BLOCS

Chaque semaine, votre condensé d’actualité utile sur le commerce international.

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Par Mathieu Solal, Antonia Przybyslawski et Clément Solal
4 oct. · 7 mn à lire
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Cinq effets des conflits au Proche-Orient sur le commerce international

Focus sur les secousses commerciales un an après le 7 octobre, mais aussi ... □ Sur les dégâts potentiels de la grève des dockers aux Etats-Unis □ Les belles perspectives de l'industrie ferroviaire □ L'impréparation des entreprises françaises en matière de sécurité économique □ Le retour de la saga UE-Mercosur.

BLOCS#33 Bonjour, nous sommes le mercredi 2 octobre et voici le trente-troisième épisode de votre condensé d’actualité utile sur le commerce international. Suivez-nous également sur LinkedIn.


Super-bloc

Blocage du canal de Suez, ralentissement des importations israéliennes, embargo turc, impact sur l’Europe… Au lendemain des tirs de missiles iraniens sur Israël et à quelques jours du premier anniversaire des massacres du 7 octobre qui ont initié une multiplication des conflits au Proche-Orient, BLOCS analyse les principales conséquences sur le commerce international.

Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien. © Abir Sultan / Flickr

L’ESCALADE EN MER ROUGE □ « Une catastrophe économique pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord et certains de ses ports, une aberration écologique (flambée des émissions de CO2), et un non-sens sur le plan de l’exploitation (augmentation des dépenses d’exploitation et des primes d’assurance, partiellement compensée par l’économie du péage de Suez) » : tel est le bilan que dressait en juin le Journal de la marine marchande au sujet de la crise en mer Rouge, où transite habituellement près de 15 % du volume total des échanges de marchandises mondiales.

Trois mois plus tard, le constat reste le même, en pire. Bientôt un an après le début des attaques visant des navires commerciaux revendiquées par les rebelles houthis du Yemen pour « soutenir les droits des Palestiniens », la situation est toujours plus explosive.

Mardi, deux navires commerciaux ont ainsi été touchés par le groupe chiite, dans un contexte régional marqué par l'escalade des opérations militaires israéliennes contre le Hezbollah au Liban.

Ces nouvelles attaques signalent un retour de la violence visant les navires commerciaux en mer Rouge, alors que le dernier épisode datait du 2 septembre. De quoi faire craindre un nouvel évitement général de la zone par les grands armateurs, qui adoptent pour l’heure une approche « au cas par cas ».

En dépit des ripostes israéliennes, américaines, ou de la présence de navires militaires occidentaux en mer Rouge, les plus de 80 attaques recensées contre des navires commerciaux ont fait 4 morts parmi les équipages. L’escalade en cours devrait provoquer une nouvelle augmentation des tarifs et des délais du fret maritime, mais aussi un maintien d’un prix élevé du baril, les pétroliers étant notamment dans le viseur des rebelles.

LA START-UP NATION BAT DE L’AILE □ Les conflits au Proche-Orient pèsent lourdement sur l’économie israélienne. Au deuxième trimestre les exportations de l’Etat hébreu se sont contractées de 8,3 %. En rythme annuel, la croissance n'est plus que 1,2 %, alors qu'en 2022 ce taux s’élevait à 6,5 %.

Cette dernière projection, publiée en août par le Bureau central des statistiques, ne tient pas compte des répercussions de la récente escalade avec le Hezbollah libanais et l’Iran qui menacent de dégénérer en guerre totale. L’incertitude qui plane depuis douze mois sur le pays a causé une fuite massive des investisseurs : les investissements directs à l'étranger (IDE) avaient chuté de 55,8 % durant le premier trimestre de 2023 (BLOCS#29) et ont modestement rebondi ces derniers mois.

Cet exode affecte en particulier le secteur de la high-tech, lequel assure à lui seul la moitié des exportations de l'Etat hébreu. Le pays souffre en outre de mesures de boycott, comme celles prises par le fonds souverain irlandais ou, de manière bien plus massive, par la Turquie (voir ci-dessous).

Le tableau est toutefois loin d’être uniforme. Entre mai 2023 et mai 2024, le volume des échanges commerciaux entre Israël et les pays à majorité sunnite - voyant l’Iran comme une menace - avec lesquels ont été signés les accords d’Abraham (Émirats arabes unis et Bahreïn en 2020, puis Maroc et Soudan en 2021) ont augmenté de 16%.

LA COÛTEUSE RUPTURE TURQUIE-ISRAËL □ C’est l’une des mesures les plus radicales prises par un pays pour s’opposer à la guerre d’Israël contre le Hamas à Gaza.

L’embargo complet sur le commerce entre la Turquie et Israël, annoncé le 3 mai par le président turc Recep Tayyip Erdogan, sous la pression de l’opinion publique et à la suite d’une défaite électorale retentissante, a déjà de lourdes conséquences pour l’Etat hébreu.

En 2023, les exportations turques se sont élevées à un total de 5,4 milliards de dollars. Il s'agissait principalement d'exportations de fer et d'acier, mais aussi de nourriture casher, d’où une augmentation immédiate des prix alimentaires en Israël après l’embargo. Dans l’autre sens, l’arrêt des exportations israéliennes vers la Turquie n’a provoqué qu’un effet négligeable, celles-ci étant habituellement d’une ampleur bien plus faible.

Touchés, les importateurs israéliens ont néanmoins trouvé une parade en faisant appel à des intermédiaires palestiniens de Cisjordanie ou de Jérusalem-Est pour contourner cette sanction : les ventes de produits turcs officiellement destinés à la « Palestine » ont explosé en juillet, avec une hausse de 1180 %.

L’embargo a aussi fait du mal aux exportateurs turcs, et pourrait bien avoir des effets dans la durée. « Il sera très difficile pour la Turquie de rétablir ensuite la relation sur des marchandises aussi stratégiques que l’acier, le ciment, l’aluminium ou les autres matériaux de construction, estime ainsi Hay Eitan Cohen Yanarocak, spécialiste des relations turco-israéliennes à l’Université de Tel Aviv, cité par le Times of Israël. Parce que ces produits sont cruciaux pour le pays, je pense que la Turquie ne pourra pas revenir sur le marché israélien à la même position, même s’il y a revirement ». Une perspective lointaine, l’heure étant plutôt à la surenchère entre les deux Etats.

LE GOUFFRE LIBANAIS □ « Le Liban, déjà considérablement affaibli, ne se relèverait pas d’une telle guerre », estimait la semaine dernière le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot au Conseil de sécurité des Nations unies, suite aux premiers bombardements israéliens dans le cadre du conflit qui oppose Israël au Hezbollah.

Une prophétie qui s’appuie sur des indicateurs économiques plus qu’inquiétants. Depuis 2018, le Liban a en effet déjà vu son PIB reculer en cumulé de plus de 40%. Si certains signes laissaient espérer un début de reprise avant le début du conflit à Gaza, le FMI et la Banque Mondiale estiment désormais une contraction du PIB entre -0,4 et -0,9% pour 2023 (contre +0,2% avant le 7 octobre).

Touchée de plein fouet par les tensions en mer Rouge, l’économie libanaise, très dépendante des importations, est à la dérive, privée de perspective par une fuite des cerveaux massive. Une tendance qui ne devrait faire que s’affirmer si les bombardements israéliens continuent.

Lundi, ces frappes ont fait 558 morts, selon les autorités. C’est le bilan le plus lourd enregistré en une journée depuis la fin de la guerre civile en 1990. En outre, l'ONU compte plus de 90 000 déplacés au Liban.

L’IMPACT SUR L’EUROPE □ Divisée, l’UE peine à réagir face à ces conflits au Proche-Orient. Une mission visant à protéger les navires commerciaux en mer Rouge a certes été mise en place par les Vingt-Sept, mais elle manque de moyens pour satisfaire cet objectif.

Les Européens continuent ainsi à subir l’envolée des coûts du fret maritime qui, s’ils ont quelque peu diminué pendant l’été, sont toujours trois à quatre fois plus élevés qu’en début d’année.

Désunie sur la scène diplomatique, l’UE demeure en outre le premier partenaire commercial d’Israël, grâce à des échanges bilatéraux dopés par un accord de libre-échange entré en vigueur en 2000.

En 2022, près d'un tiers (31%) des produits importés en Israël venaient de l'UE et un quart (24%) des produits exportés par le pays partaient vers l'UE.

Si certaines voix ont pu s’élever, notamment au printemps, pour remettre en question cet accord de libre-échange sur fond de conflit à Gaza, les Etats membres y sont majoritairement peu enclins.


Blocs-notes


DOCKERS BLOQUEURS □ Une nouvelle ombre plane sur le commerce mondial. Celle de la grève enclenchée ce mardi 1er octobre par des dizaines de milliers de dockers de la côte Est des Etats-Unis et du golfe du Mexique.

Ce mouvement social lancé par l’International Longshoremen’s Association (ILA), le principal syndicat de travailleurs portuaires, devrait paralyser quelque quatorze ports (Houston, New York, Baltimore, Boston Savannah, Miami, entre autres).

L’organisation qui réclame une hausse des salaires de 77 % sur six ans a décliné une offre patronale de dernière minute de l’ordre de 50%. Le contentieux concerne aussi l'automatisation des terminaux portuaires que reprochent les grévistes aux transporteurs.

C’est peu dire que les places portuaires affectées ont une importance stratégique : elles voient passer 57 % de toutes les importations américaines. La situation est d’autant plus délicate qu’« un détournement sur la Côte ouest est de l’ordre de l’impossible, avec un canal de Panama encombré pour cause de sécheresse, des ports californiens saturés », relève Le Monde.

Si le trafic de pétrole et le transport de matériel militaire devraient être épargnés « la grève, avec les goulets d’étranglement qu’elle devrait recréer, pourrait relancer l’inflation comme le fit la désorganisation logistique qui avait suivi la crise due au Covid-19 », analyse encore le journal du soir.

Les chaînes de production des industries de l’automobile et de l’agroalimentaire figurent en haut de la liste des victimes probables. Les routes maritimes entre l'Europe et les Etats-Unis sont en première ligne, aussi bien pour les importations que pour les exportations.

Alors que les taux de fret mondiaux avaient tendance à régresser depuis quelques mois, « les armateurs ont instauré ces derniers jours des surprimes de toutes sortes sur les axes concernés » en anticipation de la grève que l’on annonçait, note Les Echos.

Les différentes estimations des dégâts potentiels sont vertigineuses : selon le cabinet Anderson Economic Group (AEG), une semaine de débrayage devrait coûter 2,1 milliards de dollars dont 1,5 milliard de dollars en marchandises perdues (comme des denrées périssables). A cinq semaines de l’élection présidentielle américaine, on se doute bien que Joe Biden se démènera afin de minimiser la durée du mouvement social.

SUR LES RAILS □ Un vent d’optimisme souffle parmi les constructeurs ferroviaires et leurs très nombreux sous-traitants, qui étaient réunis la semaine dernière au salon InnoTrans de Berlin, le grand rendez-vous mondial du secteur.

Les carnets de commande n’en ont pas fini de s’allonger : comme déjà sur la période 2021-2023, l’industrie pourrait ainsi croître d’environ 3% par an en termes réels d’ici à 2029, pour porter la taille du marché planétaire à 240,8 milliards d'euros, selon la toute dernière étude de l'Union des industries ferroviaires européennes (Unife).

Les perspectives de l’industrie des matériels ferroviaires (trains, tramways, métros) reposent sur des évolutions structurelles, comme « l'urbanisation, la numérisation et la durabilité », analyse l'Unife.

L’industrie européenne « restera en pointe dans tous ces développements attendus » indique Les Echos, qui énumère « les rames automotrices électriques, les infrastructures de métros légers, les systèmes embarqués ou au sol, le système européen de gestion du trafic (ERTMS) en plein déploiement ».

Les mesures protectionnistes pénalisent toutefois le Vieux continent : « Pour les fournisseurs européens, l'accessibilité aux marchés mondiaux est actuellement de 59 % », déplore l'Unife. L’accès à immense marché de la Chine, qui développe un réseau de train à grandes vitesses sur plus de 40 000 kilomètres, est en particulier limité.

En France, la filière pèse pour environ 35 milliards d’euros et « est composée de 2000 entreprises dont 90 % de PME, mais ces dernières demeurent peu présentes en dehors des frontières hexagonales », relève Le Moci. Afin d’aider les PME à se développer à l’international, la Fédération des industries ferroviaires (FIF), Business France et le Comité stratégique de la filière (CSF) viennent de créer la « Team France Filière Ferroviaire ».


Mini-blocs

Un rapport confidentiel, rédigé par l'ex-président du Medef Geoffroy Roux de Bézieux et remis à Emmanuel Macron cet été, met en évidence les menaces extérieures qui pèsent sur les entreprises françaises, telles que l'espionnage industriel, les cyberattaques et la fragilité des chaînes d'approvisionnement. Commandé en 2023 et consulté par Les Echos, le document révèle que les entreprises (de celles du CAC 40 aux PME, les acteurs du secteur technologique notamment) sont encore insuffisamment préparées aux enjeux de la sécurité économique, lesquels sont pris très au sérieux à l’échelle de l’UE (BLOCS#32) dans un contexte géopolitique instable. Le rapport recommande ainsi une collaboration renforcée entre le secteur privé et les services de l'État, comme la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) et le SISSE (Service de l'information stratégique et de la sécurité économiques ), afin de mieux prévenir ces risques.

Le projet d’accord de commerce UE-Mercosur est de retour. Les élections européennes désormais dans le rétroviseur, la Commission de Bruxelles entend conclure la négociation d’ici la fin de l’année. Vendredi 27 septembre, Josep Borrell, le Haut représentant de l'UE pour les affaires étrangères, s’en est ainsi entretenu à New York avec les ministres des cinq pays de la zone de libre-échange sud-américaine (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay et Bolivie). Quelques jours plus tôt, Ursula von der Leyen et le président brésilien Lula s’étaient déjà rencontrés pour en discuter. Une majorité d’Etats membres de l’UE soutient ce projet, l’Allemagne et l’Espagne en tête. A la différence de la France et de l’Italie, qui s'inquiètent de la réaction de leur secteur agricole. Si juridiquement, la conclusion d’un accord nécessite seulement le feu vert d’une majorité qualifiée de pays membres, en pratique ce type de décision n’a jusqu'ici jamais été prise sans l’assentiment de chacun des 27.

L’instrument « anti-déforestation importée » de l’UE, censé entrer en vigueur au 30 décembre 2024, constituera un autre facteur important dans les négociations avec le Mercosur. Ce règlement voué à interdire l’importation et la commercialisation dans l’UE d’une série de produits s’ils proviennent de terres déboisées est vu d’un très mauvais œil par le Brésil, l’Argentine, et par toute une série de pays à l’extérieur mais aussi à l’intérieur de l’UE : nos amis et partenaires de chez What's up EU vous racontent tout cela en détails dans leur dernière édition. À noter enfin, un rapport publié le 26 septembre par le laboratoire d’idées ECIPE, selon lequel ledit règlement pourrait être jugé contraire aux règles de l’OMC.

Dans le dernier classement Forbes des cinquante plus grandes entreprises étrangères présentes en Russie, onze sont désormais chinoises. On trouve parmi elles une majorité de constructeurs automobiles, comme Chery, Haval et Geely, qui ont en grande partie remplacé les marques occidentales. Avec la moitié de ses exportations de pétrole et de produits pétroliers russes expédiées vers la Chine en 2023, la Russie a réorienté toute son économie vers son puissant voisin, au risque de se retrouver en position de dépendance et donc de faiblesse, analyse Le Monde. Beaucoup d’entreprises occidentales demeurent aux premières places de ce classement - dont Japan Tobacco et Philip Morris ; et les entreprises françaises sont toujours bien présentes, comme Auchan (6ème, avec un CA de 275 milliards de roubles en 2023), Sanofi, L’Oréal et Leroy Merlin.


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Cette édition a été préparée par Antonia Przybyslawski, Clément Solal, Mathieu Solal et Sophie Hus.

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