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Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal
24 avr. · 6 mn à lire
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Lutte contre le travail forcé : un nouveau règlement européen dont l’efficacité reste à prouver

Focus sur ce nouveau texte emblématique, mais aussi sur la compétitivité européenne, la tournée de Franck Riester au Canada et le secteur aéronautique français

BLOCS#21 Bonjour, nous sommes le mercredi 24 avril et voici le vingtième-et-unième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur LinkedIn.

JOLI MOIS DE MAI Face à la perspective de deux mercredis fériés d’affilée, la rédaction de BLOCS a décidé de prendre ses responsabilités, quitte à bouleverser quelques habitudes. Le prochain numéro arrivera ainsi dans vos boîtes aux lettres électroniques le lundi 6 mai. Nous reprendrons ensuite le rythme hebdomadaire à partir du mercredi 15 mai.


Super-bloc

Le Parlement européen a adopté mardi un texte interdisant pour la première fois les produits issus du travail forcé sur le marché européen et mettant en place de nouvelles règles pour les éradiquer. Fonctionnel sur le papier, le nouveau texte suscite toutefois des doutes quant à sa capacité à endiguer ce fléau en recrudescence. Le travail forcé touche près de 27,6 millions de personnes dans le monde, selon les chiffres de l'Organisation internationale du travail (OIT), soit 3 millions de plus qu’en 2016.

Production de tomates dans le Xinjiang ©Claudia Cheung / FlickrProduction de tomates dans le Xinjiang ©Claudia Cheung / Flickr

RETRAIT OBLIGATOIRE □ Le Parlement européen a soutenu, mardi, par une écrasante majorité (555 voix pour, 6 voix contre et 45 abstentions) le premier texte européen visant à interdire sur le marché unique les produits issus du travail forcé. 

Le nouveau règlement permettra à l’UE et aux autorités nationales de soumettre ces produits à une interdiction d'importation et d'exportation, ainsi qu'à un retrait obligatoire du marché.

Alors que les États-Unis ont décidé en 2022 de bannir l’importation de certains produits provenant de la région chinoise du Xinjiang, l’Europe n’entend ni cibler une zone géographique spécifique ni des entreprises ou des produits précis.

La Commission européenne dressera ainsi une liste « des produits et des zones présentant des risques élevés de travail forcé », qui servira de base pour lancer des enquêtes, initiées par les autorités nationales pour les violations commises à l’intérieur de l’UE, et par la Commission européenne pour celles commises dans les pays tiers.

La décision finale d’interdiction, de retrait ou de suspension d’un produit s’appliquera à tous les États membres où le produit est commercialisé. Des amendes pourront être infligées aux entreprises, et leurs produits pourront être à nouveau autorisés sur le marché si elles éliminent le travail forcé de leur chaîne d’approvisionnement. 

INQUIÉTUDE □ Si le système paraît fonctionnel sur le papier, les observateurs s’interrogent sur sa mise en oeuvre.

Sous la pression des organisations patronales, celle-ci a en effet été repoussée à 2027. En prenant en compte le temps nécessaire à mener l’enquête, les premières mesures coercitives ne devraient pas être décidées avant 2028.

Un choix du temps long qui pourra, certes, permettre aux entreprises européennes d’identifier les risques et de modifier, au besoin, leurs chaînes d’approvisionnement.

Au-delà du timing, beaucoup s’inquiètent de la forte marge de manoeuvre laissée aux autorités dans l’application du texte. « Ces nouvelles règles ne doivent pas être un simple tigre de papier, alerte Steve Trent, directeur général de la Fondation pour la justice environnementale. Pour susciter un changement significatif, les États membres et les institutions européennes doivent tout faire pour assurer une mise en oeuvre rigoureuse ».

De fait, la pression politique sur les épaules de la Commission s’annonce forte, que ce soit dans la définition des secteurs et des pays vulnérables au travail forcé, ou au moment de lancer la première enquête visant un pays tiers.

Autre motif d’inquiétude : l’ajout de dernière minute d’une exception pour les chaînes de valeur qualifiées de « stratégiques », dont la liste reste à définir, là aussi par la Commission européenne. Dans le cas où le travail forcé serait avéré, les produits définis comme tels seraient saisis plutôt que détruits, et il incomberait seulement au fabricant de prouver la fin du travail forcé pour les remettre en circulation.

DILEMME SOLAIRE □ Une exception qui pourrait bien concerner le secteur du solaire, sur lequel l’UE affiche de hautes ambitions mais souffre d’une très forte dépendance à la Chine.

Selon le Global Slavery Index de 2023, la fabrication de panneaux photovoltaïques est pourtant la quatrième catégorie de produits exposés au travail forcé, représentant un marché de 14,8 milliards de dollars importés par les pays du G20, juste derrière l’électronique, le textile et l’huile de palme. 

La Chine domine en outre très largement la chaîne d’approvisionnement mondiale (BLOCS#19), le Xinjiang fournissant à lui seul environ un tiers du polysilicium, le matériau à partir duquel sont fabriqués les panneaux solaires.

Agir au risque de déstabiliser le marché européen ou ne rien faire et voir pleuvoir les critiques ? Tel sera le dilemme de la Commission en 2027.

Les Etats membres pourraient quant à eux être tentés d’appliquer timidement le nouveau règlement pour éviter de trop pénaliser leurs entreprises nationales.

Le mauvais exemple pourrait bien être donné par l’Allemagne - seul Etat membre à s’être ouvertement opposé au texte - en raison des divisions au sein de sa coalition gouvernementale. 

Alors que les sociaux-démocrates (SPD) et les Verts allemands soutiennent la loi, les libéraux pro-business du FDP craignent qu'elle n'accroisse la bureaucratie et ne pèse indûment sur l'économie.  « Les risques pour notre pays et son économie, caractérisée par ses petites et moyennes entreprises, dépassent les avantages » a notamment déclaré Marco Buschmann, ministre allemand de la justice (FDP) au journal régional Rheinische Post

Un rejet qui semble surtout s’expliquer par l’impact potentiel du règlement sur l’industrie automobile allemande.

Volkswagen, premier constructeur de l’UE, est notamment soupçonné de recourir au travail forcé dans une usine ouverte en 2013 à Urumqi, la plus grande ville du Xinjiang.

Ces soupçons ont abouti à une saisie début février de plus de mille voitures de sport et SUV Porsche, plusieurs centaines de Bentley et plusieurs milliers de véhicules Audi, filiales du groupe Volkswagen, par les douaniers dans les ports américains en raison d'une infraction aux lois contre le travail forcé.


Blocs-notes

LETTA À LA RESCOUSSE □ Réfléchir aux moyens d’éviter à l’économie européenne un décrochage en matière de compétitivité face aux géants américains et chinois. Tel était l’objectif de la réunion des chefs d’États et de gouvernements de l’UE jeudi dernier à Bruxelles.

Cette discussion stratégique s’est appuyée sur le rapport remis par l’ancien Premier ministre italien Enrico Letta au sujet de l’avenir du marché unique. Celui qui dirige aujourd’hui l’Institut Jacques Delors préconise généralement d’approfondir ce marché « qui assure en théorie depuis 1993 la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux au sein de l'UE », comme le résume Les Echos.

Ce rapport, long de 150 pages aborde de nombreux domaines, de l’énergie à la finance, a été globalement très bien reçu. Les Vingt-Sept ont ainsi repris plusieurs de ses recommandations dans leur texte de conclusions destiné à indiquer un cap à la future Commission européenne.

« Approfondir le marché unique en éliminant les obstacles qui subsistent » est l’un des « moteurs clés de compétitivité », ont proclamé les dirigeants de l’UE.

Plus précisément, le Conseil européen a souhaité « mettre l'accent sur la fourniture transfrontalière de services », ainsi que sur la nécessité « d’améliorer les liaisons de transport et la mobilité au sein de l'Union, en remédiant aux chaînons manquants ou aux goulets d'étranglement ». Enrico Letta avait en particulier souligné un déficit majeur de lignes ferroviaires à haute vitesse pour relier les capitales européennes.

En revanche, sa proposition de créer un « mécanisme européen d'aides d'État » pour répondre, à l’échelle de l’UE, à la concurrence d’industries chinoises et américaines dopées aux subventions publiques s’est avérée bien moins consensuelle.


POMPIER DE SERVICE □ La visite au Canada du 10 au 12 avril de cinq ministres français, dont le premier d’entre eux, Gabriel Attal, est tombée à pic.

Après le rejet par le Sénat, fin mars, de Accord économique et commercial global UE-Canada (CETA) (BLOCS#16), les responsables politiques français ont en effet pu tenter d’arrondir les angles auprès de leurs homologues canadiens.

Joignant les actes à la parole, le ministre délégué chargé du Commerce extérieur, Franck Riester, a même décidé de prolonger son séjour jusqu’à mercredi dernier.

Objectif : démontrer aux « oppositions politiques » en France la pertinence du CETA, lequel a permis une augmentation de 30% des échanges depuis le début de sa mise en oeuvre provisoire, en 2017. Un chiffre toutefois gonflé par l’inflation, comme l’explique Le Monde.

M. Riester a ainsi visité le LCBO, la régie des alcools de l’Ontario et le marché Saint-Lawrence, un lieu de distribution de fromages, dans le but d’insister sur les bienfaits pour les agriculteurs français de la disparition des barrières douanières sur ces produits.

Le ministre délégué a également fait un détour par la mine d’uranium de Cigar Lake, première source d’approvisionnement française en la matière, ainsi que le site de traitement de minerai de McClean Lake d’Orano.

« Nos échanges commerciaux doivent être au service de notre transition écologique, a déclaré M. Riester à cette occasion. Ces matières premières garantissent notre souveraineté énergétique et réduisent notre dépendance à d’autres puissances. Nous devons développer ce partenariat stratégique ».

Le voyage officiel avait enfin pour objectif renforcer les liens avec la partie anglophone du Canada, alors que la moitié des échanges entre ce pays et la France se fait avec la seule province francophone du Québec.


Mini-blocs

Le secteur aéronautique français, au plus mal pendant la crise du Covid-19, puis bridé par des difficultés d'approvisionnement et de recrutement, devrait « regagner une grande partie du terrain perdu depuis 2019, en termes d'activité et sans doute de productivité », estime l'Insee dans sa note de conjoncture du mois de mars. La production, encore inférieure de 25 % à son niveau de 2019 en 2023, devrait ainsi augmenter de 10 % en 2024 et 2025. L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) anticipe pour la même période une progression des exportations de 10 % à 15 %. Dans un secteur qui représentait près de 10 % du total des exportations hexagonales en 2019, « cela pourrait avoir un effet de 0,3 à 0,4 point sur la croissance en 2024 et en 2025 », selon l'OFCE. « Des dixièmes de points de PIB précieux alors que la croissance française est attendue cette année à 0,7 % par le consensus des économistes et à 1 % par Bercy », note Les Echos.

La compagnie CMA CGM Air Cargo (CCAC), filiale spécialisée dans le transport aérien du groupe français établie en 2021, a annoncé la semaine dernière le renforcement de sa flotte. CCAC a ainsi passé commande de quatre A350F supplémentaires, portant son total à huit appareils de ce type qui seront livrés en 2026 et 2027, et prendra possession de trois B777-200F au cours des 12 prochains mois. Cette initiative s'inscrit dans le cadre d'une stratégie visant à accélérer le développement de la compagnie de fret, pour contrebalancer les perturbations actuelles du commerce maritime. En parallèle, CMA CGM Air Cargo a dévoilé son intention de lancer une nouvelle liaison transpacifique reliant Hong Kong, Séoul et Chicago dès l'été prochain, après la réception de son premier B777F. Une seconde liaison entre la Chine et l'Amérique du Nord sera également inaugurée fin 2024. Ces vols seront opérés en partenariat avec la compagnie aérienne Atlas Air.

 En campagne en vue des élections présidentielles de novembre prochain, Joe Biden durcit encore son discours vis-à-vis de Pékin. En déplacement à Pittsburgh, le 17 avril, le président des Etats-Unis a proposé un triplement des droits de douane sur l'acier et l'aluminium chinois, aujourd'hui taxés à 7,5 %. Dans cette ville, « symbole des hauts et des bas de l'empire industriel américain » située en Pennsylvanie, l’un des États clés du scrutin, cette annonce a une forte coloration électoraliste, selon Les Echos. Cette mesure vise autant à contrer Donald Trump, qui se présente en champion du protectionnisme, qu’à rassurer les salariés des aciéries. Ces derniers s’inquiètent en ce moment du projet du Japonais Nippon Steel de racheter son concurrent américain US Steel. L'administration Biden a aussi annoncé une enquête sur les « pratiques déloyales » de la Chine dans la construction navale, le transport maritime et la logistique.

 Agathe Demarais, chercheuse au sein du European Council on Foreign Relations, analyse pour le magazine Foreign Policy la domination chinoise en matière de construction navale. Au cours des deux dernières décennies, la Chine est passée d'une production d'environ 12 % des navires commerciaux mondiaux à plus de 50 % en 2023, avec des aides d’État colossales, estimées à 127 milliards d’euros en 8 ans. « Un scénario bien connu, selon lequel Pékin vise à inonder le monde de produits bon marché, à évincer la concurrence étrangère et à acquérir une position dominante au niveau mondial », explique cette spécialiste de la géoéconomie.

Le site de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a mis en ligne une plateforme donnant accès à une multitude d'informations sur le commerce des services (BLOCS#14) au sein de 200 pays, sur la période 2005-2023. Dénommé Global Services Trade Data Hub, ce service permet « de créer instantanément des graphiques dynamiques et d’imprimer des rapports, ce qui en fait un outil très utile pour les négociateurs commerciaux, les analystes, les chercheurs et les décideurs », vante l'organisation. « Une mine d’information (...) , avec des déclinaisons pays, secteurs et mode de commercialisation », abonde Le Moci, pour qui « les échanges de services sont insuffisamment documentés en comparaison avec les échanges de biens ».


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Cette édition a été préparée par Antonia Przybyslawski, Clément Solal, Mathieu Solal et Sophie Hus.

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