□ Les solides barrières au commerce intra-UE □ Le potentiel de la ZLECAf □ Le sommet UE-partenariat transpacifique □ Une étude édifiante sur l’intensité des chaines de valeur mondiales
BLOCS#84 □ Bonjour, nous sommes le mercredi 26 novembre et voici le quatre-vingt-quatrième épisode de votre éclairage sur l’actualité du commerce international. Suivez-nous sur LinkedIn.
BOUQUET FINAL □ Attachez vos ceintures : la drôle d’année 2025 de l’Union européenne semble bien partie pour se terminer sur les chapeaux de roues. Pléthore de dossiers à boucler avant la trêve des confiseurs, rififi diplomatique, retournements de situation en tous genres : la semaine passée a donné un bon avant-goût de la tornade bruxelloise se prépare.
C’est ce que nous vous racontons dans la dernière édition de BLOCS PRO, où il est question des enjeux explosifs de la réforme douanière européenne, des difficultés de Berlin à se positionner face à Pékin, de la révision de la taxe carbone aux frontières, des suites l’affaire Nexperia ou encore de l’accord États-Unis/Suisse. Pour découvrir cette édition et nous recevoir tous les vendredis, une seule solution :
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La présidente de la BCE, Christine Lagarde, a appelé vendredi à rendre le marché unique « vraiment unique et vraiment simple » pour que la « croissance européenne ne dépende plus des décisions des autres ». Un projet qui paraît aussi nécessaire au vu du contexte commercial international que compliqué à mettre en œuvre. Analyse.
La présidente de la BCE, Christine Lagarde. © 2025 European Central Bank
BARRIÈRES INTERNES □ La présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, a plaidé pour la fluidification du marché intérieur de l’UE, au cours d’un discours donné à l’occasion du 35e Congrès bancaire européen de Francfort, vendredi.
« Ces dernières années, l’Europe est devenue plus vulnérable, en partie en raison de notre dépendance vis-à-vis de pays tiers pour notre sécurité et la fourniture de matières premières critiques. Les chocs mondiaux se sont intensifiés avec l’augmentation des droits de douane américains, l’invasion russe en Ukraine et le durcissement de la concurrence chinoise », a posé l’ancienne directrice générale du Fonds monétaire international (FMI).
« Dans le même temps, notre marché intérieur n’a pas évolué, en particulier dans les domaines qui façonneront la croissance future, comme les technologies numériques et l’intelligence artificielle, ainsi que dans les domaines qui la financeront, comme les marchés de capitaux », a-t-elle poursuivi.
L’enjeu est important pour l’économie européenne. Selon les analyses de la BCE, les barrières internes dans les secteurs des services et des biens équivalent à des droits de douane d’environ 100 % et 65 %, respectivement.
DIVERGENCES RÈGLEMENTAIRES □ Ces barrières sont principalement constituées par les divergences règlementaires entre les États membres.
Elles sont compilées par le European Round Table for Industry (ERT), qui en dénombre une centaine. Le groupe d’intérêts pointe notamment les dissemblances en matière d’étiquetage environnemental, l’absence d’harmonisation pour la classification des déchets ou encore des fréquences télécom.
La tendance n’a pas été à l’amélioration, ces dernières années.
D'après le FMI, depuis le milieu des années 1990, les coûts du commerce des biens ont ainsi diminué de 16 % pour les importations hors UE, mais seulement de 11 % pour les échanges intra-UE.
Le tableau n’est pas beaucoup plus reluisant du côté des services. « Au cours des vingt dernières années, les obstacles au commerce transfrontière en Europe n’ont pas diminué plus vite que ceux imposés aux entreprises internationales désireuses d’opérer sur notre marché, a ainsi affirmé vendredi Christine Lagarde. Cela explique en partie pourquoi, même si les services représentent aujourd’hui trois quarts de l’économie européenne, les échanges de services au sein de l’UE ne s’élèvent qu’à environ un sixième du PIB, un niveau peu ou prou identique à celui de ces échanges avec le reste du monde ».
INVERSER LA TENDANCE □ Selon un sondage d’Eurochambres publié en 2024, plus de deux tiers des entrepreneurs européens estiment que les différences de pratiques juridiques et contractuelles entre les États membres constituent le premier obstacle à leur croissance sur le marché européen.
L’impact paraît particulièrement élevé dans le secteur de la tech, où 70% des scale-up européennes choisissent de s’exporter en priorité aux États-Unis, selon le mapping LETS 2024 publié par France Digitale.
L’enjeu a été souligné par les rapports Draghi et Letta, puis par le Conseil européen dès 2024.
Pour inverser la tendance, la Commission européenne a publié au mois de mai une stratégie pour le marché intérieur visant à faire tomber une bonne partie des barrières en cause.
Le document a toutefois été considéré par certains comme insuffisant, notamment pour ce qui concerne les services.
D’autres, comme l’ancien eurodéputé libéral Luis Garicano considèrent que la standardisation, sur laquelle insiste la stratégie, risque d’être contreproductive. « Deux problèmes se posent : premièrement, au lieu de remplacer les réglementations nationales, les règles de l’UE s’y ajoutent. Deuxièmement, les États membres ont souvent recours à une sur-transposition, c’est-à-dire à l’ajout d’exigences nationales supplémentaires lors de la mise en œuvre des directives européennes », expliquait cet économiste espagnol dans un article paru en mai.
28ÈME RÉGIME □ Dans le détail, la Commission prévoit des mesures, vouées pour la plupart à être proposées en 2026. Parmi elles, la mise en place d’un passeport numérique des produits accessible via un code QR, des mesures spécifiques concernant les secteurs de la construction et du recyclage, ou encore la mise en place progressive d’un « 28ème régime », pensé pour permettre aux entreprises européennes — en particulier les PME et les ETI — de bénéficier de règles uniques dans l’UE.
Ce dernier projet, qui paraît très compliqué à mettre en place, a été salué par Christine Lagarde, qui prévient toutefois que « les progrès dépendront de la volonté politique ».
« La première étape pourrait être modeste — avec, par exemple, la mise en place d’une identité commerciale numérique qui doterait les entreprises d’un profil unique fiable leur permettant de s’enregistrer et d’exercer leurs activités en ligne partout dans l’UE — mais elle pourrait créer un solide précédent qui encouragerait des réformes ultérieures plus vastes », estime-t-elle encore.
RECONNAISSANCE MUTUELLE EN PANNE □ Par ailleurs, la présidente de la BCE a appelé à « relancer le principe de reconnaissance mutuelle, le moteur-même de la libéralisation qui a permis l’essor du marché unique dans les années 1980 ».
Ce principe est pour l’heure appliqué de manière fragmentée par les États membres, qui invoquent souvent, à tort ou à raison, des raisons de sécurité, de santé publique ou de protection de l’environnement pour empêcher certains biens produits dans l’UE d’entrer sur leurs marchés nationaux.
La reconnaissance mutuelle est aussi en panne pour ce qui concerne les qualifications professionnelles. Sur les 5 700 professions réglementées sur le continent, sept seulement sont harmonisées au niveau européen, selon les chiffres de la Commission. Pour changer la donne, M. Séjourné entend donc entamer les travaux avec quelques pays « volontaires » pour élargir la liste des professions réglementées au niveau européen.
Sur ce sujet comme sur l’essentiel de ce qui concerne le marché intérieur, beaucoup semble ainsi dépendre de la volonté politique des États membres.
De son côté, la Commission, si elle tente à juste titre de s’attaquer au problème par la voie législative, pourrait aussi en faire plus pour contraindre les États membres à appliquer les règles communes déjà en place.
De fait, le nombre de procédures d’infraction ouvertes par la Commission contre les États membres pour non-respect des règles du marché unique a fortement diminué depuis 2020, passant de 904 cas en 2020 à 529 en 2023.
La baisse est particulièrement marquée pour les procédures d’infractions en matière de marché intérieur, avec une baisse de 60 % entre 2019 et 2023. Globalement, la Commission d’Ursula von der Leyen est très peu interventionniste par rapport à ses prédécesseurs Juncker et Barroso.
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□ Sanusha Naidu, chercheur pour l’Institute for Global Dialogue, défend un rapprochement des États africain au sein de la zone de libre échange du continent (ZLECAf), afin de développer la région et la doter d’un plus grand pouvoir de négociations sur la scène commerciale mondiale, dans un article publié jeudi, sur le site du média IAI News. Le faible poids commercial des 55 pays d’Afrique (14% à 17% des échanges mondiaux) serait selon l’auteur, en partie explicable par l’existence de droits de douanes sur 97% des biens échangés entre eux et par la multiplication d’accords bilatéraux, au détriment d’une plus grande d’intégration régionale. Unifier le marché africain permettrait en autre d’harmoniser les règles d’investissement et de règlement des différends, de développer le commerce des services et des économies numériques, et de renforcer les chaînes de valeur régionales grâce à des règles d’origine communes. Les pays devraient, selon le chercheur, non pas renoncer aux accords bilatéraux, mais les asseoir dans le cadre de la ZLECAf pour profiter pleinement du potentiel de la plus grande zone de libre-échange au monde.
□ Dans un article publié vendredi sur le site du think tank Bruegel, Ignacio García Bercero, ancien dirigeant de la direction générale du commerce de la Commission européenne, revient sur le communiqué du 20 novembre dans lequel l’UE et les pays du partenariat transpacifique (CPTPP) prônent une réforme de l’OMC et un développement des relations commerciales entre les deux régions. Les deux blocs, qui représentent environ 30% du PIB et du commerce mondial, doivent, selon l’auteur, être les moteurs d’une réforme de l’institution.
□ Dans le dernier billet de blog du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), paru le 14 novembre, Guillaume Gaulier, économiste à la Banque de France, Aude Sztulman, docteur en économie de l'Université Paris Dauphine, ainsi que Deniz Ünal et Pierre Cotterlaz, économistes pour le CEPII, présentent les conclusions de leur étude sur l’intensité des chaines de valeur mondiales publiée le 14 octobre. Ils concluent à une globale stabilité depuis vingt ans. Autre enseignement : les pièces et composants et les biens d’équipement sont les segments dans le commerce avec la plus forte croissance sur cette période, contrairement aux produits primaires qui ont beaucoup moins progressé. Les chercheurs ont développé un indicateur mesurant la part des biens intermédiaires dans le commerce mondial, corrigée des effets de prix, pour déterminer les tendances des échanges au niveau mondial. Outil qui leur permet de noter que « les échanges mondiaux de marchandises ont plus que triplé de 2000 à 2023, alors qu’en termes réels, déflatés des variations de prix, ils ont “seulement'“ doublé. Les prix ont été multipliés par 1,6 ».
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Cette édition a été préparée par Mathieu Solal, Alexandre Gilles-Chomel et Sophie Hus-Solal.
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