BLOCS

Chaque semaine, votre condensé d’actualité utile sur le commerce international.

image_author_Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal_null
Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal
6 mai · 6 mn à lire
Partager cet article :

Paris-Pékin : le périlleux "en même temps" de Macron

Focus sur la rencontre Xi-Macron, mais aussi sur la lutte anti-fraude dans le fret maritime, un aveu de faiblesse russe et de nouveaux contrôles post-Brexit

BLOCS#22 Bonjour, nous sommes le lundi 6 mai et voici le vingt-deuxième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur LinkedIn.

LE VENT DE LA CAMPAGNE □ BLOCS s’associe à 100% Europe, une émission politique interactive conçue par Canalchat Grandialogue et animée par notre cofondateur Mathieu Solal, avec l’objectif de remettre l’UE au coeur des élections européennes de juin prochain. Ce lundi 16h, il reçoit l’eurodéputé Pierre Larrouturou, tête de liste “Changer l’Europe”. Posez-lui vos questions et regardez l’émission en direct ici.

Revivez en intégralité les quatre premiers numéros et suivez l’actualité de l’émission sur LinkedIn et Twitter.


Super-bloc

Emmanuel Macron, qui reçoit Xi Jinping lundi et mardi, ne mâche pas ses mots dans la dénonciation de la concurrence déloyale chinoise. Mais tout en soutenant fortement la riposte européenne en gestation, le président de la République aimerait obtenir de nouveaux investissements en provenance de l’Empire du Milieu pour doper l’industrie française. Explications.

Emmanuel Macron et Xi Jinpig dans le jardin de la résidence du gouverneur de Guangdong, en Chine, le 7 avril 2023. © Jacques Witt/SIPA/ShutterstockEmmanuel Macron et Xi Jinpig dans le jardin de la résidence du gouverneur de Guangdong, en Chine, le 7 avril 2023. © Jacques Witt/SIPA/Shutterstock

ÉCHANGE MUSCLÉ □ Les tensions commerciales entre la Chine et l’UE seront au cœur de la visite d'État de Xi Jinping en France, ces lundi et mardi.

Emmanuel Macron et le président de la République populaire de Chine aborderont notamment la question des véhicules électriques chinois, dont la vague en passe de déferler sur le marché européen préoccupe tant les constructeurs français.

La Commission européenne, qui a lancé en septembre une enquête sur les subventions massives accordées par Pékin au secteur, avance vers l’imposition de droits de douane punitifs, probablement d’ici début juillet, avec la bénédiction de Paris.

L’échange promet d’être musclé entre les deux dirigeants. « Les Chinois tiennent la France pour instigatrice » de cette enquête, explique Marc Julienne, directeur du Centre Asie de l’Institut français des relations internationales (IFRI) dans une récente note.

Rien d’étonnant, dès lors, à ce que la Chine ait décidé de cibler en représailles, via sa propre enquête, le secteur des eaux-de-vie de vin en Europe. Or, 96 % des exportations de l’UE vers l’Empire du Milieu de ces alcools - parmi lesquels figurent le cognac et l’armagnac - proviennent de France.

Les producteurs français espèrent que la rencontre entre les deux chefs d’État permettra de les épargner des sanctions chinoises qui pourraient elles aussi être décidées en juillet. L’Elysée ne semble toutefois pas avoir l’intention de mettre en sourdine ses récriminations quant au caractère déloyal de la relation commerciale avec la Chine.

Dans une interview à The Economist en amont de la rencontre, Emmanuel Macron a ainsi affirmé soutenir - outre celle sur les voitures électriques - la série d’enquêtes anti-subventions lancées par Bruxelles ces derniers mois dans les secteurs du solaire, de l’éolien et du ferroviaire, ou encore la récente enquête sur l’accès aux marchés publics chinois pour les matériels médicaux.

CADRE EUROPÉEN □ Dans le droite ligne de son deuxième discours de la Sorbonne, M. Macron entend donc inscrire le face à face avec Xi Jinping dans un cadre européen, comme le montre par ailleurs l’invitation de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen à la rencontre de ce lundi.

Olaf Scholz a lui aussi été invité, mais devrait faire faux bond. Le chancelier allemand, qui a tendance à jouer sa propre partition avec la Chine (BLOCS#20), avait omis de soulever les dossiers les plus brûlants des subventions chinoises, ou du soutien de Pékin à la Russie via la fourniture de biens à double usage - sujet qui doit aussi être évoqué lundi.

Si la France se permet d’adopter un ton si ferme, c’est que son économie repose beaucoup moins que l’économie allemande sur le lien avec la Chine.

« Il y a une très grande partie de l'économie française qui n'exporte plus en Chine : on peut penser au rail, aux grands constructeurs, à des entreprises dans l'énergie. Celles-ci sont au contraire extrêmement inquiètes de ce qui pourrait être une surcapacité chinoise, des exportations à très bas prix se déversant sur le marché européen », résumait Agatha Kratz, directrice au Rhodium group, il y a 10 jours sur France Culture.

Cette spécialiste de l’économie chinoise évoque cependant la « dualité » de la politique française vis-à-vis de la Chine, avec en même temps un « désir de maintenir une relation diplomatique de haut niveau extrêmement positive ». Et ce, notamment, pour éviter à certains secteurs français plus exposés, comme celui du luxe ou de l’agroalimentaire, d’être visés par Pékin.

FRONTIÈRE TECHNOLOGIQUE □ L’Hexagone lorgne en outre de nouveaux investissements chinois. Si la création de l’usine de production de véhicules BYD un temps convoitée par Paris a finalement échu à la Hongrie, la France a par exemple obtenu en mai 2023 l'implantation d'une usine de composants de batteries électriques grâce à l’investissement du Chinois LTX aux côtés d’Orano.

Plus généralement, l’économie française a besoin de l’innovation chinoise. « Dans pas mal de secteurs, la Chine commence à atteindre ce qu'on appelle la frontière technologique. Et donc, pour nos acteurs […] qui pourraient ne plus être en contact […] avec ces performances technologiques de pointe, les partenariats, soit de recherche, soit de production, avec les entreprises chinoises, deviennent essentiels », estimait, François Chimits, économiste au sein du think tank allemand Mercator Institute on China Studies, au cours de ce même débat organisé par France Culture.

L’expert cite le secteur de l'automobile et, en particulier, les véhicules autonomes, mais aussi les industries vertes, comme les batteries ou les panneaux solaires, et enfin toute la chaîne de valeur des minéraux critiques (BLOCS#19).

À ses yeux, il ne sera néanmoins pas aisé pour la France de « marcher sur ces deux jambes ». D’un côté, assumer la défense des intérêts commerciaux via l’UE, quitte à entrer en conflit avec Pékin. De l’autre, « développer une relation bilatérale de confiance et de partenariat avec Xi Jinping (…), amenant à la signature de contrats économiques ».

Si la stratégie française paraît périlleuse, les difficultés traversées par l’économie chinoise (BLOCS#18) et sa volonté d’éviter l’isolement dans son affrontement avec les États-Unis pourraient néanmoins jouer en sa faveur.


Blocs-notes

DONNÉES MARITIMES □ Le ministère de l’Économie et des Finances prévoit de demander aux compagnies maritimes davantage d’informations sur le contenu des marchandises qui transitent dans les ports français, dans le cadre d’un projet de loi antifraude prévu à l’automne.

Selon des informations révélées par Les Echos, Bercy souhaite ainsi avoir accès à un maximum d’informations sur les marchandises transportées, afin de mieux cibler les contrôles, améliorer l’efficacité de la douane dans les ports, pour mieux lutter contre les trafics en tout genre.

Concrètement, le gouvernement imagine un dispositif comparable à celui mis en place avec les compagnies aériennes, le PNR (“Passenger Name Record”) qui permet d'identifier chaque passager et d'avoir accès à tous les renseignements concernant son voyage : vols aller et retour, correspondances éventuelles, moyens de paiement utilisés, services particuliers souhaités à bord.

Selon le ministre délégué aux Comptes publics, Thomas Cazenave, ce système aurait notamment permis aux douanes d’identifier des mules qui transportaient de la cocaïne en Guyane.

Le ministre a en outre plaidé pour que le sujet soit débattu au niveau européen, afin de ne pas nuire à la compétitivité des ports français face à leurs concurrents néerlandais et belges.

« Il faut débattre d’un statut de profession assujettie pour les compagnies maritimes. Elles doivent pouvoir partager les informations avec les administrations mobilisées pour lutter contre les trafics » a-t-il expliqué aux Echos, tout en assurant que les compagnies maritimes étaient également en demande de plus de sécurité dans les ports.


RARE AVEU □ Le géant de la métallurgie russe, Norilsk Nickel, dirigé par l’homme le plus riche de Russie, Vladimir Potanine, s’apprête à délocaliser ses infrastructures de transformation de cuivre, de nickel, de cobalt et de lithium vers la Chine, en raison de l’impact des sanctions occidentales.

Une décision inédite qui découle des difficultés d'accès à des équipements essentiels et d'une baisse de rentabilité induite par ces sanctions.

« L’impact négatif des sanctions contre les métaux non ferreux russes a contribué à cette décision, a ainsi expliqué l’oligarque dans un entretien accordé à l'agence de presse russe, Interfax, le 25 avril. Comme d'autres producteurs de matières premières russes, nous avons dû faire face à des refus de la part de nos clients et à la nécessité d'accorder des remises ».

Selon M. Potanine, les sanctions ont réduit les revenus de Norilsk d'au moins 15 % depuis 2022 en raison d'une série de difficultés liées aux paiements internationaux, aux frais supplémentaires en paiements d’intermédiaires, d’assurances, de commissions, ainsi qu’aux difficultés de livraison.

« Les propos de Vladimir Potanine constituent un rare aveu, de la part d’un homme d’affaires russe de premier plan, à propos de l’impact négatif des sanctions sur le tissu industriel russe », souligne Agathe Demarais, spécialiste de géoéconomie au Conseil européen pour les relations internationales, citée par Le Monde.

Les déclarations de l’oligarque interviennent juste après que les États-Unis et le Royaume-Uni ont sanctionné, le 12 avril, les métaux russes en interdisant le commerce du cuivre, du nickel et de l'aluminium sur le London Metal Exchange et le Chicago Mercantile Exchange.


Mini-blocs

De nouveaux contrôles douaniers post-Brexit sont entrés en vigueur pour de nombreux produits frais et périssables arrivant au Royaume-Uni en provenance de l'UE, mardi dernier. Ces contrôles, qui existent déjà dans l’autre sens (du Royaume-Uni vers l’UE) depuis janvier 2021, ont été repoussés à cinq reprises par les autorités britanniques, qui craignaient des perturbations aux frontières et des réactions négatives des petites entreprises. De fait, les nouvelles règles exigent des entreprises importatrices le paiement de droits par type de produit, variant de 10 livres sterling (11 euros) jusqu'à un maximum de 145 livres sterling (168 euros). Le gouvernement britannique estime que ces nouveaux contrôles frontaliers coûteront aux entreprises un supplément de 330 millions de livres sterling (385 millions d’euros) par an et entraîneront une augmentation de l'inflation des denrées alimentaires de 0,2 % sur trois ans.

Il y a vingt ans, dix pays d’Europe centrale entraient dans l’UE. L’élargissement du 1er mai 2004 a été le prélude à « un incroyable rattrapage économique », résume Les Echos. Depuis, le PIB par habitant de la Pologne a doublé et celui de la République Tchèque et de la Slovénie s’est élevé à 90 % du PIB par tête de l'UE, quand, dans l’ensemble, les pays membres de l’Est - à qui se sont par la suite joints la Roumanie, la Bulgarie et la Croatie - affichent des taux de chômage parmi les plus faibles de l'UE, énumère le quotidien. Cependant, ces économies semblent moins bien armées pour affronter l’avenir, et notamment le défi de la transition énergétique. La France, de son côté, a souffert des délocalisations d’usines vers le flanc est de l'UE, en particulier dans l’automobile. Les échanges avec ces pays, initialement en léger excédent, pâtissent désormais d’un déficit de près de 10 milliards d’euros.

 En 2023, la France reste championne d’Europe des investissements étrangers (IDE), selon le baromètre EY publié mercredi dernier. Avec 1194 projets, elle devance le Royaume-Uni et l’Allemagne. 44% des projets tricolores, de nature industrielle, ont généré 20 345 emplois sur 40 000 au total. Les compétences et les infrastructures apparaissent comme les points forts de l’Hexagone, ses points faibles demeurant l'instabilité fiscale et réglementaire, ainsi que le coût du travail. L’Europe, dans son ensemble connaît néanmoins une chute des investissements étrangers, due à « une croissance faible qui empêche beaucoup d'entreprises d'investir, une situation énergétique préoccupante et une diminution des investissements américains (-15%) », souligne Marc Lhermitte, senior partner de EY.

 Dans une note publiée par l’Institut français des relations internationales (IFRI), l’économiste américain Brad Setser analyse les interdépendances financières entre Chine et États-Unis, et leurs conséquences sur l’attitude des deux rivaux, notamment en matière commerciale.

Dans une note publiée sur le blog du Fonds monétaire international (FMI), trois des responsables de l’institution se penchent sur le retour des politiques industrielles au niveau mondial. Les trois autrices insistent notamment sur le besoin de ciblage sectoriel précis, afin d’éviter le « risque de mauvaise allocation des ressources » et de potentiellement affecter « le commerce, les investissements et les flux financiers ainsi que les prix du marché mondial, ce qui pourrait avoir des implications significatives pour les partenaires commerciaux et l'économie mondiale ».


BLOCS fait partie de Footnotes, le média qui rassemble les newsletters d’un monde complexe. Une douzaine d’experts vous éclairent chaque semaine sur leurs thématiques de prédilection.

Découvrez tous nos contenus ici et suivez-nous sur LinkedIn.

Vous pouvez vous abonner directement à nos newsletters :  What’s up EULettre d’AllemagneCafétechLudonomics, et Hexagone.


Cette édition a été préparée par Antonia Przybyslawski, Clément Solal, Mathieu Solal et Sophie Hus.

Une remarque ? Une critique ? Ou qui sait, un compliment ? N’hésitez-pas à nous écrire.