Face à Pékin, l'UE en ordre dispersé

□ Entretien avec Sacha Courtial, chercheur associé à l’Institut Jacques Delors □ Trois scénarios pour le commerce mondial □ Comment l'UE peut se positionner dans la guerre commerciale sino-américaine □ La "déglobalisation" en question

BLOCS
5 min ⋅ 12/11/2025

BLOCS#82 Bonjour, nous sommes le mercredi 12 novembre et voici le quatre-vingt-deuxième épisode de votre éclairage sur l’actualité du commerce international. Suivez-nous sur LinkedIn.

COCORICO ! □ Si, comme l’affirme la citation célèbre attribuée à tort à Sénèque, « la vie ce n’est pas attendre que l’orage passe, mais apprendre à danser sous la pluie », force est de constater que la France progresse dans sa quête existentielle. La semaine dernière, l’Hexagone, comme libéré de l’instabilité politique qui le mine depuis un an et demi, a ainsi exécuté une chorégraphie dont lui seul a le secret, ébouriffant au passage le monde des affaires commerciales européennes. 

C’est ce que nous vous racontons dans la dernière édition de BLOCS PRO, où il est question des tensions attisées par la FNSEA autour de la taxe carbone aux frontières, des nouvelles attaques de Paris contre l’accord avec le Mercosur, mais aussi de déforestation importée, des ambitions de Stéphane Séjourné, ou encore de tensions commerciales avec l’Ukraine. Pour découvrir cette édition et nous recevoir tous les vendredis, une seule solution :

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Alors que les différends commerciaux sino-européens se multiplient, BLOCS vous propose cette semaine de faire le point sur l’état de la situation bilatérale en compagnie de Sacha Courtial, chercheur associé à l’Institut Jacques Delors et spécialiste du sujet.

Le commissaire européen au Commerce, Maroš Šefčovič. © Commission européenne 2025

BLOCS □ Entre l’affaire Shein en France (BLOCS#81), le conflit autour du contrôle du fabricant de semi-conducteurs Nexperia (BLOCSPRO#3) et l’incertitude persistante quant aux exportations de terres rares chinoises, les tensions entre l’UE et la Chine semblent être à leur paroxysme, ces derniers temps. Comment l’expliquez-vous ?

SACHA COURTIAL : C’est vrai que ces éléments peuvent donner l’impression d’une tension générale, mais il faut toutefois souligner que ces cas sont relativement indépendants les uns des autres.

Par exemple, il faut comprendre ce qui se passe autour de Shein avant tout comme une question de positionnement face à la fast-fashion en général - et non vis-à-vis de la Chine en particulier. Avec en plus une question légale, relative à l’exportation de produits interdits sur le territoire européen. C’est tout cela qui fait réagir l’UE en priorité, et non pas des questions économiques ou diplomatiques.

Pour ce qui concerne Nexperia, c’est également un sujet à dominance juridique, avec un propriétaire chinois qui ne semble pas avoir respecté ses engagements, ce qui a provoqué la prise de contrôle néerlandaise. Bien sûr, l’affaire s’inscrit dans un contexte de nécessité pour l’UE de reprendre la main sur les technologies critiques, mais ce n’est pas tellement cela qui a suscité la réaction néerlandaise.

Notons par ailleurs que le problème semble en passe d’être réglé, avec l’annonce d’un déblocage de la chaîne d’approvisionnement de Nexperia.

Et enfin, concernant les exportations de terres rares, c’est encore différent : le contrôle des exportations a été mis en place par la Chine avant tout pour s’arroger un levier de négociation dans ses discussions avec les États-Unis - et l’UE en a été la victime collatérale. À présent, le contrôle semble en passe de se desserrer, principalement grâce à l’accord Xi Jinping - Donald Trump.

“On ne voit pas encore de réaction coordonnée, côté européen”

Donc, selon vous, il n’y a pas, plus généralement, de tension entre la Chine et l’UE ?

Si, bien sûr, il y a de nombreux obstacles dans la relation bilatérale, et des difficultés diplomatiques qui brident les négociations bilatérales. Mais cette tension garde quelque chose de diffus.

Côté européen, on voit beaucoup de choses qui sont en train d’éclore à différents niveaux, mais pas encore de réaction vraiment coordonnée qui soit directement liée à un conflit économique ou commercial qu’il y aurait entre l’Europe et la Chine.

Ce n’est donc pas une tension comparable, par exemple, avec celle à laquelle on assiste entre les États-Unis et la Chine. Dans ce cadre-là, on voit un effort, coordonné par chacun des deux gouvernements, pour mettre en place des outils économiques et géopolitiques visant à faire pression sur l’autre, et arriver à obtenir ensuite un accord commercial qui soit plus ou moins satisfaisant.

Chacun a sa liste de choses qui peuvent faire mal à l’autre, et joue avec ces éléments pour arriver à des négociations, ce qui les laisse pour le moment dans une période de sursis permanent.

L’UE, pour l’instant, n’utilise pas une boîte à outils comparable contre la Chine, et est traversée par des réactions nationales, à l’image de celle des Pays-Bas sur l’affaire Nexperia.

On sent aussi une certaine désunion des Européens au moment d’agir, comme le montre l’exemple de Shein et, plus généralement, des petits colis. Certains États membres, Hongrie et Slovaquie en tête, sont très sensibles aux intérêts chinois, quand d’autres, comme l’Espagne, la Grèce ou la Pologne ont, disons, des avis tempérés sur l’action à mener face à Pékin.

“L’accord de Turnberry a fait énormément de mal à la réputation de l’UE en Chine”

Globalement, comment a évolué la relation sino-européenne depuis le retour de Donald Trump ?

Ce qui a changé, fondamentalement, par rapport à la situation antérieure, c’est que les États-Unis font un lien entre économie et sécurité. Pour ce qui nous concerne, nous Européens, ils nous font payer économiquement la protection qui, auparavant, était garantie par l’alliance transatlantique.

L’UE étant prisonnière de cette guerre en Ukraine décidée par la Russie, elle est à court terme extrêmement dépendante des États-Unis.

C’est cela qui nous a amenés à accepter cet accord de Turnberry (BLOCS#80), inégal d’un point de vue économique, mais qui nous a permis de gagner du temps sur le plan de la sécurité et de la défense. Cet accord a fait énormément de mal à la réputation de l’UE en Chine.

Les Chinois nous reprochent cette dépendance, commencent à perdre espoir quant à notre capacité à prendre nos propres décisions, considèrent de moins en moins la voix de l’UE et, donc, accèdent de moins en moins aux demandes des Européens. C’est cela la vraie différence.

Par ailleurs, la montée en puissance de la Chine et le fait qu’elle ne puisse plus exporter comme avant aux États-Unis rendent nécessaire pour elle un accès au marché européen. Mais l’UE se ferme, et la Chine met en place des contre-offensives par vagues sur le plan commercial. C’est, pas exemple, ce qu’on a vu sur le porc français (BLOCSPRO#4), sur le cognac ou dans d’autres domaines.


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Dans le troisième volet de ses billets Trade Policy, paru le 6 novembre, Lucian Cernat, chef d’unité à la Commission européenne, explore, pour le Centre européen d'économie politique internationale (ECIPE), trois scénarios que pourrait suivre le commerce mondial redessiné. Il estime que nous vivons une « période de transition » qui a remis en cause de nombreux acquis depuis 1945 et que le commerce mondial est devenu un jeu à somme nulle dans le nouveau paradigme trumpien. Il dénonce par ailleurs « l’instrumentalisation des interdépendances économiques à des fins géopolitiques ».

Dans son billet intitulé « Three hard lessons to European Trade », publié le 10 novembre, Aslak Berg, chercheur pour le Centre for European Reform, estime que l’UE n’est pas armée pour assumer une guerre commerciale frontale avec les États-Unis, mais qu’elle ne peut faire l’économie d’un positionnement clair dans le conflit qui se joue entre Pékin et Washington. Le chercheur estime aussi que le Vieux Continent doit poursuivre son effort de diversification commerciale (BLOCS#75), dans la mesure où les deux superpuissances n’absorbent que 30% des exportations de l’UE.

Dans la récente série d’articles baptisée « The rise and fall of globalisation » et parue début novembre, en collaboration avec The Conversation, Steve Schifferes, professeur à l’université City St George's à Londres, s’alarme du phénomène de « déglobalisation » et de l’absence de candidats pour reprendre le siège des États-Unis à la tête du commerce mondial.


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Cette édition a été préparée par Mathieu Solal, Alexandre Gilles-Chomel et Sophie Hus-Solal.

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Par Mathieu Solal

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