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Chaque semaine, votre condensé d’actualité utile sur le commerce international.

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Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal
5 juin · 6 mn à lire
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Européennes : les propositions des principales listes françaises en matière commerciale

Focus sur les élections européennes, mais aussi sur les récentes élections au Mexique et en Inde, et la volonté de la Chine de renforcer ses liens en matière d'énergie avec le Moyen-Orient.

BLOCS#26 Bonjour, nous sommes le mercredi 5 juin mai et voici le vingt-sixième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur LinkedIn.

LE VENT DE LA CAMPAGNE □ BLOCS s’associe à 100% Europe, une émission politique interactive conçue par Canalchat Grandialogue et animée par notre cofondateur Mathieu Solal, avec l’objectif de remettre l’UE au coeur des élections européennes de juin prochain. Ne manquez pas l’émission en direct aujourd’hui dès 8h30, avec la participation du général Christophe Gomart, numéro 3 sur la liste Les Républicains. Jeudi, 100% Europe accueillera Aurélien Le Coq, dixième sur la liste LFI. Revivez en intégralité les sept premiers numéros et suivez l’actualité de l’émission sur LinkedIn et Twitter.


Super-bloc

Faut-il remettre en cause les accords de libre-échange ? Ou bien créer un « Frontex sanitaire » afin de contrôler les importations ? Instaurer une « préférence européenne » ou plutôt la « priorité nationale » ? Investir massivement dans l’industrie ou alléger les normes pesant sur les entreprises ? À quelques jours des élections européennes du 9 juin, BLOCS passe au crible les propositions des principales listes françaises en matière commerciale.

Les candidats têtes de liste aux européennes des principaux partis politiques français © Médias Infos / XLes candidats têtes de liste aux européennes des principaux partis politiques français © Médias Infos / X

NUANCES DE PROTECTIONNISME □ « Imposer des mesures miroirs aux importations pour ne pas mettre nos producteurs dans une situation de concurrence déloyale ». Si les mots sont tirés du programme de Raphaël Glucksmann (alliance Parti Socialiste-Place Publique) l’idée des « clauses » ou des « mesures miroirs » est évoquée par chacune des principales listes françaises candidates aux élections européennes du 9 juin.

Du Rassemblement National (RN) à La France Insoumise (LFI), en passant par la majorité présidentielle (Renaissance) ou Les Républicains (LR), tous veulent forcer les biens importés à respecter les mêmes normes sanitaires et environnementales que ceux produits dans l’UE.

La colère des agriculteurs, la levée de bouclier provoquée par le projet d’accord de libre-échange (ALE) avec les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay), puis le rejet du CETA au Sénat ont rappelé la forte réticence suscitée dans l’Hexagone par le commerce international (BLOCS#23).

Ce trait assez unique en Europe se traduit dans les programmes français, qui comportent tous des propositions allant dans le sens de davantage de protectionnisme. La radicalité y est cependant très variable. Les mesures miroirs devront-elles se limiter aux futurs accords ? Ou bien les candidats veulent-ils remettre en cause les ALE déjà en vigueur ?

FRONTEX SANITAIRE □ On distingue sur ce sujet un trio plus modéré : Raphaël Glucksmann s’en tient ainsi à « refuser tout nouvel accord de libre-échange ». Il souhaite plutôt « promouvoir des partenariats fondés sur le juste-échange et le développement partagé ». François-Xavier Bellamy, la tête de liste LR, appelle pour sa part à « ne pas signer de nouveaux accords de libre-échange contraires aux intérêts de l’UE ».

Valérie Hayer (Renaissance) joue, quant à elle, une partition serrée, la majorité présidentielle étant seule à défendre le CETA - cet accord de libre-échange avec le Canada en vigueur depuis 2017 - et sur lequel l’Assemblée nationale se prononcera dans les prochains mois. L’eurodéputée macroniste défend « la fin des négociations avec les pays ne respectant pas les Accords de Paris sur le climat et de Montréal sur la biodiversité ». « Pour ces raisons, l’accord actuel avec le Mercosur sera abandonné », indique son programme.

Mais ce n’est pas tout. Elle propose aussi la création d’un « Frontex sanitaire » : « une police sanitaire et agricole européenne placée aux frontières de l'UE afin de [...] s'assurer que nos agriculteurs ou nos entreprises ne subissent pas la concurrence déloyale de produits qui ne respecteraient ni les normes, ni les standards européens ».

Pour sa part, le RN maintient une certaine ambiguïté. Tantôt la tête de liste, Jordan Bardella, suggère de « mettre fin au grand dérèglement commercial », tantôt il assure ne pas souhaiter « remettre en cause la nécessité du commerce mondial, indéniable facteur de richesses ». Le parti d’extrême-droite plaide a minima pour « un moratoire sur tout nouveau traité de libre-échange, notamment face à la menace du Mercosur ».

BUY EUROPEAN ACT □ LFI et les Écologistes assument davantage de radicalité. La liste portée par Manon Aubry promet en particulier de « bloquer l’ensemble des accords de libre-échange en cours de négociation, de signature ou de renouvellement et abroger ceux en vigueur ».

Mais dans le contexte international de fortes tensions commerciales, la défense du protectionnisme n’est plus l’apanage des extrêmes.

Face aux concurrences chinoise et américaine, la liste Renaissance propose un « bouclier commercial européen » : « des droits de douane automatiques et massifs en réponse à tout tarif douanier contre les entreprises européennes ».

L’alliance PS-Place Publique souhaite, elle, « renforcer nos instruments de défense commerciale (antidumping, anti-subventions, sauvegardes) pour les rendre plus dissuasifs ».

On constate par ailleurs, un frappant consensus sur la nécessité d’étendre la taxe carbone aux frontières de l’UE (BLOCS#1) à davantage d’importations - y compris aux produits finis.

Valérie Hayer, Raphaël Glucksmann, ou encore François-Xavier Bellamy partagent en outre l’ambition d’instaurer un « Buy European Act », une préférence accordée aux produits européens dans l’attribution des marchés publics ou dans l’accès aux dispositifs de soutien publics. Du côté du RN, la préférence européenne se transforme en « priorité nationale ».

COMPÉTITIVITÉ □ Bien que selon des modalités différentes, les listes les Écologistes, Renaissance, LFI, et PS-Place Publique proposent en outre des plans d’investissement européen dotés de plusieurs centaines de milliards d’euros dans les industries stratégiques - vertes en particulier.

Et pour les financer, toutes misent soit sur un nouvel emprunt commun des Vingt-Sept, soit sur de nouvelles taxes prélevées par l’UE - dont une sur les hautes fortunes chez les trois formations de gauche. François-Xavier Bellamy revendique, pour sa part, « la sobriété budgétaire au niveau européen».

Son programme prévoit le « refus de toute nouvelle dette commune et la limitation des dépenses ». En revanche, LR a une proposition drastique pour soulager les entreprises de la charge administrative, et ainsi développer leur compétitivité : pour « toute nouvelle norme européenne créée, deux normes européennes doivent être supprimées ». Chez Valérie Hayer, on vise plutôt « une adoptée, une supprimée ».


Blocs-notes

VICTOIRE ÉCRASANTE □ Dimanche 2 juin, Claudia Sheinbaum, candidate à l’élection présidentielle mexicaine du Mouvement de la régénération nationale (Morena, gauche), a remporté une victoire écrasante avec 59 % des voix, contre près de 28 % pour son adversaire de droite, Xóchitl Gálvez.

Première femme à être élue à la tête du pays, l’ancienne maire de la ville de Mexico a non seulement triomphé de manière décisive, mais son parti et ses alliés semblent également sur le point d'obtenir une majorité des deux tiers au Congrès. Cette annonce a entraîné, lundi, une chute des actions mexicaines de plus de 6 %, et le peso a clôturé à son niveau le plus bas par rapport au dollar depuis novembre.

Les marchés craignent que cette super-majorité ne mène à des changements constitutionnels controversés et à une diminution de l'équilibre des pouvoirs.

« Le principal défi pour la présidente élue Claudia Sheinbaum sera de renforcer la confiance du marché et de fournir un cadre politique et réglementaire prévisible et favorable aux investissements », a déclaré Alberto Ramos, responsable de la recherche économique pour l'Amérique latine chez Goldman Sachs, cité par Reuters.

Si la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine a permis au Mexique d'attirer de nouvelles usines, la rhétorique anti-business du président sortant et mentor de Claudia Sheinbaum, Andres Manuel López Obrador, ainsi que le manque d’investissements dans les infrastructures d'eau et d'électricité, ont réduit l'attrait du Mexique pour les multinationales.

« Nous allons encourager et faciliter les investissements privés nationaux et étrangers qui favorisent le bien-être social et le développement régional » a lancé la future présidente, dimanche, lors de son discours; elle s’est également engagée à maintenir une « relation relation amicale et de respect mutuel » avec les États-Unis, premier partenaire commercial du Mexique.

Cependant, l'USMCA, l'accord commercial tripartite entre les États-Unis, le Mexique et le Canada, qui sous-tend le commerce et l'investissement en Amérique du Nord, doit être réexaminé en 2026. Si Donald Trump remporte l'élection présidentielle américaine en novembre, « l’accord pourrait être renégocié en profondeur », explique le Financial Times.


MODI RECONDUIT □ Après dix ans de pouvoir ininterrompu, Narendra Modi, 73 ans, a remporté, mardi 4 juin, les élections législatives en Inde avec une courte majorité, au terme d’un marathon électoral de six semaines.

Une élection suivie de près à l'échelle internationale, tant l'Inde affiche un dynamisme économique remarquable. Sa croissance annuelle a atteint 8,2 % pour l'exercice budgétaire 2023-2024, contre 7 % l'année précédente.

Selon le FMI, le pays a contribué pour 16 % à la croissance mondiale en 2023, et pour 2024, l'institution prévoit une croissance de 6,8 %, soit l'une des plus élevées au monde.

Narendra Modi a fixé l'objectif de dépasser le Japon et l'Allemagne pour devenir la troisième puissance économique mondiale d'ici 2030, derrière les États-Unis et la Chine. Lorsqu'il est arrivé au pouvoir en 2014, l'Inde était encore au dixième rang mondial.

« Modi bénéficie d'une grande aura car il a redonné au pays une place sur la scène internationale », commente Catherine Bros, professeure d'économie et spécialiste de l'Inde à l'Université de Tours et chercheuse au laboratoire d'Économie d'Orléans (LÉO), citée par La Tribune.

L'Inde tire surtout profit des tensions géopolitiques actuelles. « La guerre en Ukraine ainsi que le bras de fer entre l'Amérique et la Chine lui ont permis de se positionner comme un contrepoids déterminant dans l'équilibre mondial des forces », analyse Le Point.

Si Delhi rêve de remplacer Pékin en tant qu’usine du monde, le pays est confronté à de sérieux défis.

Dans un pays où les inégalités entre riches et pauvres atteignent un niveau historique, 40 % de la population travaille encore dans l’agriculture, un tiers des jeunes sont illettrés, et le chômage est élevé, « le pays se durcit au niveau des libertés, exclut les journalistes, prône la domination des hindous en éloignant le pays de sa tradition laïque » résume Franceinfo.


Mini-blocs

Xi Jinping a reçu en fin de semaine dernière à Pékin ses homologues égyptien, tunisien et émirati ainsi que des diplomates maghrébins et moyen-orientaux, pour un « forum » dédié au renforcement des liens entre l’Empire du Milieu et les pays arabes, notamment en matière énergétique. « La Chine renforcera davantage la coopération stratégique avec la partie arabe sur le pétrole et le gaz » a promis à cette occasion le président chinois, dont le pays est déjà le premier client de l’Arabie Saoudite en ce qui concerne l’or noir. La Chine est également « prête à travailler avec la partie arabe sur la recherche et le développement de nouvelles technologies énergétiques et sur la production d'équipements » et soutiendra « la participation d'entreprises chinoises de l'énergie et de la finance dans les projets d'énergies renouvelables de pays arabes, avec une capacité totale installée de plus de trois millions de kilowatts », a assuré le président chinois. Au-delà de ces promesses, le forum a permis à Xi Jinping d’afficher sa proximité avec les Etats arabes, en opposition au soutien américain à Israël.

Le 30 mai, les Etats membres de l’UE ont exempté les engrais azotés des droits de douane qui seront appliqués aux céréales russes à partir de juillet, dans le cadre des sanctions à l'encontre de Moscou. En 2022, la Russie assurait pourtant 16% du commerce mondial d'urée, l'engrais azoté le plus consommé, et qui est fabriqué à 80% à partir de gaz. Cette même année, grâce à la hausse des cours mondiaux, l'UE a versé un record de 1,4 milliard d'euros à la Russie pour ses engrais azotés. Selon les données d’Eurostat, les importations du bloc ont augmenté de 53 %, entre 2022 et 2023, et celles de la France ont été multipliées par six entre 2019 et 2023. Les producteurs d’engrais européens, Yara en tête, pointent une concurrence déloyale liée à la hausse vertigineuse des prix du gaz en Europe. Ils s'insurgent contre ce qu'ils perçoivent comme une forme de détournement des exportations de gaz russe. « Par ce biais, la Russie renforcerait ainsi non seulement ses moyens financiers, utilisés aussi dans la guerre en Ukraine, mais aussi son “arme alimentaire” », soulève La Tribune.

« Comment les exportations totales de la Chine ont-elles pu progresser de 36 % en valeur en dollars alors que les Etats-Unis, leur première destination, en auraient fortement réduit l'entrée sur le territoire ? » s’interroge Denis Ferrand, directeur général de Rexecode, dans une chronique parue lundi dans Les Echos. La réponse de cet économiste ? Outre un report des exportations chinoises vers l'UE, des pays tels que le Vietnam et le Mexique font désormais massivement office d’intermédiaire entre Chine et Etats-Unis, explique-t-il, chiffres à l’appui. « Les entreprises chinoises ont ainsi préservé leur accès au marché américain en empruntant un nouveau transit ». L’auteur liste ensuite trois raisons pour lesquelles l’Oncle Sam peine à réaliser son découplage. Primo, le manque d’alternative crédible aux fournisseurs industriels chinois. « Secundo, les consommateurs américains demeurent friands de produits chinois. Tertio, la compétitivité-prix des produits chinois s'est encore renforcée ».

Dans une tribune parue le 31 mai dans La Tribune, deux économistes enseignant à Science-Po et un conseiller en investissement chez Pictet AM défendent le libre-échange alors que les critiques contre le commerce international augmentent. Se référant à l’École de Salamanque au XIVe siècle, qui considère que la liberté de commercer est à la fois économiquement efficace et moralement juste, ils alertent sur sa menace actuelle due au protectionnisme croissant, aux boycotts économiques et aux tensions politiques, illustrés par les récentes mesures des États-Unis et de l'Europe ainsi que par le boycott turc contre Israël. « Ce qui nous semblait acquis - la liberté de commercer -, et qui est bénéfique à tous ceux qui y participent, est de nos jours remis en cause par des considérations politiques et le regain du nationalisme. (…) C'est la fin de soixante années de relative paix et de développement du commerce international » estiment les auteurs.


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Cette édition a été préparée par Antonia Przybyslawski, Clément Solal, Mathieu Solal et Sophie Hus.

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