marquée par une explosion des prix. En 2023, le volume des importations françaises de GNL russe aurait bondi de 41%.

L’horizon s’assombrit pour la directive européenne sur le devoir de vigilance. Mercredi dernier, l’Allemagne, l’Italie et la France ont bloqué l’adoption de ce texte ambitieux qui doit forcer les grandes entreprises à combattre les atteintes aux droits humains et à l’environnement sur l’ensemble de leurs chaînes d’activités mondiales (BLOCS#10). Le trio a cédé aux récriminations des organisations patronales qui jugent trop contraignantes les mesures imposées par ledit projet. En guise de compromis, Bercy propose désormais de réduire le nombre d’entreprises concernées de 15 000 à environ 3 000. Plus que quelques jours pour espérer sauver cette réforme sur le fil avant la fin du mandat.

En 2023, la France a été championne d’Europe des investissements étrangers pour la 4ème année consécutive, a annoncé l’agence gouvernementale Business France le 29 février. Devant l’Allemagne, les États-Unis sont les premiers à investir dans l’Hexagone, avec 350 projets représentant 17 000 emplois. L’AFP note cependant une légère diminution (1%) du nombre de projets, en gardant la même méthode de calcul que les années précédentes. Ont en effet été intégrés cette année les investissements liés à la numérisation ou à la décarbonation, non générateurs d’emplois. Par ailleurs, l’institut Rexecode relève que le classement de Business France ne tient pas compte des départs des investisseurs.

Dans une note parue en octobre 2023, Lucian Cernat, chef de la « Coopération règlementaire mondiale » à la Commission européenne, propose une évaluation de la multitude des « mini-accords commerciaux » signés par l’UE. Selon cet expert, les accords de libre-échange (ALE), seuls à attirer l’attention du public, seraient pourtant la « partie émergée de l'iceberg » de la politique commerciale de l’Union.

Le groupe de réflexion ODI (pour Overseas Development Institute) a publié le 28 février une sélection d’études, articles universitaires et ouvrages au sujet de la « Chine et [du] développement mondial ». Sont abordés : les relations de Pékin avec le FMI et l’OMC, sa stratégie d’aide au développement en Afrique, les investissements chinois en Amérique Latine ou dans les énergies vertes.



Cette édition a été préparée par Clément Solal, Antonia Przybyslawski, Mathieu Solal et Sophie Hus.

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