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Chaque semaine, votre condensé d’actualité utile sur le commerce international.

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Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal
19 juin · 6 mn à lire
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Extrême droite et commerce : à l'épreuve du pouvoir

Focus sur le positionnement des extrêmes droites italienne, néerlandaise et hongroise, mais aussi sur la riposte chinoise aux sanctions européennes, la dérégulation argentine et les promesses commerciales modérées de la victoire travailliste qui se dessine outre-Manche

BLOCS#28 Bonjour, nous sommes le mercredi 19 juin et voici le vingt-huitième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur LinkedIn.


Super-bloc

Les partis de la droite nationaliste et populiste ont gagné du terrain au Parlement européen, lors des élections qui se sont tenues du 6 au 9 juin. L’union de l’extrême-droite est toutefois encore loin d’advenir, au vu des positionnements très hétérogènes de ces différents partis sur nombre de sujets, et notamment le commerce international. Après vous avoir proposé la semaine dernière une comparaison entre le Rassemblement national (RN), et l’Alternative für Deutschland (AfD), BLOCS se concentre cette fois-ci sur l’extrême droite au pouvoir dans trois pays : l’Italie, les Pays-Bas et la Hongrie. Trois histoires différentes avec deux points communs : la radicalité du discours et le pragmatisme total des actes.

La présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni à Bruxelles, le 23 mars 2023. © European Union, 2024La présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni à Bruxelles, le 23 mars 2023. © European Union, 2024

LES DEUX FACETTES DE MELONI □ Quand Giorgia Meloni est arrivée à la tête de l’Italie en octobre 2022, les tenants du libre-échange européen avaient de quoi se ronger les ongles. Fratelli d'Italia, la formation d’extrême droite qu’elle dirige depuis 2014 n’a en effet jamais cessé de défendre le protectionnisme. Proche du principal syndicat agricole italien, la Coldiretti, la nouvelle présidente du Conseil s’annonçait comme une pourfendeuse des accords de libre-échange (ALE).

« Ce discours n’a pas franchement changé depuis que Meloni dirige le pays : son gouvernement dit non à l’ALE avec le Mercosur, non à la libéralisation des échanges agricoles avec l’Ukraine, oui aux droits de douanes imposés à la Chine, énumère David Carretta, correspondant à Bruxelles de la radio italienne Radio Radicale et du quotidien Il Foglio. Mais bon, ça, c’est la ligne tenue publiquement … ».

Officieusement, la dirigeante transalpine semble bien consciente de l’intérêt du libre-échange pour son économie. À l’exception de l’année 2022, marquée par la flambée des prix de l'énergie, le commerce italien affiche ainsi un excédent depuis 2012, grâce, notamment, à son industrie.

« Dans les négociations au niveau technique, l'Italie adopte en réalité des positions plus modérées, dans la continuité des précédents gouvernements, explique David Carretta. Même sur le Mercosur, le gouvernement actuel est plus constructif qu’il n’y paraît et se cache un petit peu derrière les Français »

Plus généralement, les actes de Mme Meloni se sont avérés autrement moins radicaux que ses paroles. À Bruxelles, le « patriotisme économique » affirmé dans le programme électoral de Fratelli d'Italia avait fait craindre tant un dérapage dans les comptes publics qu’une remise en cause des piliers du marché intérieur. 

Finalement, la dirigeante a choisi la voie du pragmatisme. Rome n’a pas fait voler en éclats les règles du marché unique, pas plus que Mme Meloni n’a dévié de la ligne de sérieux budgétaire de son prédécesseur, Mario Draghi. 

Rudesse dans les mots et pragmatisme dans les actes : la formule gagnante ? Les électeurs, en tout cas, en redemandent, eux qui ont placé la liste Fratelli d’Italia en première position aux européennes, avec près de 29% des suffrages.

WILDERS SUIT LE MOUVEMENT □ Le Parti pour la liberté (PVV) mené par le Néerlandais Geert Wilders partage une violente rhétorique anti-immigration avec ses homologues italiens. En revanche, sur le plan économique, le PVV est partisan du néolibéralisme, et ce depuis sa création en 2006. Après sa victoire surprise aux élections législatives de novembre 2023, la formation d’extrême droite est aujourd’hui en passe de former un gouvernement pour la première fois de son histoire.

En matière commerciale, son arrivée au pouvoir dans un pays à l’économie connue pour sa grande ouverture à l'international a donc, à première vue, de quoi ravir les tenants du libre-échange. Et pourtant, les 26 pages de l’accord de coalition - conclu avec deux partis de centre-droit dont le VVD du premier ministre sortant Mark Rutte ainsi que le Mouvement agriculteur-citoyen (BBB) - accordent très peu de place au sujet. 

On ne trouve, en particulier, aucune référence à l’objectif de signer davantage d’ALE, historiquement défendue par La Haye à Bruxelles. Le texte affirme plutôt que les accords de commerce doivent garantir que les partenaires respectent les mêmes standards que les producteurs de l’UE.  

La présence au gouvernement du BBB, parti créé en 2019 pour défendre les intérêts des agriculteurs, n'est naturellement pas sans lien avec cette frilosité, dans ce pays où est né le mouvement de colère paysan qui a secoué le continent au début de l’année.

Au-delà de l’agriculture, « le soutien de La Haye au libre-échange est progressivement en train de laisser place à un positionnement qui ressemble davantage à l’autonomie stratégique défendue par la France » analyse Politico. Le média américain voit d’ailleurs dans ce virage « un coup dur pour le clan déclinant des pays pro libre-échange en Europe ».

« La nouvelle coalition n’a pas insufflé cette tendance. Déjà depuis 2017 un vent nouveau souffle aux Pays-Bas, où l’on constate les limites de la politique de laissez-faire sur le plan commercial », explique Rem Korteweg, chercheur du think tank néerlandais Clingendael, cité par Politico.

L’extrême-droite semble donc là aussi faire preuve de pragmatisme. Reste à savoir si cette nouvelle coalition hollandaise tiendra dans la durée.

LE HIATUS ORBAN □ En mai 2010, lorsque Viktor Orban arrive au pouvoir en Hongrie, l'économie du pays est au bord du précipice. En cause, les investisseurs étrangers, qui se sont en partie retiré du fait de la crise de 2008, et auxquels le Fidesz de M. Orban promet de faire payer la note.

Quatorze ans plus tard, l’économie hongroise est toujours très dépendante des investisseurs étrangers. Budapest a en particulier déroulé le tapis rouge aux constructeurs automobiles créateurs d’emplois, qui ont été nombreux à installer leurs usines. 

Il existe ainsi systématiquement un hiatus entre le discours protectionniste de M.Orban, et les actes du pouvoir hongrois sur le plan commercial. Si le dirigeant, dont le discours s’est radicalisé au fil des années, est connu à Bruxelles pour ses vetos à répétition à Bruxelles - en particulier sur les sanctions contre la Russie dont Budapest achète massivement les hydrocarbures - la Hongrie ne joue pas les trouble-fête concernant les ALE conclus par l’Union.

Avec les années, la politique commerciale de M. Orban est par ailleurs devenue un prolongement de ses orientations géopolitiques : favorable aux régimes dicatoriaux, russe et chinois notamment. Grâce à sa politique pro-Pékin assumée, le pays est désormais la première destination dans l’UE pour les constructeurs chinois de véhicules électriques.

La ligne économique de M. Orban est enfin indissociable de la dérive antidémocratique du régime hongrois. Le leader pro-russe a détricoté l’État de droit, affaibli les contre-pouvoirs, placé des proches à la tête des institutions publiques et d’entreprises. Beaucoup s’enrichissent en profitant des fonds européens dont le pays reste très dépendant. Ce faisant, il a fait bondir la corruption et sensiblement détérioré le climat des affaires. 


Blocs-notes

ŒIL POUR ŒIL □ Le ministère chinois du Commerce a annoncé ce lundi l’ouverture d'une enquête antidumping sur les importations de porc et de produits à base de porc en provenance de l'UE.

Cette procédure intervient cinq jours après que Bruxelles a imposé des droits de douane compris entre 27 % et 48 % - contre 10 % aujourd’hui - sur les véhicules électriques chinois, massivement subventionnés.

L’enquête lancée par Pékin pourrait s’étendre sur plus d’un an et entraîner une augmentation des droits de douane sur des dizaines de produits, tels que les morceaux de porc frais ou congelés, certains produits salés ou fumés, ainsi que des abats, notamment les intestins et les estomacs.

« Le pays est considéré comme l’un des seuls débouchés pour ces derniers morceaux, peu consommés ailleurs mais appréciés en Chine, ce qui limite les débouchés alternatifs si la République populaire venait à leur imposer des droits de douane prohibitifs » analyse le journal Le Monde.

Alors que l’UE a exporté pour près de 3 milliards d'euros de viande porcine vers la Chine en 2023, de telles mesures pourraient surtout ébranler l'Espagne, premier exportateur avec des biens d'une valeur d'1,5 milliard de dollars.

La filière française, troisième exportatrice européenne vers le géant asiatique derrière les Pays-Bas, pourrait également être affectée. Malgré une baisse de 20 % sur un an, les ventes de viande de porc tricolores vers l’Empire du Milieu avaient atteint 257 millions d’euros en 2023.

L’attitude de la Chine a par ailleurs été épinglée vendredi, lors du dernier sommet du G7 qui a dénoncé, dans ses conclusions, « le ciblage industriel persistant et les politiques et pratiques anti-marché qui entraînent des retombées mondiales, des distorsions et des surcapacités préjudiciables dans un nombre croissant de secteurs ».


DÉRÉGULATION ARGENTINE □ Six mois après son investiture, le président argentin d’extrême droite, Javier Milei (BLOCS#1), a réussi à faire adopter, mercredi 12 juin, son ambitieux et controversé projet de réformes ultra-libérales par le Sénat, à une voix près.

Une étape supplémentaire de franchie pour ce paquet législatif dit « Omnibus », qui vise à déréguler l’économie argentine et à réduire drastiquement les dépenses de l’État, alors que le pays est confronté à une inflation de plus de 200 %, à des niveaux de pauvreté élevés et à une dette publique écrasante.

Le projet de loi présenté en janvier, et qui doit encore être discuté par la chambre des députés avant son adoption définitive, vise notamment à accorder au président des pouvoirs extraordinaires d’urgence pendant un an dans les domaines administratif, économique, financier et énergétique.

Parmi les mesures controversées qui ont suscité de violentes manifestations à Buenos Aires, figure le régime d'incitation aux grands investissements (RIGI). Le RIGI prévoit pour les projets d’investissement dépassant 200 millions de dollars, des avantages fiscaux, douaniers et de change pendant 30 ans, ainsi qu'une stabilité réglementaire et une protection contre les abus de l'État.

L'objectif est d'encourager les grands investissements, tant nationaux qu'étrangers, dans des secteurs stratégiques pour le développement du pays, tels que l'énergie, l'agriculture, l'exploitation minière (y compris l'extraction du lithium) et les infrastructures.

La loi doit également permettre au gouvernement de privatiser certaines entreprises publiques. Parmi les entreprises susceptibles d'être vendues figurent Intercargo, qui fournit des services aéroportuaires aux compagnies aériennes, et Energía Argentina S.A., responsable de l'exploration et de l'exploitation des gisements d'hydrocarbures ainsi que du transport et du stockage des carburants.


Mini-blocs

Les travaillistes anglais se préparent à la victoire. Crédité de 43% des intentions de votes dans les sondages, soit plus de 20 points de plus que les conservateurs, le Labour devrait obtenir une large majorité lors des élections générales prévues le 4 juillet. Le parti mené par Keir Starmer devrait ainsi pouvoir appliquer sans encombre son programme focalisé sur la remise en route des services publics et le soutien au pouvoir d’achat des travailleurs. Les travaillistes souhaitent également renforcer les relations avec l’Union afin de « faire fonctionner le Brexit ». Les options d’un retour du Royaume-Uni dans le marché unique ou l’union douanière, qui auraient pu permettre une augmentation des échanges avec l’UE, ont toutefois été écartées pour l’heure par M. Starmer, pourtant chaudement remainer. Les mesures mises en avant par les travaillistes ne devraient avoir qu’un impact « minimal », insuffisant pour « s’attaquer réellement aux conséquences économiques persistantes du Brexit », selon un rapport du think-tank UK in a Changing Europe, cité par le Grand Continent.

La Commission européenne a annoncé en fin de semaine dernière l’ouverture d’une procédure de règlement des différends contre l’Algérie. Bruxelles pointe plusieurs réformes engagées par le pays depuis 2021 pour réduire sa dépendance aux importations et favoriser le développement de sa production locale, qui violent, selon elle, l'accord d'association UE-Algérie, entré en vigueur en 2005 . Parmi ces mesures, « un système de licences d'importation ayant les mêmes effets qu'une interdiction d'importation », ou l'obligation pour les constructeurs automobiles d'intégrer un pourcentage croissant de produits locaux pour la fabrication de véhicules et des subventions conditionnées au respect de cette règle. La Commission, qui précise avoir alerté les autorités algériennes à plusieurs reprises, a demandé des consultations avec ces dernières. Si aucune solution amiable n’est trouvée, Bruxelles pourrait recourir à un panel d’arbitrage. L'UE reste le premier partenaire commercial de l'Algérie (50 % de ses échanges extérieurs), mais les exportations européennes sont passées de 22,9 milliards en 2014 à 14,9 milliards en 2023, soit une chute de 45 %.

Donald Trump a proposé jeudi aux républicains de la Chambre des représentants l’idée de mettre en place des droits de douane suffisamment massifs pour intégralement remplacer l’impôt sur le revenu. Cette proposition pour le moins radicale de celui qui brigue un second mandat à la Maison Blanche reviendrait à « frapper les Américains à revenus faibles et moyens », qui ne paient pas l’impôt fédéral sur le revenu, et à « récompenser les plus riches », a commenté sur X David Kamin, professeur à l’école de droit de l’Université de New York. M. Trump avait déjà fait état de sa volonté de frapper de droits de douane d’au moins 10% toutes les importations américaines - soit trois fois plus que le taux appliqué actuellement, et d’au moins 60% pour les produits en provenance de Chine. Après l’avoir boudé pendant des mois, les grands patrons américains se rapprochent actuellement du milliardaire new yorkais pour tenter d’influencer son programme, rapporte le Wall Street Journal.

« La fragmentation de la mondialisation exige que l’Europe dépasse l’approche économique pour concevoir une stratégie géopolitique », plaide l'économiste Jérémy Ghez dans une tribune publiée par Le Monde dimanche. L'auteur rappelle l’échec de la stratégie chinoise annoncée en 2020 - la demande intérieure comme moteur principal de sa croissance - et prédit que « le clivage sino-américain pourrait devenir sino-occidental ». Après avoir souligné les risques de la stratégie américaine dans sa guerre économique avec Pékin, il engage l’Europe à « dépasser l’idée d’une mondialisation devenue une situation où ce que l’un gagne, l’autre le perd ». Les Européens devraient plutôt concevoir une stratégie géopolitique dans laquelle le commerce international rendrait  « accessibles des biens de consommation aux classes moyennes les plus défavorisées, à condition que cette concurrence soit organisée » et ses règles respectées. L’UE pourrait ainsi « devenir le partenaire ‘senior’ de la relation transatlantique en redémontrant l’intérêt d’un agenda économique libéral, et offrir au reste du monde une alternative mondiale fondée sur davantage de coopération » estime M. Ghez.


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Cette édition a été préparée par Antonia Przybyslawski, Clément Solal, Mathieu Solal et Sophie Hus.

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