BLOCS#37 □ Bonjour, nous sommes le mercredi 30 octobre et voici le trente-septième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Vous pouvez nous suivre sur LinkedIn et nous soutenir sur la plateforme de financement participatif Tipeee.
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PAUSE ET SURPRISE □ BLOCS fait une courte pause et ne paraîtra pas mercredi prochain (06/11). Un bel entretien en lien avec l’élection américaine est toutefois prévu pour publication ce lundi. Nous reprendrons le rythme normal à compter du mercredi 13 novembre.
Super-bloc
Au cours de sa campagne, Donald Trump a dessiné un redoutable arsenal de droits de douane dirigé à l’encontre de la Chine, mais aussi de l'Europe et du reste du monde. Les différentes estimations des coûts provoqués par de telles mesures sont mirobolantes. Donald Trump, ou Kamala Harris ? Voici à quoi peut s’attendre la planète commerce, à moins d’une semaine de l’élection américaine.
Le candidat républicain Donald Trump lors d’un meeting en Arizona, le 23 août 2024 © Wikimedia Commons
TOURNANT COMMERCIAL □ En cas de victoire de Donald Trump, la date du 5 novembre 2024 pourrait marquer un tournant dans l’histoire du commerce mondial. Un second mandat de celui qui s'est lui-même surnommé le « Tariff Man » pourrait en effet entraîner bien plus de dégâts que lors de sa première présidence (2017-2021) sur le plan des échanges internationaux.
Au fond, la doctrine très minimaliste du candidat républicain reste inchangée : il voit le commerce comme un jeu à somme nulle où, pour réduire le déficit commercial américain en matière de biens (1.100 milliards de dollars en 2023) et rapatrier des emplois industriels, il est nécessaire de taxer les importations. À commencer par celles en provenance de Chine, dont l'excédent avec les États-Unis s’élevait à 280 milliards de dollars en 2023, mais aussi de l’UE (208 milliards).
Si la théorie reste la même, la mise en pratique s'annonce cette fois beaucoup plus radicale. En 2018-2019, Trump avait imposé des droits de douane sur une vaste gamme de biens, tels que les panneaux solaires, les machines à laver, l’acier et l’aluminium et sur un large éventail de produits chinois, touchant ainsi 380 milliards de dollars d’importations. Aujourd’hui, les différents projets proposés au cours de sa campagne viseraient au total plus de 3.000 milliards de dollars de marchandises.
Il promet ainsi de mettre en place des droits de douanes d’au moins 60% sur tous les produits chinois entrant aux Etats-Unis ; d’autres à hauteur de 100%, voire 200%, sur les voitures importées du Mexique ; et, clou du spectacle, un tarif universel supplémentaire de 10 à 20 % sur la plupart des biens importés - en plus des droits de douane déjà existants.
MENACES FLOUES □ Une série d’interrogations plane néanmoins sur ces promesses, dont la mise en œuvre violerait par exemple les termes d’ accords de libre-échange signés par les Etats-Unis, comme l’USMCA, liant le pays au Mexique et au Canada.
Dans une récente modélisation, le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) fait l’hypothèse que ces deux pays d’Amérique du Nord seront finalement épargnés, comme cela avait d’ailleurs été le cas en 2018-2019. Cependant, le candidat républicain a le Mexique dans le collimateur, les fortes tensions avec la Chine ayant favorisé la production dans ce pays frontalier, dont l'excédent commercial a explosé avec les Etats-Unis (BLOCS#16).
Plus généralement, un certain flou règne. Par exemple, on ne sait pas si ces tarifs s’appliqueront uniquement aux produits finaux, ou aux biens intermédiaires. Dans la seconde hypothèse, l’incidence sur les chaînes de valeurs mondiales et, en bout de course, sur les prix à la consommation serait bien plus profonde. Plus encore, il est difficile de prévoir combien de temps Donald Trump persisterait sur cette voie face aux inévitables mesures de rétorsions des partenaires mondiaux (auxquelles l’UE se prépare déjà) et devant les dommages pour l’économie américaine.
Selon Moody’s, ces droits de douane supplémentaires de 10% coûteraient à eux seuls 2,1 millions d’emplois aux États Unis et 1,7% point de PIB, d’ici à 2028. Sans compter l’inflation et l’explosion du déficit que causerait le programme économique de Trump, dont l’intention de compenser des baisses massives de l’impôt sur le revenu par les recettes des droits de douane est illusoire, selon les économistes.
PÉKIN EN LIGNE DE MIRE □ Au-delà des États-Unis, la Chine serait le pays le plus sévèrement affecté par cette mesure, avec une contraction de 1,3% de son PIB, estime Cepii.
Car, sans surprise, c’est à l’endroit de Pékin que Donald Trump réserve ses coups les plus rudes. Certes, l’administration Biden n’a en rien dévié de la ligne dure fixée par le président républicain contre l’Empire du Milieu en 2019, mais Donald Trump entend aller encore plus loin, en recherchant un découplage complet des économies et des chaînes d’approvisionnement entre les deux pays. Avec ses droits de douanes minimaux à hauteur de 60% sur la totalité des produits chinois, les importations américaines en provenance de Chine pourraient reculer de 80 % tandis que les exportations des industriels américains vers la Chine baisseraient de 70 %, calcule le Cepii.
Ce qui aurait de fâcheuses répercussions pour l’Europe. Les produits chinois exclus du marché américain - voire ceux provenant de pays comme le Mexique ou le Vietnam - « pourraient être détournés vers l’UE, avec des problèmes évidents pour l’industrie européenne » , relève l’Institut Jacques Delors dans une note récente. Outre ces répercussions, la mise en place des tarifs supplémentaires à l’encontre de l’UE pourrait réduire les exportations européennes vers les Etats-Unis d’un tiers (d’environ 150 milliards d’euros par an) et amputer 1% du PIB de l’Union d’ici trois ans, alertent Goldman Sachs et UBS.
Enfin, au-delà des droits de douane, Donald Trump pourrait recourir davantage aux sanctions extraterritoriales ou au chantage économique pour imposer un alignement à d'autres États dans le cadre du conflit sino-américain.
En tout état de cause, la relation avec les Européens, que le républicain ne voit en rien comme des alliés, risque d’être profondément affectée, comme le laisse présager aussi son intention de mettre fin à l’aide financière à l’Ukraine.
DÉMOCRATE DISCRÈTE □ De son côté, bien que relativement discrète jusqu’à présent sur les questions de politique étrangère et commerciale, une victoire de Kamala Harris serait de nature à rassurer les Européens. Elle s’inscrirait dans la continuité des engagements de l’administration actuelle de Joe Biden, poursuivant le soutien à l’Ukraine et privilégiant un « protectionnisme sélectif » axé sur la durabilité, les incitations fiscales pour la production nationale, et les droits des travailleurs, comme l’analyse l’Institut Jacques Delors.
« La vice-présidente Harris devrait poursuivre l’approche de l’administration Biden sur le commerce mondial, en adoptant une position à la fois prudente et ferme vis-à-vis de la Chine, avec un équilibre entre concurrence stratégique et coopération sélective », indiquait le cabinet de conseil KPMG dans une note.
Ainsi, plutôt que de chercher un « découplage » de l’économie chinoise comme le propose Donald Trump, Harris privilégierait la réduction de la dépendance aux chaînes d’approvisionnement chinoises. Les droits de douane punitifs introduits par Trump en 2019 contre certains secteurs stratégiques, et renforcés par Biden en mars 2024, devraient être maintenus, voire intensifiés, sans pour autant s’engager dans une guerre tarifaire généralisée.
Pour soutenir la compétitivité américaine, Harris, comme Biden, favoriserait à nouveau de vastes subventions à l’industrie nationale et maintiendrait une surveillance stricte des investissements directs étrangers et des exportations, afin de protéger les intérêts économiques américains. « Elle continuerait de privilégier le développement de l’industrie manufacturière et de l’innovation aux États-Unis, et de contrer l’influence grandissante de la Chine, quitte à violer les règles de l’OMC matière de subventions », précise l’Institut Jacques Delors.
En parallèle, la candidate démocrate pourrait attendre un alignement plus marqué de Bruxelles avec la stratégie anti-Chine de Washington, bien que les Européens cherchent à limiter le de-risking à certains secteurs stratégiques spécifiques.
Blocs-notes
POSITIONS CLIMATIQUES □ Bien que les positions de Kamala Harris en matière de commerce international soient peu détaillées, une victoire de la candidate démocrate pourrait marquer un tournant vers « davantage d'exigences en matière de développement durable, tant sur le plan environnemental que social », explique Elvire Fabry, chercheuse à l’Institut Jacques Delors, dans une interview accordée au Moci.
«C’est l’ADN politique de Harris (…) Son approche du commerce est moins punitive et plus sélective en ce sens qu’il serait davantage conditionné » , poursuit cette spécialiste de la géopolitique du commerce.
Kamala Harris possède en effet un long historique d'opposition aux accords de libre-échange qu'elle estime insuffisants en matière de protection de l’environnement. Elle s’était ainsi opposée en 2016 au Partenariat transpacifique (TPP), négocié sous l'administration Obama, alors qu'elle était candidate au Sénat de Californie. En 2018, elle a également rejoint dix autres sénateurs pour voter contre la signature de la révision de l’accord de libre-échange nord-américain (USMCA) entre les États-Unis, le Canada et le Mexique, insistant sur la nécessité d’aborder plus sérieusement les enjeux climatiques.
Dans cette optique, elle pourrait poursuivre les négociations d’accords multilatéraux tels que le cadre économique indo-pacifique (IPEF), lancé par Joe Biden en 2022 mais interrompu en 2023. Ce cadre vise à contrer l’influence de la Chine dans la région tout en promouvant un commerce « équitable et résilient ». Parallèlement, Harris pourrait approfondir les discussions sur l'instauration d'une taxe carbone sur les biens importés, s’inspirant du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) mis en place en Europe (BLOCS#1).
En revanche, une victoire de Donald Trump pourrait compromettre ces initiatives. « L’avenir de ces mesures est probablement incertain, compte tenu du scepticisme historique de l'administration Trump envers les accords multilatéraux et les régulations environnementales » analyse le cabinet d’avocats américain BakerHostetler dans une note récente.
Trump a par ailleurs promis de retirer à nouveau les États-Unis de l'Accord de Paris, de réduire considérablement le rôle de l'Agence de protection de l'environnement, de démanteler l'Administration nationale des océans et de l'atmosphère, et d’annuler les mesures écologiques de l'Inflation Reduction Act (IRA), la loi américaine de 2022 dotée d’une enveloppe d’environ 390 milliards de dollars de subventions pour soutenir l'industrie verte.
ANGOISSE GENEVOISE □ « J'espère que nous ne sommes pas sur la voie d'un retour au désordre économique qui a précédé Bretton Woods - désordre qui a été suivi par l'extrémisme politique et la guerre » s’est inquiétée samedi la directrice générale de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Ngozi Okonjo-Iweala.
Les mots forts de la Nigériane, prononcés lors d’un discours à la Per Jacobsson Foundation, se réfèrent non seulement aux tensions qui s’accentuent et se généralisent entre les principaux blocs commerciaux, mais aussi à l’hypothèse d’un retour aux affaires de Donald Trump.
Au cours de son mandat présidentiel, le « Tariff Man », grand pourfendeur du multilatéralisme, avait en effet multiplié les sanctions commerciales, avec de lourdes conséquences sur la fluidité des échanges internationaux, avant même les blocages de la pandémie.
M. Trump avait aussi visé encore plus précisément l’OMC, en bloquant la nomination d’un nouveau juge pour l’Organe d'appel qui statue en dernier ressort. En clair, les États membres de l’OMC peuvent toujours déposer des plaintes auprès de l’instance inférieure, mais s'ils n'acceptent pas ses conclusions, l'affaire se retrouve dans les limbes. Plusieurs dizaines de contentieux sont aujourd’hui dans ce cas.
L’hypothèse d’un nouveau mandat Trump qui devrait être marqué par un protectionnisme encore plus débridé et un retrait pour 4 ans des Etats-Unis de la table des négociations de l’organisation genevoise a ainsi de quoi inquiéter.
Mme Okonjo-Iweala, qui brigue un second mandat à la tête de l’OMC, peut aussi s’inquiéter pour son propre avenir : M. Trump s’était opposé à sa nomination, avant que l’élection de Joe Biden ne débloque la situation.
Pour autant, l’économiste nigériane n’a pas beaucoup à attendre d’une victoire de Kamala Harris. Quand bien même cette dernière a affiché à maintes reprises sa proximité avec la DG de l’OMC, sa promesse de « libre-échange équilibré » devrait beaucoup ressembler au « protectionnisme ciblé » mis en place par Joe Biden depuis 2021, marqué par de fortes subventions et un désengagement des négociations commerciales internationales.
Bien plus que de Washington, le salut de l’OMC, en crise profonde (BLOCS#12) et dont les règles régissent plus de 75% du commerce mondial, pourrait bien venir du leadership de l’Union européenne et des pays émergents.
Mini-blocs
□ Ursula von der Leyen a signé hier le règlement d'application pour imposer des droits de douane allant jusqu'à 35,3 % sur les véhicules à batterie importés de Chine, afin de compenser les subventions dont bénéficient les producteurs chinois, signale la Matinale européenne, une newsletter quotidienne sur l’acte de l’UE, dans son édition du jour. Les taux appliqués, qui s'ajoutent au droit de douane actuel de 10 %, varient selon le fabricant : 17 % pour BYD, 18,8 % pour Geely, 35,3 % pour SAIC, 7,8 % pour Tesla, 20,7 % pour les entreprises ayant coopéré, et 35,3 % pour celles qui n'ont pas coopéré. Les droits de douane resteront en principe en vigueur pendant cinq ans. La Commission pourrait néanmoins faire marche arrière dans les mois à venir en cas d'accord avec la Chine (BLOCS#34) ou avec certaines entreprises. Par rapport à l'été dernier, le gouvernement de Pékin et les producteurs individuels ont fait de meilleures offres au cours des dernières semaines, selon les informations de la Matinale européenne. La Commission européenne, qui espère obtenir des engagements à des prix minimums des véhicules chinois vendus sur le marché européen, n’est toutefois toujours pas satisfaite à ce sujet. Idem concernant les mécanismes proposés pour faire respecter et garantir les prix minimums.
□ Le climat des affaires dans l’industrie française a enregistré une nette dégradation en octobre, avec un indice de confiance tombant de 99 à 92 en un mois, d’après les données récentes de l’Insee. Cette diminution est « la plus forte baisse mensuelle depuis novembre 2008 », hors période Covid, souligne l'institut de la statistique. Dans un environnement international tendu et avec une récession en Allemagne, l'opinion des chefs d'entreprise sur la demande étrangère se dégrade nettement. Deux secteurs concentrent les difficultés : l'automobile, qui souffre d’un déficit de commandes et l’aéronautique en raison de difficultés d’approvisionnement. Selon Denis Ferrand, directeur général de Rexecode cité par Les Echos, l’industrie française pâtit d’une demande en berne, de coûts énergétiques élevés et d’une concurrence chinoise renforcée, en particulier dans l’automobile et les technologies vertes.
□ «La France doit faire valoir ses arguments» sur l’accord UE-Mercosur a affirmé hier Sophie Primas sur RFI. La ministre déléguée chargée du Commerce extérieur du gouvernement Barnier a ainsi confirmé l’opposition de la France à l’accord de libre-échange (ALE) entre l'UE et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay et Bolivie), dont les négociations ont été relancées ces derniers mois, sous l’impulsion de l’Espagne et de l’Allemagne. « La France a fixé des conditions exigeantes en matière d'environnement et de respect des normes, et aujourd'hui celles-ci ne sont pas satisfaites » estime la ministre, qui considère comme « très hypothétique » une signature de l’ALE lors du sommet du G20 prévu mi-novembre à Rio de Janeiro. Si la France est de plus en plus isolée dans son opposition sur ce dossier à la table des Vingt-Sept, les principaux groupes agricoles européens demeurent hostiles à l’accord et menacent d’un nouveau mouvement de colère. Possible sur le papier, la ratification de cet ALE sans l’aval de la deuxième puissance économique de l’UE semble peu probable. La Commission européenne n’en continue pas moins de négocier pour essayer de donner une valeur supplémentaire aux accords de Paris à l’intérieur de l’ALE, et tend à promettre un « fond de compensation » pour les agriculteurs.
□ Emmanuel Macron a conclu mardi son déplacement au Maroc sous l’ovation du parlement de Rabat. Marqué par la confirmation du changement de position de la France en faveur de la « souveraineté marocaine » au Sahara occidental, mais aussi par un appel à plus de « résultats » contre l’immigration illégale, le voyage présidentiel a aussi été l’occasion d’une annonce de plus de 10 milliards d’euros, répartis en 22 accords de contrats commerciaux et d’engagements financiers. Si tout n’a pas encore été rendu public, on peut déjà noter qu’un accord liant la Banque publique d’investissement française, l’Agence française du développement et le groupe marocain OCP a été conclu lundi avec, à la clé, 50 millions d’euros pour soutenir l’innovation verte en Afrique.
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Cette édition a été préparée par Clément Solal, Antonia Przybyslawski, Mathieu Solal et Sophie Hus.
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